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lundi, 21 novembre 2011

La chute de Berlusconi annonce la liquidation de l’ENI

 

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Filippo GHIRA:

La chute de Berlusconi annonce la liquidation de l’ENI

Washington et Londres veulent que l’Italie n’ait plus ni politique énergétique propre ni souveraineté nationale

(...) Notre pays est un pays frontière, un pont entre l’Europe et l’Afrique du Nord: depuis 1945, il a cherché, sans vraiment réussir, à reprendre pied en Afrique et à se tailler un espace autonome dans toute l’aire méditerranéenne. Bettino Craxi, par exemple, avait réussi à renouer des contacts assez étroits avec les pays du Maghreb et avec la Palestine de Yasser Arafat. Même si l’Italie est restée fidèle à l’Alliance atlantique —elle ne pouvait pas faire autrement— elle a tout de même défié les Etats-Unis à l’occasion de la prise du navire Achille Lauro et lors de l’affaire Sigonella, revendiquant fièrement sa souveraineté nationale (...). Berlusconi a accueilli dans son parti bon nombre de cadres de l’ancien PSI de Craxi, ce qui avait fini par générer une approche similiaire des rapports italo-arabes. Berlusconi avait ainsi réussi à restabiliser les rapports entre l’Italie et la Libye de Khadafi, mais si on peut juger ridicule ou embarrassante la performance de l’an passé sur la Piazza di Siena. L’Italie avait récemment pris acte du fait que la Libye, qui fut une colonie italienne, est un pays voisin avec lequel il faut avoir —quasi physiologiquement— des rapports très amicaux, qui vont bien au-delà de simples fournitures de gaz ou de pétrole. Ce n’est donc pas un hasard si ce furent nos propres services militaires (le SID) qui aidèrent Khadafi à prendre le pouvoir en 1969; ce n’est pas un hasard non plus si ce sont d’autres services italiens (le SISMI) qui ont plusieurs fois sauvé le Colonel de plusieurs tentatives de coup d’Etat, successivement soutenus par l’Egypte, les Etats-Unis ou Israël.

La récente révolution libyenne a été, en réalité une révolte financée par Washington, Londres et Paris. La fin de Khadafi, qui en a été la conséquence, a certainement été pour Berlusconi une sorte d’avertissement. Depuis la chute du Tunisien Ben Ali, que le SISMI avait aidé à monter au pouvoir, à la suite d’une intrigue de palais, le message est donc bien clair: l’italie n’a plus aucun appui sur son flanc méridional; il ne lui reste plus que la seule Russie. Et ce n’est donc pas un hasard non plus si Poutine lui-même et Gazprom, à la remorque de l’ENI, sont entrés en force en Libye pour y développer la production de gaz et de pétrole. Les tandems italo-libyen et italo-russe, consolidés par Berlusconi, ont permis de forger des liens qui risquent d’être réduits à néant, avec le nouveau gouvernement technocratique de l’Italie qui sera plus orienté dans un sens “atlantiste” et “nord-européen”.

Les liens, y compris les liens personnels, que Berlusconi avait réussi à tisser avec Poutine, ne doivent pas être simplement banalisés sous prétexte qu’ils concernent la vie privée des deux hommes d’Etat. En réalité, Berlusconi favorisait la pénétration d’ENI et d’ENEL en Russie car il se rendait parfaitement compte qu’il fallait à tout prix renforcer des liens avec le premier pays au monde disposant encore de gisements jusqu’ici inexploités de gaz et de pétrole. Cette position économico-politique était partagée par Prodi qui avait accompagné à Moscou les dirigeants de l’ENI pour aller y signer des contrats de fourniture de gaz, valables jusqu’en 2040. On y avait également signé un contrat ENEL visant l’acquisition de l’OGK-5, une des premiers groupes énergétiques nationaux.

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Autre initiative de Berlusconi et de l’ENI, qui fut très peu appréciée par Londres et par Washington: celle de torpiller la réalisation du fameux gazoduc “atlantiste”, Nabucco, que cherchaient à nous imposer les Etats-Unis pour pouvoir encercler la Russie par le Sud. Ce gazoduc, incroyable mais vrai, recevait de solides financements de l’UE. Cette initiative, patronnée par les Américains, entendait faire transiter par la Turquie et la Géorgie le gaz de l’Azerbaïdjan, pour l’acheminer ensuite vers la bifurcation de Baumgarten en Autriche, où arrivent plusieurs gazoducs russes. Berlusconi et l’ENI, au contraire, soutenaient le gazoduc “South Stream” qui part de la Russie, traverse la Mer Noire pour arriver en Bulgarie et passer par la Grèce et se diriger ensuite vers l’Italie et l’Autriche. Cette entreprise peut franchement être qualifiée d’ “eurasiatique”, d’autant plus qu’elle bénéficie d’une forte participation allemande. Mais elle est peu appréciée par les Britanniques et les Américains. Ces deux pays ne peuvent accepter qu’une nation européenne, quelle qu’elle soit, puisse normaliser des rapports trop étroits avec la Russie sur le plan énergétique, alors qu’un rapport énergétique avec la Russie est assurément plus “physiologique” que tous ceux que veulent nous imposer les Etats-Unis avec les pays arabes producteurs de pétrole qui sont leurs satellites.

