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lundi, 25 juillet 2022

Le modèle de Visegrád en 2022: valorisation ou implosion?

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Le modèle de Visegrád en 2022: valorisation ou implosion?

Nick Krekelbergh

Source : Delta Knooppunt - Nieuwsbrief Nr 170 - Juin 2022

Le 3 avril 2022, le parti de Viktor Orbán (Fidesz) a remporté une élection haut la main en Hongrie. Cela semble être une bonne nouvelle pour les partisans du modèle dit de Visegrád : une vision alternative du développement de l'Europe qui se concentre sur l'Europe centrale et orientale et en particulier sur le "V4" : Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie. Les valeurs communes qui lui sont associées sont : le conservatisme culturel chrétien, l'accent mis sur la souveraineté nationale au sein de l'UE et, bien sûr, une attitude critique à l'égard des migrations, le tout contrastant fortement avec (et au grand dam de) l'idéologie dominante de la gauche libérale qui est devenue la norme générale au sein des institutions de l'UE dominées par les pays et les ONG d'Europe occidentale, ainsi que des structures nationales de ces mêmes États-nations. C'est du moins ce qui ressort de sa perception populaire en Occident, où les partis et les commentateurs conservateurs ont régulièrement tendance à considérer le V4 comme les pays guides.

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La victoire électorale de Fidesz n'était en aucun cas une mauvaise chose. Le parti disposait déjà d'une majorité absolue au Parlement, mais s'est maintenant également hissé au-dessus de la barre symbolique des 50 % en termes de votes (52,4 % pour être précis). Cela leur a valu un gain de deux sièges par rapport au résultat déjà impressionnant de 2018. En revanche, l'opposition unie, Egységben Magyarországért (= Unis pour la Hongrie), une coalition improbable de type "tout contre un" dans laquelle les ex-nationalistes du Jobbik, pour s'opposer au Fidesz et l'ennuyer, se sont retrouvés dans un parti du centre, alliés à des libéraux et des verts de toutes moutures: ils ont fait piètre figure. Cet ensemble hétéroclite a obtenu un maigre 34,44 % et a donc fait plus de 3,5 % de moins que le résultat combiné des partis constitutifs en 2018, lorsqu'ils se présentaient encore séparément. En plus de cela, le parti nationaliste Mi Hazank Mozgalom (Notre patrie), un nouveau parti qui a commencé à remplir la niche laissée ouverte par le Jobbik après son improbable métamorphose, a également été élu au parlement avec environ six sièges. Le concept d'unir l'ensemble de l'opposition libérale contre les candidats du Fidesz est une stratégie qui avait bien fonctionné à Budapest lors des élections municipales de 2019. Le candidat progressiste Gergely Karácsony, qui avait été présenté par un consortium de cinq partis d'opposition, a battu le candidat du Fidesz, István Tarlós, et le parti conservateur au pouvoir a perdu ainsi sept sièges au conseil municipal. Mais comme c'est souvent le cas, la métropole s'est avérée être une enclave relativement libérale, entourée d'une masse continentale conservatrice, dans ce cas formée par la campagne hongroise, et cette stratégie n'a pas pu être extrapolée avec succès au niveau national. En conséquence, le coup d'État libéral tenté contre Orbán, malgré de grands espoirs, n'a rien donné et le modèle national de "démocratie illibérale" de ce dernier a été récompensé par le meilleur résultat jamais obtenu - et ce après deux années difficiles dues à la pandémie. On pourrait, bien sûr, y voir au moins une valorisation des politiques conservatrices du V4.

En soi, cependant, le groupe de Visegrad a peu à voir avec une ligne idéologique tracée à l'avance. En 1991, le projet a été conçu sur les ruines du bloc de l'Est socialiste, qui s'était effondré, entre autres pour promouvoir et faciliter l'intégration des "nouvelles démocraties" en Europe. Il peut donc être considéré comme quelque peu ironique que ce même projet ait été plus tard étiqueté comme porteur d'un phénomène culturel-géographique aux accents intrinsèquement eurosceptiques. Néanmoins, le choix du nom, avec sa référence explicite au Congrès de Visegrád de 1336, semble déjà porter les germes symboliques de ce virage substantiel. La coalition diplomatique médiévale anti-Habsbourg de Visegrád, forgée entre les royaumes de Bohême, de Pologne et de Hongrie, évoque naturellement l'image d'une périphérie slave et finno-ougrienne inébranlable à l'est de l'Europe, résistant à la domination économique et à l'expansionnisme territorial du Reich romain-germanique, et en ce sens, elle pourrait bien contenir certains parallèles avec la situation actuelle.

