Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 02 janvier 2022

Ernst Jünger et son soutien aux soulèvements anti-bourgeois et paysans de 1929

akg118216_0.jpg

Ernst Jünger et son soutien aux soulèvements anti-bourgeois et paysans de 1929

Nous publions ici la lettre que l'écrivain allemand a écrite à Bruno von Salomon, l'animateur du mouvement de lutte, dans laquelle l'auteur d'Orages d'acier se reconnaît dans une perspective et une interprétation nationales-révolutionnaires.

par Antonio Chimisso avec une lettre d'Ernst Jünger

Source: https://www.barbadillo.it/102224-junger-rivolte-contadine/?utm_campaign=shareaholic&utm_medium=facebook&utm_source=socialnetwork&fbclid=IwAR3YMvvNowkBAJKcTNJYeu495pi4Fgf9v-XeUTw6HyPXMBCkCFPUfUsKGpc


Le 10 septembre 1929, Ernst Jünger écrit à Bruno von Salomon, l'une des figures de proue du Landvolkbewegung, le mouvement qui a été le protagoniste, à la fin des années 1920, des révoltes paysannes qui ont débuté dans le Schleswig-Holstein et se sont ensuite étendues à la majeure partie de l'Allemagne du Nord.

Le même jour, Bruno von Salomon a été arrêté ainsi que Claus, Rönne et Heide Heim, Johson, Bodo Uhse, soit un total de vingt arrestations. Le lendemain, les trois autres frères von Salomon, Ernst, Hörst et Günther, la secrétaire du capitaine Ehrhardt et future épouse de Hartmut Plaas, Sonja Laankens, Hans-Gert Techow, Werner Lass et Hans Sadowski, subissent le même sort.

Landvolkbewegung_1928.jpg

Ils sont tous accusés d'être responsables des attentats qui caractérisent les manifestations qui se succèdent depuis quelques mois, dans un crescendo continu ; une vingtaine de bombes ont explosé, endommageant des mairies, des palais de justice et les domiciles d'importantes personnalités publiques. Le 1er septembre, Ernst von Salomon et Walter Muhtmann créent l'état d'alerte en plaçant une fausse bombe à côté du Reichstag à Berlin, une période de grande tension dont von Salomon se souviendra bien des années plus tard comme étant vraiment amusante, un "Spass". Quelques jours plus tôt, une bombe a explosé et endommagé l'hôtel de ville de Lüneburg, en Basse-Saxe.

Bruno von Salomon a sans aucun doute été l'un des organisateurs de l'activité terroriste, tandis que son frère Horst apportait les explosifs depuis la Rhénanie.

Sans préambule ni prétention, Jünger déclare ouvertement que ce "mouvement concret", au caractère nettement national-révolutionnaire, est le premier auquel il se sent réellement appartenir. Il poursuit en soulignant qu'il était "très important de posséder les feux dans lesquels entretenir le feu de l'anarchie".

Le résultat positif du mouvement de révolte, selon Jünger, est d'avoir forcé les nationaux-socialistes à montrer et à révéler leur véritable orientation bourgeoise et si ceux-ci devaient un jour emporté la victoire, pour eux et pour d'autres formations d'extrême-droite alliéés, ils auraient certainement éluder ce conflit pour faire leure une politique inacceptable qui ne pouvait être que pro-occidentale en politique étrangère et nationale-conservatrice en politique intérieure.

Les nationaux-socialistes, dans une attitude de légalité absolue et de respect des lois de l'État, avaient en effet obtenu l'interdiction absolue des relations entre leurs membres et les représentants des révoltes paysannes, et étaient allés jusqu'à mettre une récompense de 10.000 R.M. sur la tête des poseurs de bombes. Leur politique a été récompensée par un grand succès lors des élections suivantes avec des pics de plus de 80% dans les districts au cœur de la révolte.

La vision euro-asiatique et anti-bourgeoise d'Ernst Jünger, dont l'ouvre Le Travailleur (Der Arbeiter) allait bientôt devenir l'expression intellectuelle directe, était donc très claire. 

Des positions similaires en faveur des rebelles sont également prises à la même époque par son frère Friedrich Georg, qui voit dans ces révoltes l'espoir de "porter tout un système politique jusqu'à l'absurde" afin de "faire partir en fumée le consortium européen pour l'épuisement pacifique de l'Allemagne".

