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dimanche, 06 janvier 2019

Le Saint Empire Romain peut aider à inspirer une Union Européenne différente

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Le Saint Empire Romain peut aider à inspirer une Union Européenne différente

Peter Wilson

Traduction française par Chlodomir

Le passé de l’Allemagne projette encore son ombre. L’été dernier, les Grecs protestant contre les termes rigoureux du renflouement de l’UE brandissaient des portraits d’Angela Merkel portant une moustache à la Hitler et un brassard nazi avec la croix gammée à la place du symbole de l’euro.

De telles images restent puissantes mais elles empêchent de poser les vraies questions concernant la manière dont l’Allemagne utilisera son actuelle influence économique et politique et dans quelle mesure l’UE peut ou doit endiguer cette puissance. Pour répondre à cela, nous devons regarder dans le passé, à l’époque où l’Allemagne faisait partie du Saint Empire Romain.

L’empire semble à peine digne de discussion aujourd’hui. S’il conserve une résonance minime, c’est généralement grâce à la formule de Voltaire selon qui l’empire n’était « ni saint, ni romain, ni un empire ». Fondé par Charlemagne le jour de Noël de l’an 800, l’empire sembla se diriger vers le déclin presque immédiatement jusqu’à ce qu’il soit balayé comme une chose obsolète et inutile par Napoléon en 1806. Selon les mots de James Madison, quatrième président des Etats-Unis, l’empire était « un corps sans nerfs, incapable de réguler ses propres membres, sans défense contre les dangers extérieurs et agité de fermentations incessantes dans ses propres entrailles ».

Savoir pourquoi l’empire a été interprété de cette manière peut nous aider à comprendre la position de l’Allemagne actuelle en Europe, en particulier son rôle dirigeant dans l’UE.

L’héritage des deux guerres mondiales a encouragé les voisins de l’Allemagne à craindre son leadership comme une hégémonie potentielle, mais l’histoire du Saint Empire Romain révèle une époque où l’Allemagne faisait partie d’un ordre plus large et pacifique.

L’interprétation négative de l’empire vient du fait qu’on le voit comme une série de tentatives manquées pour créer un Etat-nation allemand. Dans cette version de l’histoire, une succession de monarques tenta de créer des institutions centrales capables d’imposer un système uniforme de gouvernement, et n’en fut empêchée que par les ambitions égoïstes des petits princes allemands.

En fait, l’empire ne fut jamais seulement l’« Allemagne ». Il recouvrait ce qui est maintenant l’Autriche, la Suisse, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, la République Tchèque, une bonne partie de l’Italie, et certaines parties de la France et de la Pologne.

empireotto.jpgDans tous ces pays, les historiens ne trouvèrent pas d’intérêt à l’empire lorsqu’ils entreprirent d’écrire leurs histoires nationales au XIXe siècle. Pour eux, comme les manifestants grecs, « empire » signifiait domination étrangère.

L’aspect impérial de l’empire est peut-être le plus difficile à comprendre pour nous aujourd’hui, en grande partie parce que nous tendons à concevoir l’empire à travers l’expérience de la puissance coloniale européenne.

Nous nous attendons à ce que les empires aient un noyau clair et stable habité par un peuple impérial imposant sa volonté aux régions périphériques. Mais le Saint Empire Romain n’avait pas de noyau central, parce qu’il ne posséda jamais un clair centre de gouvernement, ni même de capitale officielle. Au contraire, le pouvoir fut toujours multiple et pluriel. L’organisation de la vie quotidienne était laissée à des pouvoirs plus locaux.

Le changement le plus important au cours des siècles ne fut pas une fragmentation progressive d’un pouvoir originellement centralisé, comme le crurent les précédentes générations d’historiens.

Ce fut plutôt un renforcement graduel des pouvoirs locaux qui tiraient leur légitimité de leur relation avec l’empire dans son ensemble. Les chartes et les lois impériales reconnaissaient les droits locaux et les libertés locales.

Des couches additionnelles furent ajoutées avec le temps en réponse aux circonstances, plus particulièrement durant les XVIe et XVIIe siècles, quand les protestants obtinrent les mêmes droits juridiques que les catholiques romains.

