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vendredi, 16 novembre 2012

Sur Rogere Nimier

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Roger Nimier

dir. Philippe Barthelet et Pierre-Guillaume de Roux

Roger Nimier

En librairie le 20 Septembre 2012
ISBN 2-36371-0406
Format 15,5 X 24 CM
Pages 256 p.
Prix 27 €

Roger Nimier n’est pas mort

Une mort brutale et spectaculaire, en septembre 1962, allait valoir à Roger Nimier une longue postérité de quiproquo. Cet accident biographique aura permis à la mythologie littéraire d’usurper les droits de la littérature, et de faire oublier, tout simplement, un écrivain de premier ordre. Bernard Frank voyait juste quand, dans son célèbre article des Temps modernes, « Grognards et Hussards », il faisait de Roger Nimier un chef de file : même si les Hussards (Roger Nimier, Jacques Laurent, Antoine Blondin) n’ont jamais formé une école, pas même un groupe amical, et n’ont vraiment été réunis que dans l’intention polémique de leurs adversaires, un ton était donné par eux à leur époque, et ce ton - ironie et désinvolture, mais aussi ferveur et panache, Dumas autant que Stendhal - Roger Nimier l’a résumé presque à lui seul.

Trop généreux pour vivre sans amis - sans ennemis aussi - , il a provoqué ses contemporains, qui l’ont aimé ou détesté avec une égale fascination. Bien au-delà de la résistance instinctive à des mots d’ordre passés de mode (l’idéologie de « l’engagement » par exemple), ce qu’on peut appeler « l’esprit hussard » ne faisait que retrouver cette liberté française à la fois hautaine et familière, railleuse et charitable qui, au moins depuis l’Astrée, a formé le climat de notre littérature et quasi son air natal.

Une œuvre de défi

Cinquante ans après la mort de Roger Nimier, il est temps de réévaluer une œuvre et une influence dégagées des douteux prestiges du fait divers -  à quoi ce volume voudrait s’employer. Sans oublier l’œuvre parallèle de Jacques Laurent (étudiées comme elle l’aura peu été jusqu’ici par Alain Cresciucci ou Quentin Debray), ni l’amitié d’Antoine Blondin (Jacques Trémolet de Villers fait son portrait en ange déchu), les autres fidèles de Nimier sont présents : Stéphen Hecquet (évoqué par Jean-Denis Bredin) ou Roland Cailleux (Isabelle Cailleux-Desnoyers et Christian Dedet). S’agissant de Nimier lui-même, des études éclairent divers aspects de son œuvre, comme ses rapports avec le cinéma (Philippe d’Hugues) ou démontrent l’évidence de son actualité (Bertrand Lacarelle).

Témoignages et correspondances inédits

Des témoignages d’écrivains, ses aînés (Arland, Céline, Cocteau, Green, Jouhandeau, Léautaud, Morand, Jacques Perret, Jules Roy, Alexandre Vialatte) ses contemporains (Pierre Boutang, Kléber Haedens, Jean-René Huguenin, Éric Ollivier, François Seintein, Willy de Spens) ou ses cadets (José Giovanni, Gabriel Matzneff, Dominique de Roux), mais aussi des éditeurs (Roland Laudenbach, Jean-Claude Fasquelle), un compagnon politique de jeunesse (Robert Poujade) ou un cinéaste qui a œuvré avec lui (Alexandre Astruc), sans compter les souvenirs de lycée de ses condisciples Michel Tournier ou Jean-Jacques Amar. Des correspondances inédites (lettres de l’élève du lycée Pasteur à Jean-Jacques Amar ou du critique de la NRF à Pol Vandromme) ainsi que des articles de jeunesse jamais recueillis  complètent cet ensemble dont l’ambition, loin de toute archéologie littéraire et en dehors de tout prétexte anniversaire, est de démontrer par l’exemple ce que doit être la littérature vivante. 