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L'historien belge David Engels (professeur à l'Instytut Zachodni de Poznań) voit donc en Visegrád un modèle alternatif pour une nouvelle Europe confédérale et coopérative (et conservatrice !), formée d'États-nations, dont les États d'Europe centrale précités sont l'avant-garde. En revanche, il voit dans la désintégration de l'Union européenne et de l'Occident progressiste des parallèles avec le déclin de la République romaine tardive. Pourtant, ce n'est pas si évident. La domination des conservateurs dans la politique des partis est peut-être évidente en Pologne et en Hongrie, mais lors des élections législatives d'octobre 2021 en République tchèque, le parti populiste de droite ANO d'Andrej Babiš a perdu sept sièges et a dû céder la place à une coalition composée du parti libéral de droite SPOLU et du consortium progressiste Piráti a Starostové, dans lequel le Parti pirate tchèque, entre autres, est représenté. En Pologne, le parti PiS a peut-être remporté une autre courte majorité absolue à l'automne 2019, mais ses politiques ont été marquées par plusieurs ruptures et scandales au cours des dernières années. Les élections parlementaires de 2023 promettent d'être plus passionnantes que les élections hongroises, avec le même scénario du "tout contre tout" qui se dessine, mais avec les guerres culturelles qui l'accompagnent et qui font rage en Pologne un peu plus férocement qu'en Hongrie. En outre, une ligne de fracture géopolitique se dessine de plus en plus au sein du V4, la Hongrie semblant s'orienter de plus en plus vers le vecteur eurasien, tandis que la Pologne reste - pour l'instant - le porteur par excellence de l'idée américaniste en Europe de l'Est.

En mars, la position d'Orbán dans la crise ukrainienne lui avait déjà valu de vives critiques de la part du président polonais Duda, qui avait été désigné pour ce poste par le parti PiS, traditionnellement allié au Fidesz. La continuité du modèle de Visegrad en termes substantiels et (géo)politiques, qui est coincé entre l'Est et l'Ouest et qui manque également de cohérence idéologique claire, ne semble donc nullement garantie, et on ne peut que se demander dans quelle mesure sa pertinence à l'avenir ne sera pas noyée par les nouveaux développements, qui se produisent actuellement aux frontières orientales du V4, et les nouvelles constellations géographiques qui peuvent ou non en résulter.

Nick Krekelbergh

samedi, 02 juillet 2016

Le Brexit et les quatre de Visegrád

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Le Brexit et les quatre de Visegrád

Ferenc Almássy

Ex: http://metamag.fr

Brexit, groupe de Visegrád, Union européenne – l’Europe change. L’Histoire s’écrit en ce moment même

Le Brexit a été un choc pour certains, surtout dans un Occident ramolli et capricieux. Mais en Europe centrale, vivre des événements historiques de l’intérieur est presque devenu quelque chose de courant. Tous les actuels dirigeants d’Europe centrale se souviennent, voire ont même pris part au changement de régime qui a eu lieu il y a un peu plus d’un quart de siècle. Ces hommes et ces femmes ont vécu sous le communisme et ont participé à sa mise à mort. Et cette expérience est mise à profit en ce moment même où l’Europe vit un tournant majeur.

S’il est bel et bien appliqué – ce ne serait pas la première fois dans l’Histoire de l’Union européenne qu’un référendum qui déplaît à ses élites ne serait pas appliqué -, le Brexit aura des conséquences aussi en et pour l’Europe centrale.

Une fracture amorcée non par le Brexit, mais par Berlin et Paris.

Les 6 membres fondateurs de l’Union – le Benelux et les petits géants européens : Italie, France et Allemagne – se sont réunis en urgence à Berlin lundi 27 juin, pour parler de l’avenir de l’Union européenne… selon eux ; excluant les « états secondaires », et donc, le groupe de Visegrád.

Selon le média polonais TVP, les Allemands et les Français travailleraient sur un projet de « super-État », autrement dit une augmentation considérable de l’intégration européenne. Le média polonais a publié une copie du document de 9 pages : il s’agit d’en finir avec les derniers éléments de souveraineté nationale.