En réalité, Jünger ne participe pas directement aux activités politiques ; en effet, la même année, il publie Le cœur aventureux, ce qui provoque une rupture avec le monde révolutionnaire national, qui accueille le texte avec scepticisme, le considérant comme un choix esthétique et trop intellectuel. En réalité, la ligne qui caractérisera une grande partie de l'œuvre de l'écrivain allemand apparaissait déjà, parfaitement résumée dans la figure de l'Anarque, qui dans une solitude absolue, avec sa hache, cherche et trace de nouveaux chemins dans la forêt vierge. Ce seront ensuite les autres, vers lesquels sa recherche est toujours dirigée, qui devront trouver ces chemins, les comprendre et finalement les suivre.

170px-Schoenthan_doris_v_1927.jpgBruno von Salomon est libéré de prison après quelques mois, faute de preuves suffisantes, et rejoint le KPD, considérant le parti communiste comme le seul moyen de combattre l'ennemi principal, le capitalisme. Ce choix a entraîné sa rupture avec son frère Ernst, avec lequel il n'a pas eu de relation pendant une vingtaine d'années. Il a épousé Doris von Schönthan (photo), une belle femme qui était un élément moteur de la vie sociale allemande dans les années 1920 et qui, comme Bruno, a émigré en 1933. Il a participé à la guerre d'Espagne dans les Brigades internationales et à la résistance avec les partisans communistes français. En 1947, Ernst entend à nouveau parler de son frère par Alfred Kantorowicz: il vit en grande difficulté en France, et en 1949, il demande à Bodo Uhse de venir en aide à Bruno (cf. lettre de E.v.S. à B. Uhse du 28.3.49 dans Verwischte Grenze, p. 551, édité par Claudia Scheufele et Helmut Kiesel à Heidelberg en 2013). Il ne le revit qu'en 1951, lorsqu'il se rendit à Paris pour présenter l'édition française du Questionnaire. Le trouvant en grande misère financière et les poumons irrémédiablement endommagés par la tuberculose, il le ramène en Allemagne. Bruno von Salomon est mort en 1952 dans un sanatorium. Ses funérailles ont été l'occasion de retrouver de nombreux survivants des cercles révolutionnaires nationaux d'avant-guerre et de nombreux paysans du Landvolkbewegung. Ernst n'était pas présent en raison de ses obligations professionnelles à Munich, mais sa femme Lena l'était. L'oraison funèbre a été prononcée par Heinz Liepmann et Claus Heim.

La lettre d'Ernst Junger à Bruno von Salomon

Cher Monsieur von Salomon !

Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez m'envoyer de temps en temps du matériel sur le Landvolk (1). C'est le premier mouvement concret auquel je participe vraiment. J'aimerais aussi venir dans le Holstein un jour, s'il y a quelque chose à voir là-bas, afin de me faire une idée des gens.

Je salue et considère comme positif le fait que ce travail oblige les nationaux-socialistes, ou du moins leurs dirigeants, à révéler leur essence bourgeoise cachée. Espérons que le mouvement pourra être maintenu dans une mobilisation constante et lente ; il est évidemment trop petit pour qu'on lui demande de provoquer des changements politiques de grande envergure, et il ne peut certainement pas être exploité à cette fin maintenant, mais il fournit une lumière claire qui permet même aux esprits simples de voir très clairement les malentendus dans lesquels nous vivons. Ce qui est bien avec les actions, c'est qu'elles nous obligent à prendre position. Ici, on ne peut pas s'en sortir par le seul militantisme. Il est très important de posséder les foyers dans lesquels le feu de l'anarchie est entretenu. Dans la situation actuelle, une anarchie latente et sans nom est plus précieuse que des explosions ouvertes. Il est très positif qu'au point où vous en êtes, les contrastes qui séparent le nationalisme tel que nous le comprenons de l'extrême droite soient déjà clairement visibles. Et il n'y a aucun doute qu'un jour, cela apparaîtra au grand jour et ce n'est qu'alors, en cas de victoire de Hitler, Seldte (2) et Hugenberg (3), ce qui ne signifierait que la poursuite de la politique étrangère pro-occidentale et de la politique intérieure nationale-bourgeoise, que notre front de bataille prendra sa véritable signification. Mais le travail préparatoire et la différenciation peuvent déjà avoir lieu maintenant, d'une part par la clarification, d'autre part par l'action.

L'attitude de la presse communiste est en effet surprenante, ces personnes semblent être une sorte d'agents de sécurité volontaires de l'autorité étatique. Mais au moins, j'y ai lu des choses plus appréciables que chez les nationaux-socialistes.