Cependant, longtemps avant cela les Juifs avaient reçu des droits protecteurs qui fonctionnaient généralement mieux que ceux garantis par les monarques dans les royaumes plus centralisés d’Europe.

Et c’est ici que nous voyons le plus clairement ce que l’empire peut nous dire sur l’avenir possible de l’Europe. Ses habitants s’identifiaient généralement positivement avec lui, parce qu’il préservait leurs autonomies et leurs modes de vie.

Cela ne peut pas être un plan pour l’UE d’aujourd’hui, parce que l’ordre social qui étayait cette autonomie locale était aussi criblé d’inégalités que nous trouverions inacceptables.

Pourtant cela suggère une alternative au difficile choix entre l’UE conçue comme un super-Etat unique et homogène et un affaiblissement fatal de la position mondiale de l’Europe par sa fragmentation en une mosaïque d’Etats nationaux.

FT

Bogdan Herzog : sortez le pétrole du pétrodollar, sortez le dollar du narcodollar

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Bogdan Herzog : sortez le pétrole du pétrodollar, sortez le dollar du narcodollar

Bogdan Herzog

Traduction française par Chlodomir

Conférence Internationale “Financial capitalism and its alternatives for the 21st century. Contributions to the 4th Economic Theory” (Le capitalisme financier et ses alternatives pour le XXIe siècle. Contributions à la 4e Théorie économique).

Chișinău, 15 décembre 2017

J’ai récemment lu l’interview du Pr. Douguine dans le magazine The Economist. C’est une interview très intéressante qui permet d’exprimer notre vision-du-monde à une audience non-eurasiste plus grande. J’ai moi-même distribué le matériel à un certain nombre de gens et il a été apprécié même par des personnes qui n’ont pas forcément la même perception de la réalité que nous. Le professeur s’avère être un intellectuel hautement distingué, un digne adversaire du libéralisme et cela peut être apprécié par des gens neutres et même par des ennemis.

Cependant, je prends l’exemple d’une question posée par l’interviewer et de la réponse du Pr. Douguine, où je proposerais une approche différente. La question posée était : « Pourquoi pensez-vous que l’autre civilisation, l’anglo-saxonne, réussit économiquement mieux que la civilisation eurasienne ? », et la réponse fut la suivante : « Précisément parce que l’économie est, pour vous, le destin. Pour nous, c’est l’esprit qui est le destin. Si vous placez une valeur matérielle comme la plus haute valeur, alors vous avez mieux réussi en cela ».

Bien que je comprenne le raisonnement philosophique et religieux qui se trouve derrière la réponse, incluant que l’on ne peut pas servir deux maîtres, Dieu et Mammon, je préférerais une approche plus directe et économiquement orientée à une telle question. Etonnamment ou pas, Marx, du moins dans ses premiers écrits, avait une approche similaire à celle du Pr.  Douguine sur cette question.

En ce qui me concerne, je voudrais d’abord noter la manière dont la question est structurée. C’est une affirmation : « L’Occident est meilleur pour développer des systèmes économiques », déguisée en une question. Répondre à la question en tentant de donner une explication revient à accepter la supposition de l’interviewer. C’était un piège. A mon avis, la réponse aurait dû être la suivante : « La civilisation anglo-saxonne n’est pas meilleure pour développer des systèmes économiques. Sa prospérité actuelle est due au fait qu’elle peut imprimer une quantité illimitée d’argent à partir de rien et qu’elle a la capacité militaire et politique à obliger les autres à l’accepter comme moyen de paiement ». C’est un vol déguisé. Obliger les autres à abandonner leurs valeurs pour rien est une forme de vol. C’est la source de leur prospérité, pas seulement leur obsession pour les biens matériels. En d’autres mots, l’Occident est meilleur pour imposer son point de vue dans le monde entier, pas pour développer des systèmes économiques supérieurs.

Et ils sont très bons pour quelque chose d’autre aussi, pour présenter leur propre intérêt comme étant, d’une manière ou d’une autre, dans l’intérêt général de l’humanité, de l’humanité en général. Ils sont les maîtres du culot ! C’est comme si un dealer de drogue, ou un voleur, demandait à un enseignant ou à un ouvrier : « Pourquoi pensez-vous que je suis plus riche que vous ? ». La réponse peut être philosophique : « Vous êtes préoccupé par l’argent », mais elle peut aussi être plus directe : « Parce que vous êtes un voleur ».