Le groupe des quatre de Visegrád (V4) a saisi l’importance de l’événement et n’est pas resté les bras croisés. Le ministre des affaires étrangères polonais a convié ses homologues du V4 ainsi que d’autres pays exclus de la réunion de crise berlinoise. La dissidence étatique est née et est officialisée au sein d’une Union que d’aucuns estiment déjà moribonde.

Il est trop courant à l’Ouest de penser que l’Europe centrale a bénéficié de l’aide financière bienveillante, désintéressée, offerte par pur humanisme, de la part d’une Union européenne ouest-continentale. Mais évidemment, si l’Europe centrale a bénéficié de subsides européennes, elle n’a pas signé pour en être une colonie – en fait, si, diront certains ; les pays baltes, le V4 et les autres nouveaux pays de l’Union Européenne sont des membres à part entière, participant eux aussi financièrement à l’effort commun, ayant troqué une part de leur souveraineté pour jouer le jeu, et enfin, ayant ouvert des marchés énormes, faciles d’accès – tant géographiquement que légalement ou financièrement – et devenant des viviers de main-d’oeuvre bon marché, qualifiée et jeune.

Le V4 ne voulait pas le départ du Royaume-Uni de l’UE : élément important de l’Union, il était un allié important pour les souverainistes, n’ayant pas la monnaie commune, étant plus que réservé sur l’abandon de souveraineté, étant opposé aux quotas berlinois, et étant un partenaire économique majeur pour chacun des pays du V4. Enfin, c’est aussi le principal lieu d’implantation des jeunes émigrés du V4. Un million de Polonais, 350.000 Hongrois, 45.000 Tchèques, 9.000 Slovaques, tels sont les chiffres de la diaspora du Visegrád au Royaume-Uni. Pour toutes ces raisons, le V4 était opposé au Brexit, Orbán allant même jusqu’à publier une annonce anti-Brexit dans la presse britannique.

Mais voilà, le Brexit est voté. Démocrates sincères, les quatre de Visegrád sont passés sans attendre au plan B. Il faut renouveler l’Europe, mais certainement pas en allant vers plus d’intégration. L’intégration européenne (autrement dit, la fédéralisation) est justement selon le V4 ce qui mène l’UE vers l’effondrement.

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Les réactions du V4 : Front commun pour une autre Europe

En Pologne, le ministre des affaires étrangères Waszczykowski s’inquiète de la domination de la zone euro désormais, impliquant une UE plus que jamais à deux vitesses. « La zone euro pourrait créer des institutions séparées, un budget séparé et ensuite l’Union européenne dans son ensemble ne serait plus qu’une façade et la zone euro dominerait ». « Nous devons créer une Union européenne d’Etats souverains, » a dit le porte-parole du gouvernement polonais, ajoutant que l’exemple du Royaume-Uni montre que c’est exactement ce que veut l’Europe, et que tous les États membres devraient être traités comme des partenaires car aucun pays ne peut décider du destin des autres.

Si le président du PiS souhaite un deuxième référendum, l’influent homme politique a également déclaré que « nous avons une crise dans l’Union européenne et la bonne réponse n’est pas de continuer à faire ce que nous faisions, parce que ça conduirait à une catastrophe. » Le ministre des affaires étrangères a rajouté que les officiels à Bruxelles sont déconnectés des gens ordinaires et qu’ils devraient « se battre la poitrine » de remord. « Les Européens sont mécontents de la voie choisie pour gérer la crise migratoire, ils sont mécontents du fait des problèmes de sécurité, mais aussi du fait de la faible croissance économique due à l’euro, car en réalité l’eurozone stagne et n’a pas de croissance, » a-t-il ajouté.

Beata Szydło, premier ministre de Pologne, a déclaré que « pour le gouvernement polonais, le problème prioritaire est la situation des citoyens polonais vivant au Royaume-Uni. Nous allons essayer de négocier pour qu’ils préservent les avantages qu’ils ont eu à leur arrivée.»

Enfin, les nouvelles élites polonaises profitent de l’occasion pour tirer à boulet rouge sur l’ancien premier ministre libéral Donald Tusk, actuellement président du Conseil européen. « En tant que négociateur, Donald Tusk porte une responsabilité directe pour le Brexit et devrait disparaître de la politique européenne, mais cela vaut aussi pour toute la Commission telle que composée aujourd’hui. » a conclu Kaczynski.