Bien à vous

Votre dévoué EJ

In Werke und Korrespondenz Ernst Jünger in Dialog, page 185, Revue du Centre de Recherche et de Documentation Ernst Jünger, Belleville

mercredi, 16 avril 2014

Les drapeaux noirs du mouvement paysan (1929-1931)

Jan Ackermeier:

Les drapeaux noirs du mouvement paysan (1929-1931)

Sur l’histoire du “Landvolkbewegung” 

big_21308835_0_300-225.jpgAprès la première guerre mondiale, la plupart des paysans allemands affrontaient d’énormes difficultés économiques. Afin de pouvoir vaille que vaille fournir en vivres la population, l’agriculture allemande, au début de la République de Weimar et jusqu’en 1922, avait été contrainte d’accepter de gré ou de force une politique dirigée, contraignante. Cette politique avait suscité un rejet général de la jeune République dans de larges strates de la paysannerie qui votait traditionnellement pour les formations conservatrices ou libérales.

Cette tendance négative s’est encore accentuée pendant les années de la grande inflation (1922 et 1923). Dans un premier temps, les paysans, en tant que propriétaires de terrains et de biens tangibles, avaient profité de la dévaluation de la devise allemande; plus tard toutefois, avec l’introduction du “Rentenmark” en 1923, ils ont dû endurer de lourds sacrifices économiques. C’est surtout lorsqu’il a fallu couvrir la nouvelle devise par des hypothèques imposées par les autorités publiques sur les propriétés foncières dans le domaine agricole que le rejet s’est fait général: cette politique a été perçue comme une terrible injustice, comme un sacrifice spécial réclamé à la seule paysannerie.

Vers le milieu des années 20, les paysans ont dû faire face à un dilemme: acheter des machines agricoles pour consolider leurs entreprises jusqu’alors peu mécanisées, afin de pouvoir produire davantage et de compenser les déficits dus à l’augmentation des prix des biens industriels. Pendant les années d’inflation, les paysans n’avaient pratiquement rien pu capitaliser: ils se virent contraints, par la suite, de prendre des crédits à des conditions très désavantageuses pour pouvoir financer les nouveaux investissements nécessaires. Mais, dès 1927, on pouvait prévoir la crise économique mondiale où les prix, sur les marchés agricoles, ont chuté à l’échelle internationale; de plus, les récoltes désastreuses de 1927, dues à des conditions climatiques déplorables, ont conduit de nombreux paysans à l’insolvabilité.

C’est surtout dans le Slesvig-Holstein rural, avec un secteur largement dominé par le bétail et par les spéculations sur les produits de l’élevage, que de nombreux paysans étaient menacés. Ils ne pouvaient plus payer ni les impôts ni les intérêts. La faillite les guettait. Cette situation critique amène les paysans de la région à se rassembler dans un mouvement protestataire parce que les associations paysannes traditionnelles, le gouvernement du Reich (rendu incapable d’agir en 1928 vu sa composition politique hétérogène) ou les partis établis ne pouvaient les aider. Ce mouvement de protestation ne présentait pas de structures organisationnelles claires mais se caractérisait plutôt par une sorte de spontanéisme, où quelques paysans décidés parvenaient à mobiliser rapidement leurs homologues pour organiser de formidables manifestations de masse.

En janvier 1928, le Slesvig-Holstein est le théâtre de très nombreuses manifestations de masse pacifiques, où, certains jours, plus de 100.000 paysans sont descendus dans les rues. Les représentants de la paysannerie demandent alors au gouvernement du Reich de mettre sur pied un programme d’aide urgente. Ils échouent dans leurs démarches. La paysannerie se radicalise et, en son sein, des voix, toujours plus nombreuses, s’élèvent pour réclamer la dissolution du “système de Weimar”. Les chefs de file du mouvement avaient toujours été modérés: ils s’étaient bornés à réclamer des mesures ponctuelles dans les seuls domaines de l’agriculture et de l’élevage. Face à l’incompréhension des autorités du Reich, ces hommes modérés sont vite remplacés par des activistes plus politisés qui exigent désormais que l’ensemble du “système de Weimar” soit aboli et détruit pour faire place à une forme d’Etat populaire (folciste), aux contours encore mal définis par ses protagonistes, mais que l’on peut qualifier d’essentiellement agrarien.

A la fin de l’année 1928, le mouvement prend le nom de “Landvolkbewegung” (“Mouvement du peuple de la terre”), sous la direction de Claus Heim, du pays de Dithmarschen, et der Wilhelm Hamkens, d’Eiderstedt. Tous deux financeront et publieront un journal, “Das Landvolk”, ainsi que des “associations de garde” (“Wachvereiningungen”), sorte de troupes paramilitaires animées par d’anciens combattants des Corps Francs. Le mouvement acquiert ainsi une forme d’organisation qu’il ne possédait pas auparavant.