C’est un aspect important, ce n’est pas quelque chose à négliger. Puisque nous sommes en guerre, du moins dans le domaine des idées, ne laissons pas l’ennemi tenir le haut du pavé. Stratégiquement nous ne voulons pas mener une bataille pénible. Nous avons l’avantage moral même dans le monde de l’économie, et il faut rappeler cela à l’ennemi et au grand public. Nous avons affaire à un empire bâti par des voleurs, des pirates et des dealers audacieux, qui arrivent toujours au nom d’idées généreuses, comme la « liberté » et le « libre-échange », et qui repartent les poches pleines d’argent. Ce sont les gens qui nous font la leçon aujourd’hui !

Donc, mon premier message est : ne laissez pas l’ennemi prendre l’avantage moral. J’étayerai mes affirmations plus tard, avec quelques cours d’histoire, plus précisément sur les guerres de l’Opium.

Mais nous allons faire une très brève récapitulation de la nature de l’actuel système économique, et des manières possibles de le rendre plus juste.

Comme je l’ai dit avant, la prospérité de l’Occident est basée sur deux facteurs : l’impression de monnaie et la capacité d’obliger les autres à l’accepter. Puisque n’importe qui, n’importe quelle nation ou même des non-nations peut émettre de la monnaie (à Hong-Kong par exemple les billets de banque sont imprimés par des banques commerciales), il est évident que dans cette équation le facteur important est la capacité à imposer son usage. L’actuel système monétaire a un nom, le pétrodollar. Ce n’est pas par hasard. Cela vient du fait qu’en 1971, quand les Américains mirent fin à la convertibilité du dollar en or, ils la remplacèrent par la convertibilité en matières premières, et spécialement, mais pas exclusivement, en pétrole. La capacité militaire et politique des Américains à imposer leurs vues aux producteurs de pétrole, et à les obliger à vendre leurs produits en dollars, est la clé du système. La même logique peut être étendue à toutes les matières premières et au commerce international en général. La présence de troupes américaines au Moyen-Orient assure la domination du dollar sur le marché pétrolier, leur présence en Europe assure une certaine parité entre l’euro et le dollar, et ainsi de suite. Je n’entrerai pas dans les détails, mais je voulais souligner qu’en fin de compte tout se ramène au pouvoir. Ce pouvoir n’est pas limité à la capacité d’imposer un certain accord commercial à une troisième nation, mais aussi à sécuriser les voies d’approvisionnement ainsi que certaines régions.

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Pour créer un système économique meilleur et plus juste, il ne suffit pas de signer des accords de commerce bilatéraux exprimés dans d’autres monnaies. Des corridors de transit et de protection pour les pays désireux de commercer en utilisant d’autres monnaies devront être assurés. Bien sûr ce sont des réalités bien connues. L’initiative chinoise de la Nouvelle Route de la Soie et les événements du Moyen-Orient sont la preuve du fait que ces idées de base ont été comprises et que des pas sont faits dans la bonne direction. Nous devons sortir le pétrole du pétrodollar. C’est le second message du jour.

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur une zone plus cachée, opaque, que je considère comme importante. Il y a un précédent historique au pétrodollar, en tant que monnaie fiduciaire basée sur la projection de pouvoir. Je parle de la narco-livre (britannique). Au début du XIXe siècle, les Britanniques enregistrèrent des déficits considérables dans leur commerce avec la Chine. A ce propos, c’est la Chine, et non l’Occident comme l’affirme erronément le reporter de The Economist, qui, sauf pendant 150 ans, fut le centre de l’activité économique de la planète.

Au début du XIXe siècle, exactement comme aujourd’hui, la Chine n’était pas intéressée par les produits que les Britanniques pouvaient lui offrir en échange et demandait que les dettes commerciales soient réglées par le paiement d’argent réel sous la forme de lingots d’argent. Quelle fut la solution découverte par les Britanniques pour stopper l’écoulement du « fleuve » d’argent ? Ils obligèrent les Chinois à s’adonner à la drogue, et quand ces derniers tentèrent de s’y opposer, ils déclarèrent la guerre à la Chine. Deux fois. Tout cela au nom du libre-échange et de la paix, bien sûr. Je voudrais ajouter que certaines des plus grandes banques et sociétés commerciales d’aujourd’hui ont leurs racines dans cette affaire infâme : HSBC, Jardine Matheson, Swire, etc. On peut dire la même chose de nombreuses familles « nobles », qui devinrent des lords, des pairs et des chevaliers de l’Empire britannique. Mais nous ne les nommerons pas aujourd’hui.

