Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 30 avril 2018

Agriculture et écologie : cap vers la réconciliation !

agri.jpg

Agriculture et écologie : cap vers la réconciliation !

par Thierry DUROLLE

L’écologie semble être devenue omniprésente. En fait, il faudrait plutôt parler d’environnementalisme et/ou de Shallow Ecology dans le pire des cas (c’est-à- dire en français « écologie superficielle », soit le contraire de la Deep Ecology – ou écologie profonde – popularisée par le penseur norvégien Arne Naess). Cette écologie-là, c’est celle du développement durable, de la COP 21, des bons sentiments bobos et de tous ceux qui croient que l’on peut concilier écologie et croissance. La question écologique entre en considération dans de nombreux domaines, comme c’est le cas pour la croissance économique. Sauf qu’il y a plus important que le PIB dans la vie ! Dans un soucis de santé et de respect de l’environnement, une remise en question sur les relations écologie/agriculture nous semble primordiale.

Dès qu’on se penche sur la question agricole, celle-ci rentre a priori en collision avec l’impératif écologique. En effet, suite à la fameuse « Révolution verte », l’agriculture majoritaire en France et en Europe est devenue productiviste. Ses principes et ses méthodes répondent avant tout aux lois du marché, et ce, au détriment des agricultures. D’ailleurs il suffit de suivre l’actualité pour constater la détresse et le mécontentement du monde agricole. Rien de bien nouveau cependant. Les mouvements de contestations paysannes, des jacqueries aux « Chemises vertes » d’Henri Dorgères (1897 – 1985), parsèment l’histoire de France. L’épreuve annuelle du Salon de l’agriculture effraie plus d’un président de la République française. Le résultat final tient de la catastrophe : l’environnement est meurtri pour fabriquer en masse de la nourriture qui ne nourrit plus, au détriment de la santé des agriculteurs et de la nôtre.

Agriculture et écologie sont-ils inconciliables ? Ou plutôt irréconciliables ? À lire le Manifeste pour une agriculture durable de Claude et Lydia Bourguignon, une solution réaliste redevient possible. Ce couple de microbiologistes qui a quitté l’INRA en 1989 a pour cheval de bataille la restauration des sols qui se trouvent selon eux dans un état calamiteux. Ils sont les auteurs d’un livre très complet sur le sujet (1); mais, conscients de l’aspect politique de la chose, l’écriture d’un opuscule direct et sans langue de bois devenait sans doute urgent.

Dans l’introduction, le couple Bourguignon montre qu’il a compris d’où vient le problème. « Le modèle de la mondialisation a créé une inégalité insupportable entre les mégalopoles qui s’enrichissent et les campagnes qui se désertifient et s’appauvrissent (p. 11) », propos qui rejoint celui de Christophe Guilluy. Ils ajoutent qu’« il faut soumettre la mondialisation aux lois universelles qui gèrent l’environnement et donc l’agriculture (p. 15) » en plaidant notamment pour un programme agricole mondial, écueil typique d’une certaine écologie il est vrai. « L’agroécologie doit servir de socle à la politique mondiale agricole (p. 65). » Paradoxe des altermondialistes qui prônent le respect des particularismes mais ne peuvent s’empêcher de raisonner de manière unilatérale… Nous pourrions également nous interroger sur le sens du terme « mondialisation » employé par les auteurs. Entendent-ils par-là la somme des procédés techniques permettant des échanges de flux à travers le globe en un minimum de temps, ou alors, le mondialisme en tant qu’idéologie cosmopolite qui prône un village global peuplé de « citoyens du monde » ? Sûrement les deux en fait, car les deux concepts ne se contredisent nullement; mieux ils se complètent. Au final Claude et Lydia Bourguignon s’orientent plus vers un altermondialisme naïf et plein de bons sentiments qu’autre chose…

Nous mentionnions plus haut la « Révolution verte », chamboulement de la conception d’agriculture qui résulta via une évolution technique – une involution serait un terme plus adéquat – à la possibilité productiviste. Qu’est-ce qu’en définitive que la « Révolution verte » ? Elle consiste en la reconversion en produits phytosanitaires principalement de produits destinés à l’armement et à la guerre. « À la sortie de la guerre, l’industrie militaire trouve dans l’agriculture le recyclage civil de ses produits. Les nitrates des bombes deviennent les engrais, les gaz de combat les pesticides, les barbelés remplacent les haies dont les arrachages sont subventionnés et les tanks sont transformés en tracteurs qui supplantent les attelages de chevaux. Ce processus se répète encore plus violemment après la Seconde Guerre mondiale, avec le plan Marshall qui déverse dans l’agriculture française le matériel recyclé des USA (p. 18 – 19). »

Bourguignon.jpg

L’usage d’engrais, mais aussi l’irrigation et le labour des sols vont se révéler catastrophiques pour ces derniers. La monoculture intensive épuise littéralement la terre qui, du coup, s’appauvrit au niveau de sa faune et des micro-organismes comme les champignons, dont la présence est capitale. Les auteurs constatent également un autre type de pollution des sols, à savoir « les fosses septiques, le tout-à-l’égout et la méthanisation (p. 23) ». En effet, autrefois les déchets organiques que nous produisions retournaient à la terre; dorénavant cette matière organique fait défaut aux sols.

Autres phénomènes préoccupants : le bétonnage des terres agricoles et leurs achats par des pays et/ou firmes étrangères. « En France, nous bétonnons un département tous les sept ans. Pendant cette période, nous augmentons de 2 millions d’habitants et nous retirons à la France une surface agricole capable de nourrir 1,5 millions de citoyens. Cela nous éloigne chaque année de la possibilité d’assurer notre sécurité alimentaire […]. Sur l’ensemble de la planète, ce sont 5 millions d’hectares qui disparaissent tous les dix ans sous le bitume et le béton (soit la surface de la France) au nom du “ progrès ” (pp. 25 – 26). »

Enfin, il faut noter les problèmes liés à la spéculation sur les denrées alimentaires (Henry Dorgères dénonçait déjà ces pratiques durant les années 30) mais aussi le pouvoir des semenciers.

Claude et Lydia Bourguignon, dans la deuxième partie de leur manifeste, proposent donc des solutions, fruits de leur études de microbiologistes. Elles s’inscrivent bien entendu dans une logique écologique, mais laissent de côté ces tartes à la crème que l’on nomme « développement durable » ou « capitalisme vert ». L’idée que se font les auteurs de l’agriculture a de quoi nous plaire. « Nous proposons, pour tenir compte de tous ces aspects, de définir l’agriculture comme étant une gestion, présente et future, d’un écosystème naturel, en vue de produire des aliments sains qui sont le reflet qualitatif et gustatif du “ Terroir ” (p. 37). » Vue à long terme, respect de la dynamique de la biosphère, enracinement et qualité, soit le contraire des logiques agricoles actuelles. La santé des sols est la spécialité des auteurs; il est donc logique qu’une partie du manifeste y soit consacré. Cependant nous ne rentrerons pas dans les explications purement techniques dispensées par Claude et Lydia Bourguignon. Ces dernières, accessibles et bien expliquées, synthétisent les mesures à prendre pour régénérer nos sols. Ils sont réalisables pour le particulier qui cultive son potager. En revanche, l’agriculteur devra repenser intégralement ses méthodes à une échelle supérieure. Les époux Bourguignon ne sont pas sots et le savent bien. Une aide à la transition agro-écologique restera à être définie. Ils en appellent aux politiques qui gèrent l’Hexagone. Malheureusement nous ne croyons pas que cet appel soit entendu, exception faite de quelques « écotartuffes » d’Europe Écologie – Les Verts

Nous ne pouvons que souscrire au bon sens des auteurs. Le respect des sols – donc de leurs particularités – au sein d’un terroir, d’un pays comme dirait Bernard Charbonneau, s’inscrit en définitif dans la logique de ce que l’on peut appeler le biorégionalisme. Alors certes, l’altermondialisme des auteurs nous laisse de marbre. Nous lui opposerions plutôt une logique de grand espace européen autarcique, bien qu’il s’agisse, nous le savons, d’un vœu pieux. Le ton de l’ouvrage est de facture scientifique, bien que le propos soit accessible aux incultes des sciences agronomiques (ce qui est notre cas). Bien que nous le conseillons aux lecteurs, nous lui préférons volontiers le livre de Masanobu Fukuoka (1913 – 2008), La révolte d’un seul brin de paille (2), ouvrage datant de 1975, à la teneur plus « traditionnelle » dont le « non-agir » extrême-orientale est le maître-mot.

Thierry Durolle

Notes

1 : Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs, Éditions Sang de la Terre, 2008, 224 p.