En 1928, Heim lance un appel à boycotter les impôts. Du coup, les protestations publiques ne sont plus passives: elles sont suivies d’actions musclées voire d’attentats terroristes. Les huissiers qui viennent saisir les biens  des paysans insolvables sont pris à partie et chassés avec violence. La petite ville de Neumünster est soumise à un boycott de la part des paysans qui refusent d’aller y acheter denrées et matériels. Les opposants au mouvement sont victimes d’attentats aux explosifs, destinés à les intimider. A la suite de ces attentats aux explosifs, les meneurs sont poursuivis par la justice et condamnés à la prison. Le mouvement est brisé.

Jan ACKERMEIER.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°11/2014, http://www.zurzeit.at ).

lundi, 15 décembre 2008

Baldur Springmann: paysan de corps et d'âme

spring.jpg

 

Baldur Springmann: paysan de corps et d'âme

 

"Paysan de corps et d 'âme" : telle était la devise du mouvement écologiste dans les années 70 et 80. Baldur Springmann l'a incarnée pendant toute sa vie. Dès l'âge de 15 ans, il ne voulait pas reprendre l'usine de vis qu'avait fondée son grand-père à Hagen en Westphalie. . Baldur Springmann voulait être très proche du “pouls de la vie”, devenir un “paysan de corps et d'esprit”, comme l'annonce d'ailleurs le titre de son autobiographie en deux volumes.

 

Sa part d'héritage, Baldur Springmann l'a investie dans une ferme en ruine du Mecklembourg, mais après la deuxième guerre mondiale, il a dû l'abandonner avec sa famille et, réfugié totalement démuni, recommencer tout à zéro à Geschendorf dans le Holstein. Une pratique agricole s'est généralisée dans notre après-guerre, qui inquiétait Baldur Springmann: l'usage croissant de produits et d'engrais chimiques dans l'agriculture. Dès 1954, pour s'opposer à cette tendance, Springmann transforme sa dynamique entreprise en ferme biologique. l'on raisonne en termes écologiques, on induit logiquement un projet de réno­vation sociale, explique “Bio-Baldur”. En 1972, il fait de sa ferme —le “Hof Springe”—  une coopérative produc­teur/consommateurs, où les consommateurs, en tant que co-propriétaires, fixent les prix, de façon a maintenir la ferme en bon état de viabilité économique. Via un organisme s'occupant du service civil pour les objecteurs de conscience désirant travail­ler dans l'agriculture écologique, Baldur Springmann a pu engager des volontaires de ce service civil dans sa ferme, afin qu'ils mettent en pratique leur idéal “de paix avec la nature”.

 

Pourtant, Springmann n'était pas bien vu dans les milieux des politiciens verts, car il vivait en paix avec son propre peuple, il ne voyait pas en son peuple allemand l'incarnation du mal absolu. Pendant la guerre, Baldur Springmann avait été chef de bat­terie et capitaine-lieutenant dans la marine. Il n'a pas cru bon de se donner et de se fabriquer un faux passé de résistant. Les politiciens verts lui reprochait sa “Deutschtümelei”, son patriotisme doux et archaïsant, lié à un amour de la nature et des pay­sages allemands, mélange de “patrie et de matrie”. Ces acquis traditionnels font partie intégrante, dit Springmann, d'une cul­ture du dialogue qui transmet à l'autre et reçoit de l'autre en parfaite réciprocité, harmonie et symbiose. Fondateur et pionnier du mouvement vert en Allemagne, Springmann s'aperçoit au début des années 80 que les groupes communistes-maoïstes s'emparent des positions-clefs dans le mouvement écologiste: il décide de quitter le parti. Il participe à la fondation d'un nou­veau parti écologique, l'ÖDP, mais abandonne rapidement le travail politique. En 1981, son épouse Ille meurt, laissant Baldur dans un chagrin qu'il essaie de sublimer dans de nouvelles découvertes spirituelles et dans la rencontre avec d'autres per­sonnes. Mais quand il s'agit de co-organiser des manifestations de protestation contre des pratiques anti-écologiques, “Öko-Opa” (Eco-Papy), bien alerte, remonte sur la brèche. Encore aujourd'hui.

 

Le mouvement des Verts avait commencé dans l'enthousiasme; il voulait un dépassement du capitalisme industriel moderne. Mais il s'est enlisé dans les méandres de la politique politicienne de Bonn. Mais l'alternative concrète, écologique, sociale et populaire de Springmann nous interpelle encore et toujours, elle demeure une véritable pro-vocation, qui s'adresse à chacun d'entre nous.

 

Le 31 mai 1997, Baldur Springmann fêtait son 85ième anniversaire.

 

Ingrid MOUSEK.

(article paru dans Junge Freiheit, n°23/97; trad. franç. : Robert Steuckers).