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dimanche, 26 juillet 2009

Le Chêne de la Vehme

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Le Chêne

de la Vehme

 

par Ulrich STEINMET

 

Entre les villes de Borken et de Dorsten, dans le vieux Land saxon de Hama, se trouve le village d'Erle, près de Raesfeld en Westphalie. Il y pousse un chêne très  ancien, qui mesure 14 mètres à la cir­conférence; ses branches s'élèvent à 15 mètres du sol.

 

Au printemps, malgré son très grand âge, ses feuilles réapparaissent, toutes vertes. Le vieil arbre doit être soutenu par des poutres qui le maintiennent de­bout et stable. Ce chêne a été planté sur le site d'un Assenkamp,  «un camp des A­ses». Les Ases sont la plus vieille fa­mil­le des dieux germaniques; elle a com­battu, avant de pacifier le monde, la fa­mil­le des Vanes, divinités symbolisant la fertilité du sol.

 

Retenons que le Chêne de la Sainte-Veh­me, avant sa christianisation toute su­per­­ficielle, était consacré à Wotan, le pè­re des dieux qui errait, monté sur son che­val Sleipnir, souvent gravé sur les pierres runiques pourvu de huit jambes; Wotan est également accompagné de deux loups, Freki et Geri, et de deux cor­beaux, Hugin et Munin, qui lui trans­met­tent la sagesse et lui rapportent tout ce qui se passe dans le monde des hom­mes. Les Indo-Européens ont tou­jours par­faitement perçu le caractère sacré des arbres; le Freistuhl, littérale­ment «siège de l'homme libre», en fait siège où s'assied le chef qui donne les di­rectives pour administrer le peuple et dit la justi­ce, est toujours situé au pied d'un grand et vieil arbre. Le Chêne de la Sainte-Veh­me, lui aussi, est le site d'une ancienne Gerichtstätte  (lieu de justice), où les li­bres communautés paysannes saxonnes venaient discuter et appliquer leurs lois.

 

Par un calcul approximatif, nous devi­nons que cet arbre, qui nous reste au­jourd'hui, devait déjà avoir été énorme au temps de Charlemagne. De nos jours, on estime qu'il doit environ avoir deux mille ans. C'est le seul arbre d'Alle­ma­gne qui reste debout et qui date d'avant le Christ. Le prédicateur chré­tien Boniface n'a sans doute jamais réussi à trouvé le Chêne de la Vehme: sinon, il l'aurait a­bat­tu lors de la chris­tianisation comme ont été abattus tous les arbres sacrés pro­pres aux cultes païens. Après la sou­mis­sion et la san­glante évangélisation des Sa­xons, Charlemagne n'a pas supprimé le Freistuhl  d'Erle mais l'a transformé en Tribunal de la Feme ou Vehme, c'est-à-dire en un des tribunaux institué par le monarque carolingien pour maintenir en état de soumission les Saxons et com­battre les païens et les hérétiques, au mo­yen de procédures secrètes, dont la lé­ga­lité était des plus discutables. De nom­breux nobles francs se sont installés, sur ordre de l'empereur, dans la région, dans le but d'empêcher toute restaura­tion de la religion et du droit des an­cê­tres. C'est la raison pour laquelle le Chê­ne d'Erle a été nommé Feme-Eiche,  Chê­ne de la Sainte-Vehme. Mais dans les proverbes de la région, on l'appelle le Ravenseiche,  le Chêne des Corbeaux.

 

Durant le Moyen Age, on a assisté à une revitalisation tacite du vieux droit ger­manique: les Westphaliens, Frisons et Saxons ont remis à l'honneur la libre ju­ridiction, propre de leur souche. Leur tribunaux étaient composés de Fri-gre­ven  (des «comtes libres»), choisis parmi les paysans libres, puis nommés par l'empereur. Ce personnel des tribunaux a fini par fusionner avec la magistrature officielle. Ceux qui n'étaient pas Fri-gre­ven  devaient se rendre à cheval au pa­lais de l'empereur pour recevoir confir­mation de leur nomination en tant que juges. Le libre banc (= tribunal) d'Erle pou­vait, lui, nommer d'office un Greve  et sept conseillers, de façon à ce que le tribunal puisse siéger au complet.

 

Pendant les XVième et XVième siècles, le pouvoir des nobles (de souche franque ou gallo-romaine) et du clergé est devenu tellement puissant que les Freistühle  fu­rent interdites. Mais pour parvenir à les interdire, nobles allochtones et clergé ont dû livrer aux libres autochtones une lon­gue lutte sanglante; au XIXième siècle en­core, les libres paysans de la ré­gion s'op­posèrent, par des émeutes et du tu­mul­te, aux lois imposées par l'arche­vê­que de Münster.

 

Témoin de l'esprit d'indépendance de la race saxonne, l'énorme plaque de pierre qui constituait le Freistuhl  proprement dit, a été déposée sur le pont de Dorsten et est devenu un monument vénéré par la population. En 1945, des soudards bri­tanniques l'ont fait basculé dans la ri­vière, au fond de laquelle elle se trouve toujours, en dépit de son importance his­torique et culturelle. L'arbre, lui, a ré­sis­té à tout. En 1928, il a fallu l'étayer de pou­tres de bois. Son tronc s'est scindé en quatre et a été renforcé par un anneau de fer. Plus tard, le chirurgien du bois, Dr. Michael Mauer, a renforcé ses racines et sa couronne. Ainsi le Chêne de la Fe­me/­Vehme peut espérer résister en­core aux défis du temps et témoigner de sa noble histoire.

 

Ulrich STEINMET.

(d'après Gedenkstätten deutscher Geschichte, Orion Heimreiter Verlag; trd. franç. d'après un extrait de cet ou­vrage paru dans la revue milanaise Orion).

00:05 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : traditions, arbre, paganisme, chênes, tradition germanique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook