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vendredi, 16 mai 2025

Turbo-capitalisme financier: comment tout nous est volé

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Turbo-capitalisme financier: comment tout nous est volé

Diego Fusaro

Source: https://posmodernia.com/turbocapitalismo-financiero-como-...

Le turbo-capitalisme financier pourrait être décrit comme une industrie extractive, bien que sui generis. Il s'agit en effet d'un puissant appareil d'abstraction, de centralisation et de captation des biens communs et de la valeur sociale, selon la figure de « l'accumulation par dépossession » évoquée par David Harvey dans Une brève histoire du néolibéralisme, en référence au paradigme néolibéral et à la transition entre le capitalisme producteur manufacturier bourgeois et le capitalisme prédateur financier post-bourgeois.

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Cette accumulation se fait souvent avec la médiation du gouvernement dans sa version libérale, par des manœuvres telles que le remplacement des organismes de retraite par des assureurs privés, ou encore par le dé-financement du secteur public. Le crédit est ainsi présenté comme le principal système par lequel le turbo-capital financiarisé peut extraire la richesse de la population. Il utilise de multiples stratagèmes pour mettre en œuvre son projet d'extraction des richesses et d'expropriation de l'argent au profit de la classe dirigeante déjà hyper-possédante. Tous s'articulent autour de pratiques prédatrices astucieuses qui s'appuient formellement sur la loi, en la rédigeant ex novo ou en la pliant simplement à leurs interprétations, de manière à garantir de manière stable - pour parler comme Thrasymaque (La République, 339a) - « l'intérêt du plus fort ». Ainsi s'expliquent les taux d'intérêt usuraires des cartes de crédit, les saisies d'entreprises privées de liquidités en cas de difficultés, la promotion de l'actionnariat, la fraude aux entreprises, la manipulation des marchés et l'utilisation de systèmes pyramidaux comme la fameuse « pyramide de Ponzi ».

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Pour reprendre le titre du chef-d'œuvre de Weber, on pourrait à juste titre parler d'accumulation par expropriation et du nouvel esprit de l'ordre capitaliste. Cette dépossession ne se limite d'ailleurs pas aux leviers de l'extraction financière, mais se détermine - explique Harvey - également dans de nombreuses autres figures connexes (« privatisation », « gentrification », « réclusion de masse ») ; au premier rang de celles-ci - surtout après 1989 et l'effondrement du Weltdualismus (dualisme mondial) - figure le retour de l'impérialisme atlantiste sous ses formes les plus brutales. Harvey lui-même le reconnaît dans Perpetual War (2003) et, à côté de lui, Giovanni Arrighi dans The Long Twentieth Century (1994) et dans Adam Smith in Peking (2007) : hors des frontières de l'Occident, le capital utilise à nouveau la violence de l'expropriation directe, appelée pieusement « privatisation », sous des formes qui ne sont pas si différentes de celles étudiées par Marx, à propos de l'« accumulation originelle », dans le chapitre 24 du premier livre du Capital. Marx lui-même, en revanche, nous enseigne que « l'hypocrisie profonde et la barbarie intrinsèque de la civilisation bourgeoise apparaissent devant nous sans voile lorsque de la métropole, où elles revêtent des formes respectables, nous tournons les yeux vers les colonies, où elles sont nues ».

A titre d'exemple, il suffit de rappeler le travail de la civilisation du dollar dans l'Irak occupé par les troupes de l'impérialisme en 2003. Le politicien Paul Bremer a publié quatre ordonnances prévoyant la privatisation totale des entreprises d'État, la propriété privée totale des activités économiques irakiennes par des sociétés étrangères, le rapatriement total des bénéfices réalisés par les sociétés étrangères, l'ouverture des banques irakiennes au contrôle étranger, l'égalité de traitement entre les sociétés étrangères et les sociétés nationales et la suppression de la quasi-totalité des obstacles au commerce. Le premier laboratoire de ces stratégies soutenues par Washington avait été le Chili de Pinochet.

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En résumé, l'oligarchie ploutocratique néolibérale se présente comme une aristocratie extractive, puisqu'elle s'enrichit en extrayant la richesse du corps social sans contribuer d'aucune manière à sa production. Elle apparaît ainsi, à toutes fins utiles, comme la Parasitenklasse (classe parasitaire) évoquée par Marx. L'accumulation par dépossession - ou, si l'on préfère, « l'accumulation dominée par la finance » (finanzdominierte Akkumulation) - propre à la phase absolue, repose sur l'hypothèse que la forme la plus rapide et la plus immédiate d'enrichissement consiste à soustraire de la richesse ou, plus précisément, à l'extraire par la contrainte: cela s'obtient, concrètement, en spoliant les épargnants et les investisseurs, en vidant les banques (après avoir empêché l'utilisation des liquidités et, donc, la fuite de l'épargne), en pillant les « actifs » (les « assets », comme les appelle le néo-langage) des entreprises et des Etats par le recours à des emprunts meurtriers.

In specie, le système de crédit tisse une toile d'obligations pour le débiteur de telle sorte que, finalement, la personne endettée n'a pas d'autre choix que de céder ses droits de propriété au prêteur. Cette stratégie, en revanche, était déjà connue de Marx, qui la mentionne fréquemment dans le troisième livre du Capital. Par exemple, lorsque des hedge funds - fonds spéculatifs - prennent le contrôle d'entreprises pharmaceutiques, ils achètent d'immenses quantités de maisons saisies et les mettent ensuite à la disposition des consommateurs qui en ont besoin à des prix exorbitants, organisant scientifiquement l'accumulation par l'expropriation. Il arrive souvent, en effet, que les crises laissent dans leur sillage une masse d'actifs dévalués, qui peuvent ensuite être obtenus à des prix avantageux par ceux qui ont les liquidités pour les acheter : c'est ce qui s'est passé en 1997-1998 en Asie de l'Est et du Sud-Est, lorsque des entreprises parfaitement saines ont fait faillite par manque de liquidités et ont été rachetées par des banques étrangères, pour être ensuite revendues avec des profits impressionnants.

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Si la bourgeoisie entrepreneuriale générait la richesse par le travail et son exploitation, les élites mondialistes sans frontières s'enrichissent par la dépossession aux dépens des travailleurs et des classes moyennes non libéralisées. Elles extraient la richesse du corps social productif et ne contribuent pas à la production de cette richesse : en d'autres termes, elles ne participent pas au travail qui la produit, ce qui les rapproche - mutatis mutandis - de l'ancienne aristocratie de l'Ancien Régime. Les maîtres de la finance techno-féodale, qui gèrent la création monétaire privée à des fins privées (cachées et exemptes de toute responsabilité), dirigent la domination parasitaire et extractive du produit et du travail d'autrui. En vue de cet objectif conforme à leur domination de classe, les globocrates - habitués à vivre « sur l'argent des autres », pour reprendre la formule de Luciano Gallino - opèrent le détournement prédéterminé du crédit de l'économie productive vers la finance spéculative, processus qui est suivi par la désindustrialisation, le désinvestissement, la baisse des salaires et les licenciements.

Les classes moyennes et populaires, quant à elles, sont contraintes de travailler et de payer des impôts très élevés pour enrichir une classe financière mondiale qui a le monopole de la création des symboles monétaires et qui, en échange de ses prêts, retient, sous la formule de l'intérêt usuraire, une grande partie du produit du travail. La finance elle-même, dans sa dynamique essentielle, opère en favorisant le passage de la fabrication bourgeoise à l'hégémonie des multinationales post-bourgeoises et de leurs monopoles. Cela conduit à cette inversion mortelle entre la finance et l'industrie déjà décrite, dans ses caractéristiques les plus particulières, par Lénine et, bien que d'une manière différente, par Rudolf Hilferding dans son Finanzkapital (1923).

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Tous deux, bien que dans des perspectives différentes, avaient pleinement décrypté le quid proprium du capital financier et son remplacement de la primauté des industriels par celle des banquiers. L'industriel bourgeois est impliqué et proche des processus productifs, et dirige la coopération (dans le chapitre XXIII du Capital, Marx utilise l'exemple du chef d'orchestre) ; le banquier, en revanche, est éloigné de la production et n'est pas lié à ses éventuelles tragédies (en fait, il a souvent tout intérêt à ce qu'elles se produisent).