 

Points forts

Actualité : Anniversaire des 50 ans de la mort de Roger Nimier

L’esprit Hussard aujourd’hui : L’incarnation de la liberté française

Valeur : Une œuvre et une influence enfin sorties du « fait divers »

Inédits : Des témoignages inédits et réactualisés ainsi que des articles de jeunesse rares

Dans la presse 

 
Magazine littéraire

27 Septembre 2012

Roger Nimier, haie d'honneur pour le hussard

 

François Mauriac avait vu juste «Je suis tranquille quant à votre destin d'écrivain», assurait-il a Roger Nimier dans une lettre d'octobre 1950 « En voila un qui survole Kafka, le surréalisme de tous les cons de cette génération conière!», appuyait-il dans une lettre à son secrétaire Eric Ollivier. Un demi-siècle après une mort brutale - à 36 ans, le 28 septembre 1962 - dans un accident de voiture sur l'autoroute avec l'énigmatique romancière aux airs de walkyriee fifties Sunsiaré de Larcône (alias Suzv Durupt), le chef de file des Hussards Roger Nimier reste une icône de « la droite buissonnière »        

Mais pas seulement. Au-delà des invectives du fameux article de Bernard Frank gorgé de pensée sartrienne dans Les Temps modernes de décembre 1952, l'œuvre de Roger Nimier est aujourd'hui fêtée par deux gros volumes riches en études, souvenirs et lettres diverses, des rééditions de ses nouvelles, contes, articles et essais, et deux revues qui saluent son talent de polémiste et de romancier—un numéro hommage de la revue Bordel et une nouvelle- née malicieusement intitulée La         Hussarde, nouvelle revue féminine.         

Quelle avalanche ! Pour s'y retrouver, signalons la nouyelle totalement inédite « Le clavier de l'Underwood» publiée dans Bal chez le gouverneur, ainsi que les récentes approches critiques et les documents réunis dans Roger Nimier Antoine BlondIN Jacques Laurent et l'esprit hussard Nimier a des amis de tous côtÉs. II est donc temps de retirer les étiquettes collées sur l'auteur des Epées, du Hussard bleu,et des Enfants tristes, qui fut aussi conseiller littéraire chez Gallimard, où il s'occupait de faire vivre l'œuvre du bouillant Céline Paul Morand, bien à droite sur l'échiquier politico-littéraire de l’après-guerre, notait dans son Journal inutile à propos de son petit-fils en littérature «Les Hussards Drôle de penser que Nimier et Jacques Laurent, qui passent pour légers, n'aimaient que la philosophie »

Tête bien faite, bien ordonnée et adepte d'une « respectueuse insolence », Nimier traquait la confusion des esprits et s'élevait contre la littérature engagée A ses côtes, Jacques Laurent avec sa revue La Parisienne, offrait«l'occasion nouvelle de dégager notre bon sens », selon le philosophe Pierre Boutang II n'y eut pas vraiment d’école de Hussards, mais plutôt une proximité temporelle bien venue entre des écrivains qui faisaient vivre l'esprit, ôtaient les cadenas d'une pensée prisonnière, avec méthode humour et désinvolture et sans le sérieux compassé du surréalisme vieillissant, presque notable. Alentour, citons Blondin bien sûr, et Michel Déon, Jacques Perret, Félicien Marceau, Michel Mohrt. Les documents réunis par Massin directeur artistique chez Gallimard et voisin de bureau de Nimier dévoilent son rôle d'éditeur plein de drôlerie à travers ses crayonnages, ses couvertures parodiques, ses prières d insérer écrits sur un coin de table. Nimier qui n’avait pas l'appétit de se connaître trouve, au milieu de l'hommage kaléidoscopique qui lui est rendu, une fraternité et une fidelité heureuses pour une œuvre protéiforme qui dépasse avec succès l'horizon de sa génération.

OLIVIER CARIGUEL

Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l'esprit Hussard, collectif sous la direction de Philippe Barthelet et de Pierre-Guillaume de Roux (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)

 

 
L'Express

26 Septembre 2012

Roger Nimier à tombeau ouvert

Cinquante ans après sa mort dans un accident de voiture, de nombreux témoins prennent la plume pour évoquer la figure du "hussard". femmes, romans, alcool, bolides, polémiques avec Sartre ou Camus : derniers secrets de ce prince de l'insolence.

