LA PROPHETIE DE HROSVITHA
Prophéties et propagande de guerre
Par Théodulf
Hrosvitha (ou Hroswitha, ou Rosvitha, ou Hroswitte) de Gandersheim, née vers l’an 935 et morte après 975, était abbesse du monastère de Gandersheim en Saxe, fondé en 852 par Liudolf (un descendant de Widukind). Hrosvitha (qui veut à peu près dire : « A la forte voix ») est aujourd’hui considérée comme la première poétesse et dramaturge allemande. Elle était lettrée et écrivait en latin. Il faut noter qu’à son époque l’Allemagne était pour la première fois proche de son unité, sous la férule du duché de Saxe et de la dynastie des Othon.
Le codex contenant les œuvres de la prolifique poétesse (des légendes métriques, six pièces de théâtre, et des poèmes épiques) fut découvert en 1492 ou 1493 par l’érudit allemand Conrad Celtes dans un couvent bénédictin. Celtes le publia à Nuremberg en 1501. L’œuvre de Hrosvitha devint célèbre à partir du XVIe siècle. L’authenticité du codex fut contestée en 1868 par un universitaire allemand, avec des arguments assez faibles. Aujourd’hui les spécialistes modernes ne contestent plus son authenticité, et de nombreux travaux lui ont été consacrés. Certains y décèlent même les traces d’un « féminisme » précoce !
Ce qui est beaucoup plus mystérieux, c’est que Hrosvitha aurait aussi écrit une prophétie assez troublante où l’abbesse allemande aurait « vu » une tentative d’hégémonie germanique, suivie d’une ruine complète, dans un futur éloigné (comme plusieurs autres voyants ultérieurs, elle aurait confondu les deux guerres mondiales dans une même vision). Cette prophétie (qui, et cela est déjà suspect, ne semble pas figurer dans le codex retrouvé par Celtes) est connue sous le nom de Tuba saeculorum (Le Clairon des siècles).
Dans son livre Prophéties et prophètes de tous les temps (Pygmalion 1991), Pierre Carnac écrit d’une manière assez sibylline que la prophétie était « méconnue » du public avant la Première Guerre mondiale et qu’elle « fut publiée par les soins des Alliés » car elle annonçait la défaite finale de l’Allemagne. Plus surprenant, le spécialiste de l’ésotérisme Pierre Riffard présente cette prophétie sous un jour plutôt favorable (et en donne le texte in extenso) mais reste prudent (voir Pierre Riffard, L’ésotérisme, Robert Laffont, 1990, pp. 676-678).
Le texte de la « prophétie » est précédé d’un inquiétant quatrain :
Clamor validus Allemanorum
Tuba influet saeculorum
Quos fuerunt et quos fuerant
Verba cruenta scriptorum.
Le cri puissant d’Alemanie
Souffle dans le clairon des siècles
Et clame en paroles sanglantes
Ce qui fut et ce qui sera.
Et ce sera un siècle écoulé après la chute de l’empereur de France, restaurateur du Saint Empire, né dans une île, mort dans une île.
Ce sera un siècle terrible parmi les siècles. Les peuples tomberont sous toi, Allemagne, et ta puissance sera si grande que le monde entier s’alliera contre toi.
Neuf siècles auront apposé leur sceau au Livre de Dieu, depuis l’heure où les choses à venir furent révélées à la vierge de Gandersheim.
Et des peuples viendront des deux faces de la terre et alors commenceront les temps embrasés décrits au Livre de la Colère.
L’héritier du Grand Othon sentira tout le poids de la terre sur son épée. Le char flamboyant d’Elie volera dans les airs, et l’enfer vomira ses rocs et ses laves embrasées.
Et les montagnes seront renversées et leurs tours tomberont, et toute merveille s’écrasera par terre.
Et sur les troupes et sur les grands peuples qui se dresseront contre l’Empire, pleuvra une pluie de boue, des grêles de pierres, de feu et de soufre.
Le Saint Empire, relevé sous le 249e pape, sacré sous le 253e, entendra venir sa destinée quand mourra le 255e fils de Pierre.
Alors l’Allemagne, de son épée, frappera de si grands coups que le monde croira venue l’heure de sa perte.
