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lundi, 23 mars 2009

Baldur Springmann, pionnier de l'écologie allemande

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

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Baldur Springmann, pionnier de l'écologie allemande

 

Baldur Springmann, né en 1912 à Hagen en Westphalie, est le fils d'un grand industriel. Après 1945, il est expulsé de sa propriété de l'Est, achète une ferme dans le Holstein et l'exploite. En 1954, il la transforme en entreprise pionnière de l'agriculture biologique/dynamique. Il participe au vaste mouvement qui s'oppose aux centrales nucléaires. Conjointement à Herbert Gruhl, ancien porte-paroles de la CDU en matières écologiques, il contribue au lancement du mouvement vert. Il le quitte quand les groupes marxistes commencent à noyauter le mouvement et placent leurs hommes aux postes-clef. En 1982, il publie un livre, Partner Erde (= Notre partenaire, la Terre). Depuis 1991, il appartient au mouvement des écologistes indépendants en Allemagne.

 

Q.: Y a-t-il eu dans votre vie un événements crucial, qui a fait de vous un écologiste?

 

BS: Oui. Par exemple, dès l'âge de quinze ans, j'ai ressenti, dans mon fors intérieur, qu'existait bel et bien ce que C.G. Jung appelait l'“archétypal”; j'ai donc ressenti que mon vécu se branchait immédiatement sur l'essence même de la nature. Par ce contact direct, j'ai pris conscience des forces mortelles que dé­ployait l'industrialisation, avec laquelle je ne voulais ni ne pouvais vivre. Voilà pourquoi je suis devenu paysan. Mais j'ai dû constater par la suite qu'il y avait agriculture et agriculture...

 

Q.: Vous avez été l'un des co-fondateurs du parti des “Verts”. Peut-on encore considérer que ce parti est aujourd'hui encore une plate-forme pour un véritable mouvement écologique?

 

BS: Dans l'ensemble, non. Ce qui s'est passé dans les années 70 pour le mouvement anti-nucléaire, s'est passé chez les Verts. Les idéologues marxistes qui cherchaient un tremplin et qui ne se souciaient pas le moins du monde de l'écologie, se sont introduits dans le mouvement, l'ont transformé et déformé, l'ont forcé à prendre une direction qui n'a plus grand'chose à voir avec les positions véritablement écologiques du début. Quoi qu'il en soit, les Verts sont encore le seul parti qui a défendu des positions écologiques, avec des hauts et des bas.

 

Q.: Quel est le reproche principal que vous adressez aux Verts?

 

BS: Leur anti-germanisme. L'anti-germanisme est aujourd'hui une forme de racisme beaucoup plus viru­lente que l'anti-sémitisme. Pourquoi l'anti-germanisme serait-il moins raciste, moins hostile à la vie, moins dangereux que l'anti-sémitisme? C'est la présence de ce racisme qui me dégoute chez les Verts. C'est aussi la raison pour laquelle ils ont eu des difficultés avec le mouvement Bündnis 90, où ce racisme n'est pas présent. Ces hommes et ces femmes ont encore le sentiment d'appartenir à un peuple, tout naturel­lement, sans aucune crispation. Ceux qui veulent se faire valoir en répétant à satiété des slogans comme «germanité = criminalité», développent au fond une idéologie qui n'a rien à voir avec l'écologie. Les ob­sessions racistes et discriminantes sont une preuve d'incompétence en matières écologiques.

 

Q.: Cette équation entre germanité et criminalité que l'on trouve chez les Verts, qu'a-t-elle à voir avec les questions écologiques?

 

BS: On peut tout bonnement se débarrasser de l'écologie comme d'un vulgaire déchet si, d'une part, on revendique la guérison de la nature, et, d'autre part, on nie les liens qui unissent le peuple, le terroir et l'homme. L'écologie, c'est davantage que l'installation d'un biotope protégé pour les grenouilles et les crapauds, et le terroir, c'est beaucoup plus que le parking du supermarché du coin. Pour l'homme, le ter­roir c'est le fait de se sentir protégé, de se sentir à l'abri, dans une Geborgenheit dirait le philosophe Heidegger; mais à l'abri de quoi? D'une culture protectrice, englobante, maternante et poliçante. Le sen­timent du terroir touche directement ce que j'appelle l'“écologie proprement humaine”. L'écologie, en effet, est la tentative de reconnaitre scientifiquement les liens qui unissent tous les domaines de la nature. L'homme n'est pas en dehors de la nature. Il est lié à elle. Et à tout l'univers. Peut-on, sans sombrer dans l'irréalisme et la sottise, nier ces liens qui unissent l'homme à la nature et à l'univers?

 

Q.: Prochainement, vous allez faire paraître un nouveau livre. De quoi s'agit-il?

 

BS: Mon livre paraîtra bientôt aux éditions dirigées par Siegfried Bublies [l'éditeur de la revue Wir Selbst, ndlr]. L'essentiel de cet ouvrage autobriographique, c'est de contribuer à une éthique de libération écolo­gique. Faire passer dans les esprits une mutation de conscience radicalement écologique, voilà bien l'une des questions essentielles de notre époque, qui décidera de la survie des peuples. Il s'agira de susciter un véritable partenariat entre l'homme et la Terre, de proposer des alternatives réalisables, des formes actuelles, non passéistes, de vie écologique.