Les fans de Diana ont le 13e pilier du tunnel de l'Alma. Les inconditionnels de Roger Nimier, prince des lettres, ont, eux, une borne sur l'autoroute de l'Ouest, là où le « hussard » de 36 ans perdit la vie dans un terrible accident de voiture, au soir du 28 septembre 1962. C'était il y a très exactement cinquante ans. « Chaque semaine, je passe sur l'autostrade de l'Ouest. On ne réparera jamais, pour moi, certaines bornes, après certain taillis, en arrivant sur le pont de Garches », écrira, mélancolique, son ami Morand. Un demi-siècle après la disparition brutale de notre James Dean de la NRF - cet exact contemporain de Jean d'Ormesson aurait eu 87 ans cette année -, plusieurs ouvrages rassemblant témoignages et textes rares permettent de démêler les légendes qui ont entouré ses mille vies, son oeuvre et sa mort. Flash-back sur ce « jeune premier des lettres à la beauté d'archange buté », comme le croquait François Dufay (i).

Roger Nimier philatéliste. 

On l'ignore souvent, mais avant de devenir écrivain l'auteur du Hussard bleu (sans doute son roman le plus « grand public ») a vécu du commerce de timbres. Ayant perdu très jeune son père, ingénieur inventeur de l'horloge parlante, Nimier, qui a grandi dans le XVIIe arrondissement de Paris, entre, à 17 ans, en 1942, dans la maison Miro, près de l'hôtel Drouot Jusqu'à l'aube des années 1950, il y rédigera des notices détaillées. Intéressé au chiffre d'affaires, il dépense tous ses émoluments en livres. « Quand un client en achète pour moins de 10 ooo francs, je lui jette un sale regard. A partir de 100 ooo, je lui dis au revoir. Au-dessus du million, il a droit au sourire », racontera-t-il, avec son insolence coutumière.

Les « poumons de M. Camus ».

Mais c'est évidemment dans ses articles de presse que cette insolence va trouver à s'employer à merveille. Fort du succès d'estime des Epées, cette histoire trouble d'un adolescent passant de la Résistance à la Milice, parue en 1948, Nimier, qui excelle dans la forme courte, est accueilli à bras ouverts par de nombreux journaux. Aux plus beaux jours du Flore, ses formules assassines ne ménagent pas les gloires de Saint-Germain-des- Prés. « Les disciples de Sartre ? Des danseurs », raille-t-il. Les Mandarins, de Simone de Beauvoir ? « Bouvard et Pécuchet existentialistes. » Sans oublier ce titre - un classique, désormais - à la Une de l'hebdomadaire Opéra : « Surprise à Marigny : Jean-Louis Barrault encore plus mauvais que d'habitude ». Scandale. Mais ce n'est rien à côté de celui que va déclencher la terrible charge parue, en février 1949, dans la revue gaulliste Liberté de l'esprit. Evoquant les tensions de la guerre froide, Nimier écrit cette phrase, qu'ils traîne encore comme un boulet : « Et comme nous ne ferons pas la guerre avec les épaules de M. Sartre, ni avec les poumons de M. Camus... » Tollé. Camus était tuberculeux. Les Cahiers de l'Herne exhument aujourd'hui un texte dans lequel Nimier laisse entendre qu'il l'ignorait : « Des circonstances qui nous étaient inconnues ont rendu particulièrement blessant et emphatique un mot qui n'avait pas ces intentions précises. Ceci devrait être dit », s'excuse à mi- mots un Nimier pourtant peu enclin à l'autocritique. Ironie de la vie littéraire, Camus et Nimier auront plus tard tous deux un bureau chez Gallimard et prendront bien soin de s'éviter dans les couloirs de l'auguste maison...

