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dimanche, 10 novembre 2013

LE JAPON MEDIEVAL : LE MONDE A L'ENVERS...

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LE JAPON MEDIEVAL : LE MONDE A L'ENVERS...
 
Connaitre l’autre pour être soi-même

Rémy Valat
Ex: http://metamag.fr

Le Japon médiéval est méconnu en France et grande est la tentation de le comparer à la période féodale européenne, tant il est vrai que nombreuses similitudes peuvent être constatées entre ces deux modèles de sociétés pourtant situées aux deux extrémités du continent eurasiatique. 


Ce rapprochement, plutôt cette interprétation, est notamment le produit de l'historiographie nippone : le terme de « Moyen-Âge » apparaît pour la première fois sous la plume de l'historien Hara Katsurô, auteur d'une Histoire du Moyen-Âge parue en 1906. Pour lui, cette période instable et transitoire se situe entre deux sociétés stabilisées : Heian (794-1185) et Edo (1603-1867). Ce néologisme s'imposa sur l'appellation originelle des contemporains (l'« âge des guerriers »). Il est vrai que l'émiettement de l'autorité, la captation du pouvoir politique par les hommes d'armes, l'apparition de liens de vassalité, la naissance de seigneuries foncières, le phénomène monastique, l'émergence d'oppositions pour les libertés communales, l'essor économique et démographique, le développement d'une bourgeoisie urbaine favorisent le rapprochement (en dépit d'un décalage chronologique dans le développement de ce type de société au Japon).

 

 

À l'heure de la montée en puissance du nationalisme et d'une politique coloniale dynamique, le livre Hara Katsurô écrit dans le contexte de la victorieuse guerre russo-japonaise souhaite interpréter le « Moyen-Âge » comme une période fondatrice, d'affirmation de l'identité nationale, similaire à la période féodale européenne et où auraient dominé les valeurs martiales : ce discours visait à démontrer une « supériorité intrinsèque » des industries et des armées japonaises et à légitimer l'expansion coloniale en Asie. Une idée similaire sous-tend le livre de Nitobe Inazo, Le Bushidô : l'âme du Japon, ouvrage paru en 1910 et très prisé des artistes martiaux ou amoureux de la chose militaire qui tombent dans le piège tendu par l'auteur... 

Le travail de Pierre-François Souyri a été de « remettre à l'endroit » l'histoire médiévale nippone et de corriger cette interprétation... L'histoire du Japon médiéval : le monde à l'envers, paru cette année au éditions Perrin-Tempus , paru en août 2013, est une réédition de l'ouvrage Monde à l'envers, la dynamique de la société médiévale, publié par la très regrettée maison d'éditions Maisonneuve et Larose en 1998. Le contenu de ce livre offre une forte similitude avec la 3ème partie (consacrée au Moyen-Âge) du même auteur de L'histoire du Japon des origines à nos jours, paru chez Hermann en 2009  avec cependant un intéressant chapitre additionnel comparant les sociétés médiévales européennes et nippones (chapitre 13. De la comparaison entre les sociétés médiévales d'Occident et du Japon). L'auteur, Pierre-François Souyri, professeur à l'université de Genève et ancien directeur la Maison Franco-japonaise de Tôkyô, est un spécialiste incontesté du sujet : on lui doit notamment la traduction du livre de Katsumata Shizuo relatif aux coalitions et ligues de la période médiévale (Ikki. Coalitions, ligues et révoltes dans le Japon d'autrefois, CNRS éditions, 2011). Enfin, le livre se fonde sur une abondante documentation et sources primaires japonaises, soigneusement confrontées et analysées. 


