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vendredi, 30 septembre 2022

Une lecture non-conforme d’Orwell

Pseudonyme littéraire d’Eric Arthur Blair (1903 – 1950), George Orwell intéresse un public quelque peu cultivé. Thomas Renaud vient par exemple d’en signer une biographie synthétique (1). Une part non négligeable de la droite radicale française cherche sans cesse à s’approprier ses idées, sans équivoque d’ailleurs. Militant et théoricien européen d’expression italienne, Gabriele Adinolfi entend revenir sur cette ambiguïté et la transcender dans un essai exigeant et essentiel invitant à « une relecture verticale d’Orwell ». Il appuie sa démonstration sur trois livres majeurs, à savoir Hommage à la Catalogne (1938), La Ferme des animaux (1945) et Mil neuf cent quatre-vingt-quatre (1948). Il écarte en revanche d’autres écrits tels que Le Quai de Wigan (1937) ou Une histoire birmane (1934).

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La (re)découverte de son œuvre dans le monde francophone revient au professeur de philosophie de sensibilité socialiste libertaire Jean-Claude Michéa. Son premier essai s’intitule fort significativement Orwell, anarchiste tory, qui l’étudie en libertaire conservateur (2). Michéa observe que le libéralisme économique et le libéralisme politico-culturel proviennent d’une matrice commune. Il semble ignorer que de nombreux penseurs de la Contre-Révolution (Louis de Bonald, Charles Maurras), de la Tradition primordiale (Julius Evola) et des « non-conformistes des années 1930 » (les revues Plan, L’Ordre Nouveau, Combat ou L’Insurgé) avaient déjà soulevé cette proximité.                             

Complot contre soi-même

Mythe ou Utopie ? risque de heurter tant les lecteurs de gauche du Britannique né en Birmanie que les « orwellolâtres » de droite parce qu’il ne cache pas ses désaccords avec Orwell. Gabriele Adinolfi critique la paresse intellectuelle des droites radicales, ces mêmes droites radicales qui avancent une analyse marxisante de l’actualité et adoptent sans réflexions préalables le vocabulaire et les schémas du camp adverse. « Elles restent en berne, car elles obéissent aux mêmes logiques de misérabilisme existentiel et de surenchère salariale. » À rebours de cette tendance, il interprète l’œuvre de George Orwell d’une manière hiérarchique. Par hiérarchie, il faut entendre « autorité et ordonnancement sacrés, et non pas comme lien de subordination clanique ou tribale ».

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À l’heure du « passeport vaccinal », de la surveillance numérique de la vie privée et de la « reconnaissance faciale » avant de prendre les transports en commun ou d’entrer chez soi (cas chinois), « à quel point la prévision catastrophique d’Orwell s’est-elle réalisée de façon substantielle ? » Les déclarations gouvernementales et médiatiques sur les crises pandémiques (grippes aviaires, covid, variole du singe), les désastres climatiques et les attentats engendrent une lourde ambiance anxiogène qui « ne nous empêche pas de vivre, partagés entre angoisse et inconscience, entre oukases bureaucratiques et privations de liberté, dans des conditions tout sauf optimales, mais nous n’en éprouvons pas moins du soulagement en nous comparant à un passé qu’on nous dépeint comme effroyable ». Serait-ce voulu ? S’agirait-il d’un ensemble d’actions psychologiques de masse ? Gabriele Adinolfi observe qu’un « mélange de terreur et d’adhésion à l’âme collective produit aussi la soumission volontaire et même le sentiment de culpabilité et le désir d’expiation, lesquels deviendront les caractéristiques des systèmes communistes mais sont tout autant celles des systèmes occidentaux contemporains ». Il estime plus loin que « la peur, en somme, est en nous : c’est notre propre terreur qui nous terrorise ». Faut-il pour autant verser dans le « complotisme » ?

L’auteur s’en prend nettement aux tendances complotistes du moment. Ce mode de pensée « s’est substitué au décryptage, c’est-à-dire à la capacité de plonger le regard au-delà de la surface, selon des dimensions qui peuvent – et devraient – être en même temps d’ordre physique et métaphysique. Mais, croyant pouvoir “dévoiler “ tel ou tel mystère, ce complotisme l’a au contraire souvent reproduit sous la forme d’une caricature grotesque de ce qu’il aurait fallu comprendre ». Il ajoute que « celui qui réduit tout à un complot, et le complot lui-même à l’action d’une unique “ centrale “, non seulement manque de sagacité et de vision stratégique, mais finit par se trouver contraint de travestir la réalité afin de pouvoir maintenir sa thèse ». Cela ne signifie pas que les complots n’existent pas. Se référant à Yann Moncomble, précurseur d’Emmanuel Ratier, deux éminents spécialistes d’une « branche de la recherche française qui s’occupait d’analyser le pouvoir agissant depuis les coulisses, il connaît les coulisses de l’histoire politique récente. Il insiste sur les deepfakes. Circulent « sur les réseaux des vidéos totalement fausses de personnages politiques dans lesquelles ceux-ci tenaient des propos qu’ils n’ont jamais exprimés ». Mieux, « le premier exemple tangible, on le trouve dans les vidéos de la CIA avec, dans le rôle principal, le fantasmatique Ben Laden, ex-agent américain et relation d’affaires de la famille Bush, probablement mort aux alentours de 1997 mais laissé “ vivant “ jusqu’en 2011 comme hologramme de la Terreur (un peu comme le Goldstein du roman d’Orwell) ».

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Des collusions occultes anciennes et profondes

En grand connaisseur des arcanes des guerres occultes menées en Europe, Gabriele Adinolfi mentionne les inévitables rivalités internes au sein du bloc occidental atlantiste entre les services britanniques, étatsuniens, israéliens, voire français et allemands. Il signale « l’émergence d’un conflit au sein des services secrets américains que l’on peut schématiser en un duel CIA – FBI, à l’issue duquel la CIA se gauchisa » dans les années 1950. Cette conflictualité interne s’amorce dès la décennie précédente. « Dans les services anglais et américains, à l’époque on recrutait préférentiellement des gens venus de la gauche radicale, qui avaient ainsi l’opportunité de servir en même temps la Révolution progressiste, leur propre pays et l’antifascisme. On doit à la vulgate qui s’est imposée ensuite d’avoir travesti cette réalité, pourtant avérée par tant de coopérations organiques entre les franges de l’ultra-gauche et les élites WASP. » Il aurait pu rappeler que l’OSS, l’ancêtre direct de la CIA, recruta ses premiers agents d’action parmi les militants du Parti communiste des États-Unis… Récusant en partie la thèse de François Duprat exposé dans L'Internationale étudiante révolutionnaire (3) qui voyait dans l’agitation de Mai 68 la seule main de la Stasi, il considère plutôt que « la contestation juvénile de la fin des années 60 […] fut pilotée par la CIA avec une forte implication du Mossad, fut de la même farine communiste » quand bien même la Stasi eût pu collaborer ponctuellement avec les agences occidentales. Ils avaient pour la circonstance le même intérêt : renverser le général De Gaulle, grand contempteur du condominium planétaire USA – URSS.

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Un journaliste de L’Équipe, Jean-Philippe Leclaire, qui vient de faire paraître un polar original, Mai 69, déclare que « les Soviétiques étaient anti-Mai 68. Pour eux, c’était une révolution qui venait plutôt de la jeunesse bourgeoise que prolétarienne. Alors que les Américains étaient pro-Mai 68 parce qu’ils n’avaient pas pardonné à de Gaulle d’avoir quitté l’OTAN (4) ». Le soviétisme et l’américanisme partagent le même cosmopolitisme. Pour preuve, l’ONU dont « son idéologie, ouvertement mondialiste, était supranationale et accompagnait l’expansion programmée de la haute finance et des multinationales. Son inspiration, à partir de laquelle furent installées toutes les succursales de l’ONU, depuis le champ culturel jusqu’au domaine scientifique, était et reste d’essence communiste ». Gabriele Adinolfi invite par conséquent à regarder au-delà des seules apparences. Se développant au cours de la décennie 1960, le trafic de drogue est « à l’origine d’un nouveau secteur essentiel de l’économie capitaliste dont la haute finance sera le principal bénéficiaire et la DEA, Drugs Enforcement Administration, l’inévitable carrefour ». Quant à la « grande réinitialisation » (ou Great Reset), « il s’agit de mutations qui ont toutes commencé il y a vingt ans déjà et que [les complotistes] prennent pour des complots actuels à dénoncer ».

Son point de vue peut dérouter le lecteur guère habitué à l’art du contre-pied. Par exemple, « laissons de côté la grotesque conviction, fruit d’une propagande venimeuse, de la “ cruauté “ du fascisme italien, alors qu’il a probablement été l’un des régimes les plus indulgents et magnanimes au monde, toutes idéologies et confessions confondues ». Pas certain que certains « précieux ridicules » apprécient ce commentaire historique pertinent…

Les collusions entre services spéciaux de l’Ouest et de l’Est pendant la Guerre froide confirment la réalité d’« un système à la fois divisé et uni, basé sur le chaos organisé (étant rappelé qu’il est erroné de croire que l’organisation n’est pas compatible avec le chaos : c’est l’Ordre qui ne l’est pas ». « S’il y a une correspondance entre certaines prévisions orwelliennes et la réalité d’aujourd’hui, elle s’explique par la nature profondément communiste du système global, mais aussi de la culture telle qu’elle est diffusée à toutes les sauces, réactionnaire comprise. » Son constat clinique sur l’influence considérable de l’« École de Francfort » outre-Atlantique correspond aux commentaires de Paul Gottfried : « L’expérience de l’exil donna un poids particulier à l’école de Francfort. Elle explique son intérêt pour la notion de “ personnalité autoritaire “ et sa vision du fascisme comme un danger omniprésent. […] Plusieurs de ses membres travaillèrent de manière intermittente pendant la guerre pour le prédécesseur de la CIA, l’OSS (Office of Strategic Services). À des postes de conseillers, ils étudièrent les origines psychiques du fascisme et finirent par proposer des plans très ambitieux pour guérir les Allemands de leur culture politique agressive (5). » D’où le fichage de toute la population allemande à partir de 1945 par l’intermédiaire du questionnaire obligatoire dont Ernst von Salomon en tira un ouvrage brillant (6).

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Pour Gabriele Adinolfi, « capitalisme et communisme sont deux formes différentes d’une même façon de sentir et d’agir : le capitalisme est un communisme de riches et le communisme, un capitalisme de pauvres. Leur corps diffère (et, à ce niveau, les différences sont de taille) mais leur âme et leur esprit coïncident ». Ernst Jünger envisageait déjà et pendant la Guerre froide, dans le prolongement de La Paix (1946), une telle convergence. Il écrivait qu’entre l’Est et l’Ouest, « les idées-force […] sont communes. […] La ressemblance porte encore sur les symboles, parmi lesquels l’étoile tient une place toute particulière. Elle donne à penser que le différence de l’étoile rouge et de l’étoile blanche n’est que le papillotement dont s’accompagne le lever d’un astre à l’horizon. […] Cette ressemblance donne à penser qu’il s’agit là de modèle ou, pour mieux dire, de moules : les deux moitiés du moule dans lequel sera coulé l’État universel (7) ».

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À l’instar du grand écrivain allemand, Gabriele Adinolfi remarque que le capitalisme et le communisme « ont convergé, finissant par se confondre en un syncrétisme au terme duquel le libéralisme d’aujourd’hui – qu’il soit réglementé ou sauvage – a produit une société culturellement et sociologiquement d’essence communiste. Y compris chez ceux qui se définissent comme anticommunistes, alors qu’ils se bornent à combattre les travers les plus superficiels de leurs adversaires ». Ne croyant pas au national-communisme, Gabriele Adinolfi réfute que l’affrontement entre Joseph Staline et Léon Trotsky exprimerait une lutte impitoyable entre deux visions contraires du monde. Il faut en outre bien distinguer le capitalisme du libéralisme. C’est ce que fait Hervé Juvin avec une approche plus économique et sociologique pour qui « le marché est la forme temporaire que le capitalisme totalitaire a empruntée pour assurer son règne sans partage (8) ». L’essayiste et député français au Parlement européen RN – Les localistes affirme même que « le capitalisme totalitaire en finit avec les libertés économiques, la concurrence et le marché (9) ». La fonction du libéralisme serait de « mettre un frein aux délires démocratiques ». Toutefois, « la conception libérale excluant toute notion de pôle et d’axe, l’irruption désordonnée du subconscient – au reste favorisée sur le plan technologique par l’ère du digital – a fait se diffuser la démocratie dans tout l’Occident ». Il s’agit d’un paradoxe parce que « diviseur du peuple, éteignoir des passions, défenseur des intérêts de classe et substantiellement égoïste, [le libéralisme] exalte inlassablement le bon sens et la vie placide du bourgeois ». Or, George Orwell s’inscrit complètement dans le sillage démocratique occidental moderne.

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Contre les masses telluriques ? 