En Tchéquie, on s’attaque à d’autres élites. Juncker est désigné comme responsable par le ministre des affaires étrangères tchèque Zaoralek, dont il demande la démission. « L’Union européenne doit changer rapidement, » a dit le premier ministre tchèque Sobotka sur sa page Facebook. « Pas parce que le Royaume-Uni est parti, mais parce que le projet européen a besoin d’un bien plus grand soutien de la part de ses citoyens. L’Europe doit être mieux à même d’agir, elle doit être plus flexible, moins bureaucratique et beaucoup plus sensible à la diversité que représente ses 27 Etats membres. »

La Slovaquie, qui va prendre la tête du Conseil de l’Union européenne le 1er juillet, a également insisté sur la nécessité de changements à apporter. « Ce n’est pas une tragédie, c’est une réalité et les 27 Etats membres restants doivent agir vite, » a dit le premier ministre Robert Fico. « Ce serait une grande erreur que la réaction des 27 pays soit de continuer la même politique au niveau de l’UE que celle menée jusqu’à maintenant. » Le premier ministre slovaque désire également organiser une rencontre informelle en septembre à Bratislava, incluant les dirigeants français et allemand, ainsi que le président du Conseil européen. Mais il veut également que le V4 soit le leader de cette discussion.

Enfin, en Hongrie, alors qu’Orbán plaidait pour le Remain, il semble sortir grand gagnant du Brexit : si le Brexit a eu lieu, c’est principalement à cause de la politique migratoire de l’UE, a-t-il fait savoir. « Une situation où nous avons une élite européenne sociale-libérale qui est pour l’immigration alors que la majorité des Européens est contre ne peut simplement pas fonctionner, » a déclaré le chef du groupe Fidesz au parlement national. « Malheureusement nous devons admettre que l’assertion selon laquelle l’Europe a perdu 64 millions d’Européens et sa deuxième économie au profit de quelques millions de migrants est vraie, » a-t-il ajouté.

Le ministre de l’économie, Mihály Varga, estime que la Hongrie ne peut que bénéficier du Brexit. Le gouvernement hongrois est en train de travailler à rendre le pays plus attractif pour les compagnies cherchant à quitter le Royaume-Uni. Quant au ministre des affaires étrangères hongrois Szijjártó, il a estimé qu’il était totalement incorrect que l’on tente d’imposer plus longtemps des mesures politiques ayant mené aux échecs actuels. « Des têtes doivent tomber ».

« Peut-être que l’heure des pays de l’Est est arrivée. »

C’est en ces mots que Die Welt, grand journal allemand, commente les réactions des dirigeants européens. Le Brexit marque d’une pierre blanche l’Histoire européenne contemporaine à laquelle l’Europe centrale en plein essor compte bien apporter de nouveau, enfin, sa participation. Fini le temps des « pays de l’Est » méprisables et méprisés, fini le XXe siècle, fini la soumission.

Le V4 a d’ores et déjà annoncé vouloir traiter avec le Royaume-Uni en tant que bloc, et face à l’axe libéral-libertaire et fédéralisateur Berlin-Paris, les quatre de Visegrád n’ont pas perdu de temps pour fédérer autour d’eux les laissés pour compte de l’UE tenant encore à leur souveraineté.

Par leur fermeture d’esprit et leurs rêves aveugles, les dirigeants occidentaux sont en train de tuer l’Union européenne. Une Union voulue par les anciens pays du bloc de l’Est. Mais, jouant le jeu démocratique, écoutant leurs peuples et rejetant les absurdités babeliennes de Bruxelles, on a fait passer le V4 pour des « eurosceptiques », voire des opposants à l’Union européenne. C’est une grave erreur, hélas volontaire de la part de certains : le V4 est pour l’Europe, mais une autre Europe. Pas une Union fédérale libérale-libertaire, mais une grande entente de pays libres et souverains.

Quoiqu’il en soit, l’onde de choc du Brexit a rapidement frappé le continent, et Berlin a catalysé la création d’une faille qui suit presque l’ancien tracé du rideau de fer.

L’avenir nous dira ce que va devenir l’Union, l’Europe et de quel côté de cette fracture naissante se trouvera la liberté, la prospérité et l’espoir.

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