2 : Masanobu Fukuoka, La révolution d’un seul brin de paille. Une introduction à l’agriculture sauvage, préface de Wendell Berry, Guy Trédaniel Éditeur, 2005, 202 p.

• Lydia et Claude Bourguignon, Manifeste pour une agriculture durable, Actes Sud, 2017, 80 p., 9 €.

lundi, 15 décembre 2008

Baldur Springmann: paysan de corps et d'âme

spring.jpg

 

Baldur Springmann: paysan de corps et d'âme

 

"Paysan de corps et d 'âme" : telle était la devise du mouvement écologiste dans les années 70 et 80. Baldur Springmann l'a incarnée pendant toute sa vie. Dès l'âge de 15 ans, il ne voulait pas reprendre l'usine de vis qu'avait fondée son grand-père à Hagen en Westphalie. . Baldur Springmann voulait être très proche du “pouls de la vie”, devenir un “paysan de corps et d'esprit”, comme l'annonce d'ailleurs le titre de son autobiographie en deux volumes.

 

Sa part d'héritage, Baldur Springmann l'a investie dans une ferme en ruine du Mecklembourg, mais après la deuxième guerre mondiale, il a dû l'abandonner avec sa famille et, réfugié totalement démuni, recommencer tout à zéro à Geschendorf dans le Holstein. Une pratique agricole s'est généralisée dans notre après-guerre, qui inquiétait Baldur Springmann: l'usage croissant de produits et d'engrais chimiques dans l'agriculture. Dès 1954, pour s'opposer à cette tendance, Springmann transforme sa dynamique entreprise en ferme biologique. l'on raisonne en termes écologiques, on induit logiquement un projet de réno­vation sociale, explique “Bio-Baldur”. En 1972, il fait de sa ferme —le “Hof Springe”—  une coopérative produc­teur/consommateurs, où les consommateurs, en tant que co-propriétaires, fixent les prix, de façon a maintenir la ferme en bon état de viabilité économique. Via un organisme s'occupant du service civil pour les objecteurs de conscience désirant travail­ler dans l'agriculture écologique, Baldur Springmann a pu engager des volontaires de ce service civil dans sa ferme, afin qu'ils mettent en pratique leur idéal “de paix avec la nature”.

 

Pourtant, Springmann n'était pas bien vu dans les milieux des politiciens verts, car il vivait en paix avec son propre peuple, il ne voyait pas en son peuple allemand l'incarnation du mal absolu. Pendant la guerre, Baldur Springmann avait été chef de bat­terie et capitaine-lieutenant dans la marine. Il n'a pas cru bon de se donner et de se fabriquer un faux passé de résistant. Les politiciens verts lui reprochait sa “Deutschtümelei”, son patriotisme doux et archaïsant, lié à un amour de la nature et des pay­sages allemands, mélange de “patrie et de matrie”. Ces acquis traditionnels font partie intégrante, dit Springmann, d'une cul­ture du dialogue qui transmet à l'autre et reçoit de l'autre en parfaite réciprocité, harmonie et symbiose. Fondateur et pionnier du mouvement vert en Allemagne, Springmann s'aperçoit au début des années 80 que les groupes communistes-maoïstes s'emparent des positions-clefs dans le mouvement écologiste: il décide de quitter le parti. Il participe à la fondation d'un nou­veau parti écologique, l'ÖDP, mais abandonne rapidement le travail politique. En 1981, son épouse Ille meurt, laissant Baldur dans un chagrin qu'il essaie de sublimer dans de nouvelles découvertes spirituelles et dans la rencontre avec d'autres per­sonnes. Mais quand il s'agit de co-organiser des manifestations de protestation contre des pratiques anti-écologiques, “Öko-Opa” (Eco-Papy), bien alerte, remonte sur la brèche. Encore aujourd'hui.

 

Le mouvement des Verts avait commencé dans l'enthousiasme; il voulait un dépassement du capitalisme industriel moderne. Mais il s'est enlisé dans les méandres de la politique politicienne de Bonn. Mais l'alternative concrète, écologique, sociale et populaire de Springmann nous interpelle encore et toujours, elle demeure une véritable pro-vocation, qui s'adresse à chacun d'entre nous.

 

Le 31 mai 1997, Baldur Springmann fêtait son 85ième anniversaire.

 

Ingrid MOUSEK.

(article paru dans Junge Freiheit, n°23/97; trad. franç. : Robert Steuckers).