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vendredi, 03 avril 2020

Le coronavirus ravive le fantasme de la surveillance générale et du contrôle total

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Le coronavirus ravive le fantasme de la surveillance générale et du contrôle total

 
 
Auteur : Karine Bechet-Golovko
Ex: http://www.zejournal.mobi

Les effets politico-sociaux du coronavirus dépassent largement ses conséquences sanitaires. La communication autour de cette crise, qui n’est ni la première ni la dernière, place les populations dans une ambiance mortifère, renforce la massification de la personnalité, diluée dans la catégorie des malades potentiels ou des malades confirmés. Puisque l’homme a disparu derrière le malade, qui est devenu la forme d’existence sociale, que la forme d’existence individuelle est bannie car considérée et montrée comme dangereuse, les pouvoirs nationaux ont les mains libres pour tenter de réaliser l’éternel fantasme de la surveillance générale et s’engager sur la voie du contrôle total. Le rêve totalitaire réalisé sur la demande provoquée d’une population conditionnée. Quelques voix s’élèvent pour dénoncer les dangers d’un remède pire que le mal et qui lui survivra indubitablement. Snowden est de ceux-là.

La technologie de la gestion de la crise du coronavirus est aussi globale que le mal, produit de cette globalisation du monde. L’un des effets est la remise au goût du jour du fantasme, ancien et récurrent, de la surveillance générale. Ce spasme des sociétés, dans lesquelles les hommes, l’espace d’un instant, ont détourné le regard, pour finalement baisser les yeux.

Toute société repose sur l’équilibre fragile et instable d’un compromis entre la liberté et la sécurité, ce qui détermine la place de l’homme et le rôle de l’État. Une liberté absolue ne conduisant qu’au chaos et donc au pouvoir du plus fort, la présence de l’État est fondamentale, justement pour garantir les libertés réelles. Mais tout rapport de pouvoir, le pouvoir populaire vs. celui de l’État, implique pour éviter d’une part le chaos (pouvoir populaire total) et d’autre part la dictature (pouvoir total de l’État), que chacune des deux parties remplisse ses fonctions, ne les abdique pas. Or, la situation aujourd’hui est particulièrement déstabilisée. D’une part, les États ont abdiqué leur pouvoir au profit de structures globales et se sont transformées en organes d’exécution protégeant des intérêts qui les dépassent et divergent de ceux de leur propre population. D’autre part, terrifiées, les populations ont abdiqué leur pouvoir à l’État, pour les sauver d’un danger devenu mystique – État, qui a lui-même abdiqué. Les structures du monde globaliste se trouvent ainsi en situation de monopole du pouvoir., sans véritables contre-pouvoirs puisque les oppositions politiques sont inexistantes et les médias dociles.

Le coronavirus est l’occasion rêvée. Et les pays, les uns après les autres, se lancent dans une course à la surveillance et au contrôle total, donnant corps à Big Brother. Le virus est porté par l’homme. Donc l’homme est dangereux. Finalement, le danger vient bien plus de l’homme que du virus. Il faut le surveiller et le contrôler.

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En Russie, le maire de Moscou espère pouvoir tracer toute la population de la ville d’ici la fin de la semaine, grâce à l’obligation de sortir avec un QR code, sur le mode chinois. En Allemagne, les opérateurs de téléphonie partagent des millions de données avec les instances publiques, afin de suivre le déplacement des masses. Mais, pour l’instant, ces informations ne sont pas nominatives. L’Espagne se prépare à utiliser les données de géolocalisation des citoyens. Car n’oublions pas que tout citoyen est un malade potentiel, c’est le seul paradigme aujourd’hui d’existence sociale. Mais il faut aussi prévenir et savoir avant l’individu concerné s’il est en voie d’être malade ou pas, une application est donc en préparation pour que ces informations soient immédiatement transmises. Car, évidemment, en dehors du coronavirus, toutes les autres maladies ont été vaincues.

L’UE a validé ces pratiques :

Un traçage ouvertement accepté par le Comité européen de la protection des données (CEPD). Dans un communiqué du 19 mars, il indique que « le RGPD permet aux autorités sanitaires compétentes de traiter des données personnelles dans le contexte d’une épidémie ». Il est donc possible de traiter les informations anonymisées liées à la location des téléphones, par exemple.

La France planche aussi sur la réalisation technique du traçage de ses citoyens, conjugué avec les données personnelles sur la santé :

Dans le cas de la France, il n’est pas seulement question d’analyser des données de flux. L’Élysée réfléchit à l’opportunité « d’identifier les personnes en contact avec celles infectées par le virus du Covid-19 » grâce au numérique. « Mais si on doit savoir qui a été en contact avec des gens porteurs du virus, cela implique forcément que l’on utilise, en plus des données de géolocalisation, des données de santé ».

