L’Etat a décidé que la culture n'était plus un investissement coûteux, mais un revenu financier direct et immédiat. "Pour la première fois, explique l'écrivain Giorgio Van Straten, le budget en tant que valeur absolue arrive sur la scène des idées. C'est l'épilogue d'une révolution politique qui mène de la qualité à la quantité, de la civilisation à la publicité." Au moment où son intervention serait plus que nécessaire, l'Etat frappe la culture au nom de la crise et de la rigueur. (...) Dans les trois ans à venir, les restrictions budgétaires atteindront le record de 1 milliard d'euros. L'Italie, qui détient 60 % des œuvres de l'art antique occidental, sera dans l'incapacité d'entretenir son patrimoine. La Toscane compte à elle seule 615 musées, soit un musée pour 6 000 habitants, le record planétaire absolu. Florence accueille trois des dix œuvres d'art les plus connues au monde, sept des galeries les plus visitées d'Italie, cinq des trente musées les plus fréquentés d'Europe. Un étranger sur deux vient en Italie pour découvrir l'art toscan. L'Italie, le pays du G8 le plus riche sur le plan culturel, occupe la dernière place en matière d'investissements. Aucun de ses musées ne fait partie des vingt premiers du monde en nombre de visiteurs ; pas une seule université italienne ne se trouve parmi les 190 meilleures mondiales en termes de ressources disponibles. Au sein de l'UE, l'Italie occupe la 17e place en ce qui concerne les financements attribués à la culture, la 28e pour l'innovation, la 24e pour la formation et la 29e pour la recherche.
En Italie, c'est la première fois qu'une réflexion sur le destin de la culture inspire de la crainte aux interlocuteurs. La nomination, au lendemain de l'annonce des restrictions, de Mario Resca, ancien dirigeant de McDonald's, comme "supermanager" à qui le ministre de la Culture a demandé d'imiter le modèle du Louvre à Abou Dhabi, n'est qu'une goutte d'eau. En réalité, dans la politique contemporaine, la place de la culture – qui est la source même du savoir – est déjà occupée. "Il y a déjà la télévision commerciale et la publicité, précise Aldo Schiavone, président de l'Institut supérieur de sciences humaines. ''Nous sommes à la fin d'un long processus de 'déséducation' : l'histoire de l'art est devenue un prétexte pour le tourisme et les spéculations immobilières ; le passé culturel, un vecteur de crédibilité pour une classe politique qui a perdu tout son prestige à l'étranger. Ce n'est plus notre culture qui est en jeu, mais notre démocratie.''"
"Une classe dirigeante médiocre, renchérit Mario Lolli Ghetti, le directeur du Patrimoine de la Toscane, survit si elle réduit le pays à son propre niveau. Elle présente la culture comme quelque chose qui doit dégager des bénéfices, pour la vider de son sens. Si même le David de Michel-Ange devient une marque, il n'y a plus de différence entre l'art et le marketing. Dans les institutions de protection du patrimoine, l'âge moyen est de 54 ans. Il y a plusieurs années que l'Etat n'assure plus – et interdit même – le remplacement des intellectuels, qui doivent fournir le ciment de l'unité d'un peuple." »
La Reppublica, janvier 2009