La Grande-Bretagne, elle, a toujours voulu se maintenir en Méditerranée. Elle profite aujourd’hui de l’attaque de l’OTAN contre la Libye pour y revenir en force. Pour s’y asseoir encore plus solidement, elle oeuvre contre Berlusconi et contre l’ENI via les gnomes de la City. Les spéculations financières auxquelles celle-ci s’adonne, en parfaite syntonie avec Wall Street, ont fait le siège de notre pays dans le but de jeter le doute sur sa solvabilité et obliger ainsi le gouvernement en place à revoir complètement ses programmes financiers futurs. Simultanément, ces spéculations ont pour objectif de faire passer l’idée que le gouvernement en place est trop faible, s’est disqualifié, et s’avère dès lors incapable d’assainir les comptes publics et de redonner confiance au monde de la finance. Tout cela n’est que la raison apparente de la crise italienne. En réalité, nous faisons face à la tentative  —qui réussira probablement vu que c’est Mario Monti qui remplacera sans doute Berlusconi— de parachever le processus commencé en 1992 avec la fameuse Croisière du Britannia.

Le 2 juin 1992, jour de la Fête de la République, alors que la campagne “Mani pulite” (= “Mains propres”) battait son plein et donnait d’ores et déjà l’impression que la Démocratie Chrétienne (DC) et le PSI, piliers du système politique en place à l’époque, seraient bientôt balayés, une impressionnante brochette de managers des entreprises à participation étatique accepte de s’embarquer sur le yacht royal britannique pour une croisière d’un seul jour. Au cours de cette croisière, organisée par “British Invisible”, une société qui promeut les produits “made in Britain”, on explique aux managers des entreprises d’Etat  italiennes qu’il est nécessaire de privatiser. A bord, nous trouvions Mario Draghi, à l’époque directeur général du Trésor: ce fut lui qui géra par la suite les privatisations; entretemps, il prononça un discours d’introduction et fut le premier à partir. La suite des événements prouva qu’il ne s’est pas agi d’une simple conférence sur les privatisations, qui n’avait d’autres but que d’être prononcée: en automne de la même année, la City spécule contre la lire italienne qui doit être dévaluée de 30%, ce qui permettait de vendre plus aisément diverses entreprises publiques. Par la suite, avec les gouvernements Prodi, D’Alema et Amato, 70% des parts de l’ENI et de l’ENEL sont jetés sur le marché, prévoyant du même coup que 30% de la masse restante, c’est-à-dire 21% du total, seraient offerts aux investisseurs internationaux, c’est-à-dire anglo-américains, ceux-là mêmes qui cherchent aujourd’hui à mettre la main sur les 30% restants de l’ENI. Le gouvernement Monti sera très probablement fort heureux de les vendre, en prétextant de pouvoir ainsi diminuer la dette publique. On peut aussi imaginer que le gouvernement Monti bénéficiera de l’appui de Fini, le postfasciste devenu philo-atlantiste, ainsi que de celui de Casini, qui représente l’héritage de la DC au sein du monde politique italien d’aujourd’hui. Cette démocratie chrétienne s’était toujours opposée à la politique autonome de l’ENI au temps d’Enrico Mattei qui, lui, voulait assurer l’indépendance énergétique et préserver la souveraineté nationale de l’Italie.

Filippo GHIRA.

( f.ghira@rinascita.eu ).

(article paru dans “Rinascita”, Rome, 12 novembre 2011; http://rinascita.eu ).

mardi, 20 octobre 2009

Newsweek: campagne contre Berlusconi

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Newsweek: campagne contre Berlusconi

 

On peut critiquer la politique de Berlusconi, qui n’est jamais qu’une variante de néo-libéralisme. Et dans la foulée de cette critique, on peut évidemment souhaiter à l’Italie un régime politique plus social et plus indépendant du “mainstream” néo-libéral qui afflige la planète. En revanche, quand “Il Cavaliere” annonce son intention de retirer les troupes italiennes d’Afghanistan et quand immédiatement après cette déclaration de bon sens, le magazine américain “Newsweek” appelle, tonitruant et sans aucune circonlocution, les Italiens “à laisser tomber Berlusconi”, le scepticisme doit être de mise. La litanie de griefs contre “Il cavaliere” qu’énonce “Newsweek” ressemble furieusement à celles qui, précédemment, annonçaient l’un ou l’autre lynchage médiatique au profit de figures, généralement falotes, qui conviennent à la politique internationale des Etats-Unis et font des marionnettes idéales.

 

Berlusconi serait impliqué dans trop de scandales et cela nuirait à la bonne réputation de l’Italie dans le monde, avance “Newsweek”, qui ajoute: “L’Italie ne peut plus se permettre les frasques de son playboy de leader”. Même si les sondages, à rebours de ces injonctions pressantes, créditent Il Cavaliere de 63% des intentions de vote dans la péninsule. Et “Newsweek” poursuit sa charge: “S’il reste au pouvoir en Italie, cela conduirait non seulement à un fiasco pour le pays mais cela pourrait aussi causer des dommages à l’Europe et à l’Alliance Atlantique”. Les menaces sont donc à peine voilées.  L’Italie doit revenir au bercail atlantiste. Sans tergiverser. Et le peuple italien doit cesser de se choisir un leader qui déplait à Washington. Messieurs les Italiens, vous êtes priés de changer d’avis, vos opinions démocratiques ne sont pas “politiquement correctes”, elles ne correspondent pas à la “bonne gouvernance” que nous entendons faire triompher d’Honolulu aux Açores et des Açores à Midway, car elle est le seul mode accepté de “démocratie”. Le reste, c’est du “populisme”, donc du “fascisme” ou du “communisme”.

 

Cette menace, ces petits prémisses d’une campagne de presse internationale à venir, n’est-elle pas due à la politique énergétique de Berlusconi, qualifiée de “russophile” parce qu’elle privilégie “South Stream” au détriment de “Nabucco”? Et n’est-elle pas renforcée par l’annonce du retrait probable des bersaglieri italiens du théâtre afghan, au moment même où un certain Général McChrystal réclame des renforts considérables pour tenter de maîtriser enfin l’imbroglio d’Afghanistan?