Nimier fasciste ? En 1952, Bernard Frank publie dans Les Temps modernes, la revue de Sartre, Grognards et Hussards, véritable acte de baptême des « Hussards », étiquette sous laquelle il englobe Nimier, Antoine Blondin et Jacques Laurent. Retentissant article, repris intégralement par les Cahiers de l'Herne. Ce qui rapproche ces jeunes écrivains, selon lui ? « Un style au carré, un style qui se voit style» et qui, sur chaque phrase, plante un petit drapeau sur lequel on lit : « J'ai du style. » Mais ce n'est pas tout : ces stylistes seraient avant tout des « fascistes » ! Le mot est lancé. Est-il juste pour Nimier ? Ou Bernard Frank n'était-il qu'un « sartrien de bar » missionné pour discréditer les ennemis de son chef, comme l'écrit Philippe Barthelet, maître d'œuvre de Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l'esprit Hussard, qui paraît ces jours-ci ? Vu de 2012, il faut bien le dire, les positions politiques de Nimier nous paraissent quelque peu confuses : c'est une sorte de gaulliste tendance Maurras, un dandy célinien (c'est lui qui orchestrera, via une retentissante interview dans L'Express, le grand retour du maudit de Meudon, en 1957). Il admire la grandeur du Général - il se mêlera même à la foule qui l'acclame sur les Champs-Elysées en 1958 -, mais, avec son ami royaliste Pierre Boutang, va rendre visite, le 30 mars 1952, au vieux Charles Maurras dans sa résidence forcée, à Tours. « Roger ne sera jamais du côté des vainqueurs, mais toujours des perdants. Il porte en lui le goût de l'échec et l'échec est sa noblesse », avance en guise d'explication Christian Millau, dont Nimier fut le témoin de mariage (2).

Nimier«poseur».Les deux plus célèbres photographies représentant l'auteur des Epées sont des demi-mensonges. La première le montre, regard d'enfant triste et calot sur la tête, en grand uniforme du 2e hussards de Tarbes - elle sera placardée en guise de publicité pour Les Epées sur les camionnettes Gallimard sillonnant Paris. Engagé volontaire à 19 ans, ce qui dénote un certain courage, il intègre ce

Régiment en février 1945.Il rêve de combats sur le Rhin et en Indochine. Il ne dépassera pourtant pas Vic-en-Bigorre, avant d'être rapidement démobilisé. Ses faits d'armes ? A voir lu Pascal en Pléiade à 600 kilomètres du front. Une blessure indélébile qui fera de lui un homme en « permission perpétuelle », selon son biographe Marc Dambre. L'autre cliché « mensonger » relève d'un folklore plus léger : on y voit un Nimier négligemment appuyé sur l'aile d'une superbe Rolls-Royce (voir page précédente'). Il n'en a pourtant jamais possédé ! Robert Massin, alors directeur artistique de Gallimard, révèle aujourd'hui les dessous de cette photo : un beau jour, cette berline était garée devant la maison d'édition, et Nimier a tout simplement posé « en propriétaire » à ses côtés devant son objectif (Massin publie ces jours-ci un petit livre de souvenirs sur « Roger »). Alors, « poseur », Nimier ? C'est ce que lui reprochait affectueusement Mauriac : « Vous ne devez être vraiment "bien" que dans l'amour, c'est-à-dire dompté, maîtrise, vaincu, par une créature devant laquelle vous avez forcément perdu la pose. » Une « pose » - costume croisé, champagne, Jaguar - indissociable du mythe hussard

Ascenseur pour l'échafaud. Si l'on voulait parodier Pierre Desproges se moquant de Duras, on pourrait dire que Roger Nimier n'a pas seulement écrit que des chefs- d'œuvre, il en a aussi filmé. Et parmi ses collaborations plus ou moins heureuses avec le grand écran - il a même mis la main à la pâte du Ali Baba et les quarante voleurs avec Fernandel ! -, un film est resté fiché sur toutes les rétines : Ascenseur pour l'échafaud, de Louis Malle (1958). Il coécrit le scénario avec le réalisateur et rédige les dialogues. Chardonne, l'un de ces écrivains compromis que Nimier contribua à remettre en selle, y voyait le meilleur de son œuvre. La mélancolie de Maurice Ronet, la Mercedes 300 SL en trombe sur l'autoroute, la tristesse de Jeanne Moreau-Ascenseur pour l'échafaud, c'est du pur Nimier. Au passage, l'écrivain aura une liaison avec la comédienne. Un soir tard, où Gaston Gallimard entre dans le bureau de Nimier, il tombe par hasard sur le « couple » : « Oh ! pardon, monsieur Nimier, j'ai vu de la lumière dans votre bureau et j'ai pensé que vous aviez oublié de l'éteindre », s'excuse Gaston, avant de s'éclipser. « Le concierge ? » demande Moreau.«Le patron», répond Nimier.