 

Q.: Beaucoup de militants de droite estime que l'écologie sert de cache-sexe à l'utopisme habituel des gauches. C'est ce qui explique leurs réticences.

 

BS: Ces militants-là ont encore l'esprit encombré de scories du 19ième siècle. Celui qui pense véritable­ment en termes d'écologie n'appartient ni à la gauche ni à la droite, mais est un homme en avance sur son temps. Nous sommes sur le point d'entrer dans une nouvelle ère culturelle et nous n'avons plus à nous orienter sur des boussoles idéologiques du passé, nous devons aller de l'avant! Le clivage passera très vite entre une minorité prête à respecter la vie et à comprendre les forces de la Nature comme révélations du divin, et une majorité relative, plus puissante, composée de technocrates arrogants qui croiront tou­jours pouvoir dominer la nature selon le slogan: “Soumettez-vous la Terre”.

 

Q.: L'écologie n'est-elle pas une thématique fondamentalement conservatrice?

 

BS: Oui. Mais il ne faut pas oublier qu'il existe aussi un conservatisme négatif, qui ne songe qu'à préser­ver les vieilles formes mortes. En fait, il faut que forme, contenu et temporalité puissent être en harmonie. Aujourd'hui plus personne ne se laisse enthousiasmer par le vocable “patrie” (Vaterland), mais vu les succès des Verts et d'un certain féminisme, on pourra susciter l'intérêt en parlant de “matrie” (Mutterland). Nous n'aurons plus affaire à des “patriotes” mais à des “matriotes”, c'est-à-dire des hommes et des femmes qui aiment toujours leur peuple, la matrice de ce qu'ils sont, leur “matrie”. C'est un amour tranquille, doux, qu'on ne saurait comparer au patriotisme des tambours et des trompettes. Le “matriotisme” pourrait parfaitement être accepté par les jeunes d'aujourd'hui.

 

Q.: La CSU vient de faire quelques déclarations claires contre l'hostilité à la technique qui se répandrait dans la population. Elle a également réclamé davantage de “progrès” dans quelques secteurs-clef de l'économie. Elle a traité les socialistes et les verts de “bloqueurs du progrès”. A votre avis, la CSU est-elle la forge idéologique où l'on crée des arguments contre ceux qui veulent préserver les fondements de notre existence biologique?

 

BS: La tendance de tous les partis actuels est d'être ennemis de la vie. Les partis se perçoivent comme les protecteurs de l'économie capitaliste et non pas comme les protecteurs de la Terre. Herbert Gruhl, quand il était encore parmi nous, a dit clairement ce qu'il fallait dire à propos de la folie de ce système, qui ne peut survivre sans “croissance”.

 

Q.: Mais tous le monde parle pourtant de protection de l'environnement...

 

BS: La préservation de la nature n'est pas, en premier lieu, un problème technique. Il s'agit d'une néces­sité beaucoup plus profonde, c'est-à-dire d'une rénovation totale sur les plans spirituel et culturel. L'homme est un être de culture qui, bien entendu, influence directement ou indirectement la Nature par tout ce qu'il fait. Au départ, la relation d'échange entre l'homme et la Nature n'a pas remis en question les systèmes et les circuits écologiques existants. Mais les efforts des hommes en Occident d'échapper à l'emprise des formes socio-culturelles d'ancien régime a dégénéré, pris le mors aux dents, pour devenir une volonté d'échapper aux liens qui nous unissent biologiquement à la Nature. Les hommes en sont arri­vés à vouloir s'émanciper de notre Mère la Nature, mais cela n'a pas fonctionné.

 

Q.: Vous voulez promouvoir une volonté d'émancipation hors de la superstition techniciste...

 

BS: Nous n'avons nullement l'intention de promouvoir une hostilité généralisée à la technique, mais nous voulons installer dans les esprits une attitude critique à l'endroit de la technique. Nous disons que telle ou telle situation doit être changée. Nous raisonnons dans un cadre global écologique en matières agricoles, économiques, dans les domaines des communications, de l'urbanisme, de l'habitat, bref, dans tous les domaines de la vie. Nous souhaitons que les décisions politiques soient prises en tenant compte de notre cadre écologique global, en tenant compte des impératifs de la Nature et non le contraire.

 

Q.: Il y a une question typique que posent les partis: pendant combien de temps encore serons-nous en mesure de financer la protection de l'environnement?

 

BS: C'est une question qu'il ne faudrait pas poser. En revanche, il faudrait en poser une autre: que signi­fient les progrès que nous avons faits sur la voie techniciste et mécaniciste par rapport à l'ensemble des paramètres de la Vie sur notre Terre? Et quels sont les effets de ces “progrès” sur l'environnement, la cul­ture, les faits ethniques, qui structurent l'homme? Le question du financement de la protection de l'environnement est une question d'irresponsable, une question d'esprit libéral.