Comme toutes les activités de rente, la finance fonctionne aussi selon la figure de l'actio in distans: elle s'abstrait de la production et gouverne à distance, sans se montrer, en agissant de manière parasitaire par rapport à la production réelle et à la société dans son ensemble. La finance, en outre, ne s'intéresse pas à la construction de la stabilité et, en fait, vit de l'instabilité et de la précarité, selon les fondements de la nouvelle forme d'accumulation flexible que nous avons analysée dans notre livre Histoire et conscience du précariat (Ed. esp. 2021).

Contrairement à ce que le regard idéologiquement contaminé détecte habituellement, le capital financier n'opère pas dans une terra nullius indéterminée, ni ne génère de la richesse à partir de rien : en réalité, il extrait de la valeur du bien commun de la société et, en général, de la « classe qui vit du travail », c'est-à-dire du serf précarisé. Le capital financier liquide se présente ainsi comme un puissant appareil d'expropriation faussement anonyme. Il opère en transférant des biens publics tels que les chemins de fer et l'eau, les lignes téléphoniques et le patrimoine culturel dans des mains privées, libérées de toute localisation nationale. On peut également en déduire l'analogie avec les processus d'« accumulation originelle » décrits par Marx dans Le Capital.

Ce n'est qu'à cette lumière que l'on peut expliquer la soi-disant crise américaine de 2007, ainsi que - pour rester en Europe - la perte d'environ quarante pour cent du pouvoir d'achat du peuple italien avec le passage de la lire à la monnaie unique de l'euro (on peut dire à peu près la même chose du peuple espagnol). Le capitaliste bancaire-monétaire apparaît comme un faiseur d'argent et, en même temps, comme un donneur d'argent : il crée de l'argent ex nihilo et le prête dans le but évident d'endetter les « bénéficiaires ». Elle prélève non seulement les fruits du travail, mais aussi l'épargne de l'ensemble de la classe dominée.

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Par essence, la finance produit de la « richesse » en créant de l'argent à coût nul. Mais en réalité, elle crée du papier et non de la richesse : avec la conséquence évidente que la richesse qu'elle obtient doit être soustraite, par des impôts et des artifices usurocratiques, à ceux qui la produisent réellement, c'est-à-dire au précariat en tant que classe qui vit du travail. Dans son aspiration à dominer la planète entière au nom du profit et de la croissance infinie, la classe mondiale des seigneurs de la finance a imposé des modifications de la fiscalité à son profit exclusif. En Occident, la progressivité de l'impôt diminue progressivement, depuis 1989, au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie des comptes bancaires. La classe moyenne bourgeoise en voie d'illicitisation se voit prélever en moyenne 45% de ses modestes revenus. Bref, dans une synthèse plausible, alors que le travail est de plus en plus taxé, la spéculation financière et les grandes affaires de l'aristocratie financière restent non taxées et non contrôlées, le plus souvent sous la forme d'une véritable légalisation de l'évasion fiscale.

De leur côté, les multinationales, leurs actionnaires et leurs PDG paient des impôts fixés à des chiffres dérisoires, allant régulièrement de 1 à 5% (et qu'ils évitent, quand ils le peuvent, en utilisant les « paradis fiscaux »). Tout employé du colosse Amazon est taxé dix fois plus que la même multinationale multimilliardaire pour laquelle il travaille. Sous cet aspect, la lutte contre l'évasion fiscale, toujours invoquée comme une figure de la justice universelle, est ponctuellement menée par l'Etat libéral contre les classes moyennes et populaires au profit de la classe financière mondiale. Loin d'être une garantie de justice universelle, la « lutte contre l'évasion fiscale », telle qu'elle est gérée par l'ordre néolibéral, apparaît comme l'un des nombreux instruments du massacre des classes opéré par les cagoulards de la finance et par l'Etat libéral à leur service.

En témoigne le fait que la possibilité d'évasion fiscale des classes moyennes et populaires, quand elle n'est pas rendue impossible par une fiscalité qui pille les salaires avant même qu'ils ne soient perçus (c'est le cas de l'emploi public, en voie de démantèlement au nom de la raison libérale), est poursuivie comme une règle de droit, là où l'évasion des géants du commerce cosmopolite, des usuriers de la finance spéculative et des multinationales massives, est admise comme une règle de droit. Cela confirme, pour la énième fois, que le droit, dans l'ordre des rapports capitalistes, ne garantit pas la justice universelle, mais les intérêts de la classe dominante, dont il « juridifie » et « légalise » la domination.

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