Les célèbres flics, Starsky et Hutch, sont en deuil. Le parolier du générique français de leur série télévisée de la fin des années 1970 les a quittés le 7 avril dernier. Né le 31 mai 1933, Jean-Claude Albert-Weil a longtemps travaillé pour les chaînes de télévision française. Il produisit aussi sur ces chaînes des émissions de jazz.
Si cette chronique l’évoque, c’est en tant qu’auteur de L’Altermonde, une formidable trilogie romanesque, hybridation littéraire inouïe de Sade, de Céline, de Swift et de Rabelais. En 1996 paraît aux Éditions du Rocher Sont les Oiseaux… (réintitulé Europa), qui obtiendra dès l’année suivante le Prix du Roman de la Société des Gens de Lettres. La dite-société le regrettera quelques années plus tard avec la parution du deuxième volume, Franchoupia (L’Âge d’Homme, 2000), puis, en 2004, de Siberia aux éditions Panfoulia fondées par Jean-Claude Albert-Weil lui-même afin de contourner le blocus éditorial imposé à son œuvre.
L’Altermonde est une fresque uchronique magistrale. Cédant aux pressions allemandes, Franco permet à la Wehrmacht de traverser l’Espagne et de s’emparer de Gibraltar. L’Allemagne gagne ensuite la Seconde Guerre mondiale et parvient à unifier tout le continent européen. Deux dénazifications après, l’Empire européen est une puissance géopolitique. Il suit les règles de l’existentialisme heideggérien, autorise une très large permissivité sexuelle, applique un malthusianisme implacable et pratique une écologie radicale qu’approuverait tout décroissant sincère.
Des trois volumes de L’Altermonde, le deuxième, Franchoupia, est le moins abouti. Il traite d’une France libre réduite à la Guyane. Il s’agit d’une satire virulente de l’Hexagone sous les présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Il faut cependant reconnaître que deux décennies plus tard, l’immonde société franchoupienne s’épanouit sous les différents quinquennats de Sarközy, de Hollande et de Macron !
Cette trilogie uchronique tire son originalité du vocabulaire qui s’ouvre largement aux nombreux néologismes ainsi qu’à sa structure narrative toute droite sortie d’un orchestre de jazz dirigé par Céline ! Cependant, Jean-Claude Albert-Weil avouait dans Réflexions d’un inhumaniste (ses entretiens avec François Bousquet parus en 2007 chez Xenia) qu’il était « aventuré de me réduire à Céline. Ma littérature est constructive, optimiste, avec certaines naïvetés, puisqu’elle croit à la science (p. 32) ». En introduction à ces entretiens, le futur rédacteur en chef du magazine des idées Éléments lui décernait « le Prix Nobel du samizdat (p. 7) » et affirmait que « le créateur du langagevo (langage évolué) bouscule trop joyeusement les stéréotypes et les clichés, et notamment littéraires, pour que la société de spectacle le lui pardonne (p. 10) ».
Jean-Claude Albert-Weil aimait se moquer du politiquement correct. « Je ne suis pas un écrivain reconnu, je ne suis pas un auteur conventionnel, je suis libre de faire ce que je veux. […] Des années durant, j’ai écrit sans publier. […] Est-ce qu’on écrit ce qu’on veut ou est-ce qu’on fait carrière ? J’ai choisi la destinée métaphysique, autant jouer un jeu risqué et autant le jouer avec farouchitude (pp. 34 – 35). » Pour preuve, dans son Altermonde euro-sibérien, le transhumanisme et l’eugénisme assurent aux dirigeants paneuropéens une conception « sur-occidentale » et « archéofuturiste (p. 10) ». « Euro-Sibérie », « archéofuturisme », les thèmes chers à Guillaume Faye sont donc bien présents dans l’œuvre albert-weilienne, ce qui n’est pas anodin. Au début des années 2000, Guillaume Faye et Jean-Claude Albert-Weil s’étaient plusieurs fois rencontrés. Décédés à quelques semaines d’intervalle, les deux hommes partageaient une vision du monde assez semblable.
Esprit libre et réfractaire à tout conformisme ambiant, Jean-Claude Albert-Weil méritait bien de figurer dans le panthéon dionysiaque des grandes figures européennes.
Georges Feltin-Tracol
• Chronique n° 26, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 18 juin 2019 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.