L'accident. Gaston et Roger, tous deux amoureux de belles voitures, s'étaient connus un beau jour de 1948 où, venu lui proposer le manuscrit des Epées, le jeune romancier avait déclaré : « Je viens, monsieur, pour changer de l'encre en essence. » Et quand, avec ses émoluments de chez Gallimard, Nimier pourra s'offrir une Aston Martin rouge, il la surnommera facétieusement la « Gaston Martin ». On le verra aussi au volant d'une élégante Jaguar décapotable ou d'une Delahaye. Son goût de la vitesse le perdra. Le 28 septembre 1962, alors que, après un silence romanesque de dix ans, Nimier vient de remettre le manuscrit de son D'Artagnan amoureux, il voit Antoine Blondin et Louis Malle au bar du Pont-Royal pour évoquer une adaptation de Feu follet. Il retrouve ensuite Sunsiaré de Larcône, une ravissante romancière à la longue chevelure blonde. Ils passent à la rédaction d'Elle, boivent quelques verres à un cocktail et prennent finalement l'autoroute de l'Ouest dans la fameuse Aston Martin. Quelques minutes plus tard, c'est l'accident, violent, à pleine vitesse. Les deux occupants sont tués. Que sait-on de nouveau sur ce drame cinquante ans après ? Christian Millau rappelle que son ami Roger « avait 2,8 grammes d'alcool dans le sang, ce qui faisait une mort passablement ordinaire ». Une rumeur assure pourtant que c'était en fait Sunsiaré de Larcône qui était au volant. Massin le confirme : « On le tint secret longtemps à cause de l'assurance. » Certains ajoutent même que la jeune femme avait coutume de conduire pieds nus. Comme si, jusqu'en la mort, la légende devait toujours magnifier la réalité. Trois ans auparavant, avec son sens très sûr des catastrophes, Louis-Ferdinand Céline avait pourtant prévenu son ami Roger au détour d'une lettre : « Ne vous faites pas blesser, accidenter !... L'accident est un sport de riches »...

JEROME DUPUIS

Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l'esprit Hussard, collectif sous la direction de Philippe Barthelet et Pierre-Guillaume de Roux (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)

 

 

 
Figaro Magazine

24 Septembre 2012

Roger Nimier le hussard de nos vingt ans

Il y a cinquante ans, l'auteur Il y a cinquante ans, l'auteur des « Enfants tristes » disparaissait au volant de son Aston Martin. Depuis, sa légende a suscité de nombreux malentendus. Retour sur un parcours mené à 200 km/h.

Vivant, Roger Nimier aurait juste 87 ans. Il  serait plus jeune que Sté- phane Hessel et afficherait le même âge que Jean d'Ormesson. Il semble pourtant d'un autre temps, d'un autre monde. Sa mort sur la route de ses 37 ans l'a momifié. Il n'aimait pas les photos. Nous n'aimons pas le voir, le front ceint d'un linceul, couché comme un gisant, à l'hôpital de Garches, tout comme cette jeune femme, dans le même état, également finie, immaculée. C’était la nuit du 28 septembre 1962 sur l'autoroute de l'Ouest, l'Aston Martin de Nimier emmenait aussi une superbe fille de 27 ans, blonde comme la Beauce en été. Sous le pseudonyme de Sunsiaré de Larcône, elle venait de lancer son premier roman, La Messagère. Le bolide a percuté sept bornes en béton avant de s'aplatir contre le parapet d'un pont près de Paris. La fille conduisait-elle ? En octobre, après neuf ans de silence livresque, sortirait un roman posthume de Roger, ce D'Artagnan amoureux qui s'exclamait : «Il n'y a que les routes pour calmer la vie. » Le mythe naissait dans ce qui avait baigné sa vie et son œuvre : l'énergie, l'ironie, l'inquiétude.