Gabriele Adinolfi ne pense pas qu’Orwell proclame la venue de Big Brother. George Orwell examine plutôt une réalité qu’il rend fictive et romancée afin d’atténuer son diagnostic effarant. Il note que le systèmes démocratique « s’est arrangé pour que tous les partis en lice soient alignés sur les mêmes principes et les mêmes orientations fondamentales ». L’œuvre de George Orwell influence la série télévisée – culte britannique, Le Prisonnier (1967 – 1968) avec, dans le rôle principal, Patrick McGoohan offre aux téléspectateurs un résumé d’une société orwellienne ramassée aux dimensions du Village.

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« Le Grand Frère n’est pas fils unique. » Certes, « il n’y a pas de Parti unique, mais l’Occident est devenu un vaste Socang, un Être collectif oppresseur aux valeurs rigoureusement inversées et sur lequel règne un impalpable Grand Frère, composé des larves psychiques de tous. Mais peut-être après tout est-ce une Grande Sœur ? ». L’auteur martèle que « philosophiquement, étymologiquement et historiquement, la démocratie est tout sauf liberté, pluralité et solidarités véritables. Sous divers écrans de fumée, les systèmes démocratiques tendent à niveler spirituellement, niant la dimension métaphysique de la réalité sur laquelle ils prétendent plaquer une soi-disant “ souveraineté “ du nombre ». Selon l’auteur, « plus que dans les dictatures, c’est dans les démocraties qu’on souvent pris leur source l’oppression et, historiquement, la tyrannie elle-même ».

Dans un livre méconnu et à partir de la Révolution française de 1789 - 1793, Jacob Leib Talmon se penchait dès 1952 sur la genèse de la démocratie totalitaire (10). Dans les faits, la démocratie se dilue vite en ochlocratie. « C’est le propre du Collectif, où les médiocres éprouvent toujours ce mélange de crainte, de jalousie et de rancœur vis-à-vis des meilleurs, qui constitue le ciment des démocraties. » Dans ces conditions biaisées, « il n’y a donc aucune marge de manœuvre pour des interventions radicales de la part des factions populistes “ moins égales que les   autres “ ». Loin des stéréotypes universitaires répétées tous les jours, la démocratie ne favorise pas le « populisme ». Elle l’éteint, le détourne ou le soudoie.

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Gabriele Adinolfi remet en question la notion même de démocratie. « L’Occident vit aujourd’hui une crise idéologique et politique car la démocratie libérale craque de partout et pourtant, par dogmatisme, on continue de soutenir qu’elle est le garant de la liberté contre les tentations totalitaires, alors que celles-ci sont encore plus démocratiques qu’elle, ce qu’elle ne peut admettre sans se nier elle-même et accepter la nécessité de son propre dépassement. D’où le court-circuit ! » Nos sociétés se contaminent de leurs propres toxines, tombent en décadence et deviennent des monstruosités socio-politiques.

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L’auteur va ainsi à l’encontre d’une démophilie bien en cours dans la « mouvance » qui vante la « démocratie directe », le mandat impératif et le référendum d’initiative populaire. Toutes les pratiques démocratiques favorisent et amplifient le déclin civilisationnel. « Nous avons l’habitude de l’entendre comme le gouvernement du peuple mais, en grec, le peuple se dit laos, alors que le demos était en fait le district géographique où avait lieu la consultation électorale. Ainsi, dès l’origine, apparaissait une opposition à l’esprit olympien, avec cette mise en valeur de la masse informe liée à la Terre – c’est-à-dire de l’esprit chtonien, du Chaos dont le cycle héroïque avait extrait la forme, d’essence olympienne, verticale et lumineuse. Ce n’est pas pour rien que le mot se rattache à Déméter, donc à la Terre et à la matière. » Il oublie que le grec compte aussi l’ethnos pour signifier le peuple dans son acception bio-culturelle. Serait-ce une coïncidence sémantique qu’en français, ethnos et éthique commencent par les trois mêmes lettres ? D’éventuels détracteurs pourraient en tout cas l’accuser de jouer en faveur du camp de la Mer et d’être un agent d’une quelconque thalassocratie. Cela démontrerait surtout leur incapacité à comprendre le choix de l’auteur pour l’arkhè et la virtus. En effet, « la seule possibilité de garantir justice et liberté dans un système politique moderne, et de tenir en respect l’excessif pouvoir de l’oligarchie, réside dans le césarisme sous toutes ses formes (monarchie populaire, bonapartisme, gaullisme, fascisme, péronisme) car il repose sur une mobilisation populaire dont la représentation et surtout la conduite, viennent d’en-haut, et il maintient ainsi l’équilibre entre “ participationisme “ et « éthique hiérarchique ». Ce n’est pas une nouveauté chez lui. Il reste fidèle à ce qu’il écrivait dans Pensées corsaires. « La démocratie est […] à l’origine une expression numérique du tellus. […] La démocratie [est…] plutôt de la masse matérielle et de la richesse et, par conséquent, est contraire à toute idée de forme (11). » Sa conception ordonnée du monde s’oppose évidemment au grégarisme des masses. Dans La Ferme des animaux, il rappelle que « lors de leur révolution, la terreur de tous les animaux, c’était de retourner à l’obscurantisme du temps de l’ancien propriétaire, Mr. Jones. La menace est tellement enracinée chez eux qu’ils ont fini par se convaincre absolument que n’importe quoi était préférable à l’époque précédente, et comme la mémoire est courte, cette conviction est devenue la réalité ».

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Le recours à l’Anarque

L’intention de Gabriele Adinolfi ne vise ni à susciter une tyrannie, ni à promouvoir le désordre permanent. « Le tyran et l’anarchiste sont ici les deux pôles extrêmes qui se distinguent de la grisaille ambiante, mais l’un et l’autre n’en restent pas moins prisonniers du conditionnement. » Proches sur le fond, ces deux caractères se distinguent de l’Anarque et du Rebelle, deux figures magistrales avec le Soldat et le Travailleur dans les essais d’Ernst Jünger. Si George Orwell représente « le naufrage dans l’Utopie », le rédacteur d’Orages d’acier incarne « la fidélité au Mythe ». Les fictions de George Orwell et d’Aldous Huxley ont une portée dystopique tandis que « Chevaucher le tigre » de Julius Evola et le Traité du Rebelle ou Le recours aux forêts sans oublier le roman Eumeswil de Jünger qualifié d’« homme différencié », relèvent du Logos que l’auteur rattache au Mythe. Mieux, avec Traité du Rebelle, « l’Allemand avait compris dès le départ la formidable capacité de tyrannie totalitaire dont dispose la démocratie électorale ».

« La question du grand écart entre Mythe et Utopie est bien plus vaste, car elle a des répercussions sur la conception du monde qu’adoptent les hommes, jusqu’à déterminer leur existence, et, par conséquent, leur conception de la liberté elle-même. » Par ailleurs, le mythe induit « un temps a-historique, que l’on pourrait traduire comme un parfait (ou un passé simple) mais qui, tout en ayant été, est. Ce temps-là est l’aoristo, qui désigne l’action pure et nue, valide à la fois dans le passé, le futur et le présent ». La réalisation de ce « parfait » passe par l’emploi de légendes aptes à mobiliser les imaginaires où résident endormis les mythes. « La légende est un moyen de transmettre l’histoire en la reliant au mythe, perpétuant ainsi de génération en génération un état d’esprit et une éthique : ce sont les légendes qui ont fondé les civilisations antiques, pas les taux d’intérêt !» Gabriele Adinolfi dénonce enfin les erreurs intellectuelles « quand on s’approprie un concept sans en avoir saisi la signification spirituelle ni les racines philosophico-sacrales (telles que la vision non-circulaire du temps, l’identification ethnique avec le divin mise au service des appétits terrestres, le concept de Terre promise ou le dévoiement d’une certaine symbolique) ».

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En lecteur attentif de René Guénon dont il cite Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps (1945), d’Ernst Jünger et de Raymond Abellio – dont il ne cite que la trilogie romanesque, à savoir Les yeux d'Ézéchiel sont ouverts (1948), La Fosse de Babel (1962) et Visages immobiles (1983), - ignorait-il La structure absolue. Essai de phénoménologie génétique (1965) ? -, Gabriele Adinolfi use de métaphores alchimiques pour imaginer les « trois livres d’Orwell comme une forme de trilogie sur l’idéal révolutionnaire et son destin, nous pourrions avancer que nous sommes confrontés à une opération alchimique à rebours. D’une vague atmosphère de Rubedo (la réalisation guerrière approchée en Espagne), on passe à un Albedo rationaliste (la compréhension des dynamiques de la Ferme) pour terminer avec un Nigredo, c’est-à-dire une mort initiatique, telle qu’elle s’exprime dans le caractère inéluctable du désastre dystopique de Mil neuf cent quatre-vingt-quatre ». Dans une veine semblable, il explique plus loin que « Guénon a une prédilection pour la fonction sacerdotale, tandis que Jünger scrute le monde avec l’œil du guerrier ». Quant à Orwell, il « a choisi dans sa jeunesse de s’identifier aux déshérités, aux producteurs de biens et aux esclaves : aussi sublimé soit-il, son regard est celui de la dernière des trois fonctions originelles indo-européennes, et sa sensibilité l’est aussi ». Il va de soi que par tempérament personnel, Gabriele Adinolfi préfère un type d’être humain dont l’existence se joue du danger, se moque de la guerre et se gausse des convenances de la société occidentale postmoderniste. L’Anarque « ne se voue pas à la défense du statu quo : c’est au nom d’une conception supérieure qu’il entend intervenir sur la réalité – une intervention “ logique “ et “ mythique “ en son héroïsme, et non pas titanique et soumise à l’hybris ». Le cadre d’Eumeswil se déroule après l’effondrement de l’État universel. S’épanouissent alors sur les ruines de l’ancien monde « post-moderniste (?) » des souverainetés citadines exclusives.

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Par-delà le temps des titans

L’auteur intègre dans sa réflexion l’opposition métaphysique (ou « noomachique ») entre le Mythe et l’Utopie présente dans certains films : Zardoz (1974) de John Boorman, Cube (1997) de Vicenzo Natali ou Le Dernier Samouraï (2003) d’Edward Zwick. Dans ce film, le capitaine nordiste Nathan Algren, joué par Tom Cruise, s’inspire de l’histoire du Français Jules Brunet (1838 – 1911). Appelé à la fin de l’année 1866 au Japon afin d’instruire l’armée shogunale de Yoshinobu Tokugawa, Jules Brunet assiste à la défaite du dernier shogun. Au nom des valeurs martiales françaises, Brunet décide de rester au Japon et de conseiller les rebelles qui proclament une bien éphémère république d’Ezo sur l’île septentrionale de Hokkaïdo. Brunet n’est pas tout seul. Quatre autres officiers français encadrent et commandent les unités militaires indépendantistes. Belle preuve d’un idéalisme bien français!

En reconsidérant positivement le principe du Mythe, l’auteur se dresse contre « le titan utopiste [… qui] rejette les modèles, il les méprise et les piétine, il voudrait les “ vaporiser “, parce que telle est l’essence de l’horizontalité absolue ». Il reconnaît néanmoins de bonne grâce que  « les titans sont victimes de l’hybris, c’est-à-dire de l’arrogance qui s’empare de l’ego et lui laisse croire qu’il peut se substituer à l’ordre des choses, y compris au destin. C’est ainsi que les titans provoquent des désastres dans lesquels ils s’engloutissent, entraînant les autres avec eux ». Le mythe de l’Atlantide ne serait-il pas finalement un avertissement à la palingénésie titanesque propre aux hommes, surtout quand leurs intentions sont prométhéennes (et non faustiennes) ?

Gabriele Adinolfi ne cache pas agir pour « la restauration de l’Imperium, intérieur et par conséquent extérieur, et une action d’ordre sélectif afin de procéder à la qualification de nouvelles élites – destinées à se substituer à l’État dans des domaines auxquels celui-ci a renoncé en vue de la constitution et de l’organisation des autonomies et des coopérations sociales ». Probable lecteur attentif des Principi di scienza nuova du Napolitain Giambattista Vico (1668 – 1744) dont la clé de voûte sont les ricorsi, l’auteur, dans un formidable reconciliatio contrariorum pense que « les cycles héroïques, qu’ils soient historiques ou simplement d’ordre intérieur, ont quelque chose de commun avec le titanisme, notamment le vitalisme et le rejet de tout lien, mais ils l’emportent parce que celui qui les incarne possède une lumière intérieure qui en atteste l’origine divine, sacrée, et qui oriente nécessairement cette rébellion vers un re-volvere, vers une restauration ». Bien malgré lui, George Orwell a-t-il contribué au retour des Dieux ? Il serait alors souhaitable que le Mythe bâtisse sur les vestiges des utopies intemporelles délétères une eutopie enracinée de communautés humaines disciplinées et néo-archaïques.

GF-T 

Notes

1 : Thomas Renaud, George Orwell, Pardès, coll. « Que sais-je ? », 2022.

2 : Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste tory, Climats, 1995.

3 : François Duprat, L'Internationale étudiante révolutionnaire, Nouvelles Éditions latines, 1969.

