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mercredi, 26 janvier 2011

L'arme d'ordonnance à la maison, marque de civilisation

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L’arme d’ordonnance à la maison, marque de civilisation

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 1906 - 14 janvier 2011

Ex: http://www.ligue-vaudoise.ch/

L’initiative «Pour la protection face à la violence des armes», sur laquelle nous voterons le 13 février, est une nouvelle bataille dans la guerre d’usure menée depuis vingt ans contre l’armée suisse. La présence du «Groupement pour une Suisse sans armée» à la tête des organisations de soutien à l’initiative ne laisse aucun doute à ce sujet. Néanmoins, on nous la présente, dans un brouillard de statistiques tronquées et constamment changeantes, comme si son but principal était d’empêcher le suicide par arme à feu. le débat est ainsi détourné de son véritable objet au profit d’un leurre sentimental, probablement pour s’attacher l’électorat féminin.

Pour ce qui est du suicide, on peut répondre que les moyens ne créent pas la fin. Ce n’est pas la détention d’un fusil à la maison qui donne au désespéré l’envie de se tuer. Et s’il veut le faire, ce n’est pas l’absence d’un fusil d’assaut qui l’en empêchera.

A cette objection majeure, M. Jacques de Haller, président de la Fédération des médecins helvétiques et, surtout, candidat socialiste au Conseil national, oppose le fait que l’arme est à portée de main et prête à l’emploi: cette immédiateté empêche le malheureux qui aurait juste un coup de blues de prendre un temps de réflexion peut-être salutaire. L’argument est dépourvu de pertinence puisque le soldat ne garde plus ses munitions à la maison. Tout le monde le sait, sauf M. de Haller et, bien entendu, Mme Ariane Dayer, qui a repris l’argument sur le ton de l’évidence dans son éditorial du Matin Dimanche du 9 janvier.

Encore une fois, ce qui est en question, ce n’est pas le suicide, c’est le statut du milicien suisse, c’est la légitimité de la défense armée face à la violence.

Pour l’idéaliste, la violence et le mal, c’est la même chose. Il voit la violence comme une tache sur une nature humaine foncièrement pacifique. Un peu de bonne volonté et quelques bonnes lois permettront de la nettoyer. Selon lui, la violence est appelée à disparaître au fur et à mesure que les moyens de la violence disparaîtront. Ce sont les armées qui font les guerres, supprimons-les et l’humanité vivra en paix! Que des Hutus dépourvus d’armée et munis de simples machettes aient massacré des centaines de milliers de Tutsis, cela ne l’impressionne pas: «Supprimons les machettes», répond-il. Car l’idéaliste n’apprend jamais rien. Toute la réalité du monde a moins d’existence que la moindre de ses idées.

L’erreur de fond des partisans de l’initiative est d’identifier absolument la violence et le mal. La violence n’est pas un mal en tant que telle, mais seulement en tant qu’elle est une force débridée. la violence, c’est la force, mais séparée des autres vertus, la justice, la prudence et la tempérance.

La force est un bien. La force est au fond de toute pensée, de toute action, de toute création. Il ne faut pas tenter de supprimer la violence, on supprimerait la force du même coup. Il faut la rectifier, la maîtriser par l’éducation, par les usages et par le droit.

S’il y a une chose que l’armée nous a appris à maîtriser, c’est bien le fusil d’assaut. Il ne s’agit pas seulement du tir proprement dit, mais de tout ce qui se passe avant et après: l’arme est toujours sur soi, sous bonne garde ou sous clef; elle est toujours considérée comme chargée; on ne vise jamais une personne, même si l’on sait que l’arme est déchargée; on ne met pas le doigt sur la détente tant que le dispositif de visée n’est pas sur le but; le fusil doit toujours être propre, le canon sans tache ni piqure; on entre dans le stand de tir avec le magasin à la main; on dégraisse le canon pour éviter d’enfumer celui qui tire à côté de vous; après le tir, «retrait des cartouches face aux cibles!»; alignement pour le contrôle du retrait des cartouches par l’officier; enfin, «je vous rends attentifs à l’ordre fédéral sur la munition», formule un brin mystérieuse qui signifie qu’on doit rendre au magasin les cartouches qui restent et qu’on risque gros à en conserver sur soi. Un de nos lieutenants suisses-allemands ne connaissait du français que cette phrase, qu’il prononçait avec enthousiasme à chaque occasion. Le formel, répété des centaines de fois au cours de l’école de recrues, fait du maniement précautionneux du fusil un comportement naturel, un rituel qu’il est pratiquement impossible de transgresser. Cette éducation à l’arme est sans doute la protection la meilleure contre les abus et les dérapages.

Une civilisation se mesure à sa capacité de maîtriser la violence et, plus encore peut-être, aux formes qu’elle donne à cette maîtrise. Le fait que le soldat suisse soit considéré comme apte à conserver chez lui son fusil d’assaut exprime la confiance que les autorités et la population ont en lui. Nous ne craignons pas d’y voir un symbole de civilisation et, dans sa suppression, une régression vers la barbarie.

Et c’est un symbole efficace. Il rehausse le soldat à ses propres yeux: celui-ci n’est pas simplement une portion de chair à canon, mais un citoyen soldat, responsable en permanence de son armement. Cette détention paisible d’un moyen de mort, exorbitante aux yeux du reste du monde, confère quelque chose d’aristocratique au statut du soldat de milice.

On peut confier une arme au soldat suisse sans craindre qu’il ne devienne un voleur ou un assassin, sans craindre qu’il ne fomente un pronunciamiento. Les exceptions existent, on nous le dit assez. Elles restent rarissimes et confirment la règle. On en réduira le nombre en précisant les critères du recrutement et en renforçant encore l’éducation à l’arme durant les périodes de service.

Le symbole n’est pas moins efficace à l’extérieur: le fusil à la maison manifeste – et entretient – une relation étroite entre l’armée et la population. Cette symbiose est en soi une qualité, parfois décisive, pour l’armée d’un petit Etat.

C’est tout cela que nous perdrons définitivement si, trompés par l’argumentation vicieusement sentimentale du GSsA, le peuple et les cantons décident de supprimer l’arme à la maison. Il faut voter et faire voter non.

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