Pourquoi cela est-il important aujourd’hui ? Parce qu’aujourd’hui, tout comme 200 ans auparavant, le trafic de drogue est entre les mains des mêmes réseaux. L’opium est produit en Afghanistan à des niveaux record, même selon les statistiques officielles de l’ONU. Même chose pour la cocaïne de Colombie, un autre protectorat. Pourquoi cela a-t-il lieu ?

Certains disent que c’est parce que l’argent généré par les drogues est nécessaire pour financer les opérations clandestines, les dénommées « black-ops ». Peut-être, mais pour moi cette réponse est insuffisante. Ce genre d’argent est requis pour des pays de second ordre. Le système qu’utilisent la CIA et le Pentagone dispose déjà de la machine à imprimer l’argent ! Il peut envoyer tout l’argent qu’il veut, partout où il le désire. Il peut créer des sociétés fictives et leurs comptes peuvent être remplis à volonté. Donc pourquoi ont-ils besoin de contrôler le marché de la drogue et en quoi cela est-il relié au pétrodollar ?

Le système monétaire lui-même est dirigé exactement comme un cartel de la drogue. La FED américaine est l’équivalent du producteur, les banques nationales représentent les réseaux de distribution, et les banques commerciales représentent les dealers de rue. Un système de blanchiment assure la distribution des fonds et des profits. Le produit fini, l’argent, génère bien sûr sa propre addiction.

Crude-Oil-268x300.pngL’argent qui provient des drogues a deux caractéristiques : il est en grandes quantités et il est généré en cash. Le problème pour le syndicat de l’argent est de s’assurer que cet argent est réintégré dans le système bancaire, sinon il pourrait finir dans de mauvaises mains, qui pourraient demander des avoirs réels en retour. Cela pourrait bien sûr générer des déséquilibres majeurs et des fluctuations de la monnaie. Alors que dans le système bancaire, l’argent sera blanchi et distribué à travers le mécanisme du blanchiment.

Vous souvenez-vous de Pablo Escobar qui cachait des milliards de dollars en cash dans la jungle colombienne ? Je suis certain que c’est l’une des principales raisons de son élimination. Ce n’était sûrement pas pour éliminer le trafic de drogue, qui a explosé depuis. Nous devons sortir le dollar du narcodollar. C’est le troisième et dernier message pour aujourd’hui.  Pourquoi ?

Pour l’instant le système n’a pas besoin du trafic de drogue pour financer les opérations clandestines « black-ops », mais il a besoin de s’assurer que ce trafic, comme tout trafic, soit effectué dans sa monnaie et que l’argent cash revienne dans le système. De même que le pétrole, l’énergie, le cuivre ou le zinc, l’héroïne et la cocaïne doivent être payés en argent généré à partir de rien, en dollars.

Il est aussi important d’avoir la capacité de cibler avec des drogues la population des Etats rivaux. De ce point de vue, l’Afghanistan est idéalement situé à la frontière des deux principaux rivaux du système, la Chine et la Russie. En même temps, ce pays présente l’avantage que les réseaux de distribution qui en proviennent traverseront les pays musulmans d’Asie Centrale, et donc des réseaux de distribution de drogue à base ethnique peuvent être développés, créant des prémisses pour de futurs conflits interethniques.

L’annihilation des centres de production de drogue n’est pas seulement nécessaire pour le bien de la population. Leur sortie hors du système du dollar créera d’importants déséquilibres monétaires. La monnaie sortira du système et ne reviendra plus jamais, ajoutant une pression supplémentaire aux déficits commerciaux existants. Les bénéficiaires secondaires dans les pays secondaires devront être financés directement et cela requerra la redistribution des ressources.