4 : dans La Tribune – Le Progrès du 29 août 2022.

5 : Paul Gottfried, Fascisme. Histoire d’un concept, L’Artilleur, 2022, pp. 177 – 178

6 : Ernst von Salomon, Le Questionnaire, Gallimard, coll. « Du monde                 entier », 1953.

7 : Ernst Jünger, L’État universel suivi de La mobilisation totale, Gallimard, coll. « Tel », 1990, pp. 27 – 28.

8 : Hervé Juvin, Chez nous ! Pour en finir avec une économie totalitaire, Nouvelle Librairie Éditions, coll. « Dans l’arène », 2022, p. 47.

9 : Idem, p. 16.

10 : Jacob Leib Talmon, Les origines de la démocratie totalitaire, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’esprit », 1966.

11 : Gabriele Adinolfi, Pensées corsaires. Abécédaire de lutte et de victoire, Éditions du Lore, 2008, p. 94.

 

  • Gabriele Adinolfi, Mythe ou Utopie ? Une relecture verticale d’Orwell, La Nouvelle Librairie Éditions, coll. « Les idées à l’endroit », 2022, 326 p., 20 €.

jeudi, 22 juillet 2021

Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de J.B.E. Goldstein

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Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de J.B.E. Goldstein

Ex: https://rebellion-sre.fr/theorie-et-pratique-du-collectivisme-oligarchique-de-j-b-e-goldstein/

« C’était un lourd volume noir, relié par un amateur sans nom ni titre sur la couverture. L’impression paraissait légèrement irrégulière. Les pages étaient usées sur les bords et se séparaient facilement, comme si le livre avait passé entre beaucoup de mains. Sur la page de garde, il y avait l’inscription suivante : théorie et pratique du collectivisme oligarchique par Emmanuel Goldstein. » Ces mots décrivent l’instant où Winston Smith tient entre ses mains le livre pour la première fois. Il est seul chez lui, se sent en sécurité et commence alors la lecture en savourant chaque mot, chaque phrase, avec une attitude quasi religieuse. C’est l’œuvre damnée par excellence et le lire en Océania relève de la plus grande des transgressions par le simple fait que son auteur, Goldstein, est « l’ennemi du peuple », « le traître fondamental » qui commandait un réseau clandestin de conspirateurs appelé la Fraternité. On raconte qu’il y avait « des histoires que l’on chuchotait à propos d’un livre terrible, résumé de toutes les hérésies […], et qui circulait clandestinement çà et là. Ce livre n’avait pas de titre. Les gens s’y référaient, s’ils s’y référaient jamais, en disant simplement le livre ». Avant de se faire traquer puis torturer par la police de la Pensée, Winston aura eu le temps de lire le premier chapitre « L’ignorance c’est la force » et le troisième, « La guerre c’est la paix »…

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Le lecteur aura bien évidemment reconnu le très fameux 1984 de Georges Orwell, roman dystopique incontournable, écrit en 1948 et qui sous de nombreux aspects, fait écho au monde d’aujourd’hui. Pourtant, ce qui semble être une fiction totale issue d’une imagination débordante, est remise en question dans une vidéo datant de 2014 et qui atteste de l’existence du livre Théorie et pratique du collectivisme oligarchique d’un certain J.B.E. Goldstein. Cette vidéo qui se présente comme une « courte histoire d’un livre maudit » nous explique qu’un client de brocante a trouvé en Belgique un exemplaire dans un carton de vieux livres de sciences politiques datant des années 40. C’est en tombant justement par la suite sur un article traitant de 1984 et qui affirme que le livre en question n’existe pas, que ce client compris la valeur de ce qu’il avait en sa possession. Concernant cette découverte, la vidéo ne nous donne pas beaucoup plus de détails et laisse planer un certain mystère. Qui est ce client ? Dans quelle brocante l’a-t-il déniché ? Où se trouve actuellement l’unique exemplaire ? A-t-il déjà était examiné par des spécialistes ? Sa conclusion est en tout cas sans appel : George Orwell a bien eu connaissance de la théorie de Goldstein, et 1984 n’est qu’une version romancée de ce traité politique. Il est à remarquer que la personne qui met en ligne la vidéo est la même qui publie le texte entier 20 jours plus tôt sur Internet Archive – même pseudo, même principe de compte à usage unique – et l’on peut donc imaginer qu’elle connaisse la vérité sur toute cette affaire. En libre accès sur internet depuis maintenant 7 ans, le texte est désormais disponible en format papier chez Kontre Kulture. 

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Cet ouvrage qui a été traduit du russe en 1948 s’ouvre sur une dédicace pour le moins étrange : « En hommage à mon ami et Frère Édouard Boulard à qui je dois l’idée de cet essai. » L’existence de ce dernier ne laisse planer aucun doute, c’est un militant socialiste et franc-maçon de la fin du xixe siècle qui a notamment écrit une brochure intitulée Théorie et pratique du collectivisme intégral-révolutionnaire, un essai de philosophique politique largement inspiré des idées de Spinoza et qui on ne peut plus modestement se donne pour projet d’« exposer le pourquoi et le comment de tout ce qui est dans le Temps et l’Espace, ainsi que le Vrai et le Faux des principales énigmes que les faits posent à l’Humanité »…

La suite du texte est une citation du chapitre xviii du Prince de Machiavel et qui semble néanmoins avoir était complétée par l’auteur : « Qu’un prince veille donc, avant tout à conserver son État. S’il réussit, les moyens seront toujours estimés honorables, et loués d’un chacun. La foule ne juge que d’après les apparences et les résultats ; le monde entier n’est qu’une foule et pense comme une foule. Les isolés, capables de penser et de comprendre, se tairont, ou on les fera taire. » Ce passage terrible donne le ton et il fait en réalité office d’introduction tant il est révélateur de ce que vont proposer les quatre chapitres du livre. D’ailleurs les titres parlent d’eux-mêmes et sont connus pour être les slogans de l’AngSoc, le mot en novlangue qui désigne le socialisme anglais dans le livre 1984 : « I. Politique intérieure. L’ignorance, c’est la force » ; « II. Information. Qui contrôle le présent contrôle le passé, qui contrôle le passé, contrôle le futur » ; « III. Économie. La liberté, c’est l’esclavage » ; « IV. Politique extérieure. La guerre, c’est la paix ». La théorie du livre est clairement machiavélienne dans le sens où la fin de la politique est la recherche consciente du pouvoir pour le pouvoir et son maintien dans le temps. Il y a donc cette idée complètement assumée que le cœur de l’oligarchie se loge dans les techniques de manipulation des masses issue tout droit de la psychosociologie du xxe siècle d’où les nombreuses références à Psychologie des foules de Gustave Le Bon et Propaganda d’Edward Bernays. La règle fondamentale de la doctrine de J.B.E. Goldstein qui oriente tout le processus de fabrication du consentement se trouve au tout début du premier chapitre : « Il y a une nécessité de ne jamais dévoiler ses véritables intentions à la masse, et de lui présenter d’autres raisons auxquelles on sait qu’elle est sensible. Ainsi il faut nettement séparer la forme de l’intention, et la véritable intention. » Parmi de nombreux exemples, Bernays – neveu de Freud et père de la propagande institutionnelle moderne – est convoqué pour illustrer ce qui pourrait faire songer à l’actualité : Vous êtes le responsable des ventes d’un grossiste en viande et vous voulez décupler la vente de bacon dans le seul but de réaliser du profit (véritable intention) alors inutile de vanter le prix bas du bacon mais faites plutôt appel au corps médical qui se prononcera publiquement sur les effets bénéfiques de sa consommation car manger du bacon tous les matins au petit-déjeuner améliore la santé de tous (forme de l’intention). 

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À vrai dire, ce livre laisse derrière lui plus de questions que de réponses. Qui est véritablement ce J.B.E. Goldstein ou plutôt qui se cache derrière ce pseudonyme ? Est-ce le manuel ésotérique – dans le sens de ce qui se transmet à des initiés, à des adeptes – d’un diplomate russe ou est-ce simplement Orwell lui-même ? Il est possible aussi que ce texte soit le travail d’un fan, un canular à la belge mais si c’est le cas attention, c’est une contrefaçon qui a vraiment beaucoup de classe, une falsification de très belle facture qui doit être considérée sérieusement. Il y a dans ce livre une vraie maîtrise de la philosophie, de la psychologie et de la sociologie qui pourrait même laisser penser à un travail de groupe, c’est un travail considérable qui n’est pas à la portée de tout le monde aujourd’hui. À la lecture, il y a un ton d’authenticité qui se dégage et une justesse du propos qui finalement, quelle que soit sa date d’écriture, met en évidence les tenants et aboutissants de la machinerie oligarchique. 

Contrefaçon ou pas, Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de l’énigmatique J.B.E. Goldstein donne la possibilité au lecteur, lorsqu’il est mis en perspective avec 1984, de repenser les interactions entre ce qui fonde la réalité et la fiction dans une société où le spectacle domine et où le mensonge est roi.  

David

J.B.E. Goldstein, Théorie et pratique du collectivisme oligarchique,  Kontre Kulture, 448 pages, 24,50 euros

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dimanche, 05 avril 2020

Six choses que vous ignorez sur George Orwell et 1984

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Six choses que vous ignorez sur George Orwell et 1984

Ex: https://www.actualitte.com

Le 8 juin 1949 était publié ce qui reste aujourd'hui le plus influent des romans de SF. Une chose est sûre : 1984 nous triture encore les méninges, surtout au regard des inquiétudes de la société actuelle vis-à-vis de la surveillance et de la manipulation dont sont capables les gouvernements. Le combat de Winston Smith contre la répression qu'exerce Big Brother fait froid dans le dos. Génie visionnaire, George Orwell ? En tout cas, voilà une dystopie auréolée de mystères... et de sympathiques anecdotes. 

1. 1984 ne devait pas s'appeler 1984

C'est un tout autre titre qu'avait en tête George Orwell à l'époque. Le livre devait s'intituler The Last Man in Europe (Le dernier homme d'Europe), en référence à la solitude que ressentait l'écrivain, isolé sur l'île du Jura, en Écosse. Finalement, son éditeur le convainquit d'adopter un titre plus commercial... En revanche, contrairement à ce que suggèrent la plupart des éditions étrangères du roman (dont la version française), le titre exact choisi par Orwell ne s'écrit pas en chiffres mais bien en lettres : Nineteen Eighty-Four.

2. L'intrigue de 1984 est fortement inspirée d'un roman russe

George Orwell l'a toujours nié, mais les spécialistes du genre sont formels : l'histoire, les personnages, le contexte futuriste de 1984 ont été repris d'un roman écrit par Ievgueni Zamiatine et intitulé Nous autres. Sorti en 1920, le livre relate les réflexions d'un homme du futur sur la liberté, et sa remise en question du conditionnement dans lequel l'État unique enferme la société. L'ironie étant qu'Orwell, s'il a démenti avoir puisé son inspiration dans l'œuvre de Zamiatine, a néanmoins rétorqué qu'Aldous Huxley ne s'en était pas privé pour Le Meilleur des mondes...

3. Avant de mourir, Orwell nous avait lancé un dernier avertissement

SI l'écrivain n'hésitait pas à qualifier son œuvre de parodique, il ne se faisait néanmoins pas d'idées sur la déchéance à laquelle semble voué notre monde. 6 semaines avant son décès, il profita d'une interview de la BBC pour mettre les spectateurs en garde contre « l'intoxication du pouvoir ». Bien entendu, nul n'aurait pu discerner à l'époque l'inquiétant réalisme dont faisait preuve l'auteur dans son avertissement. C'est sur ces mots qu'il concluera sa diatribe : « Ne laissez pas cela se produire. Tout dépend de vous. »
 


4. David Bowie voulait adapter 1984 en comédie musicale

Farfelu ? Génial ? On se demande ce que ça aurait pu donner, mais le projet n'a (malheureusement ?) jamais abouti... La faute à Mme Orwell, qui lui a refusé ce droit. Toujours est-il que l'album Diamond Dogs sorti en 1973 contient quelques-uns des titres qui ont été inspirés à Bowie par le roman de George Orwell, dont « 1984 », « Big Brother » ou encore « We Are Dead ».
 


5. George Orwell est un pseudonyme


Le romancier avait déjà plusieurs travaux derrière lui avant la publication de 1984, dont certains écrits sous le nom d'Eric Blair... George Orwell n'est en fait qu'un pseudonyme, qui lui avait été conseillé pour plusieurs raisons : tout d'abord parce que Blair était un nom bien trop commun, qui manquait de punch et que l'on oubliait facilement ; ensuite, parce qu'Eric Blair s'était bâti une réputation... plus que médiocre. Et finalement, George Orwell s'en est bien mieux tiré que Blair.

