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samedi, 08 octobre 2011

Au temps de la Méduse

Au temps de la Méduse

par Georges FELTIN-TRACOL

En 2009, Pierre Le Vigan avait publié Le front du Cachalot, un épais ouvrage de réflexions, d’analyses et de notes de lectures. Il récidive avec un nouveau volume plein de fureur et de jubilation, La tyrannie de la transparence.

 

Collaborateur aux magazines Éléments, Flash, Le Spectacle du Monde, ainsi qu’aux sites L’Esprit européen, Vox N.-R. et, bien sûr, Europe Maxima, Pierre Le Vigan scrute, dissèque, démonte les tares de notre époque. Il s’attaque tout particulièrement au désir artificiel de transparence de nos congénères. Hormis le port du vêtement, tout devrait être mis à nu afin que tout un chacun puisse épier son prochain depuis sa bulle ! « Cette transparence devenue obligatoire, je l’associe à un animal bien particulier. […] La méduse est un animal marin sans os qui prolifère particulièrement en notre époque, sans doute en liaison avec les transformations de la planète dues à l’homme. Il n’est pas interdit de voir dans la prolifération de cet animal quasi-transparent et invertébré […] tout un symbole (pp. 11 – 12). » C’est aussi une allusion évidente à la célèbre Gorgone de la mythologie antique dénommée la Méduse qui pétrifiait de son regard les inconscients venus la défier.

 

 

Par des textes relativement courts qui se rapprochent des aphorismes, Pierre Le Vigan montre qu’il est un grand lecteur et un cinéphile averti. Il examine l’influence intellectuelle des Lumières et du P.C.F. de Marchais, salue les grands acteurs français des années 1920 – 1930, cite Montherlant et Michéa, disserte sur le film La traversée de Paris de Claude Autant-Lara, réfléchit sur les œuvres de Rousseau, de Benjamin Constant et de Tocqueville, ce critique précoce du nihilisme alors naissant, etc. Il nous rappelle aussi le courage héroïque, fort peu connu de nos jours, des troupes françaises lors de la campagne de France en mai – juin 1940. On ne partage pas toujours toutes ses appréciations. Sur Giorgio de Chirico par exemple. Sur Talleyrand « un traître intelligent (p. 96) ». Certes, du 14 juillet 1790 à son décès en 1838, l’ancien évêque d’Autun, le « Diable boiteux » a servi tous les régimes afin de préserver ses intérêts lucratifs. Néanmoins, il ne faut pas oublier que le diplomate en chef qu’il fut permit au jeune Consulat d’être accepté sur la scène internationale et qu’il atténua, en 1815 après les Cent-Jours, le second traité de Paris… Malgré tous ses défauts, ses vices même, un tel personnage nous manque, surtout si on le compare à Philippe Douste-Blazy, Bernard Kouchner ou Alain Juppé.

 

Une grande méfiance envers une croissance prédatrice qui tend vers la démesure incite ce connaisseur de Serge Latouche et de Pierre Rabhi à « louer le sens de la mesure, chercher à la retrouver, redécouvrir le bienfait d’une certaine rareté des biens pour le bénéfice possible de l’abondance des savoirs et du geste sans cesse renouvelable de l’exercice plein et entier des cultures, ce qui suppose leur réenracinement (p. 39) ».

 

L’ami Le Vigan appartient donc aux « objecteurs de croissance », non par idéalisme, mais par réalisme et parce qu’il côtoie dans sa vie courante les méfaits de cette croissance. À diverses reprises dans La tyrannie de la transparence reviennent les questions d’habitat, d’architecture et d’urbanisme. Et pour cause ! Sa profession le confronte à la souffrance existentielle dans les grands ensembles et au travail segmenté, précarisé, jetable. Il dénonce la « dictature de la santé (p. 59) » et l’avènement de Big Mother – l’État thérapeute omniscient – qui remplace le dorénavant désuet Big Brother au point que « notre société est […] de l’économique – la loi de la jungle – tempéré par du juridique (p. 75) ».

 

Pierre Le Vigan constate qu’à l’heure actuelle, « les partis politiques sont à la remorque des associations, ce qui est beaucoup plus grave que les problèmes posés par l’existence même des partis politiques (p. 142) », ce qui dévalorise la politique. Dans sa sympathique préface, Arnaud Guyot-Jeannin le décrit comme un « homme de droite de gauche (p. 10) ». Pourquoi lui appliquer ce schéma convenu et dépassé, lui qui sait que « dans de nombreux domaines, on ne peut même plus renvoyer dos à dos la droite et la gauche car tout simplement il n’y a plus de pensée de droite et pas non plus de pensée de gauche (p. 115) » ? Lucide, il explique que « la gauche a longtemps été vue par elle-même comme le contraire de la droite. […] Maintenant, la gauche (une certaine gauche bien sûr) est le laboratoire de recherche de la droite. Elle explore, au nom de la “ liberté ” libertaire, ce que seront les champs possibles, demain, de la marchandisation (pp. 57 – 58) ».