Les questions éthiques ont été rapidement écartées : la fin justifie les moyens. L’État de droit est mort. Les décisions liberticides sont formellement légitimées post-factum par des lois de complaisance, qui ne sont pas discutées au fond, mais uniquement sur la forme. Les mesures d’exception sont entrées dans la législation de droit commun, car le pouvoir se refuse de manière assez surprenante à déclarer les circonstances exceptionnelles. Si la situation est grave au point de devoir mettre les pays en quarantaine, de mettre les populations en résidence surveillée, l’économie en berne, il est impératif de déclarer ces régimes d’exception, qui permettent justement de prendre, temporairement, c’est-à-dire le temps que dure le danger exceptionnel, des mesures hors du commun. Et cela avec un système institutionnel de contrôle et de garanties. Mais nos dirigeants ont préféré une autre voie, celle de la normalisation d’une situation anormale, mettant par là même l’état de droit en danger. Et quand, comme en Hongrie, le Président pousse la logique à son terme, demande au Parlement de prolonger la loi sur l’état d’urgence, toute la bonne société globale s’indigne. Ce qui montre bien la dimension politique de cette crise.

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Cela souligne bien que les mesures extraordinaires de surveillance et de contrôle total ne sont pas envisagées comme des mesures temporaires. Elles doivent permettre de créer les bases d’une nouvelle réalité sociale, d’une nouvelle réalité politique. Quand les citoyens seront autorisés, sous certaines conditions, à sortir de chez eux.

Ce danger a été partiuclièrement bien pointé par Edward Snowden. Pas moins de 11 pays ont déjà mis en place des mesures de surveillance globale, scanner thermique, reconnaissance faciale, etc. Il craint qu’y prenant goût, les pouvoirs ne trouvent pas la force de revenir à la normale à la fin de la crise.  Crainte justifiée. Toute la question est celle de l’équilibre entre les mesures prises et les risques réels.

« Ils savent déjà ce que vous regardez sur Internet. Ils savent déjà où se situe votre téléphone. Maintenant, ils connaissent aussi votre rythme cardiaque et votre pouls. Qu’est-ce qui arrive si on ajoute l’intelligence artificielle dans le lot ? »

L’autre question est celle de la durée de ces mesures :

« Lorsque nous voyons les mesures d’urgence adoptées, en particulier aujourd’hui, elles ont tendance à être figées dans le temps. (…) L’urgence a tendance à s’étendre. Ensuite, les autorités se sentent à l’aise avec un nouveau pouvoir. Elles commencent à aimer ça (…). Les services de sécurité trouveront bientôt de nouvelles utilisations à cette technologie. Et lorsque la crise sera passée, les gouvernements pourront imposer de nouvelles lois qui rendront permanentes les règles d’urgence ».

Abdiquer ses libertés à un pouvoir sans contrôle et hors cadre juridique ne permettra pas de régler plus rapidement ni plus efficacement la crise sanitaire. Laisser les hommes enfermés à domicile ne les rendra ni immortels, ni invulnérables. Incorporer dans le droit commun des mesures d’exception ne permettra pas une meilleure gestion politique des crises. Cela pourrait même devenir une norme : à chaque apparition d’un virus, et ils apparaissent chaque année, ces mesures vont se répéter ? Puisqu’ils apparaissent à rythme régulier, cela vaut-il même la peine de revenir à la normale ?

En revanche, cela permet d’imposer par la force une nouvelle société, post-moderne, post-humaine, post-démocratique, qu’il fut impossible de totalement implanter par l’incitation.

PS : « La voix du télécran qui criaillait dans son oreille l’empêcha de suivre plus loin le fil de sa pensée. Il porta une cigarette à sa bouche. La moitié du tabac lui tomba tout de suite sur la langue. C’était une poussière amère qu’il eut du mal à recracher. Le visage de Big Brother se glissa dans son esprit, effaçant celui d’O’Brien. Comme il l’avait fait quelques jours plus tôt, il tira une pièce de monnaie de sa poche et la regarda. Dans le visage lourd, calme, protecteur, les yeux regardaient Winston. Mais quelle sorte de sourire se cachait sous la moustache noire ? Comme le battement lourd d’un glas, les mots de la devise lui revinrent :

« LA GUERRE C’EST LA PAIX 

LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE

L’IGNORANCE CEST LA FORCE »

George Orwell, 1984

Lire aussi:

- Selon Edward Snowden, le Covid-19 pourrait conduire à une surveillance étatique étendue et durable

- Géolocalisation, traçabilité et drones face au Covid-19 : Jacques Toubon donne l'alerte

 

dimanche, 07 janvier 2018

Histoire et pouvoir: quand la fiction de "1984" devient la réalité

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mardi, 28 avril 2015

Course à la numérisation totale, course au contrôle total

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Course à la numérisation totale, course au contrôle total

par Jean Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Une campagne d'information certainement bien intentionnée se développe actuellement en France, notamment dans les milieux de l'internet, pour dénoncer les difficultés d'application, voire les risques pour les libertés publiques, pouvant découler de la loi sur le Renseignement actuellement en préparation. On lira par exemple sur ce sujet un article que vient de publier le site Android (cf ci-dessous) .