L’air sera tout empli des sauterelles de fer prédites par l’apôtre Jean, car le temps des moissons sera venu.
Il y aura sur la terre des Gaules une grande bataille entre deux fleuves, et le puissant empire sentira trembler son épée.
Et les peuples creuseront des trous comme les taupes et dans l’air se répandra l’odeur de la mort.
Mais quand la terre de Germanie sera recouverte de neige, par les portes d’Orient et par les portes d’Occident, coulera comme un déluge de sang, sur l’Empire, l’innombrable invasion des peuples.
Il y aura trois grandes batailles entre les trois grands fleuves qui arrosent et limitent le Saint Empire.
Et ce sera la fin de l’Allemagne…
Une année entière sera révolue quand s’agenouilleront autour du cercueil du dernier empereur, quatre empereurs.
Il n’y aura plus de Saint Empire, et sur ses ruines naîtront l’empire du Christ et celui de l’Antéchrist.
Mais la guerre règnera entre les deux parties de l’Allemagne, et les ennemis se rejoindront.
Jusqu’au temps de la Guerre Rouge, prévue au Livre de la Colère, et du Grand Empire d’Orient, qui sera le dernier empereur de la Terre.
ANALYSE DU TEXTE
Tentons maintenant de décoder la prophétie. « L’empereur de France… né dans une île, mort dans une île » est bien sûr Napoléon 1er (il abdique en 1814, et la Grande Guerre commence en 1914). « La Vierge de Gandersheim » désigne la voyante elle-même. Le Livre de la Colère désigne probablement l’Apocalypse de Jean.
L’Allemagne du Kaiser (« l’héritier du Grand Othon », qualificatif qui peut aussi bien s’appliquer à Hitler, rétrospectivement) fit effectivement face à une coalition mondiale. La numérotation des papes peut donner lieu à diverses interprétations, selon qu’on compte les papes par individus ou par consécrations (par ex., l’un des papes historiques fut élu trois fois). Le Saint Empire (dissous en 1806 par Napoléon 1er) « relevé » peut s’appliquer à la création de la Confédération germanique en 1815, sous le pape Pie VII. Guillaume 1er fut proclamé empereur en 1871, sous le pape Pie X (mort précisément en 1914). Les « sauterelles de fer » (les obus), la « grande bataille entre deux fleuves » et la phrase suivante décrivent parfaitement la bataille de la Marne et la guerre de tranchées.
Pour un lecteur moderne, et en supposant que la prophétie soit authentique (c’est-à-dire rédigée avant l’an mille !), l’invasion finale de l’Allemagne et les « trois grandes batailles entre les trois grands fleuves » semblent s’appliquer à l’invasion alliée du printemps 1945 et aux fleuves Rhin, Danube et Oder. Les « quatre empereurs » pourraient désigner Roosevelt, Churchill, Staline (réunis à Yalta) et De Gaulle (absent à Yalta, mais qui parvint in extremis à entrer dans le cercle des « Quatre Grands » et à obtenir une zone d’occupation), à moins qu’il ne s’agisse de Truman, Churchill, Attlee et Staline (réunis à Potsdam en juillet 1945).
Toujours en acceptant l’hypothèse de l’authenticité, la voyante se serait trompée en parlant d’« une année entière » révolue après la mort de l’empereur germanique, mais ce serait une défaillance excusable, puisqu’elle aurait « vu » des événements distants de plus de neuf siècles ; elle aurait peut-être pu « voir » l’image de l’attentat du 20 juillet 1944 où la mort passe si près du dictateur que la voyante aurait pu faire une confusion « émotionnelle ». Le « cercueil » du dernier empereur germanique peut faire penser au bunker de Berlin. La « fin de l’Allemagne » fut en tous cas, dans la réalité historique, la fin de l’hégémonie allemande sur le continent.
La naissance de l’empire du Christ et de celui de l’Antéchrist s’appliquerait parfaitement (du moins du point de vue de la fervente chrétienne qu’était la « voyante ») à la naissance des deux blocs, au partage de l’Allemagne et à la guerre froide, puis à la « jonction » des deux blocs ennemis (puisque le bloc communiste s’est désintégré en 1991 et que le système capitaliste s’est ensuite imposé à toute l’Europe).