C’est une ironie du destin, ou une justice karmique peut-être, qu’en sortant le dollar du narcodollar, l’Eurasie pourra rendre au monde anglo-saxon le cadeau empoisonné que ce dernier lui a donné il y a 200 ans. Nous ne parlons pas d’encourager la consommation de drogue de la manière dont l’ont fait les Anglo-Saxons, parce que ce serait une infamie, mais la neutralisation de cette arme, aujourd’hui encore entre les mains du système, tout en concurrençant le pétrodollar, fera renaître le « fleuve d’argent » qui sortait de l’Occident et entrait en Eurasie au XVIIIe siècle. Cela signifierait le retour à l’économie réelle.

Bogdan Herzog.

 

 

Une magnifique trilogie pour l'Europe !

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Une magnifique trilogie pour l'Europe !

par Georges FELTIN-TRACOL

Après avoir publié un excellent livre d’entretiens de Laurent Ozon et les souvenirs de Frédéric Lynn au Donbass, les éditions Bios ont fait paraître, il y a un an, trois recueils d’articles, d’entretiens et de conférences de Robert Steuckers consacrés à l’histoire, à la géopolitique et à l’avenir de l’Europe. Quelle prodigieuse triple somme ! Certes, un esprit chagrin pourrait regretter de lire ici ou là quelques répétitions, mais c’est la loi du genre; ces inévitables répétitions demeurent didactiques.

Bruxellois parlant depuis l’enfance le français, le néerlandais flamand et l’allemand, Robert Steuckers enseigne l’anglais et connaît l’italien et l’espagnol. C’est un « bon Européen » au sens que l’entendait le Grand Frédéric. Infatigable militant métapolitique et culturel de la cause identitaire européenne, il se considère pleinement comme un sujet de l’Âme sacro-impériale romaine germanique et de ses déclinaisons historiques, bourguignonne, habsbourgeoise et hispanique. Ce n’est pas un hasard si Robert Steuckers apprécie la Franche-Comté, cette terre bourguignonne puis espagnole annexée sous Louis XIV et dont maintes familles paysannes se faisaient enterrer pendant plus d’un siècle en tournant le dos à Paris pour signifier leur allégeance véritable à la Couronne espagnole.

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Fidélité à l’Empire

Robert Steuckers estime que l’idée impériale a une histoire et donc un avenir qu’il importe de forcer. Cependant, « toute notion d’empire aujourd’hui doit reposer sur les quatre vertus de Frédéric II Hohenstaufen : justice, vérité, miséricorde et constance. L’idée de justice doit se concrétiser aujourd’hui par la notion de subsidiarité, donnant à chaque catégorie de citoyens, à chaque communauté religieuse ou culturelle, professionnelle ou autre, le droit à l’autonomie, afin de ne pas mutiler un pan du réel. La notion de vérité passe par une revalorisation de la “ connaissance ”, de la “ sapience ” et d’un respect des lois naturelles. La miséricorde passe par une charte sociale exemplaire pour le reste de la planète. La notion de constance doit nous conduire vers une fusion du savoir scientifique et de la vision politique, de la connaissance et de la pratique politicienne quotidienne (I, p. 138) ». Il regrette bien sûr les tentatives impériales avortées à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance. Le décès de la reine Mary Tudor a des « conséquences […] catastrophiques pour l’Espagne, les Pays-Bas, le Saint-Empire et, finalement, l’Europe entière (I, p. 102) ». Avant que l’Espagne et le Portugal ne forment pour six courtes décennies l’Union ibérique (1580 – 1640), on oublie qu’« en 1554, l’héritier de la couronne d’Espagne et du Cercle de Bourgogne (les Pays-Bas), Philippe II, épouse Mary Tudor, reine d’Angleterre. […] Pendant quatre ans donc, les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Espagne, le Milanais et le Royaume de Naples et des Deux-Siciles connaîtront une direction unique, celle de Philippe II, allié aux Habsbourg d’Autriche, qui détiennent la titulature impériale (I, p. 101) ».