L'« âge des guerriers » est une période foisonnante, aussi violente que créatrice. Après la victoire du clan des Minamoto sur celui des Taira (1185), un premier pouvoir militaire central s'impose : le shôgunat de Kamakura (1185-1333). Minamoto Yoritomo obtient de l'empereur le titre de sei tai shôgun (征夷大将軍 ), c'est-à-dire de « général en chef chargé de la pacification des barbares ». Mais, à la mort de ce dernier en 1199, le pouvoir réel échappe au fils du défunt (Minamoto Yoriie) ; le pouvoir est confié à un conseil de vassaux que domine le clan des Hôjô, clan dont l'influence ne cesse de s'étendre et de s'affirmer. Le shôgunat de Kamakura est resté dans toutes les mémoires en raison du célèbre épisode des tentatives d'invasions mongoles, dispersées par un typhon, un « vent divin » (1274 et 1281)... Ce long XIIIe siècle est propice à une intense réflexion spirituelle et à la contestation religieuse : des réformes sont initiées par les prédicateurs Hônen, Shinran, Nichiren et les maîtres zen, Eisai et Dôgen. 


L'échec des invasions mongoles aussi est le prélude à la chute du clan Hôjô, incapable de récompenser les guerriers qui ont contribué aussi bien financièrement que par leur engagement personnel à la victoire. Une coalition de malcontents appuie l'empereur Go Daigo qui réalise une éphémère et autoritaire restauration impériale (restauration Kemmu, 1333-1336). L'empire se scinde ensuite en deux entités rivales (les cours du Nord et du Sud) ; la guerre civile fait rage, mais celle-ci profite au clan des Ashigaka, partisan de la cours kyôtoîte du Nord : en 1338, Ashikaga Takauji reprend la fonction de shôgun. Après la défaite de la « cour sudiste » en 1392 : les Ashikaga deviennent les maîtres du pays. La période Muromachi (1392-vers 1490) est entrecoupée de crises politiques et sociales sur fond d'essor économique (développement d'une économie commerciale avec échanges monétaires et premières tentatives d'accumulation de capital). C'est le « monde à l'envers » (gekokujô, 下剋上) : les mouvements civils ou religieux d'autonomie rurale et urbaine et l'irrésistible ascension de la classe des guerriers débouchent sur un affrontement général, dont l'enjeu devient l'unification du pays. Oda Nabunaga, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu la réaliseront au prix d'une longue guerre contre les forces politiques centrifuges, conflit dont Ieyasu sort vainqueur en créant la dernière dynastie de shôgun en 1603.

 
Le monde à l'envers c'est surtout celui des petites gens avides d'autonomie et d'ascension sociales dans un contexte de mutation économique et sociale, mais aussi celui d'un monde flottant qui a influencé les modes de vie et la culture nippones (les parias, appelés notamment kawaramono, 河原者). Les guerriers, acteurs principaux de la période médiévale et en particulier ceux de l'est de l'île d'Honshû, s'organisent sur une base familiale et clanique et créent des liens de vassalité (bushidan, 武士団). Ils sont issus de lignées de déclassés de la cour (voire de princes de la famille impériale, c'est le cas du lignage des Taira et des Minamoto qui font s'affronter entre 1180 et 1185) venu tenter leur chance loin de la capitale ou bien proviennent du milieu des paysans aisés et de la petite notabilité rurale. Ces hommes sont très attachés à leur terroir et défendent les intérêts des travailleurs de la terre, desquels ils se désolidarisent progressivement pour les dominer. Ces militaires en quête d'ascension sociale et de récompenses sont loin de la représentation conventionnelle du serviteur fidèle et loyal façonnée à l'époque d'Edo. Leur engagement est conditionné par les revenus de leurs terres : la période des récoltes (et de la perception des redevances) venue, le souffle d'un vent politique ou militaire contraire, ces hommes s'évaporent ou changent de camp. Leurs prouesses militaires, relatées dans les « dits » servent autant à bâtir une réputation qu'à ouvrir droit à récompenses... Si la bravoure du guerrier japonais médiéval ne peut être remis en question, leur éthique et leurs motivations étaient cependant plus prosaïques... 


Histoire du Japon médiéval, le monde à l'envers, de Pierre-François Souyri, aux éditions Perrin-Tempus, août 2013, 522 p.
 

00:09 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditioon, traditions, traditionalisme, japon, asie, samourai | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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