Quant à la dernière phrase de la prophétie, elle est particulièrement inquiétante et s’accorderait tout à fait avec l’évolution géopolitique actuelle dans la zone Asie-Pacifique. Certains géopoliticiens comparent l’Asie actuelle à l’Europe d’avant 1914, avec des pays de plus en plus surarmés et des tensions multiples, des systèmes d’alliance, une puissance montante (la Chine, à la place de l’Allemagne) menaçant l’hégémonie politico-militaro-économique d’une thalassocratie (les Etats-Unis, à la place de l’Angleterre victorienne). Les Etats-Unis ont d’ailleurs sérieusement renforcé leur présence militaire dans le Pacifique (le fameux « pivot » et le « containment »).
La prophétie semble donc être d’une précision hallucinante. Mais tout cela n’est-il pas trop beau pour être vrai ? Pourrait-il s’agir d’une « forgerie » ?
Le texte de la prophétie figurerait dans Hrotsvithoe Opera, éd. Weidmann, Berlin, 1902, XXIV (en latin). Une traduction partielle de Josane (bien Josane) Charpentier figure dans Le Livre des prophéties, éd. R. Morel, non-datée, pp. 84-87 (ouvrages mentionnés par Riffard dans une note en bas de page). Mais tout ceci serait à vérifier plus précisément (seule la consultation d’un exemplaire de l’ouvrage allemand précité pourrait éclaircir ce point). Sur le web, l’expression de Tuba saeculorum n’apparaît sur aucun site sérieux (ou seulement par des citations rapportées) ; on la trouve seulement sur des sites occultistes, ultrareligieux (notamment hispanophones) ou farfelus. Voilà déjà une indication défavorable.
Ce qu’on sait, c’est que le texte de la prophétie apparut dans un ouvrage en français publié au début de la guerre : Gabriel Langlois, Les prophéties relatives à la guerre de 1914-15 (58 pages, publié en 1915) ; la notice en fin de fascicule indique : « Nancy-Paris. Librairie Militaire Berger-Levrault. Nov. 1915 ». La date et le pays de publication (en pleine guerre mondiale, dans un pays belligérant) éveillent déjà les soupçons. En temps de guerre, on fait flèche de tout bois… A noter que la bataille de Verdun n’avait pas encore eu lieu à ce moment, mais la guerre de tranchées avait déjà commencé, ce qui rend plausible le passage concerné de la « prophétie ». La brochure contient aussi une analyse de l’écriture du Kaiser Guillaume II, ainsi que son horoscope.
En faisant quelques recherches sur ce Gabriel Langlois, on découvre que c’était un ardent patriote, et qu’il fut l’auteur de plusieurs autres ouvrages « patriotiques » (dont un préfacé par un archevêque), notamment d’un livre hystériquement antiallemand : L’Allemagne barbare (341 pages, également publié en 1915, chez Walter et Cie). Voici les titres des chapitres :
- La race allemande, ses origines, ses destinées, selon M. de Quatrefages
- Le premier barbare allemand : Attila
- L’Allemagne tortionnaire
- Le dieu allemand protecteur des crimes : Martin Luther
- Le Kaiser, un empereur criminel et fou
- François-Joseph, le vieillard sanguinaire
- Abdul-Hamid, l’assassin couronné
- Les Allemands méprisés par les Allemands
- Appel des 93 et réponse de M. Emile Boutroux.
Voilà de la bonne propagande de guerre ! Or il semble bien que ce Gabriel Langlois fut le premier à livrer une version française du texte de la « prophétie » de Hrosvitha. Etait-il latiniste ? Agissait-il de sa propre initiative, ou lui avait-on « suggéré » de publier ces soi-disant prophéties (car celle de Hrosvitha n’est pas la seule citée) concernant la Première Guerre mondiale ?