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Outre la Sainte-Alliance post-napoléonienne imaginée par le chancelier Metternich, Robert Steuckers se félicite à rebours de Mélancolie française d’Éric Zemmour (Fayard – Denoël, 2010) du « renversement des alliances » de 1756 validé par Louis XV et poursuivi par son petit-fils Louis XVI. « Nous avons une alliance tacite, eurasienne avant la lettre […], entre la France de Louis XVI (réconcilié avec l’Autriche par son mariage avec Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine), l’Autriche de Marie-Thérèse puis de Joseph II et la Russie de Catherine II la Grande. Cette alliance tacite […] offrait un espace stratégique de la Bretagne atlantique, voire de l’Espagne des Bourbons éclairés notamment sous le règne de Carlos III, jusqu’aux confins pacifiques de la Sibérie orientale. Cette alliance eurasienne a permis, entre l’avènement de Louis XVI en 1774 et la révolution française, d’esquisser une unité géostratégique entre les trois principales puissances continentales européenne (où la France avait acquis une supériorité navale dans l’Atlantique Nord suite à la guerre d’indépendance des États-Unis) (II, p. 4). »

Judicieux rappels historiques pour quiconque souhaite la libération et l’affirmation de la civilisation européenne ! « L’Europe-croupion, que nous avons devant les yeux, est une victime consentante de la globalisation voulue par l’hegemon américain (II, p. 17). » En effet, pour la puissance thalassocratique étatsunienne, « l’ennemi, c’est l’Europe qu’il faut ré-enclaver et qu’il faut faire imploser de l’intérieur en la livrant en permanence à des politiciens écervelés et en y déversant constamment des populations hétérogènes et inassimilables, débarquant à Lampedusa et sur les îles de l’Égée grecque (II, p. 63) ». Dans ces conditions, il importe d’éliminer impitoyablement ses trois ennemis prioritaires : « L’intégrisme religieux / terroriste de pure fabrication, le banditisme organisé et les cénacles manipulateurs et pervers d’économistes néo-libéraux (II, p. 150). » Ce n’est hélas ! pas gagné…

L’influence hydrologique

N’y aurait-il donc plus aucun espoir ? Non, si l’on accepte enfin de renouer avec l’héritage du Grand-Duché d’Occident. « Comme Philippe le Bon entendait reconstituer la dorsale lotharingienne pour mieux unir l’Europe et comme l’Ordre de la Toison d’Or était destiné à devenir l’instrument de cette politique, l’épine dorsale spirituelle et militaire d’une future Europe unifiée, la “ matière bourguignonne ”, dans sa rutilante diversité, recèle in toto les linéaments de notre “ mission nationale et impériale ”. Il n’y en a pas d’autre (II, p. 170). » Robert Steuckers fait sien ce projet grandiose « repris par Maximilien Ier, dès son mariage avec Marie de Bourgogne; le projet bourguignon fusionne, dès la fin du XVe siècle, avec l’impérialité romaine – germanique; il y a donc continuité entre ce projet bourguignon et les actions du binôme austro-hongrois d’une part, et avec celles de l’Espagne et de l’Ordre de Malte en Méditerranée, d’autre part (II, p. 168) ».

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Outre la dimension historique, il s’attarde en outre sur les aspects religieux et culturels ainsi qu’aux données géographiques au point qu’il recourt au concept perspicace d’« hydropolitique ». Les cours d’eau principaux et leurs affluents expliquent en dernière analyse la configuration des espaces politiques. « La dynamique de l’histoire romaine […] ou la logique de l’expansion territoriale romaine, repose in fine sur la bonne maîtrise de ces trois bassins fluviaux d’Europe (I, pp. 151 – 152) » : le Rhône, le Rhin et le Danube. D’antiques logiques stratégiques continuent leur œuvre aujourd’hui.