 

Cette situation résulte de la domination d’une nouvelle idéologie mortifère. Il faut « caractériser notre époque comme celle d’un nouveau totalitarisme post-démocratique. L’obscurantisme et l’inculture ont eu raison de la démocratie. L’immigration a déplacé le terrain des débats idéologiques. La pensée a suivi une pente primitiviste. L’idéologie des droits de l’homme est devenue un nouvel obscurantisme pseudo-démocratique qui tue à petit feu le droit et la démocratie. Malgré l’usage inflationniste du terme “ citoyen ”, plus rien ne renvoie à la réalité de ce mot, et l’homme abstrait et interchangeable a supplanté le citoyen (p. 19) ». Pierre Le Vigan développe une autre approche du droit des hommes. En effet, « tant qu’on n’aura pas compris que les droits de l’homme ne peuvent être qu’une conséquence des droits des peuples, les droits des peuples à exister, à perdurer, à avoir leur terre, leur langue, leur autonomie, leur identité, leurs mœurs, leur façon d’écrire leur histoire et ainsi tout simplement leur avenir, on ne fera jamais avancer concrètement les droits humains. Car l’homme concret appartient à un peuple. C’est par la mise en œuvre des droits des peuples – le droit notamment de contrôler leurs ressources -, de s’émanciper de la dictature mondiale des marchés, de l’empire de la finance – que les droits humains peuvent être pris en compte. L’homme est d’abord un être social, un être en communauté, un être politique (p. 36) ».

 

Arnaud Guyot-Jeannin qualifie Pierre Le Vigan de « républicain subsidiariste, démocrate organiciste et socialiste populiste, […] attaché au(x) peuple(s) de façon charnelle. Son populisme, jamais démagogique, est exigeant, aristocratique et anagogique. Il s’agit d’un aristo-populisme (p. 9) ». C’est bien vu, d’autant que « P.L.V. » encourage une combinaison inédite et originale des formes participative et représentative de la démocratie. Mieux, en réponse au débat lancé à la fin des années 1980 par Régis Debray entre « républicains » et « démocrates », il déclare clairement : « je crois que la République – et la distinction citoyen – étranger, et la nécessaire existence de critères pour passer d’un statut à un autre -, est la condition de la démocratie. La République ce ne sont pas des frontières infranchissables – ce serait alors des murailles – mais c’est le sens des frontières. En ce sens, je suis républicain avant tout – mais non pas “ à la place ” – d’être démocrate. Je suis républicain comme condition pour être démocrate (pp. 65 – 66) ».

 

Pierre Le Vigan se proclame en outre Européen. Son Europe n’est pas celle de Bruxelles, de Maastricht et de Lisbonne. Elle n’est pas non plus euro-régionaliste. Pour lui, « L’Europe aux cent drapeaux (Yann Fouéré), c’est l’Europe aux cent Kossovo. C’est une zone de faiblesse où s’engouffreraient plus encore les vents de l’impérialisme (p. 129) ». L’Europe qu’il souhaite serait une organisation politique politique des nations européennes à vocation impériale ultime. Mais « l’Empire doit être républicain, avant même d’être démocratique (avant, pas à la place de, car la République est la condition de la démocratie) (p. 126) ». Il rappelle qu’entre 1804 et 1808, « les monnaies françaises portaient l’inscription : “ République française. Napoléon Ier Empereur ” (p. 126) ». Certes, l’article Ier du sénatus-consulte du 28 floréal an XII (18 mai 1804) proclame : « le gouvernement de la République est confié à un Empereur ». Paradoxal ? Non, car l’oncle et le neveu portent le titre d’empereurs des Français comme Louis XVI lors de l’expérience de monarchie constitutionnelle en 1791 – 1792 et Louis-Philippe Ier sous la Monarchie de Juillet (1830 – 1848) sont rois des Français. Dans les quatre cas, et les textes institutionnels sont formels, ils tiennent leur fonction de la nation et, par conséquent, de la souveraineté nationale. Or peut-on bâtir une communauté européenne cohérente à partir de la souveraineté nationale ? Très certainement pas, surtout que le précédent napoléonien d’unification européenne est loin d’être pertinent et probant… Et la souveraineté populaire ? Peut-être, à la condition sine qua non de redéfinir ce que sont les peuples et non ces masses agglomérées et individualisées gavées de télévision.

 

Cette redéfinition essentielle nécessitera une libération des esprits de l’idéologie du bonheur matérialiste. « Reconstruire des patries et des peuples se fera en sortant du règne de l’argent (p. 173). » Mieux, à l’indispensable impératif géopolitique, il est primordial que l’idée impériale soit « une idéologie alternative à l’imaginaire marchand. Il faut l’idée, et même le mythe, d’un ordre nouveau en Europe. Un ordre post-productiviste et post-consumériste (p. 26) ». Ce nouvel ordre révolutionnaire devra être territorial. Vient alors le dilemme entre l’Eurosibérie et l’Eurasie. Hostile à la conception ethnosphérique blanche de l’Eurosibérie, Pierre Le Vigan opte pour la vision grand-continentale de l’Eurasie. Mais une telle immensité est-elle compatible avec la démocratie organique interne des communautés de peuples autochtones ? Voilà un bien beau débat en perspective, en toute transparence, bien sûr…

 

Georges Feltin-Tracol

 

Pierre Le Vigan, La tyrannie de la transparence, Paris, L’Æncre, coll. « À nouveau siècle, nouveaux enjeux », 2011, 177 p., préface d’Arnaud Guyot-Jeannin.

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

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