En fouinant sur internet, on trouve d’autres informations sur Gabriel Langlois. Son nom figure dans un bulletin maçonnique (de la Grande Loge de France, en mars 1937). Curieusement, sous le régime de Vichy, il fut nommé (apparemment en se recommandant de Jean Ajalbert, écrivain et poète proche du PPF, incarcéré en 1945) responsable de l’AE (« Aryanisation Economique ») à Toulon, où il « se noie dans la réglementation antisémite (…). Il est licencié pour incompétence en mai 1943 » (Laurent Joly, L’antisémitisme de bureau, 2011). Anti-allemand mais pas anti-aryen ! Cela ne l’empêchera pas de publier un dernier brûlot anti-allemand en 1945 : L’Allemagne, bourreau du monde, qui reçut le Prix de l’Académie française !
Revenons à notre prophétie du Tuba Saeculorum. On peut remarquer que si c’est un faux, c’est un faux très bien fait. Seul un latiniste aurait pu réaliser ce genre de « forgerie ». Cela requérait une bonne connaissance non seulement du latin, mais aussi du style et de la mentalité de l’époque, de la manière dont aurait pu écrire une moniale lettrée attachée à un monastère, de l’histoire des papes, etc. Il fallait aussi attribuer la « prophétie » à un auteur médiéval suffisamment mal connu pour qu’aucune vérification (et réfutation) ne puisse être faite et diffusée rapidement. Le texte est apparu fin 1915, en langue française (à part le quatrain introductif, donné à la fois en français et en latin, probablement pour faire plus forte impression), il était donc destiné au public français. C’est tout à fait logique, car à la fin de 1915 la guerre ne marchait pas très fort pour les Alliés. La forgerie aurait donc été destinée à « remonter le moral » des lecteurs français, en attribuant à une ancienne « prophétesse » de la nation ennemie (colossale finesse !) la ruine finale de cette même nation.
Un détail intéressant est que le texte (latin) n’utilise pas le mot de « Germanie » (qui semblerait plus normal pour un texte très ancien), mais celui d’Alémanie qui raccroche plus facilement la prophétie à l’Allemagne de 1915, sans être totalement invraisemblable pour un lecteur profane (après tout, comme chacun sait, les mots Allemands et Allemagne viennent de la confédération de tribus germaniques des Alamans).
Un autre trait curieux est que les prophéties millénaristes (généralement modelées sur l’Apocalypse de Jean) annoncent toujours le triomphe final du Grand Roi ou du Grand Empereur (quel que soit son nom), pour mille ans ou carrément jusqu’à la fin des temps. C’est le cas de toutes les grandes prophéties millénaristes : le Gamaléon, le Livre aux Cent chapitres, les prophéties du Grand Monarque, etc. Or, dans le cas de la « prophétie » de Hrosvitha, que voyons-nous ? Tout le contraire : le grand Empereur suscite une énorme coalition contre lui et se fait battre à plates coutures ! Ce serait donc plutôt le Méchant Empereur vaincu par la glorieuse Démocratie. Curieuse prophétie, vraiment.
D’autre part, le texte parle de quatre « empereurs » : de qui pourrait-il s’agir ? Manifestement, des chefs de quatre très grands Etats : évidemment la France (qui était une république, mais de facto un empire), la Grande-Bretagne, la Russie – mais qui pouvait être le quatrième, du point de vue d’un faussaire pro-Alliés en 1915 ? Certainement pas l’empereur d’Autriche ou le Sultan ottoman (qui appartenaient au camp ennemi). Il aurait pu s’agir du chef de l’Italie (entrée en guerre le 24 mai 1915 dans le camp allié), et c’était alors très flatteur pour l’Italie (élevée au rang d’un « empire »). Enfin, il aurait pu s’agir du président des Etats-Unis, ce qui est plus intéressant, car cela confirme qu’à l’époque de publication de la « prophétie », l’incident du Lusitania (paquebot américain coulé le 7 mai 1915 par un U-Boot) avait déjà eu lieu. Après cet incident une intervention américaine était ardemment espérée par les Alliés et les Français, en difficulté sur le front (le président Wilson menaça l’Allemagne et exigea réparation) ; en tous cas la probabilité d’une intervention augmenta fortement (les USA n’entreront en guerre qu’en avril 1917, mais en 1915 un faussaire aurait simplement pu vouloir redonner le moral aux lecteurs français, par une intox momentanée).