L’autre précision qu’apporte Robert Steuckers concerne le caractère forcément bigarré des empires européens. Il souligne le côté polyculturaliste de tout cadre impérial conséquent et réel. Polyculturalisme et non multiculturalisme, nuance de taille ! Le polyculturalisme est l’agencement politique des cultures autochtones européennes tandis que le multiculturalisme fait cœxister sur le même sol des peuples à l’esprit divergent. « Dans un empire cohabitent diverses communautés et, partant, vu l’extension territoriale importante de tout empire, divers peuples, que l’on ne songe pas à fusionner dans un magma insipide et indifférencié. Les empires sont généralement pluri-ethniques. C’était le cas de la monarchie austro-hongroise, dernière détentrice de l’impérialité romaine-germanique, où des hommes de toutes origines ethniques ont servi (I, pp. 157 – 158). » S’il ne croit pas au cadre stato-national réductionniste normativiste forcené et négateur des différences ethno-culturelles vivantes, il n’en est pas moins favorable au concept d’État. En lecteur attentif et assidu de Carl Schmitt et de Julien Freund, il estime que l’État s’adapte aux manifestations géographiques du politique, qu’il se fonde en cité, en région, en nation ou en empire. Là encore intervient l’influence des aires hydrologiques. « La dynamique de l’histoire allemande est centrifuge parce que les bassins fluviaux qui innervent le territoire germanique sont parallèles les uns aux autres et ne permettent pas une dynamique centripète comme en Russie d’Europe et en France. Un pays dont les fleuves sont parallèles ne peut être aisément centralisé. Les bassins fluviaux restent bien séparés les uns des autres, ce qui sépare également les populations qui se fixent dans les zones très œcuméniques que sont les vallées (III, p. 2). »

Une vision originale

Tout étudiant en histoire, en géographie et en sciences politiques devrait se procurer cette trilogie Europa de Robert Steuckers ou, pour le moins, demander aux fonds universitaires d’acquérir cette somme magistrale mille fois plus profitable qu’une énième étude quelconque sur le prétendu genre. On pourrait toutefois être dérouté par l’ampleur du champ de vision de l’auteur. Très mobilisé par le sort de notre grande patrie européenne, Robert Steuckers n’hésite pas à aborder d’autres champs sur d’autres continents. Dès le tome II, il se prononce « pour une “ grande alliance ” eurasienne et ibéro-américaine (p. 133) », se manifestant entre autres par un « soutien total à l’Arménie (II, p. 143) », la rupture de « l’alliance entre Washington et Ankara (II, p. 141) » et un « soutien total à Chavez (II, p. 144) ». Certes, cette prise de position paraît maintenant dépassée avec le naufrage, en partie prémédité par Washington, du Venezuela de Maduro et au moment où l’Amérique du Sud retrouve des dirigeants de droite libérale-conservatrice atlantiste (Chili, Argentine, Colombie, Brésil). La démarche demeure néanmoins actuelle en s’appuyant sur le justicialisme argentin et l’indigénisme andin présent au Bolivie, en Équateur et au Pérou.

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Dans les trois volumes se trouvent aussi ses notes sur l’Afghanistan, l’Iran, le monde arabe, le Tibet, le Japon ou le Pakistan. À chaque fois, une vision historique de la très longue durée se combine aux interprétations psychologiques des peuples, aux faits géopolitiques les plus complets possibles et à l’arrière-plan – primordial – de la spiritualité et de la culture. Il s’agit de saisir à un instant précis la vigueur des civilisations, des peuples, des États et des nations face au « monothéisme globaliste » d’essence marchande. Le réveil et l’affirmation des peuples constituent d’excellentes nouvelles pour tous ceux qui estiment que « le monde est un “ pluriversum ” (II, p. 104) ». Il revient par conséquent aux Européens les plus éveillés la délicate mission d’obtenir une « synthèse nouvelle entre ouverture et fermeture, pour reprendre la terminologie inaugurée par Popper, [qui] postule un rejet de l’extrémisme néo-libéral, un planisme souple de gaullienne mémoire, une volonté de provoquer la “ dédollarisation ” de l’économie planétaire et de créer une alternative solide au système anglo-saxon, manchestérien et néo-libéral (II, p. 104) ». Tel est donc le combat engagé par Robert Steuckers depuis plus de quarante ans. Gageons que les nombreux jalons qu’il a dès à présent posés indiqueront aux peuples albo-européens et à leurs véritables élites organiques la juste direction à suivre.

Georges Feltin-Tracol

• Robert Steuckers, Europa. Valeurs et racines profondes de l’Europe, Éditions Bios, 2017, 338 p., 25 €; Europa. De l’Eurasie aux périphéries, une géopolitique continentale, Éditions Bios, 2017, 316 p., 25 €, et Europa. L’Europe, un balcon sur le monde, Éditions Bios, 2017, 342 p., 25 €, les trois volumes à 80 € (75 € + 5 € de frais de port).

Pour toute commande directe chez l'éditeur: https://editionsbios.fr