Dès le départ, il a foncé. En1948, après le refus par Gallimard de poèmes, d'un récit et d'un roman (L'Etrangère), il publie Les Epées. En 1950, deux romans, Perfide et Le Hussard bleu, et un essai, Le Grand d'Espagne. En 1951, Les Enfants tristes. Il écrit en Jaguar, il faut le freiner. L'essai Amour & Néant attendra 1953 pour sortir. Qu'est-ce qui faisait tant remuer ce fils de la bourgeoisie bretonne et picarde élevé dans les beaux quartiers parisiens et nourri de lectures énormes ? Un double drame, peut-être. La mort d'un père en 1939 précède de peu la débâcle du pays. Fin 1944, il veut s'engager dans l'aviation, or le ciel est bouché, plus de place. En mal d'Histoire, il rejoint le 2e hussards à Tarbes en mars 1945, mais c'est trop tard pour la légende et le casse-pipe. Voulant se battre, il n'aura fait que lire. Il va attaquer la paix en écrivant «Nous sommes les vivants», prévient-il dans Le Grand d'Espagne. « Les lumières de Juin 1940 et de l'été l944 se confondent à présent,         le désespoir et la chance font une égale balance : nous rejetons cet équilibre honteux. Vichy, le gaullisme, la collaboration sont rendus à l'Histoire. » Il espère une « nouvelle civilisation», un «renversement des valeurs» Deuil et renaissance. « Un pas encore et nous serons les maîtres. «C’est la déclaration de guerre des vingt ans en 1945. Cette génération, il faudra la réduire. En 1952, Bernard Frank, écrivain et critique en herbe, s'y emploie dans la revue Les Temps modernes, avec un sens de la mesure toute sartrienne : «Nimier est de loin le favori d'un groupe de jeunes écrivains que, par commodité, je nommerais fascistes » et dont les «prototypes » sont Antoine Blondin et Jacques Laurent. Frank persévère et ce n'est pas triste : « Comme tous les fascistes, les hussards détestent la discussion. Ils se délectent de la phrase courte, dont ils se croient les inventeurs. Ils la manient comme s'il s'agissait d'un couperet. A chaque phrase. Il y a mort d'homme. Ce n'est pas grave. C'est une mort pour rire.«Fasciste... Pauvre France, pauvre Frank. Il confond l'auteur et son personnage, Nimier et le François Sanders des Epées et du Hussard bleu qui disait : « Quand les habitants de la planète seront un peu plus difficiles, je me ferai naturaliser humain. En attendant je préfère rester fasciste, bien que ce soit baroque et fatigant. » Nimier était trop difficile pour être fasciste. Et trop profond pour la hussardise. Il traîne encore ce pénible label à l'épicerie de la critique littéraire. De plus en plus délavée, collée à droite, l'étiquette hussard a d'abord désigné une postérité émue et fraternelle avant de solder un quarteron de gribouilles éthyliques.

Dans l'ouvrage qu'ils dirigent, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l'esprit hussard, Philippe Barthelet et Pierre-Guillaume de Roux veulent exfiltrer Nimier du «folklore imbécile» des hussards. Le premier procède bizarrement en minorant ses romans, des « œuvres de jeunesse », au profit de ses articles. Les romans n'ont pas d'âge. Et la jeunesse a sa sagesse, son passé. Le Hussard bleu est dédié au copain d'enfance Stièvenard, mort en Allemagne en 1945, Les Enfants tristes, à l'ami juif Mosseri, fusillé par les « Schleus ». Les romans de Nimier sont les tombeaux d'un surdoué, d'un Rimbaud qui aurait assimilé Retz et Peter Cheyney. Dans le beau Cahier de l'Herne consacré à Nimier et dirigé par Marc Dambre, Philippe Berthier remet les pendules à l'heure en plaçant le jeune romancier dans le sillage de Stendhal, Balzac et Dumas.

Avant-gardiste et mondialiste à ses heures, il lit Joyce et Faulkner Frank n'était pas léger en tout. Il a bien vu la dimension « pour rire » de Nimier. Rire pour dissoudre la lourdeur des temps, rire d'être « écorché».Mais ce n'était qu'une facette d'un écrivain trop profond pour ignorer les accointances de l'humour avec la mort. Après Histoire d'un amour, en1953, il lève le pied, stoppe les romans. C'est la tentation d'un certain silence, finement filée par la biographie de Dambre (Roger Nimier. Hussard du demi-siècle, Flammarion, 1989), qui mériterait d'être rééditée en poche. Nimier prend congé de la psychologie et du moi romanesques. Il s'expose pour se cacher, envoie son double dans les alcôves de Paris, prend le virage des journaux. Après la rédaction en chef de l'hebdomadaire Opéra, il critique à Carrefour, orchestre le Nouveau Femina, chronique dans Arts et au Bulletin de Paris. Des articles qui sont souvent de courts essais étincelants d'esprit et de pénétration. Réac franchouillard, Nimier ? Plutôt d'avant-garde et mondialiste à ses heures, fervent lecteur de Faulkner, Joyce, Ponge, Kafka, Borges...