Revenons au monde réel d’aujourd’hui. La Patrologie latine (tome 137) et les sites web universitaires connaissent très bien l’œuvre poétique et théâtrale de Hrosvitha, mais ne disent pas un seul mot de la prophétie (ce qui tendrait à indiquer qu’ils la considèrent comme un faux). Cependant ils n’affirment pas non plus qu’il s’agit d’un faux : ils n’en disent rien. Une explication possible, c’est que s’il s’agit d’un faux, il aurait pu être fabriqué par les services français (ou par un expert qui fut contacté par eux, ou qui proposa spontanément ses services), et dans ce cas on peut comprendre que les publications officielles (catholiques ou universitaires) ne veuillent pas incriminer directement le ou les auteurs de la forgerie, même si la chose remonte à 1915. Dans un tel cas, le silence est l’attitude la plus prudente et la plus « diplomatique ». L’utilisation des prophéties de Nostradamus (tronquées et diffusées par les services allemands en 1940, par tracts et par émissions radio) par les Allemands a été dénoncée depuis longtemps, mais les manipulations des Alliés (également très nombreuses, aussi bien pendant la Première Guerre mondiale que pendant la Seconde ; la plus fameuse étant l’histoire des « bébés aux mains coupées » qui fut crue par des millions de gens !) sont parfois encore passées sous silence.
Remarquons au passage qu’Eric Muraise, l’un des spécialistes des prophéties liées au « Grand Monarque » (il est l’auteur, entre autres, d’une biographie de Nostradamus dans les années 60, et de Histoire et légende du Grand Monarque, 1975), fut l’un des divers pseudonymes de Maurice Suire, saint-cyrien, officier (colonel) affecté à la Sécurité Militaire, d’après Gérard de Sède (L’étrange univers des prophètes, 1977). Ce qui confirme que les « services » (dans tous les pays !) s’intéressent aux prophéties et à l’occultisme en général.
Il est certain que les milieux pangermanistes (sous le Kaiser) n’auraient eu aucun intérêt à « forger » une prophétie annonçant la ruine finale de l’Allemagne. S’il s’agit d’une forgerie, elle est extrêmement habile, avec de nombreux détails d’une très grande précision (notamment sur la numérotation des papes).
La mention de la naissance des deux empires « du Christ et de l’Antéchrist » après la défaite annoncée de l’Allemagne et la mention de la menace du « Grand Empire d’Orient » et de la « grande Guerre Rouge » cadrent avec l’Apocalypse de Jean, mais pourraient aussi indiquer que les auteurs de la forgerie s’inquiétaient déjà de la menace bolchevique (« rouge »), ce qui est très surprenant en 1915 (qui aurait pu prévoir que Ludendorff enverrait Lénine en Russie dans un « wagon plombé » ?). Il s’agirait donc plutôt d’une allusion à une menace asiatique, chinoise ou sino-japonaise. Etonnant, mais à cette époque le « Péril jaune » était à la mode ! Plusieurs auteurs avaient imaginé l’invasion de l’Europe par une énorme armée asiatique, principalement chinoise. En 1906, la fiction du capitaine Danrit, L’invasion jaune (en trois volumes !), avait eu un grand succès ; dans une autre fiction de la même époque, L’aviateur du Pacifique (1910), ce même auteur imaginait même l’attaque (réussie !) de la flotte américaine par les Japonais, dans la zone de Midway ! Derrière ce pseudonyme de « capitaine Danrit » se dissimulait en réalité Emile Driant, officier, puis député de Nancy de 1910 jusqu’à sa mort au combat à Verdun en 1916.
En tous cas, pour revenir à notre abbesse allemande médiévale, deux choses seraient parfaitement vérifiables :
(1) savoir si la soi-disant prophétie figure vraiment dans l’ouvrage allemand précité, paru en 1902. Mais même s’il y figurait, cela ne prouverait toujours pas l’authenticité de la prophétie ! Il pourrait alors s’agir d’un faux rédigé par un faussaire allemand, dès 1902 ou même avant (et ce texte aurait été remarqué plus tard par les services alliés, anglais ou français, et utilisé par eux – mais tout cela est vraiment trop invraisemblable).