Or Marc Goodman, dans le livre Future Crimes que nous avons présenté ici, explique avec de très bons arguments que le processus de numérisation globale dans lequel nous sommes engagés, à un niveau d'ailleurs mondial, se traduira par le fait que les moyens dont disposeront les criminels seront toujours plus efficaces que ceux des services de police, tant pour mettre au point de nouvelles techniques que pour désamorcer les techniques officielles de prévention et de répression. Il ne sera même plus nécessaire pour ces criminels de faire appel à des techniciens spécialisés. Les outils seront à leur disposition sur étagère s'ils disposent d'un peu d'argent. Ce point de vue n'est pas seul en son genre. Il est partagé par de nombreux auteurs.

Ces outils seront mis au point non seulement par les grands opérateurs ou par les laboratoires spécialisés, mais par de simples start-up(s) high-tech. Celles-ci inventent sans arrêt de technologies de plus en plus efficaces, non seulement au service d'utilisations légitimes, mais aussi au service de ceux voulant échapper à la loi (cf-ci dessous l'article de Numerama). Il en résulte une marche de plus en plus accélérée vers une société non seulement numérisée mais robotisée, avec des robots autonomes de plus en plus autonomes et donc de moins en moins contrôlables. Ainsi s'intensifiera la course à l'armement déjà engagée entre les criminels de droit commun, d'un côté, les services officiels de justice et de police de l'autre.

Faudrait-il dans ces conditions que les Etats renoncent à des lois telles qu'en France celle sur le renseignement, au prétexte qu'elles seraient inefficaces ou dangereuses? Ceci paraît difficile à justifier. Ne pas prendre de tels textes ne ferait qu'encourager le nombre des inventeurs et utilisateur de technologies susceptibles d'utilisations criminelles ou terroristes. Il convient pas contre de s'assurer, dans la limite du possible, que ces textes sont pris en toute connaissance de cause par les législateurs, et qu'ils sont appliqués par des services administratifs placés sous un minimum de contrôle.

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Dans le domaine des armes dites de poing, on retrouve le même problème. Celles-ci se perfectionnent (kalachnikov par ex.) et se commercialisent de plus en plus. L'ancienne loi qui demande aux armuriers d'enquêter sur l'honorabilité de leurs clients est devenue tout à fait  insuffisante. Il faudra donc des lois autorisant des démarches beaucoup plus intrusives. Mais celles-ci  à leur tour encourageront de plus en plus de trafics d'armes, et la mise au point d'armes dissimulées ou sophistiquées sous l'apparence d'innocents outils, telle une perceuse électrique. Faudrait-il pour autant renoncer à légiférer? Certainement pas. On constate aux Etats-Unis les dégâts majeurs résultant du 2e Amendement constitutionnel autorisant le port d'armes par les particuliers.

Pour prendre une autre comparaison, dans un domaine très différent, selon les océanographes, le niveau des mers pourrait monter de 1 à plusieurs mètres d'ici la fin du siècle. Le phénomène sera irréversible. Les digues et autres protections seront de plus en plus débordées. Faut-il cependant aujourd'hui renoncer à les fortifier, même si ceci oblige souvent à empiéter sur les propriétés privées de bord de mer ? Certainement pas. La Hollande connaît depuis longtemps déjà ce problème. 

Références

* Site Androïd . Loi sur le Renseignement : ce qu'il faut en retenir et pourquoi elle est dangereuse : http://www.frandroid.com/0-android/justice/280804_loi-renseignement-quil-faut-retenir-dangereuse

* Revue Numérama. Imsi catchers http://www.numerama.com/magazine/32763-detecter-les-imsi-catchers-sur-votre-telephone-android.html

* Marc Goodman, Future Crimes http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1739&r_id=

Rappelons par ailleurs que Alain Cardon, dans ses ouvrages référencés sur le site Automates Intelligents, a depuis longtemps abordé le problème du contrôle total.

Jean Paul Baquiast

00:05 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : numérisation, contrôle, contrôle total, surveillance | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook