mercredi, 26 janvier 2011
Les agriculteurs africains sont perdants...
Les agriculteurs africains sont perdants – leurs Etats louent des terres agricoles à des investisseurs étrangers
On constate avec une grande inquiétude que de vastes superficies sont vendues à des investisseurs ou affermées
par Neill MacFarquhar
Ex:http://www.horizons-et-debats.ch/
La demi-douzaine d’étrangers qui s’arrêtèrent dans un village éloigné de l’Afrique occidentale apportèrent des nouvelles alarmantes aux paysans vivant au jour le jour: leurs modestes champs qu’ils cultivaient depuis des générations, seraient dès à présent contrôlés par le leader libyen Muammar al Kadhafi et tous les paysans devraient quitter leurs champs.
«Ils nous dirent que cette période des pluies seraient la dernière durant laquelle nous pouvons cultiver nos champs. Puis qu’ensuite, ils raseraient toutes les maisons et prendraient possession des terres» dit Mama Keita, 73 ans, la cheffe du village qui est entouré de broussailles à épines. «On nous a dit que les terres appartenaient à Kadhafi».
Dans toute l’Afrique et dans d’autres pays en voie de développement, une nouvelle ruée vers les terres avale d’immenses régions de terres cultivables. Malgré des traditions immémoriales, de plus en plus de villageois désemparés découvrent que des gouvernements africains possèdent tout à coup leurs terres et qu’ils les ont loués – souvent à des prix sacrifiés – pour des décennies à des gouvernements étrangers ou à des investisseurs privés.
Des organisations comme les Nations Unies ou la Banque mondiale prétendent que, appliquée loyalement, cette façon de faire pouvait fournir une contribution à l’alimentation de la population mondiale grandissante, par l’introduction d’une agriculture commerciale sur des surfaces étendues dans des endroits qui ne la connaissaient pas jusqu’ici.
En revanche, d’autres organisations taxent ces affaires de vol néocolonial qui détruit des villages, déracine des dizaines de milliers de paysans et crée une masse innombrable de pauvres sans terre. Et ce qui aggraverait la chose, c’est que la majeure partie des aliments est destinée à des nations plus riches.
«La sécurité alimentaire du pays en question doit être prioritaire pour tous» disait l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan qui s’occupe maintenant de questions de l’agriculture africaine. «Sinon il s’agit simplement d’exploitation et cela ne marchera pas. Nous avons déjà vécu une ‹bousculade pour l’Afrique› (la colonisation et le partage du continent africain du temps de l’impérialisme entre 1880 et 1914). Je ne crois pas que nous voulons vivre une deuxième course de ce genre».
Une étude de la Banque mondiale publiée en septembre 2010 a dressé la liste des transactions de surfaces agricoles pour au moins 45 millions d’hectares qui ont été conclues durant les seuls onze premiers mois de l’année 2009. Plus de 70% des affaires concernent des terres africaines dont l’Ethiopie, le Mozambique et le Soudan faisant partie des pays qui transmirent des millions d’hectares à des investisseurs.
Avant 2008, la moyenne mondiale de ces affaires se chiffrait à moins de 4 millions d’hectares par année, selon le rapport. Mais la crise alimentaire de ce printemps-là, qui déclencha des troubles dans au moins une douzaine de pays, provoqua cette ruée d’achats. La perspective de déficits alimentaires futurs attira autant des gouvernements riches qui n’avaient pas assez de surfaces agricoles exploitables pour nourrir leur population, que des hedge-fonds qui spéculent à la hausse sur des matières en raréfaction.
Nous observons que l’intérêt aux achats de terres continue à un niveau très élevé» dit Klaus Deininger, l’économiste de la Banque mondiale qui a rédigé le rapport. Comme des gouvernements ne voulaient pas révéler leurs contrats d’achat, il dut emprunter beaucoup de chiffres à un site web rédigé par Grain, une organisation de défense des paysans.» C’est manifestement loin d’être terminé».
Bien qu’il approuve en général les investissements, le rapport décrit en détail des résultats mitigés. L’aide au développement de l’agriculture diminua d’environ 20% de l’aide totale en 1980 à actuellement environ 5%, occasionnant un besoin d’autres investissements pour soutenir la production.
Mais selon le rapport bien des investissements semblent être de pures spéculations qui font mettre des terres en friche. Des paysans ont été chassés sans indemnisation, des terres furent affermées loin en dessous de leur valeur, les personnes expulsées empiètent finalement de plus en plus sur des espaces verts et les nouvelles entreprises ont créé bien moins d’emplois que ceux promis.
L’étendue sidérante de certaines affaires galvanise les opposants. A Madagascar, une convention qui aurait transmis la moitié des terres arables du pays à un conglomérat sud-coréen cristallisa l’opposition contre un président d’emblée impopulaire et contribua à sa chute en 2009.
Dans des pays comme le Congo, l’Ethiopie, le Libéria, l’Uganda et la Zambie, des gens ont été chassés de leurs terres. Il arrive même parfois que des investisseurs prennent possession de terres qui étaient soi-disant inhabitées. Au Mozambique, une société d’investissement découvrit tout un village avec son propre bureau de poste sur des terres qui avaient été décrites comme inhabitées, raconta Olivier De Schutter, le rapporteur des Nations Unies pour les questions alimentaires.
Au Mali, l’Office du Niger, une société dirigée par l’Etat, contrôle environ 1,2 millions d’hectares de terres le long du fleuve Niger et de son delta. Durant presque 80 ans, seules 80 000 hectares de cette surface ont été irriguées, ce qui incite le gouvernement à considérer les investisseurs comme une bénédiction.
«Même si on donnait les terres à la population, elle n’aurait pas les moyens de les cultiver, ni même l’Etat» dit Abou Saw, le directeur de l’Office du Niger.
Il mentionna des pays dont les gouvernements ou l’économie privée ont déjà fait des investissements ou qui ont manifesté leur intérêt: la Chine et l’Afrique du Sud pour de la canne à sucre, la Libye et l’Arabie saoudite pour du riz; mais également la Belgique, le Canada, la France, l’Inde, les Pays-Bas, la Corée du Sud et des organisations multinationales telles que la Banque de développement de l’Afrique occidentale.
Au total, dit Sow, environ une soixantaine d’affaires conclues concernaient au moins 240 000 ha de terres au Mali, bien que certaines organisations aient déclaré que plus de 600 000 ha ont été attribués. Il prétendit que la plupart des investisseurs venaient du Mali et plantaient des aliments pour le marché indigène. Mais il avoua que des investisseurs étrangers tels que les Libyens qui affermaient 100 000 ha au Mali, réexportaient probablement leurs produits dans leur pays.
«Quels avantages retireraient-ils d’investir au Mali s’ils ne pouvaient même pas emporter leur propre récolte?» questionna Sow.
Comme pour beaucoup de ces affaires, on ne peut pas savoir clairement combien d’argent le Mali peut gagner dans ces affermages. Le contrat qui a été signé avec les Libyens leur attribue les terres pour au moins 50 ans avec la seule obligation pour eux de les mettre en valeur.
«Les Libyens veulent produire du riz pour des Libyens, par pour les Maliens» dit Mamadou Goïta, le directeur d’une ONG de recherches à but non lucratif au Mali. Lui et d’autre opposants soutiennent que le gouvernement privatise une ressource nationale minimale sans améliorer l’approvisionnement en nourriture indigène, et que ce sont des considérations politiques et non économiques qui dirigent tout, parce que le Mali veut améliorer ses relations avec la Libye et d’autres pays.
Les grandes surfaces attribuées à des investisseurs privés sont à bien des années de produire des rendements. Mais des instances officielles affirmèrent que la Libye avait déjà dépensé plus de 50 millions de dollars pour la construction d’un canal de 39 km et pour une route qui ont été construits par une firme chinoise pour le bien de la population locale.
Chaque paysan concerné, ajouta Sow, y compris plus de 20 000 personnes qui sont concernés par le projet libyen, sera indemnisé. «S’ils perdent un seul arbre, nous leur rembourserons la valeur de cet arbre», dit-il.
Mais la colère et la méfiance sont grands. Le mois passé, lors d’une manifestation, des centaines de paysans exigèrent que le gouvernement arrête ce genre de transactions jusqu’à ce qu’ils aient voix au chapitre. Plusieurs racontèrent qu’ils avaient été frappés par les soldats et incarcérés, mais qu’ils étaient prêts à mourir pour garder leurs terres.
«Nous aurons bientôt une famine» s’écria Ibrahima Coulibaly, le chef du Comité de coordination des organisations agricoles du Mali. «Si les gens ne s’engagent pas pour défendre leurs droits, ils perdront tout!»
«Ante!» crièrent les gens dans la foule en Bambara, leur langue locale. «Nous refusons!»
Selon des experts, le problème qui menace, c’est que le Mali demeure une société agraire. Si on chasse des paysans de leur terre sans leur offrir une base vitale alternative, on risque d’inonder la capitale Bamako de gens déracinés et sans emploi qui pourraient devenir un problème politique.