(2) bien sûr, et c’est le plus simple, il faudrait savoir si la « prophétie » figure réellement dans les œuvres de l’abbesse médiévale Hrosvitha. Ces œuvres en latin sont bien connues des spécialistes, et si derniers ne veulent pas affirmer que la prophétie est une « forgerie » d’origine française datant de 1915, ils peuvent sûrement répondre à la question de savoir si le fameux Tuba saeculorum figure vraiment dans les Codex écrits par Hrosvitha…
A moins bien sûr que la prophétie ne soit vraiment un authentique écrit de la « Vierge de Gandersheim » ! Dans ce cas il s’agirait d’un cas de voyance vraiment extraordinaire ! Hélas c’est très peu probable… La vérité historique est souvent beaucoup moins mystérieuse. Les prophéties, authentiques ou pas, sont des armes comme les autres, surtout en temps de guerre… Bien diffusées et exploitées, elles peuvent servir à influencer le public et à le préparer à attendre et espérer certains événements (elles font partie de ce que les théoriciens modernes nomment la guerre psychologique, la « Psy War »). Les prophéties étaient déjà utilisées comme des armes politiques durant l’Antiquité ! Les diverses forces politiques ou religieuses, au pouvoir ou dans l’opposition, ont toujours été conscientes de l’utilité de l’occultisme pour influencer leur population (ou celle de leurs adversaires). Par exemple, plusieurs « prophéties » catholiques, apparues à l’époque de la Restauration ou un peu plus tard, étaient des montages ou des impostures (entre autres, la « Prophétie d’Orval » et celle de la « Vierge de La Salette »). On a aussi suggéré que le fameux Nostradamus aurait été en fait un agent de la Maison de Lorraine, et que ses « prophéties » étaient destinées à influencer l’« opinion » de l’époque (à moins qu’il n’ait été un vulgaire escroc, hypothèse tout aussi vraisemblable, puisqu’un spécialiste affirme que Nostradamus aurait en fait volé le manuscrit des Centuries en 1545 dans le monastère de Cambron dans l’actuelle Belgique, puis l’aurait recopié en changeant l’ordre des versets et en y ajoutant des versets de son crû, puis publié sous son nom, après avoir brûlé l’original).
A ce sujet, il faut méditer ce qu’écrivait un auteur contemporain :
« …un homme ou une femme qui dit annoncer l’avenir au nom de Dieu peut être, auprès des couches de la population les plus imprégnées d’esprit religieux, les plus éprises de merveilleux ou simplement les plus crédules, un irremplaçable agent de propagande pour un Etat ou une faction.
Pour prendre un exemple, et le plus célèbre, dans notre histoire nationale, c’est ce que comprit parfaitement, aux heures les plus sombres de la guerre de Cent Ans, le groupe de seigneurs et de religieux patriotes qui conçurent ce qu’on peut appeler l’opération Jeanne d’Arc.
(…)
Annoncer d’avance un événement historique, c’est parfois l’aider à se produire, car il apparaît alors comme fatal, de sorte que ceux qui pourraient en contrarier le cours se résignent, impressionnés, à le subir. C’est pourquoi les prophéties, qu’elles soient sincères ou truquées, sont toujours un puissant moyen d’action psychologique. (…) en annonçant aux gens un événement qu’ils espèrent ou qu’ils redoutent, l’on peut influer sur leur comportement. »
(Gérard de Sède, L’étrange univers des prophètes, 1977)
Le plus étonnant, c’est que parfois les fausses-vraies prophéties remportent un tel succès qu’elles finissent par se réaliser du seul fait de leur existence ! Et qu’elles échappent parfois à leurs concepteurs… On parle alors de prophétie « auto-accomplissante » ou « auto-réalisatrice ». C’est ce que disaient deux auteurs contemporains : « …une prophétie, par le fait même de son existence, peut se réaliser. » (l’astronome Carl Sagan, 1980) ; « Une prophétie a-t-elle le pouvoir de s’accomplir elle-même ?... A un certain niveau, une prophétie se met-elle à engendrer ce qu’elle avait entrevu ? » (le philosophe George Steiner).