6. Apple s'est basée sur 1984 pour une publicité choc


Le premier ordinateur MacIntosh s'était démarqué avant même sa sortie grâce à la publicité conceptuelle que lui avait offerte Apple. Diffusé lors de la finale du Superbowl en 1984, le spot réalisé par Ridley Scott lui-même mettait en avant une sorte de Big Brother asseyant sa domination sur la société et défiée par une héroïne libératrice... Le tout, sans présenter le produit de Steve Jobs. Une curieuse manière de promouvoir le premier Mac, d'ailleurs incomprise à l'époque ; aujourd'hui, la publicité est devenue culte. Et ne vous méprenez pas : c'est sans aucun doute la figure « libératrice » qu'était censé représenter Apple, et pas le Big Brother... 
 
 
« De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston... Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C'était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n'avaient pas d'importance. Seule comptait la Police de la Pensée. »
 

dimanche, 07 janvier 2018

Histoire et pouvoir: quand la fiction de "1984" devient la réalité

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vendredi, 06 octobre 2017

George Orwell and the Cold War: A Reconsideration

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George Orwell and the Cold War: A Reconsideration

[From Reflections on America, 1984: An Orwell Symposium. Ed. Robert Mulvihill. Athens and London, University of Georgia Press, 1986.]

In a recent and well-known article, Norman Podhoretz has attempted to conscript George Orwell into the ranks of neoconservative enthusiasts for the newly revitalized cold war with the Soviet Union.1If Orwell were alive today, this truly “Orwellian” distortion would afford him considerable wry amusement. It is my contention that the cold war, as pursued by the three superpowers of Nineteen Eighty-Four, was the key to their successful imposition of a totalitarian regime upon their subjects. We all know that Nineteen Eighty-Four was a brilliant and mordant attack on totalitarian trends in modern society, and it is also clear that Orwell was strongly opposed to communism and to the regime of the Soviet Union. But the crucial role of a perpetual cold war in the entrenchment of totalitarianism in Orwell’s “nightmare vision” of the world has been relatively neglected by writers and scholars.In Nineteen Eighty-Four there are three giant superstates or blocs of nations: Oceania (run by the United States, and including the British Empire and Latin America), Eurasia (the Eurasian continent), and Eastasia (China, southeast Asia, much of the Pacific).

The superpowers are always at war, in shifting coalitions and alignments against each other. The war is kept, by agreement between the superpowers, safely on the periphery of the blocs, since war in their heartlands might actually blow up the world and their own rule along with it. The perpetual but basically phony war is kept alive by unremitting campaigns of hatred and fear against the shadowy foreign Enemy. The perpetual war system is then used by the ruling elite in each country to fasten totalitarian collectivist rule upon their subjects. As Harry Elmer Barnes wrote, this system “could only work if the masses are always kept at a fever heat of fear and excitement and are effectively prevented from learning that the wars are actually phony. To bring about this indispensable deception of the people requires a tremendous development of propaganda, thought-policing, regimentation, and mental terrorism.” And finally, “when it becomes impossible to keep the people any longer at a white heat in their hatred of one enemy group of nations, the war is shifted against another bloc and new, violent hate campaigns are planned and set in motion.”2

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From Orwell’s time to the present day, the United States has fulfilled his analysis or prophecy by engaging in campaigns of unremitting hatred and fear of the Soviets, including such widely trumpeted themes (later quietly admitted to be incorrect) as “missile gap” and “windows of vulnerability.” What Garet Garrett perceptively called “a complex of vaunting and fear” has been the hallmark of the American as well as of previous empires:3 the curious combination of vaunting and braggadocio that insists that a nation-state’s military might is second to none in any area, combined with repeated panic about the intentions and imminent actions of the “empire of evil” that is marked as the Enemy. It is the sort of fear and vaunting that makes Americans proud of their capacity to “overkill” the Russians many times and yet agree enthusiastically to virtually any and all increases in the military budget for mightier weapons of mass destruction. Senator Ralph Flanders (Republican, Vermont) pinpointed this process of rule through fear when he stated during the Korean War:

Fear is felt and spread by the Department of Defense in the Pentagon. In part, the spreading of it is purposeful. Faced with what seem to be enormous armed forces aimed against us, we can scarcely expect the Department of Defense to do other than keep the people in a state of fear so that they will be prepared without limit to furnish men and munitions.4 This applies not only to the Pentagon but to its civilian theoreticians, the men whom Marcus Raskin, once one of their number, has dubbed “the mega-death intellectuals.” Thus Raskin pointed out that their most important function is to justify and extend the existence of their employers. … In order to justify the continued large-scale production of these [thermonuclear] bombs and missiles, military and industrial leaders needed some kind of theory to rationalize their use. … This became particularly urgent during the late 1950s, when economy-minded members of the Eisenhower Administration began to wonder why so much money, thought, and resources, were being spent on weapons if their use could not be justified. And so began a series of rationalizations by the “defense intellectuals” in and out of the Universities. … Military procurement will continue to flourish, and they will continue to demonstrate why it must. In this respect they are no different from the great majority of modern specialists who accept the assumptions of the organizations which employ them because of the rewards in money and power and prestige. … They know enough not to question their employers’ right to exist.5

In addition to the manufacture of fear and hatred against the primary Enemy, there have been numerous Orwellian shifts between the Good Guys and the Bad Guys. Our deadly enemies in World War II, Germany and Japan, are now considered prime Good Guys, the only problem being their unfortunate reluctance to take up arms against the former Good Guys, the Soviet Union. China, having been a much lauded Good Guy under Chiang Kai-shek when fighting Bad Guy Japan, became the worst of the Bad Guys under communism, and indeed the United States fought the Korean and Vietnamese wars largely for the sake of containing the expansionism of Communist China, which was supposed to be an even worse guy than the Soviet Union. But now all that is changed, and Communist China is now the virtual ally of the United States against the principal Enemy in the Kremlin.

Along with other institutions of the permanent cold war, Orwellian New-speak has developed richly. Every government, no matter how despotic, that is willing to join the anti-Soviet crusade is called a champion of the “free world.” Torture committed by “totalitarian” regimes is evil; torture undertaken by regimes that are merely “authoritarian” is almost benign. While the Department of War has not yet been transformed into the Department of Peace, it was changed early in the cold war to the Department of Defense, and President Reagan has almost completed the transformation by the neat Orwellian touch of calling the MX missile “the Peacemaker.”

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As early as the 1950s, an English publicist observed that “Orwell’s main contention that ‘cold war’ is now an essential feature of normal life is being verified more and more from day to day. No one really believes in a ‘peace settlement’ with the Soviets, and many people in positions of power regard such a prospect with positive horror.” He added that “a war footing is the only basis of full employment.”6

And Harry Barnes noted that “the advantages of the cold war in bolstering the economy, avoiding a depression, and maintaining political tenure after 1945 were quickly recognized by both politicians and economists.”

The most recent analysis of Orwell’s Nineteen Eighty-Four in terms of permanent cold war was in U.S. News and World Report, in its issue marking the beginning of the year 1984:

No nuclear holocaust has occurred but Orwell’s concept of perpetual local conflict is borne out. Wars have erupted every year since 1945, claiming more than 30 million lives. The Defense Department reports that there currently are 40 wars raging that involve one-fourth of all nations in the world — from El Salvador to Kampuchea to Lebanon and Afghanistan.

Like the constant war of 1984, these post-war conflicts occurred not within superpower borders but in far-off places such as Korea and Vietnam. Unlike Orwell’s fictitious superpowers, Washington and Moscow are not always able to control events and find themselves sucked into local wars such as the current conflict in the Middle East heightening the risk of a superpower confrontation and use of nuclear armaments.7

But most Orwell scholars have ignored the critical permanent-cold-war underpinning to the totalitarianism in the book. Thus, in a recently published collection of scholarly essays on Orwell, there is barely a mention of militarism or war. 8

In contrast, one of the few scholars who have recognized the importance of war in Orwell’s Nineteen Eighty-Fourwas the Marxist critic Raymond Williams. While deploring the obvious anti-Soviet nature of Orwell’s thought, Williams noted that Orwell discovered the basic feature of the existing two- or three-superpower world, “oligarchical collectivism,” as depicted by James Burnham, in his Managerial Revolution (1940), a book that had a profound if ambivalent impact upon Orwell. As Williams put it:

Orwell’s vision of power politics is also close to convincing. The transformation of official “allies” to “enemies” has happened, almost openly, in the generation since he wrote. His idea of a world divided into three blocs — Oceania, Eurasia, and Eastasia, of which two are always at war with the other though the alliances change — is again too close for comfort. And there are times when one can believe that what “had been called England or Britain” has become simply Airship One.9

A generation earlier, John Atkins had written that Orwell had “discovered this conception of the political future in James Burnham’s Managerial Revolution.” Specifically, “there is a state of permanent war but it is a contest of limited aims between combatants who cannot destroy each other. The war cannot be decisive. … As none of the states comes near conquering the others, however the war deteriorates into a series of skirmishes [although]. … The protagonists store atomic bombs.”10

To establish what we might call this “revisionist” interpretation of Nineteen Eighty-Four we must first point out that the book was not, as in the popular interpretation, a prophecy of the future so much as a realistic portrayal of existing political trends. Thus, Jeffrey Meyers points out that Nineteen Eighty-Four was less a “nightmare vision” (Irving Howe’s famous phrase) of the future than “a very concrete and naturalistic portrayal of the present and the past,” a “realistic synthesis and rearrangement of familiar materials.” And again, Orwell’s “statements about 1984 reveal that the novel, though set in a future time, is realistic rather than fantastic, and deliberately intensifies the actuality of the present.” Specifically, according to Meyers, Nineteen Eighty-Four was not “totalitarianism after its world triumph” as in the interpretation of Howe, but rather “the very real though unfamiliar political terrorism of Nazi Germany and Stalinist Russia transposed into the landscape of London in 1941–44.”11 And not only Burnham’s work but the reality of the 1943 Teheran Conference gave Orwell the idea of a world ruled by three totalitarian superstates.

Bernard Crick, Orwell’s major biographer, points out that the English reviewers of Nineteen Eighty-Four caught on immediately that the novel was supposed to be an intensification of present trends rather than a prophecy of the future. Crick notes that these reviewers realized that Orwell had “not written utopian or anti-utopian fantasy … but had simply extended certain discernible tendencies of 1948 forward into 1984.”12 Indeed, the very year 1984 was simply the transposition of the existing year, 1948. Orwell’s friend Julian Symons wrote that 1984 society was meant to be the “near future,” and that all the grim inventions of the rulers “were just extensions of ‘ordinary’ war and post-war things.” We might also point out that the terrifying Room 101 in Nineteen Eighty-Four was the same numbered room in which Orwell had worked in London during World War II as a British war propagandist.

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But let Orwell speak for himself. Orwell was distressed at many American reviews of the book, especially in Timeand Life, which, in contrast to the British, saw Nineteen Eighty-Four as the author’s renunciation of his long-held devotion to democratic socialism. Even his own publisher, Frederic Warburg, interpreted the book in the same way. This response moved Orwell, terminally ill in a hospital, to issue a repudiation. He outlined a statement to Warburg, who, from detailed notes, issued a press release in Orwell’s name. First, Orwell noted that, contrary to many reviews, Nineteen Eighty-Four was not prophecy but an analysis of what could happen, based on present political trends. Orwell then added: “Specifically, the danger lies in the structure imposed on Socialist and on liberal capitalist communities by the necessity to prepare for total war with the USSR and the new weapons, of which of course the atomic bomb is the most powerful and the most publicized. But danger also lies in the acceptance of a totalitarian outlook by intellectuals of all colours.” After outlining his forecast of several world superstates, specifically the Anglo-American world (Oceania) and a Soviet-dominated Eurasia, Orwell went on:

If these two great blocs line up as mortal enemies it is obvious that the Anglo-Americans will not take the name of their opponents. … The name suggested in 1984 is of course Ingsoc, but in practice a wide range of choices is open. In the USA the phrase “American” or “hundred per cent American” is suitable and the qualifying adjective is as totalitarian as any could wish.13

We are about as far from the world of Norman Podhoretz as we can get. While Orwell is assuredly anti-Communist and anticollectivist his envisioned totalitarianism can and does come in many guises and forms, and the foundation for his nightmare totalitarian world is a perpetual cold war that keeps brandishing the horror of modern atomic weaponry.

Shortly after the atom bomb was dropped on Japan, George Orwell pre-figured his world of Nineteen Eighty-Four in an incisive and important analysis of the new phenomenon. In an essay entitled “You and the Atom Bomb,” he noted that when weapons are expensive (as the A-bomb is) politics tends to become despotic, with power concentrated into the hands of a few rulers. In contrast, in the day when weapons were simple and cheap (as was the musket or rifle, for instance) power tends to be decentralized. After noting that Russia was thought to be capable of producing the A-bomb within five years (that is, by 1950), Orwell writes of the “prospect,” at that time, “of two or three monstrous super-states, each possessed of a weapon by which millions of people can be wiped out in a few seconds, dividing the world between them.” It is generally supposed, he noted, that the result will be another great war, a war which this time will put an end to civilization. But isn’t it more likely, he added, “that surviving great nations make a tacit agreement never to use the bomb against one another? Suppose they only use it, or the threat of it, against people who are unable to retaliate?”