«Notre pays constitue une ressource naturelle que 70% de la population exploitent pour survivre» dit Kalfa Sanogo, un économiste du programme d’aide au développement des Nations Unies au Mali. «On ne peut pas simplement chasser 70% de la population de leurs terres et on ne peut pas non plus dire qu’ils n’ont qu’à se faire ouvriers agricoles». Dans une approche différente, un projet des USA de 224 millions de dollars aidera environ 800 paysans maliens à acquérir chacun cinq hectares de terres récemment défrichées. Cela devrait les protéger de l’expulsion.
Soumoni se situe à environ 30 km de la route la plus proche. Des pâtres nomadisants, avec leurs caractéristiques chapeaux de paille pointus, indiquent des directions à prendre dans le genre: «Prends à droite à la termitière trouée.»
Sekou Traoré, 69 ans, un ancien du village, demeura sans voix lorsque des représentants du gouvernement lui apprirent l’année passée que la Libye contrôlait désormais ses terres. Il les avait toujours considérées comme sa propriété, transmises de génération en génération, du grand-père au père, puis au fils.
«Tout ce que nous voulons c’est qu’ils nous montrent les nouvelles maisons, dans lesquelles nous devrons habiter, et les nouveaux champs que nous cultiverons, avant de détruire nos maisons et de prendre nos champs» déclara-t-il lors de la manifestation du mois passé.
«Nous avons tous tellement peur» dit-il des 2229 habitants de son village. «Nous serons les victimes, ça nous en sommes sûrs». •
Source: International Herald Tribune du 23/12/10
© International Herald Tribune
(Traduction Horizons et débats)
Agrocarburants au lieu de produits alimentaires: la spéculation avec les terres arables sévit aussi en Europe
Wolfgang Beer, ingénieur diplomé, gère à Gerbstedt dans le Land de Saxe-Anhalt la société Gerbstedter Agrar GmbH, qui a fêté son 20e anniversaire en 2010. Elle exploite 1772 hectares de surface arable, 23 hectares de forêts et 5 hectares d’espaces verts. En 2010, elle employait 46 personnes, dont quatre apprentis agriculteurs, un apprenti mécanicien sur machines agricoles et une apprentie de commerce.
La terre est bonne – du loess argileux sablonneux, une valeur du sol de 85 à 88, «afin que chaque agriculteur sache que c’est en fait une excellente terre agricole», selon Wolfgang Beer face à un journaliste de la Radio suisse alémanique DRS. Ce qui le préoccupe avant tout, c’est le prix des terres. Déjà à l’époque de la RDA, Wolfgang Beer avait été président de la coopérative de production agricole locale. Après la réunification, il a affermé les terres de la Treuhand [organisme chargé de privatiser l’économie de l’ex-RDA, ndt.], dont les contrats expirent maintenant. Cela signifie que de vastes terres agricoles vont apparaître sur le marché – et déjà, les spéculateurs et les investisseurs se pointent et font monter massivement les prix des terres dans la région. Face à Franco Battel de la Radio suisse DRS, Beer déclare: «Jusqu’au milieu de l’année 2010, les prix dans notre région variaient entre 9000 et 10 000 euros par hectare. De tels prix étaient économiquement assez raisonnables du point de vue de la production agricole. Mais il y a une évolution massive des prix. Dans notre région, ils atteignent actuellement 17 500 euros. Du point de vue purement agricole, ce n’est financièrement plus réalisable et donc une menace pour l’ensemble du développement agricole de la région. Chacun doit décider lui-même dans quelle mesure il peut financer cela, dans quelle mesure il peut concourir à ces prix, quel risque il veut prendre et à quel point il veut mettre en danger son exploitation.
Des investisseurs se sont également adressés à la Gerbstedter Agrar GmbH et ont offert à Beer et ses collègues des prix mirobolants. Beer les a renvoyés – en tant que citoyen, la responsabilité envers ses employés lui est plus importante qu’un profit rapide: «La plupart des investisseurs pensent aujourd’hui à la production de bioénergies, cela veut dire que probablement, on cultivera sur ces terres du maïs ou une autre plante énergétique en culture permanente. Dans certains endroits, c’est déjà un événement politique: Si je cultive une plante vivrière à plusieurs reprises au même endroit sans me conformer à une culture professionnelle, les problèmes seront évidemment inévitables. Moi, je veux cultiver des produits alimentaires. Nous ne pouvons pas tout importer. Je peux m’imaginer ce que cela pourrait signifier pour la sécurité alimentaire dans les pays européens: une instabilité sans fin. En tant que citoyens, cela nous cause bien des soucis.»
Source: Schweizer Radio DRS International du 7/11/10. www.agrar-gerbstedt.de/index.html
00:28 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : agriculture, afrique, europe, affaires africaines, affaires européennes, terres arables, aliénation, spéculation, économie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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