Des auteurs qu'on retrouvera plus tard à la une de Tel Quel, la bible maoïste de Philippe Sollers. Cela ne l'empêche pas de lancer le livre de Poche Classique. Entré comme conseiller littéraire chez Gallimard fin 1956, il monte au créneau pour «Un château l'autre, de Céline, et remue ciel et terre pour lui, qui a eu comme Saint-Simon « l'invention géniale de ne pas inventer et l'imagination terrible de regarder». Le romancier Céline incarne une forme spéciale de nouveauté, jaillie de l'œuf du classicisme. A sa manière, il fait des enfants dans le dos de la tradition. De quoi plaire à Nimier, qui s'ennuie presque partout «Dans la vie, je ne vois rien du tout, sinon la sottise de mon existence, passant d'un bureau à une nursery, accablé de travail, de cris d'enfants, tout cela sans espoir ni distractions, sinon notre déjeuner l'autre jour », écrit-il à Jacques Chardonne, en juillet 1958. Marié depuis 1954, il a un fils, Martin, et une fille, Marie, qui sera écrivain. Marie Nimier est l'auteur d'un récit sur ce père mort quand elle avait 5 ans. La Reine du silence fourmille de scènes rapportées ou qu'elle a un peu vécues.

Un jour, Nimier a pointé un pistolet sur la tempe du petit Martin clans son berceau. Pour rire, évidemment. Beaucoup plus tard, devenue mère, Marie a retrouvé un mot paternel datant de l'été 1957 : «Au fait, Nadine a eu une fille hier. Jai été immédiatement la noyer dans la Seine pour ne plus en entendre parler. »Pour rire, encore. Nimier n'était pas facile à vivre en famille ou en société. Il buvait sec. Ses blagues rempliraient un volume de l'Almanach Vermot, elles avaient souvent un goût saumâtre, macabre. Il ne s'amusait bien qu'entre hommes aventureux. Pointer au hasard son doigt sur la ville d'une carte de France, et s'y rendre illico en bagnole, sinon ce n'est pas du jeu. Ou aller chercher en livrée de chauffeur et voiture de maître l'ami Blondin retenu en cellule de dégrisement au commissariat. Une scène de comédie pour celui que le cinéma a beaucoup diverti. Dans le rôle du scénariste, Nimier a travaillé pour Antonioni (I         Vinti),         Malle         (Ascenseur pour         l'échafaud), Siodmak (L'Affaire Nina B.), Becker, Astruc. «Devant un film, on est seul. La nuit étouffe les visages. (...) Il y a une âme collective au théâtre, c'est celle qui permet le Mystère. Elle est inutile au cinéma, puisqu'il présente le déroulement du rêve. » Qui atteint cette altitude à 24 ans ? A 31 ans, il affrontait des trous d'air : « Laissez-moi vivreen dehors de ce milieu, élevé dans le cuite de Gallimard, des Lazareff, des Jaguar, de Martine Carol et du marxisme - toutes choses que je connais mieux qu'eux», confiait-il à Chardonne. Nimier n'est jamais sorti de ce milieu. Il filait rendez-vous à Jeanne Moreau dans son bureau chez Gallimard.

Nimier, il faut le lire à 20 ans, comme Olivier Frébourg dans son Roger Nimier. Trafiquant d'insolence (« La Petite Vermillon », La Table Ronde, 2007), et le relire vingt ou trente ans plus tard, pour le réévaluer face aux malentendus, aux diffamations posthumes, aux feux falots, aux cossards bleus. « Trop d'alcool, trop de sang, trop de XXe siècle dans le sang, trop de mépris », avouait Sanders dans Le Hussard bleu. Mais Nimier, c'était autre chose, quelqu'un d'autre. Trop de littérature dans le sang, trop d'amour du Grand Siècle, trop d'espoir dans un siècle si petit. Il faut lui rendre sa liberté.

JEAN-MARC PARISIS

Roger Nimier, Antoine Blondin et Jacques Laurent et l'esprit Hussard, collectif sous la direction de Philippe Barthelet et Pierre-Guillaume de Roux (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)

 

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