Returning to his favorite theme, in this period, of Burnham’s view of the world in The Managerial Revolution,Orwell declares that Burnham’s geographical picture of the new world has turned out to be correct. More and more obviously the surface of the earth is being parceled off into three great empires, each self-contained and cut off from contact with the outer world, and each ruled, under one disguise or another by a self-elected oligarchy. The haggling as to where the frontiers are to be drawn is still going on, and will continue for some years.

Orwell then proceeds gloomily:

The atomic bomb may complete the process by robbing the exploited classes and peoples of all power to revolt, and at the same time putting the possessors of the bomb on a basis of equality. Unable to conquer one another they are likely to continue ruling the world between them, and it is difficult to see how the balance can be upset except by slow and unpredictable demographic changes.

In short, the atomic bomb is likely “to put an end to large-scale wars at the cost of prolonging ‘a peace that is no peace.’” The drift of the world will not be toward anarchy, as envisioned by H.G. Wells, but toward “horribly stable … slave empires.14

Over a year later, Orwell returned to his pessimistic perpetual-cold-war analysis of the postwar world. Scoffing at optimistic press reports that the Americans “will agree to inspection of armaments,” Orwell notes that “on another page of the same paper are reports of events in Greece which amount to a state of war between two groups of powers who are being so chummy in New York.” There are two axioms, he added, governing international affairs. One is that “there can be no peace without a general surrender of sovereignty,” and another is that “no country capable of defending its sovereignty ever surrenders it.” The result will be no peace, a continuing arms race, but no all-out war.15

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Orwell completes his repeated wrestling with the works of James Burnham in his review of The Struggle for the World (1947). Orwell notes that the advent of atomic weapons has led Burnham to abandon his three-identical-superpowers view of the world, and also to shuck off his tough pose of value-freedom. Instead, Burnham is virtually demanding an immediate preventive war against Russia,” which has become the collectivist enemy, a preemptive strike to be launched before Russia acquires the atomic bomb.

While Orwell is fleetingly tempted by Burnham’s apocalyptic approach, and asserts that domination of Britain by the United States is to be preferred to domination by Russia, he emerges from the discussion highly critical. After all, Orwell writes, the

Russian regime may become more liberal and less dangerous a generation hence. … Of course, this would not happen with the consent of the ruling clique, but it is thinkable that the mechanics of the situation may bring it about. The other possibility is that the great powers will be simply too frightened of the effects of atomic weapons ever to make use of them. But that would be much too dull for Burnham. Everything must happen suddenly and completely.16

George Orwell’s last important essay on world affairs was published in Partisan Review in the summer of 1947. He there reaffirmed his attachment to socialism but conceded that the chances were against its coming to pass. He added that there were three possibilities ahead for the world. One (which, as he had noted a few months before was the new Burnham solution) was that the United States would launch an atomic attack on Russia before Russia developed the bomb. Here Orwell was more firmly opposed to such a program than he had been before. For even if Russia were annihilated, a preemptive attack would only lead to the rise of new empires, rivalries, wars, and use of atomic weapons. At any rate, the first possibility was not likely. The second possibility, declared Orwell, was that the cold war would continue until Russia got the bomb, at which point world war and the destruction of civilization would take place. Again, Orwell did not consider this possibility very likely. The third, and most likely, possibility is the old vision of perpetual cold war between blocs of superpowers. In this world,

the fear inspired by the atomic bomb and other weapons yet to come will be so great that everyone will refrain from using them. … It would mean the division of the world among two or three vast super-states, unable to conquer one another and unable to be overthrown by any internal rebellion. In all probability their structure would be hierarchic, with a semi-divine caste at the top and outright slavery at the bottom, and the crushing out of liberty would exceed anything the world has yet seen. Within each state the necessary psychological atmosphere would be kept up by complete severance from the outer world, and by a continuous phony war against rival states. Civilization of this type might remain static for thousands of years.17

Orwell (perhaps, like Burnham, now fond of sudden and complete solutions) considers this last possibility the worst.

It should be clear that George Orwell was horrified at what he considered to be the dominant trend of the postwar world: totalitarianism based on perpetual but peripheral cold war between shifting alliances of several blocs of super states. His positive solutions to this problem were fitful and inconsistent; in Partisan Review he called wistfully for a Socialist United States of Western Europe as the only way out, but he clearly placed little hope in such a development. His major problem was one that affected all democratic socialists of that era: a tension between their anticommunism and their opposition to imperialist, or at least interstate, wars. And so at times Orwell was tempted by the apocalyptic preventive-atomic-war solution, as was even Bertrand Russell during the same period. In another, unpublished article, “In Defense of Comrade Zilliacus,” written at some time near the end of 1947, Orwell, bitterly opposed to what he considered the increasingly procommunist attitude of his own Labour magazine, the Tribune, came the closest to enlisting in the cold war by denouncing neutralism and asserting that his hoped-for Socialist United States of Europe should ground itself on the backing of the United States of America. But despite these aberrations, the dominant thrust of Orwell’s thinking during the postwar period, and certainly as reflected in Nineteen Eighty-Four, was horror at a trend toward perpetual cold war as the groundwork for a totalitarianism throughout the world. And his hope for eventual loosening of the Russian regime, if also fitful, still rested cheek by jowl with his more apocalyptic leanings.

Notes

1.Norman Podhoretz, “If Orwell Were Alive Today,” Harper’s, January 1983, pp. 30-37.

2.Harry Elmer Barnes, “How ‘Nineteen Eighty-Four’ Trends Threaten American Peace, Freedom, and Prosperity,” in Revisionism: A Key to Peace and Other Es­says (San Francisco: Cato Institute, 1980), pp. 142-43. Also see Barnes, An Intel­lectual and Cultural History of the Western World, 3d rev. ed., 3 vols. (New York: Dover, 1965), 3: 1324-1332; and Murray N. Rothbard, “Harry Elmer Barnes as Revisionist of the Cold War,” in Harry Elmer Barnes, Learned Crusader, ed. A. Goddard (Colorado Springs: Ralph Myles, 1968). pp. 314-38. For a similar anal­ysis, see F.J.P. Veal[e] Advance to Barbarism(Appleton, Wis.: C.C. Nelson, 1953), pp. 266-84.

3.Garet Garrett, The People’s Pottage (Caldwell, Idaho: Caxton Printers, 1953), pp. 154-57.

4.Quoted in Garrett, The People’s Pottage, p. 154.

5.Marcus Raskin, “The Megadeath Intellectuals,” New York Review of Books, November 14, 1963, pp. 6-7. Also see Martin Nicolaus, “The Professor, the Policeman and the Peasant,” Viet-Report, June-July 1966, pp. 15-19; and Fred Kaplan, The Wizards of Armageddon (New York: Simon and Schuster, 1983). [6]Barnes, “‘Nineteen Eighty-Four’ Trends,” p. 176.

6.Barnes, “‘Nineteen Eighty-Four’ Trends,” p. 176.

7.U.S. News and World Report, December 26, 1983, pp. 86-87.

8.Irving Howe, ed., 1984 Revisited: Totalitarianism in Our Century (New York: Harper and Row, Perennial Library, 1983). There is a passing reference in Robert Nisbet’s essay and a few references in Luther Carpenter’s article on the reception given to Nineteen Eighty-Four by his students at a community college on Staten Island (pp. 180, 82).

9.Raymond Williams. George Orwell (New York: Columbia University Press, 1971), p. 76.

10.John Atkins, George Orwell (London: Caldor and Boyars, 1954), pp. 237-38.

11.Jeffrey Meyers, A Reader’s Guide to George Orwell (London: Thames and Hud­son, 1975), pp. 144-45. Also, “Far from being a picture of the totalitarianism or the future 1984 is, in countless details, a realistic picture of the totalitarianism of the present” (Richard J. Voorhees, The Paradox of George Orwell, Purdue Uni­versity Studies, 1961, pp. 85-87).

12.Bernard Crick, George Orwell: A Life (London: Seeker and Warburg, 1981), p. 393. Also see p. 397.

13.George Orwell, The Collected Essays, Journalism and Letters of George Orwell, ed. Sonia Orwell and Ian Angus, 4 vols. (New York: Harcourt Brace Jovanovich, 1968), 4:504 (hereafter cited as CEJL). Also see Crick, George Orwell, pp. 393-95.

14.George Orwell, “You and the Atom Bomb,” Tribune, October 19, 1945, re­printed in CEJL, 4:8-10.

15.George Orwell, “As I Please,” Tribune, December 13, 1946, reprinted in CEJL, 4:255.

16.George Orwell, “Burnham’s View of the Contemporary World Struggle,” New Leader (New York), March 29, 1947, reprinted in CEJL, 4:325.

17.George Orwell. “Toward European Unity,” Partisan Review July-August 1947, reprinted in CEJL, 4:370-75.

dimanche, 25 octobre 2015

Le monde orwellien de l’information, c’est maintenant

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Le monde orwellien de l’information, c’est maintenant

par Yovan Menkevick

Ex: https://reflets.info

Le journalisme est une pratique professionnelle très large. Il n’y a pas un type de journaliste, une sorte de modèle qui donnerait le « La » à tous les autres. Certains relayent les informations de [la centrale française de l’information] l’AFP, et les « habillent », d’autres mettent bout-à-bout des actualités récupérées par des confrères. Il y a des journalistes assis, d’autres debout, en mouvement, des journalistes qui analysent, qui n’analysent pas, qui creusent ou non, enquêtent, fouillent, vont sur le terrain, ou au contraire, relayent principalement le message de groupes d’intérêts.

Toutes ces formes de journalisme créent ce que l’on nomme « l’information ». Et dans un monde complexe, hétérogène, aux politiques d’influence d’une puissance historique incomparable, recouvert de technologies [de l’information] en perpétuelles améliorations, le journalisme continue, malgré tout, à pratiquer son activité de manière [majoritairement] uniforme. Majoritairement, mais pas intégralement, puisque des hisoires commencent à être racontées avec l’aide de nouveaux acteurs — qui peuvent être nommés de façon large — les hackers.

Poitras et Greenwald, avec les révélations d’Edward Snowden en sont un exemple frappant. Reflets, avec les affaires Amesys, Qosmos, en est un autre. Ces nouvelles manières d’aborder les réalités  — beaucoup par et — grâce à Internet, offrent une autre vision du monde qui nous entoure. Elles critiquent la réalité établie, celle qui est servie par « l’information ». Personne ne pouvait imaginer il y a un peu plus de 2 ans, que la planète entière était sous écoute américaine (et d’autres grandes nations), même si cette possibilité était pointée par Reflets, depuis 2011, inlassablement, avec entre autres les ventes d’armes numériques de la France à la Lybie, la Syrie — et d’autres nations très peu démocratiques.

La réalité commune, véhiculée par l’information des journalistes, n’est donc pas fixe. Mais elle a la peau dure. Le rapprochement avec le monde d’Orwell commence à émerger, et étrangement — alors que chacun pouvait le penser au départ — ce n’est pas grâce à une surveillance permanente des individus par un œil étatique invisible (Big Brother) et omniprésent. Le monde d’Orwell est en place, mais c’est avant tout celui de la fabrication et de la refabrication de la réalité qui le définit. Par le biais de l’information.

La guerre c’est la paix (créer le chaos c’est la sécurité)

go5798749_e9c5d296d2_z.jpgLes attentats de janvier 2015 ne sont pas survenus au gré de circonstances équivoques, par la simple volonté d’illuminés vengeurs qui ne supportaient pas des caricatures vieilles de 10 ans, d’un journal satirique en cours d’effondrement économique pour cause de manque de lecteurs. Cette histoire de liberté d’expression bafouée ne fut qu’un paravent pour éviter de parler de politiques françaises lourdes de conséquences.

La première de ces politiques est la participation militaire de la France à des bombardements en Irak depuis l’automne précédent. La seconde est la politique de rapprochement avec Israël, marquée par un discours du chef de l’Etat français soutenant – durant l’été 2014 — les bombardements aveugles d’un Nethanyaou plus martial que jamais, et causant par des bombardements aveugles la mort de plus de 2000 Palestiniens de la bande de Gaza, dont un nombre impressionnant d’enfants.

« La guerre c’est la paix » était le slogan d’un ministère de la société de Big Broter imaginée par Georges Orwell dans 1984. Le « chaos c’est la sécurité » pourrait dire Hollande, qui prétend protéger la France en envoyant son armée pilonner des territoires partout où des fondamentalistes appellent leurs « frères », en Occident, à causer le maximum de morts dans les populations des pays engagés militairement contre eux.

La cause et l’effet sont évidentes, elles ne sont pourtant pas fortement discutées : la réalité ne semble pas vouloir plonger dans les racines des événements. Au contraire, elle semble devoir être l’événement, et lui seul. Une forme d’amnésie permanente de « l’information au présent simple », avec laquelle l’histoire est évacuée.