 

Q.: La question écologique est-elle simultanément une question profondément religieuse?

 

BS: Pour que nous puissions vivre un bouleversement réel, définitif, de notre pensée, marqué par la conscience écologique, il faut qu'une religiosité nouvelle se déploie. Aujourd'hui, la religion a pour ainsi dire disparu. Il ne reste plus que des structures confessionnelles. Le christianisation de l'Europe a été la première étape dans le houspillement du divin hors de la nature, hors de notre vivifiante proximité, hors du tellurique. Cette christianisation a préparé le terrain au désenchantement, puis au désenchantement technicisto-mécaniciste, qui nous a conduit à la situation désastreuse que nous connaissons aujourd'hui. Quand je parle de déployer une nouvelle religiosité, je n'évoque pas le New Age ou une autre superficialité du même acabit, mais je veux retourner aux sources mêmes de toute religiosité, c'est-à-dire au regard plein d'émerveillement que jetaient nos plus lointains ancêtres sur l'harmonie cosmique, sur les astres. Pour eux, la Nature, dans sa plus grande perfection, c'était ces étoiles qui brillaient au firmament. Il faut restaurer cette dimension cosmique et astronomique de la religion. Et se rappeler de l'année cosmique dont parlait Platon, année cosmique qui durait 2150 ans. Un cycle de cet ordre de grandeur est en train de s'achever: nous nous trouvons dans une sorte d'interrègne, dans une phase de transition, nous allons rentrer dans une nouvelle année cosmique selon Platon. Les religions révélées dualistes, qui ont dominé au cours des siècles précédents, vont s'effillocher et céder le terrain à des religiosités de l'immédiateté, des religiosités holistes. Notre tâche: trouver des formes socio-politiques adéquates, qui correspondent à cette transition, à cette nouvelle année cosmique.

 

Q.: Y a-t-il une recette patentée pour nous débarrasser de la dictature du matérialisme et des paradigmes du mécanicisme?

 

BS: Je suis opposé à toutes les “recettes patentées”. Elles ont plutôt l'art d'exciter mes critiques. Mais l'humanité doit prendre des décisions fondamentales. Le retournement des valeurs va s'opérer, en dépit de l'hostilité que lui porte le capitalisme dominant. Je ne crois pas que ce retournement va s'opérer bruta­lement, en un tourne-main, par une sorte de révolution-parousie. La lutte sera longue. Nous, les écolo­gistes, nous devons élaborer des propositions réalistes.

 

Q.: Ce sont des propositions réalistes de ce type que vous suggérez dans votre livre, notamment en for­mulant «Dix thèses pour une agriculture vraiment paysanne». En même temps, vous formulez une critique acérée contre les politiques agricoles conventionnelles...

 

BS: Pour la plupart des politiciens de l'établissement, les quelques misérables pourcents de l'agriculture dans le PNB sont une quantité négligeable. C'est pour cette raison que tout le discours sur la “promotion des entreprises agricoles familiales” n'a jamais été suivi d'effets, que ce discours n'a été que propagande et poudre aux yeux. En réalité, on a, par décrets administratifs, systématiquement exterminé le paysan­nat européen. Cette politique a commencé avec Mansholt; elle a continué avec Bochert; leur intention était claire: évacuer le fossile paysannat, le jeter définitivement au dépotoir de l'histoire. Je m'oppose avec vigueur à ce génocide, je refuse de considérer le paysannat comme une quantité négligeable. Je pose une question qui vous donne d'emblée le clivage qui s'installe: Agriculture véritablement paysanne ou industrie agro-alimentaire? Si nous luttons pour revenir à une agriculture naturelle, nous luttons pour l'avenir de tous les hommes sur la planète. Ce retour à l'agriculture s'effectuera sans doute à la fin de la période de transition que nous vivons aujourd'hui. Mais si nous ratons cette transition, nous mettrons en jeu la survie de l'humanité, nous préparerons le dépérissement misérable de nos descendants.

 

Je veux promouvoir une renaissance du mode de production originel. Seuls les produits issus d'un tel mode de production peuvent générer la vraie Vie. Une véritable agriculture, c'est le pilotage et l'accroissement naturel des processus agraires dans le cadre d'un environnement naturel, sans que ce­lui-ci ne soit artificiellement transformé. Les bio-paysans, nombreux en Allemagne aujourd'hui, pratiquent cette agriculture avec succès. Leurs produits sont meilleurs, sont demandés. Leurs méthodes scienti­fiques, écologiques au sens scientifique du terme, sont performantes. Ils pratiquent ainsi une immédia­teté avec la nature, le sol, la géologie, ils s'abstiennent d'utiliser des méthodes transformatrices dange­reuses sur le long terme; ils reviennent au mode de production originel, tout en restant concurrentiels. Voilà des exemples concrets à suivre. Dans tous les domaines de l'économie.

 

(propos recueillis par Hanno Borchert et Ulrich Behrenz, parus dans Junge Freiheit, n°16/95).

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