En ce qui concerne la prophétie qui est notre sujet dans cet article, il y a fort à parier que ce « Clairon des siècles » sortait tout droit du Deuxième Bureau, ou de l’esprit enfiévré d’un super-patriote franc-maçon, antiallemand et peut-être latiniste ! Comme le dit Pierre Carnac, « Bravo, sœur Hroswitte ! »
Der Bewunderer des sozialpolitischen Denkers Panajotis Kondylis (1943-1998), Falk Horst, brachte vor einigen Monaten einen gehaltvollen Sammelband heraus. Der Titel lautet: „Panajotis Kondylis und die Metamorphosen der Gesellschaft“.
Kennzeichnend für das Werk des verstorbenen griechischen Gelehrten, der in Heidelberg ein großes Stück seiner Lebenszeit verbrachte und der meist auf Deutsch seine begrifflichen Entwürfe ausführte, war sein auf Machtansprüche bezogener interpretativer Ausgangspunkt. Im Gegensatz zu anderen dem Moralisieren zugeneigten Ideen- und Sozialhistorikern hat Kondylis nie für das „Gute“ gekämpft. Zwar von der Aufklärung geprägt, hat Herausgeber Falk Horst recht, wenn er von einem Aufklärer ohne Mission spricht.
Kondylis zergliedert aufeinanderfolgende Weltanschauungen ausgehend vom Mittelalter, aber er packte seine Aufgabe möglichst wertfrei an. Er bezeichnete diese Herangehensweise als „deskriptiven Dezisionismus“, den er von wertbezogenen Auffassungen menschlicher Entscheidungen und Ansprüche abhebt. Und er benennt die Wissenschaftlichkeit, die er in seinen zur Reife gelangten Büchern verfolgt, als „Sozialontologie“.
In erster Linie ein Sozialwesen
Kondylis geht von der Grundannahme aus, dass das menschliche Wesen nicht von einer bestimmten Sozialbeziehung loszutrennen sei. Von seinem Standpunkt her ist der Mensch in erster Linie Sozialwesen, dessen Verhältnis zu Mitmenschen und zur Außenwelt durch seine Stelle in einer vorgegebenen Rangordnung zu berücksichtigen sei.
Zuallererst kümmert man sich um die Selbsterhaltung, die die Mitwirkung anderer voraussetzt und dann darum, seine Nische gegen Kontrahenten zu verteidigen. In seinem schmalen Band Macht und Entscheidung. Die Herausbildung der Weltbilder und die Wertfrage (1984) nimmt Kondylis die kämpferische und machtstrebende Seite von zwischenmenschlichen Wechselwirkungen in den Blick.
Moralismus oder Nihilismus
Grundlegend für seine seitenreichen Bücher über die Aufklärung, den klassischen Konservatismus und das Zeitalter der planetarischen Politik ist seine Inanspruchnahme einer machtorientierten Auslegungsperspektive. Auch bei gelehrten Auseinandersetzungen und streng herausgebildeten theoretischen Arbeiten lässt sich so eine alle Anliegen prägende Kampfgesinnung feststellen. Der Wissenschaftler stellt seine These derjenigen seines Kontrahenten entgegen.
Die Aufklärungsdenker legten es darauf an, Natur und Sinnlichkeit gegen eine mittelalterliche Denkart geltend zu machen. Doch die ehemaligen Beteiligten gingen getrennte Wege, als die Frage aufkam, ob der Kampf gegen die verworfene Metaphysik in einer normativen Sittlichkeit oder in einem alles zerlegenden Nihilismus münden sollte. In zwei gegensätzliche Denkgruppen zerteilten sich die Aufklärer, die Verfechter einer Vernunftsmoralität wie Kant und Voltaire und nihilistische Materialisten wie Holbach und La Mettrie.
Die bürgerliche Gesellschaft, die die Kulturwelt der Aufklärung hochhielt, mußte einen Zweifrontenkrieg gegen den Konservatismus führen, der die Ideale einer vormodernen Sozialordnung wieder zur Geltung bringen wollte, und gegen die Massendemokratie, die für die Gleichheit und Austauschbarkeit der Menge eintritt. Ohne diese dialektische, kämpferische Stoßrichtung zu betrachten, meint Kondylis, sind aufeinanderfolgende Herrscherklassen und führende Ideologien kaum zu begreifen. Nur im Hinblick auf ein Gegenüber entwickelt sich der Einzelne gemeinschaftlich, seinsartig und begrifflich heraus.
Eine Synthese aus Marx und Carl Schmitt?
Die Sozialontologie und Sozialanthropologie von Kondylis wird normalerweise als eine einfallsreiche Verschmelzung der Gedanken Marxens und Carl Schmitts interpretiert. Verblüffend mag es sein, dass Kondylis Marx, aber bei weitem weniger Schmitt, als Vordenker anerkannte. Ebenso großzügig gestand er Reinhart Koselleck, mit dem er einen langjährigen Briefwechsel unterhielt, und seinem Doktorvater aus Heidelberg, Werner Conze, eine Einwirkungsrolle bei seiner Ideenwelt zu. Zusätzlich erwähnt er Spinoza, dessen-theologisch-politischer Traktat seinen Machtbegriff mitgestaltete.
Warum aber ging Kondylis mit Schmitt, dessen Freund-Feind-Denken er teilt, fast stiefmütterlich um? Mag sein, dass Kondylis die Originalität seiner Begriffe unterstreichen wollte. Ebenso relevant, wie Horsts Sammelband klarmacht, wurde Kondylis zu seiner Jugendzeit radikalisiert, als er gegen die Regierung der Obristen in seinem griechischen Stammland aufgemuckt hatte.
Auf diese Jugendjahre ist die marxistische Prägung zurückzuführen, auch wenn der ausgereifte Denker kaum als Marxist oder als links orientiert einzustufen war. Die Fokussierung auf Geschichtsabläufe und sozial bedingte Leitkulturen weisen auf marxistisch angehauchte Schwerpunkte zurück. Klar ist aber, daß Kondylis wie Koselleck und andere führende deutsche Ideenhistoriker aus der zweiten Hälfte des letzten Jahrhunderts von Schmitt beeinflusst wurden.
Daß Kondylis mit einem einspurigen oder übermäßig vereinfachenden Weltbild hantierte, ist eine geläufige Kritik an seiner anthropologischen und politischen Perspektive, die sich um die Selbsterhaltung und das Machtstreben des sozial angesiedelten Einzelnen dreht. Aber das setzt voraus, daß der Sozialforscher Kondylis ein Gesamtbild des politischen, gemeinschaftlichen und ideentheoretischen Handelns liefern wollte. Stattdessen kann sein Gedankengut herangezogen werden, um das menschliche Verhalten zu beleuchten und Erkenntnis über die menschliche Motivation in einzelnen Situationen abzugeben.
Kein Optimist
Bei all seiner Anhänglichkeit an die Aufklärung und die dazugehörigen Einsichten hat Kondylis keinesfalls das optimistische Zukunftsbild vertreten, das den Rationalismus des achtzehnten Jahrhunderts prägte. Er zählte zur Gesellschaft, die Zeev Sternhell und Isaiah Berlin als „les Contre-lumières” charakterisierten und die angeblich nichts Gutes im Schilde führten. Diese Grübler setzen die kritische Verfahrensweise der Aufklärung ein, um ihre Endvision zu hinterfragen und sogar zu entwerten.
Anders gesagt: Kondylis verstand seinen Lehrauftrag anders als die von ihm bespöttelten Moralisten. Außer dem Entscheidungstreffen sozial verorteter und motivierter Einzelner und Gruppen, die im Spannungsfeld mit anderen ähnlich bestimmten Wesen handeln, kann uns Kondylis kein Welt- oder Zukunftsbild anbieten. Zu seiner Ehre mahnt er vor den Schönfärbern, die unsere Freiheit wie unsere Nüchternheit abschaffen wollen.
Aus dem Kreis der BN-Autoren hat sich insbesondere Felix Menzel mit Kondylis beschäftigt und ein Zitat aus Macht und Entscheidung seiner Alternativen Politik vorangestellt.