L’ignorance c’est la force (et la distraction assurée)

« Notre ennemi, c’est la finance, mais ce sont aussi les djihadistes, bien que nos alliés soient des bourreaux qui ont financé ces mêmes djihadistes et participent au grand désordre financier mondial. Quand nous soutenons la dictature militaire égyptienne en leur vendant de l’armement, nous soutenons la démocratie et les révolutions arabes, parce que nous sommes le pays des Droits de l’homme qui aide les dictatures à torturer ses opposants politiques grâce à nos technologies duales de surveillance numérique. Nous soutenons la transition écologique grâce à l’énergie nucléaire — qui exploite nos ex-colonies riches en uranium, aux populations affamées — énergie que nous allons pourtant réduire, tout en déclarant la guerre aux centrales à charbon, car la planète se réchauffe dramatiquement par notre faute, par la croissance économique, que nous souhaitons pourtant la plus forte possible. »

Discours imaginaire de François Hollande.

La réalité commune, celle du monde qui nous entoure est forgée — au XXIème siècle — non pas par une observation personnelle d’un environnement local, ou par la lecture approfondie de documents fabriqués par des personnes observatrices et analystes d’événements locaux, dans la durée, mais par un flot ininterrompu d’informations. Cette information est rapide, fabriquée par des acteurs plus ou moins indépendants, plus ou moins présents lors des événements. Sa principale vocation est d’appeler à réagir, émotionnellement le plus souvent.

Présenter des événements inquiétants, violents, perturbants, gênants, qui appellent les spectateurs à la fascination et au dégoût, tel est le principe de l’information actuelle. Le but étant de faire commerce de cette information, il est crucial qu’elle « fasse événement », soit forte, et surtout, qu’elle soit une nouveauté. D’où le remplacement nécessaire d’une information forte par une autre, quand la première commence à se dégonfler, à perdre de son intensité. Cette faculté de l’information à ne jamais revenir sur les origines des événements, de ne jamais traiter les causes et les effets (faculté qui existait auparavant mais pas dans des proportions aussi importantes, cf l’info en continu) de ce qu’elle montre, mène à des manipulations par omissions, certainement inconscientes de la part des journalistes, mais qui posent de véritables problèmes. Démocratiques.

Comment les citoyens peuvent-ils débattre, échanger, chercher à connaître la réalité de la façon la plus honnête qui soit, demander à leurs représentants d’améliorer, faire progresser leur société (ou d’autres plus lointaines), s’ils sont en permanence floués, assommés par des réalités/vérités qui remplacent et annulent les anciennes ?

L’information, c’est l’affirmation

Une quinzaine d’articles publiés sur Reflets (du même auteur que cet article) — plus ou moins satiriques — à propos du changement climatique, ont tenté de réfléchir et faire réfléchir sur cette capacité à revisiter l’histoire que la société de l’information actuelle pratique intensivement. Le but de ces articles, malgré les apparences, n’était pas moins d’invalider purement et simplement les thèses sur le réchauffement anthropique — démonstration impossible s’il en est à l’échelle d’un journaliste — que de pointer le traitement quasi hallucinatoire de ce sujet.

L’intérêt principal de l’information sur le changement climatique est sa capacité à refaire sa propre histoire, à oublier ses erreurs, approximations, ses prédictions fausses, et recréer de façon continue une cohérence illusoire dans sa vocation unique. Cette « vocation », l’objectif de l’information sur le climat, n’est pas de parler du climat en tant que tel, mais des catastrophes que celui-ci, en se modifiant à cause de l’activité humaine, va provoquer. De façon « certaine ». D’où les annonces permanentes de prévisions d’augmentation de la température du globe, à 10 ans, 15 ans, 30, 50 ou 100 ans.

Si l’information d’il y a 15 ans, pour la période actuelle, s’avère fausse, à propos de la hausse générale de température prévue, cette information n’est pas ou peu franchement traitée, et quand c’est le cas, elle est balayée d’un revers de main par un expert officiel du « consensus », qui quand il admet que la hausse n’est pas franchement là (le hiatus), laisse entendre que, certes, la chaleur n’est pas autant là que prévu, mais qu’elle existe quand même (théorie de la chaleur captive des océans). De la même manière, les années plus chaudes sont relayées de façon massive, mais lorsque des années plus froides surviennent, cette information n’est pas relayée, ou cataloguée dans le registre « météo ». Une année très chaude est une information climatique, une année froide est de la météo, et écartée. Ou bien encore, elle trouve une explication par le « forçage naturel » du climat.

Le principe de l’histoire [de l’information] revisitée en permanence — pour le traitement du changement climatique — est central. Le terme de réchauffement a d’ailleurs été modifié en « changement », en quelques années (alors que le phénomène de réchauffement est le cœur du sujet, les conférences le stipulent toutes, comme les différents rapports du GIEC). La courbe qui a affolé la communauté scientifique (courbe de Mann en crosse de hockey) dans les années 2000, bien que déclarée fausse, tronquée, et admise comme telle par la communauté scientifique (puis corrigée) — n’a rien changé à l’information sur l’évolution du climat [et des prévisions de changements de température au cours du temps]

Tout comme les 9 mensonges d’Al Gore dans son film « Une vérité qui dérange » (et reconnus comme tels par un tribunal anglais) ne l’ont pas empêché d’obtenir un Nobel de la paix. Les mêmes types d’information contenues dans le le film d’Al Gore, circulent toujours, sont relayées.

go044f.jpgCette information revisitée, ré-évaluée en permanence — quasi amnésique — est logique puisque le but n’est pas d’informer sur le réchauffement climatique, mais de démontrer — à tout prix — la réalité d’un réchauffement anthropique. Ceux qui se penchent sur les ré-écritures de cette histoire, sur les prévisions ratées, sur les jeux de données choisis de façon univoque [avec l’écartement des études ou jeux de données ne collant pas bien avec la démonstration anthropique], ou simplement qui pointent des incohérences ou émettent des doutes sur la connaissance parfaite du climat par la science actuelle — sont donc taxés de climato-sceptiques.

Ce qui ne signifie rien en soi, puisque personne « ne doute de la réalité du climat ». Mais le terme a cette capacité à créer deux camps : ceux du consensus scientifique sur le changement climatique anthropique (le consensus scientifique n’existe QUE pour le changement climatique, et nulle part ailleurs en sciences) et les climato-sceptiques. Le premier camp est celui de ceux qui veulent sauver l’humanité de ses propres errements, et l’autre, ceux de ceux qui osent douter, questionner l’information sur le changement climatique. Le procès de Galilée n’est pas loin. Sachant que de nombreux « climato-sceptiques » sont avant tout des chercheurs qui tentent [encore] de comprendre quelque chose qui ne leur semble pas « fini » en l’état de la science. Les modèles, les informations manquantes, les méthodes, la manière de « prendre la température de la planète » etc…

La plupart ne contestent pas la hausse de 0,8°c en 150 ans. Ni le ralentissement de cette progression depuis 17 ans. Ils ne cherchent pas non plus forcément à démontrer qu’il n’y a aucune influence de l’homme dans cette élévation, mais contestent les rapports du GIEC et son discours univoque, tout comme l’information générale actuelle sur le réchauffement climatique anthropique. Mais cette (petite) information qui met en cause la validité intégrale des rapports du GIEC et de son relais journalistique, qui doute de l’influence unique des gaz à effets de serre dans le réchauffement, n’a simplement plus droit de cité, elle est désormais condamnée, suspecte, considérée comme propagandiste. Le plus étonnant (et ironique) est de voir les pires propagandistes de la planète, à la tête des plus grandes nations, des plus grandes entreprises, des plus grands médias, pointer du doigt une fraction d’individus comme étant ceux pratiquant la propagande.

La liberté c’est l’esclavage

L’intégrisme est devenu un fonctionnement partagé par le plus grand nombre. Intégrisme religieux, politique, intellectuel, informatif. La capacité des individus de la société de l’information à douter, questionner [l’information] se raréfie et mène à une radicalisation des esprits. Le flot continu d’actualités anxiogènes, décousues mais martelées en permanence semble forcer les spectateurs du monde à tenir une position radicale face à celui-ci.

Le doute et le questionnement n’ont donc plus véritablement de valeur : ils mèneraient à une forme d’inconsistance, de mollesse dangereuse, d’un manque de positionnement affirmé. La servitude à l’information est devenue la règle, que cette information soit médiatique ou par échanges de points de vue, d’opinions sur les réseaux [informatiques].

L’éducation est censée avoir progressé et pourtant le nombre d’adultes ne connaissant l’histoire de leur propre pays, ou du monde, que par fragments totalement superficiels est devenu la norme. Jamais la liberté de déplacement, d’apprentissage, de s’informer n’a été aussi grande qu’aujourd’hui pour les populations occidentales, et jamais le servage (aux technologies, à la distraction, à la consommation industrielle) de ces mêmes populations n’a été aussi important. L’homme et la femme actuels des pays industrialisés sont pourtant convaincus de leur libre arbitre, de leur capacité à s’émanciper par l’accès aux technologies de l’information, à s’affirmer par celles-ci, alors qu’en réalité, il n’ont jamais été autant asservis. Leur autonomie est réduite à très peu de choses, leur indépendance, quasi nulle. Paris, si elle n’est plus ravitaillée de l’extérieur, possède une autonomie alimentaire de 5 jours. Elle était de 60 jours en 1960 avec la ceinture verte, qui a disparu. Les réseaux de téléphonie mobile s’arrêtent ? C’est la panique pour une grande majorité des individus actuels qui dépendent à tous les niveaux de leurs smartphones.

Un télécran pour tous ?

Le principe d’une surveillance constante de la population par un dictateur via des écrans nommés « télécrans » et placés dans les logements, les entreprises, les lieux publics, était inquiétant dans le roman « 1984 ». Mais s’il était difficile d’imaginer une population acceptant de se soumettre à ce diktat de l’image, imposé par un pouvoir un place, la réalité de 2015 a trouvé bien plus fin et acceptable : le télécran auto-géré, auto-imposé et valorisé.

La dictature la plus insidieuse et la plus durable est celle des esprits, et elle passe par l’enfermement volontaire d’une majorité des individus dans un écosystème informatif propagandiste et délassant, le tout sous surveillance d’une administration invisible mais en capacité légale et affichée de fouiller la vie privée de tout un chacun. Sachant que les citoyens en redemandent, consomment chaque jour un peu plus de leur télécran, les pouvoirs en place ne peuvent qu’être incités à utiliser cet outil de contrôle pour affirmer et maintenir leur position. Orwell était bien en dessous des possibilités totalitaires qu’une société technologiquement avancé peut mettre en place. Bien en dessous…

Le monde orwellien est celui de 2015. Il est le monde orwellien de l’information .

vendredi, 26 juin 2015

Le socialisme populaire de Georges Orwell et de Simone Weil...

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Le socialisme populaire de Georges Orwell et de Simone Weil...

par Kevin Victoire

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Kévin Victoire cueilli sur le site du Comptoir et consacré au socialisme populaire de Georges Orwell et de Simone Weil...

Avec Simone Weil et George Orwell, pour un socialisme vraiment populaire

L’écrivain britannique George Orwell et la philosophe française Simone Weil connaissent tous deux depuis quelques années un regain d’intérêt. Alors que la gauche, notamment la gauche radicale — c’est-à-dire celle qui se donne pour objectif de trouver une alternative au capitalisme —, est en crise idéologique et perd peu à peu les classes populaires, on pense qu’elle aurait tout intérêt à se pencher sur ces deux penseurs révolutionnaires.

Comme le note la philosophe Alice Holt dans un article publié en France dans la revue Esprit[i], « les convergences qui rapprochent Orwell et Weil sont frappantes, pas seulement en ce qui concerne leurs biographies hors du commun, mais aussi en ce qui concerne leurs conceptions politiques dissidentes, fondées sur une expérience directe et caractérisées par la reprise et le remodelage de thèmes traditionnellement de droite, ou encore en ce qui concerne leur critique originale des régimes totalitaires ». Les similitudes en effet sont nombreuses entre les deux contemporains, qui ne se sont jamais croisés et probablement jamais lus, mais qui sont aujourd’hui enterrés à quelques kilomètres l’un de l’autre, dans le sud de l’Angleterre.

Sur le plan biographique d’abord, tous deux ont fréquenté des écoles très prestigieuses — Henri IV, puis l’École normale supérieure pour Weil, le Collège d’Eton pour Orwell — et en ont gardé de mauvais souvenirs ; sont issus de la classe moyenne éduquée — Orwell parle de « basse classe moyenne supérieure »— ; ont eu à cœur de partager les conditions de vie des prolétaires ; ont participé à la guerre d’Espagne — chez les anarcho-syndicalistes de la CNT pour la Française, chez les marxistes non-staliniens du POUM pour l’Anglais[ii] — ; ont contracté la tuberculose — bien que la privation intentionnelle de nourriture semble être la véritable cause de la mort de la philosophe. Mais la proximité est encore plus forte sur le terrain idéologique entre Orwell, socialiste difficilement classable — et parfois qualifié d’« anarchiste conservateur » qui n’hésite jamais à citer des écrivains libéraux ou conservateurs sans pour autant partager leurs conceptions politiques[iii] —, et Simone Weil, anarchiste chrétienne et mystique, capable d’exprimer sa « vive admiration » à l’écrivain monarchiste Georges Bernanos. Pour les libertaires des éditions de l’Échappée, les deux révolutionnaires préfigurent « à la fois la dénonciation de l’idéologie du progrès, l’attachement romantique à l’épaisseur historique, la critique totalisante du capitalisme sous tous ses aspects, la méfiance envers la technoscience »[iv]. Sans oublier que ces deux sont en premier lieu les défenseurs d’un socialisme original, qui accorde une importance particulière aux classes populaires et à leurs traditions.

Aimer, connaître, devenir l’oppressé

Selon le philosophe Bruce Bégout, « chaque ligne écrite par Orwell peut donc être lue comme une apologie des gens ordinaires ».[v] L’attachement politique d’Orwell aux « gens ordinaires » fait écho à leur définition en tant qu’ensemble majoritaire de personnes menant leur vie sans se préoccuper de leur position sociale ou du pouvoir — contrairement aux « gens totalitaires ». Le socialisme est la version ultime de l’abolition de « toute forme de domination de l’homme par l’homme ». Il doit donc être radicalement démocratique et se présenter comme « une ligue des opprimés contre les oppresseurs » qui rassemble « tous ceux qui courbent l’échine devant un patron ou frissonnent à l’idée du prochain loyer à payer » (Le Quai de Wigan, The Road to Wigan Pier). Une coalition des classes populaires qui irait des prolétaires aux classes moyennes — des petits boutiquiers aux fonctionnaires — en passant par les paysans. Pour aboutir, le socialisme doit s’appuyer sur des mots d’ordre simples et rassembleurs, conformes au bon sens des gens ordinaires — comme la nationalisation des terres, des mines, des chemins de fer, des banques et des grandes industries, de la limitation des revenus sur une échelle de un à dix, ou encore de la démocratisation de l’éducation.

Parallèlement, Simone Weil considère, dans Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale — seul ouvrage publié de son vivant, en 1934 — que l’objectif du socialisme doit être la réalisation de la « démocratie ouvrière » et « l’abolition de l’oppression sociale ». Celle qui était surnommée « la Vierge rouge » — comme Louise Michel avant elle — étend son analyse de l’aliénation des travailleurs par la société industrielle à la classe paysanne. Ces travailleurs ont aussi été réduits à la « même condition misérable » que celle des prolétaires : ils sont tout autant soumis à l’échange marchand, en tant qu’ »ils ne peuvent atteindre la plupart des choses qu’ils consomment que par l’intermédiaire de la société et contre de l’argent ». Ne pas saisir dans sa propre chair le poids de cette aliénation est, pour la philosophe, la raison de l’échec des marxistes et de leur « socialisme scientifique », qui a mené à l’appropriation du mouvement ouvrier par une caste d’intellectuels.

Pour Simone Weil, les disciples de Karl Marx — qui « rend admirablement compte des mécanismes de l’oppression capitaliste » —, et notamment les léninistes, n’ont pas compris l’oppression que supportent les ouvriers en usine car « tant qu’on ne s’est pas mis du côté des opprimés pour sentir avec eux, on ne peut pas se rendre compte ». Et la philosophe de regretter : « Quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu’aucun d’eux — Trotski sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus — n’avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n’avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté des ouvriers, la politique m’apparaît comme une sinistre rigolade. »

C’est pourquoi elle choisit d’abandonner provisoirement sa carrière d’enseignante en 1934 et 1935, pour devenir ouvrière chez Alsthom (actuel Alstom), avant de travailler à la chaîne aux établissements JJ Carnaud et Forges de Basse-Indre, puis chez Renault à Boulogne-Billancourt. Elle note ses impressions dans son Journal d’usine — publié aujourd’hui sous le titre La condition ouvrière — et conclut de ses expériences, à rebours de l’orthodoxie socialiste, que « la complète subordination de l’ouvrier à l’entreprise et à ceux qui la dirigent repose sur la structure de l’usine et non sur le régime de la propriété » (Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale).

Similairement, George Orwell déplore, dans Le Quai de Wigan, que « le petit-bourgeois inscrit au Parti travailliste indépendant et le barbu buveur de jus de fruits [soient] tous deux pour une société sans classe, tant qu’il leur est loisible d’observer le prolétariat par le petit bout de la lorgnette ». Il poursuit : « Offrez-leur l’occasion d’un contact réel avec le prolétariat […] et vous les verrez se retrancher dans le snobisme de classe moyenne le plus conventionnel. » Comme Weil, le Britannique se rapproche des opprimés, notamment en partageant plusieurs fois les conditions de vie des vagabonds. Dans Dans la dèche à Paris et à Londres (Down and Out in London and Paris), roman publié en 1933 qui s’inspire de ces expériences, il explique qu’il voulait « [s]’ immerger, descendre complètement parmi les opprimés, être l’un des leurs, dans leur camp contre les tyrans. » Par la suite, il se plonge dans l’univers des mineurs des régions industrielles, ce qui lui inspirera la première partie du Quai de Wigan et surtout le convertira définitivement au socialisme.

Ces expériences ont très fortement influencé les deux auteurs. Alice Holt note d’ailleurs à ce propos que « c’est parce qu’Orwell et Weil ont tous deux fait l’expérience de la souffrance psychologique et physique qu’occasionne la pauvreté, qu’ils mirent autant l’accent sur le potentiel destructeur de l’humiliation, et la nécessité de préserver la dignité des plus pauvres ».

Weil et Orwell : des socialistes conservateurs ?

Le contact de Weil et d’Orwell avec le monde ouvrier leur a permis de comprendre la souffrance des travailleurs et l’impératif subséquent à préserver « ce qu’il leur reste ». C’est ainsi qu’ils ont tous les deux évolué politiquement vers une forme de conservatisme (ou à du moins à ce qui lui est apparenté aujourd’hui), par respect pour la culture populaire et pour la défense de la dignité des opprimés. Tout en étant profondément révolutionnaires, ils considèrent que la défense des traditions et de la mémoire populaire est un devoir formel. Ainsi, Simone Weil explique, notamment dans L’Enracinement, que : « l’amour du passé n’a rien à voir avec une orientation politique réactionnaire. Comme toutes les activités humaines, la révolution puise toute sa sève dans une tradition. » La common decency (traduit par « décence commune » ou « décence ordinaire ») d’Orwell et l’enracinement de Weil forment le pivot de leur philosophie.

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Bruce Bégout, qui a consacré un ouvrage au sujet (De la décence ordinaire), définit la common decency comme « la faculté instinctive de percevoir le bien et le mal ». « Plus qu’une simple perception, car elle est réellement affectée par le bien et le mal », elle correspond « à un sentiment spontané de bonté qui est, à la fois, la capacité affective de ressentir dans sa chair le juste et l’injuste et une inclination naturelle à faire le bien ». D’après Orwell, ces vertus, qu’il certifie avoir rencontrées au contact des « gens ordinaires », proviennent de la pratique quotidienne de l’entraide, de la confiance mutuelle et des liens sociaux minimaux mais fondamentaux. À l’inverse, elles seraient moins présentes chez les élites, notamment chez les intellectuels, à cause de la pratique du pouvoir et de la domination.

Pour Simone Weil, l’enracinement — titre de son ouvrage testament, sorte de réponse aux Déracinés du nationaliste d’extrême droite Maurice Barrès – est « le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine ». Il est le processus grâce auquel les hommes s’intègrent à une communauté par le biais « [du] lieu, la naissance, la profession, l’entourage ». Pour la Française, « un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. » Cet enracinement est la base d’obligations mutuelles entre les hommes – L’Enracinement a d’ailleurs pour sous-titre « prélude d’une déclaration des devoirs envers l’être humain ».

Ainsi, Weil estime que « le déracinement est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines, car il se multiplie lui-même ». Ce mécanisme passe notamment par la destruction du passé, déplorant que « la destruction du passé [soit] peut-être le plus grand crime. Aujourd’hui, la conservation du peu qui reste devrait devenir presque une idée fixe ». C’est parce que le capitalisme déracine les classes populaires, comme le colonialisme déracine les indigènes, qu’il faut lutter contre ce système. Si le mot « enracinement » est absent de l’œuvre de George Orwell, il est probable qu’il y aurait largement adhéré. Le philosophe Jean-Claude Michéa relève ainsi que chez l’Anglais, « le désir d’être libre ne procède pas de l’insatisfaction ou du ressentiment, mais d’abord de la capacité d’affirmer et d’aimer, c’est-à-dire de s’attacher à des êtres, à des lieux, à des objets, à des manières de vivre. »[vi]

L’enracinement, la common decency et l’attachement aux lieux, traditions et à la communauté qui en émane, conduisent Weil et Orwell vers un patriotisme socialiste, qui s’exprimera dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale. La philosophe explique alors dans L’Enracinement qu’« il serait désastreux de [s]e déclarer contraire au patriotisme. Dans la détresse, le désarroi, la solitude, le déracinement où se trouvent les Français, toutes les fidélités, tous les attachements sont à conserver comme des trésors trop rares et infiniment précieux, à arroser comme des plantes malades. » Quant au Britannique, il lie patriotisme et socialisme dans Le Lion et la licorne : socialisme et génie anglais publié en 1940 – que l’un de ses principaux biographes, Simon Leys, considère comme « son manifeste politique le plus complet et le plus explicite »[vii] – afin de théoriser un « patriotisme révolutionnaire« [viii]. Orwell explique : « La théorie selon laquelle « les prolétaires n’ont pas de patrie » […] finit toujours par être absurde dans la pratique. » Dans l’article De droite ou de gauche, c’est mon pays, il ajoute : « Aucun révolutionnaire authentique n’a jamais été internationaliste. »

Pourtant, Orwell et Weil resteront tous deux fidèles à la tradition socialiste et à la solidarité internationale sans jamais tomber dans un nationalisme maurrassien. Orwell, que son service pour l’Empire britannique en Birmanie a converti à l’anti-colonialisme, considère dans ses Notes sur le nationalisme que le patriotisme est un « attachement à un mode de vie particulier que l’on n’a […] pas envie d’imposer à d’autres peuples », tandis que le nationalisme est « indissociable de la soif de pouvoir ». De son côté, Simone Weil écrit à Bernanos à propos du Traité de Versailles : « Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu’il peut subir. » Mais c’est surtout leur engagement en Espagne, motivé par l’envie de combattre le fascisme et de défendre le socialisme, qui prouve que la solidarité internationale n’est pas un simple concept pour eux, mais bien une réalité. À l’image de leur patriotisme, leur conservatisme populaire ne s’oppose jamais à leur socialisme, il en est au contraire un fondement.

Un socialisme populaire et antibureaucratique

Pour Orwell et Weil, le socialisme ne doit pas être l’émancipation forcée des prolétaires, mais leur affirmation, à travers leur enracinement.En ce sens, ils peuvent être tous deux rattachés à la famille du socialisme libertaire, qui s’oppose au socialisme autoritaire depuis l’exclusion de Bakounine et ses partisans de la Ire Internationale, en 1872. À rebours des révolutionnaires, notamment marxistes-léninistes, qui veulent créer un « homme nouveau », les deux auteurs prônent un socialisme qui prend racine dans les valeurs défendues par les classes populaires. Ainsi, Simone Weil exprime dans L’Enracinement son souhait d’une révolution qui « consiste à transformer la société de manière que les ouvriers puissent y avoir des racines » , et s’oppose à ceux qui entendent avec le même mot « étendre à toute la société la maladie du déracinement qui a été infligée aux ouvriers ».

À l’identique, le romancier anglais estime que « l’ouvrier ordinaire […] est plus purement socialiste qu’un marxiste orthodoxe, parce qu’il sait ce dont l’autre ne parvient pas à se souvenir, à savoir que socialisme est justice et simple bonté » (Le Quai de Wigan). Il déplore : « Les petites gens ont eu à subir depuis si longtemps les injustices qu’elles éprouvent une aversion quasi instinctive pour toute domination de l’homme sur l’homme. » À ce titre, le socialisme doit reposer sur la common decency, qui constitue chez lui d’après Bruce Bégout « une base anthropologique sur laquelle s’édifie la vie sociale ». Pour ce dernier, la « décence ordinaire est politiquement anarchiste : elle inclut en elle la critique de tout pouvoir constitué ». La confiance d’Orwell dans les gens ordinaires s’accompagne d’une défiance à l’égard des intellectuels qui souhaiteraient prendre la direction du mouvement socialiste. Car selon lui, « les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires ». Une critique du pouvoir constitué également très présente chez Simone Weil. Fidèle à la tradition anarchiste, l’ex-combattante de la CNT invite dans La pesanteur et la grâce à « considérer toujours les hommes au pouvoir comme des choses dangereuses ».

Cette méfiance à l’égard du pouvoir les conduit à critiquer la bureaucratie et la centralisation, incarnées par l’URSS. Pour George Orwell, « rien n’a plus contribué à corrompre l’idéal originel du socialisme que cette croyance que la Russie serait un pays socialiste ». L’écrivain arrive même à la conclusion que « la destruction du mythe soviétique est essentielle […] pour relancer le mouvement socialiste ». Outre la dissolution des liens communautaires induit par le totalitarisme, qui a pour caractéristique le contrôle de l’histoire – et donc du passé –, George Orwell déplore « les perversions auxquelles sont sujettes les économies centralisées » et la prise de pouvoir d’une « nouvelle aristocratie ». Dans son célèbre roman 1984, il décrit celle-ci comme « composée pour la plus grande part de bureaucrates, de scientifiques, de techniciens, [et] d’experts », issus pour la plupart « de la classe moyenne salariée et des rangs plus élevés de la classe ouvrière ». Pour Simone Weil, qui considère qu’un État centralisé a nécessairement pour but de concentrer toujours plus de pouvoir entre ses mains, l’URSS possède « une structure sociale définie par la dictature d’une caste bureaucratique ». Sur la critique de la centralisation, elle va même plus loin et se distingue radicalement du marxisme, auquel elle a appartenu dans sa jeunesse. Alors que pour Lénine et les bolcheviks, le parti communiste est le véritable créateur de la lutte des classes et l’instrument qui doit permettre au prolétariat de conquérir le pouvoir afin de libérer la société, Simone Weil propose de détruire toutes organisations partisanes (Notes sur la suppression générale des partis politiques). La Française voit dans le parti « une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres », qui a pour fin « sa propre croissance et cela sans aucune limite » et estime donc que « tout parti est totalitaire en germe et en aspiration ».

Les pensées de ces deux auteurs difficilement classables convergent ainsi sur des points essentiels – dont certains n’ont pu être approfondis ici, comme leur critique du Progrès ou de la technique –, parfois ignorés par les socialistes, et terriblement actuels. Selon Albert Camus, à qui nous devons la publication posthume de L’Enracinement, « il paraît impossible d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies ». Alors que la gauche n’a jamais semblé aussi éloignée du peuple qu’aujourd’hui, nous pourrions, pour commencer, dire qu’il paraît impossible d’imaginer une renaissance du mouvement socialiste qui se passerait des écrits de Simone Weil et de George Orwell. À travers leur œuvre, ces deux contemporains se sont efforcés de nous rappeler l’importance pour un révolutionnaire d’être en accord avec les aspirations des classes populaires, tout en nous mettant en garde contre certaines dérives, telles que l’autoritarisme.

Kévin Victoire (Le Comptoir, 22 juin 2015)

Notes :

[i] Holt Alice et Zoulim Clarisse, « À la recherche du socialisme démocratique » La pensée politique de George Orwell et de Simone Weil, Esprit, 2012/8 Août. En ligne ici (payant)

[ii] Il est intéressant de noter que George Orwell écrit dans Hommage à la Catalogne (Homage to Catalonia, 1938) : « Si je n’avais tenu compte que de mes préférences personnelles, j’eusse choisi de rejoindre les anarchistes. »

[iii] Pour George Orwell, « le péché mortel c’est de dire “X est un ennemi politique, donc c’est un mauvais écrivain” ».

[iv] Cédric Biagini, Guillaume Carnino et Patrick Marcolini, Radicalité : 20 penseurs vraiment critiques, L’Échappée, 2013

[v] Bruce Bégout, De la décence ordinaire. Court essai sur une idée fondamentale de la pensée fondamentale de George Orwell, Allia, 2008

[vi] Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste tory, Castelneau-Le-Lez, Éditions Climats, 1995

[vii] Simon Leys, Orwell ou l’horreur de la politique, Hermann, 1984 ; Plon, 2006

[viii] Il oppose cependant ce « patriotisme révolutionnaire » au conservatisme. Il écrit notamment dans Le lion et la licorne : « Le patriotisme n’a rien à voir avec le conservatisme. Bien au contraire, il s’y oppose, puisqu’il est essentiellement une fidélité à une réalité sans cesse changeante et que l’on sent pourtant mystiquement identique à elle-même. »

 

jeudi, 11 juin 2015

Comité Orwell: Penser autrement est-il encore autorisé?

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Comité Orwell: Penser autrement est-il encore autorisé?

Auteur : Comité Orwell
Ex: http://zejournal.mobi

Je ne sais ce que deviendra ce comité Orwell, mais l’idée est séduisante. Depuis les attentats de Paris, le problème de la liberté d’expression a été placé sur le devant de la scène de manière aigüe, mais il existait déjà depuis bien longtemps. Charlie a juste permis à l’Etat d’entrer en scène de manière ouverte là ou la bien-pensance et la pensée unique exerçaient une dictature douce mais féroce. Parmi les défenseurs des libertés, le comité Orwell est intéressant en ce sens qu’il est une dissidence de l’intérieur. Il aura certainement plus d’impact sur le public que ceux qui sont déjà ostracisés et, tant qu’il ne sera pas trop gênant, auquel cas il sera vite récupéré, il exercera une action positive.

Le 29 mai 2005, la Constitution européenne, plébiscitée par les élites, est rejetée par les Français au référendum. On se souvient du déferlement de mépris contre ce peuple « mal-votant » et « mal-comprenant », si peu sensible aux vertus de la pédagogie. Le sommet fut atteint par l’édito de Libération. Intitulé « Chef-d’œuvre masochiste », il constitue un classique de la bien-pensance européiste, dénonçant pêle-mêle le « populisme », la « xénophobie », le « gauchisme infantile » de tous ceux qui ne pensent pas comme eux, qui ne votent pas comme ils le souhaitent. Nous étions en 2005, mais on songeait à 1984, le célèbre roman d’anticipation de George Orwell. Il ne s’agit pas de refaire à l’infini la critique de la « pensée unique », qui fit les beaux jours de la presse des années 90. Mais de tirer enfin les enseignements d’un débat qui mérite que l’on s’interroge sur notre propre pratique journalistique.

Dix ans ont passé, et le « politiquement correct » a volé en éclats, sous l’action conjointe des réseaux sociaux et de la montée du Front National. Si l’antienne de l’antifascisme ne passe plus, le « cercle de la raison » est toujours une réalité. Pourtant, la crise a démontré que les critiques des eurosceptiques n’avaient rien à voir avec un quelconque tropisme rouge-brun. Ils s’interrogent tout simplement sur une perte de souveraineté bien réelle, qui, malgré le Traité de Lisbonne, n’a pas été véritablement remplacée par un fédéralisme européen. Toujours moins de souveraineté. Pas de fédéralisme. Où donc est passé le pouvoir du peuple ?

Interrogation légitime, pour le moins escamotée dans le débat médiatique. Dans sa célèbre dystopie, 1984, l’écrivain et journaliste décrit un monde totalitaire gouverné par un « Big Brother » qui s’insinue jusque dans les consciences. Le « crime de penser » est passible de mort et la réalité est dictée par la novlangue d’un parti unique et son ministère de la Vérité. Dans le monde d’Orwell, les nations ont été abolies, seuls restent trois blocs uniformes qui font mine de s’affronter en permanence : l’Océania, l’Eurasia et l’Estasia. La mise en scène de conflits imaginaires, voués à canaliser la violence née de l’oppression, a définitivement remplacé le débat fondé sur le common decency, pour reprendre l’expression du célèbre écrivain britannique.

Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire, ou de se livrer à des comparaisons hasardeuses. Mais les choix de ces vingt dernières années sont loin d’être anodins. Le monde qu’on nous construit commence à avoir quelques ressemblances avec celui d’Orwell. Avec des multinationales toujours plus puissantes qui imposent leurs règles, tissent leurs réseaux et règnent sur la vie de l’Homo Economicus. Et des États croupions qui ne servent plus qu’à encadrer la vie quotidienne d’un citoyen qui a de moins en moins voix au chapitre sur les grands sujets. Le tout avec la complicité d’un système médiatique où l’injure, la provocation, l’excommunication, le spectacle l’emportent sur la recherche patiente des faits. Où la recherche de coupables, érigés comme autant de boucs émissaires à une opinion déboussolée, s’est substituée à l’analyse des causes profondes de la crise que nous traversons. Où les « minutes de la haine » décrites par Orwell s’enchaînent, au rythme effrayant de l’information continue.

Pour sortir de cette impasse, nous avons décidé de créer le Comité Orwell. Il a comme ambition de faire entendre une voix différente dans un paysage médiatique trop uniforme. Plus encore que les autres citoyens, nous avons en tant que journalistes la responsabilité de défendre la liberté d’expression et le pluralisme des idées. Face à une idéologie dominante qui fait du primat de l’individu sur tout projet commun la condition de l’émancipation, l’association entend également défendre notre héritage social et politique fondé sur la souveraineté populaire. « En ces temps d’imposture universelle, prophétisait George Orwell, dire la vérité est un acte révolutionnaire… »

Comité Orwell
Cofondateurs : Eugénie Bastié, Franck Dedieu, Alexandre Devecchio, Emmanuel Lévy, Natacha Polony, Jean-Michel Quatrepoint


- Source : Comité Orwell

vendredi, 24 avril 2015

Cinéma: les enfants terribles de Big Brother

Cinéma: les enfants terribles de Big Brother

Œuvre contre-utopique par excellence, 1984 de George Orwell a depuis longtemps connu une prospérité indéniable dans les salles obscures. Pas tant en termes d’adaptation qu’en celui d’influence. D’Alphaville de Jean-Luc Godard à Matrix des frères Wachowski, en passant par Brazil de Terry Gilliam et Equilibrium de Kurt Wimmer, partons à la rencontre des rejetons orwelliens.

Publié en 1948, le célèbre roman d’Orwell nous propulse dans une société totalitaire où la liberté individuelle n’existe pas ; les personnes sont broyées, conditionnées, enrégimentées, sous la coupe d’élites déshumanisées y faisant la loi pour leur propre intérêt.

1984 est aujourd’hui devenu le terme générique pour ceux qui veulent, sous forme de fable, pourfendre tous les totalitarismes ou formes totalitaires de domination, et pas seulement le communisme ou le fascisme que l’auteur a connu et combattu. Comme le note François Bordes, « Orwell est, en effet, devenu, une sorte d’imago, une projection fantasmatique. Son visage se confondrait alors avec l’image inconsciente d’un maître perdu, d’un penseur de gauche pur et « adorable », au sens étymologique, c’est-à-dire que l’on peut adorer et prier dans l’espoir de retrouver une explication du monde. » (« French Orwellians ? La gauche hétérodoxe et la réception d’Orwell en France à l’aube de la Guerre froide », Agone, n° 45, mars 2011)

Transpositions éclectiques

Le cinéma n’échappe pas à cette réappropriation (parfois malencontreuse) du roman d’Orwell. Laissons de côté les adaptations des deux Michael (Anderson en 1956, Radford en 1984) pour se concentrer sur les références – explicites ou non – présentes dans certaines œuvres de science-fiction.

« Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale. La légende la recrée sous une forme qui lui permet de courir le monde », annonce la voix caverneuse au début d’Alphaville (1965) de Godard. Réalité d’un monde déshumanisé, mécanique et froid comme le carrelage des grands ensembles des années 1960, préfigurant l’horreur urbaine dans toute sa splendeur (et faisant songer aux décors uniformes et glacés de THX 1138 (1971) de George Lucas). Légende d’un cinéma luttant contre la disparition de l’art et de la conscience dans les sociétés consuméristes post-modernes, avides de technologies et de contrôle. La réalité, c’est aussi une bureaucratie étouffante et kafkaïenne, à l’instar de celle de Brazil (1985), dans laquelle déambulent des humains plus soumis qu’autonomes qui, s’ils ne sont pas prisonniers de cuves remplies de liquide amniotique comme dans Matrix (1999) n’en demeurent pas moins esclaves (souvent inconscients) du système qui les écrase. Dans tous les cas, la surveillance est proportionnelle au bonheur/Bien universel proclamés par l’État/parti totalitaire.

Violence mécanique contre lutte biologique

À l’instar de Winston déclarant, dans 1984, « Je comprends COMMENT ; je ne comprends pas POURQUOI », il ne faut jamais dire « pourquoi » mais « parce que » dans Alphaville. Ou quand les finalités du système nous obsèdent et nous échappent inlassablement. Le « pourquoi » étant la question légitime de tout homme libre désirant trouver un sens à l’absurdité du monde, quand le « parce que » découle de la logique implacable d’individus devenus machines qui ne savent rien mais calculent, enregistrent et se contentent de tirer des conséquences. La conséquence de cette logique ? La force comme seule et unique réponse. « Ici, il n’y a pas de pourquoi », répond le nazi d’Auschwitz à Primo Levi, qui venait de lui demander pourquoi il lui avait arraché le glaçon qu’il espérait lécher pour étancher sa soif.

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Brazil, de Terry Gilliam

Le Parti de 1984 se livre à l’élimination systématique des opposants, réels ou potentiels : on « épure », on arrête ou on « vaporise » à tout va. Les gens non assimilables par le système sont exterminés. Dans Matrix, les machines de Zero One dissolvent et recyclent les humains inutiles pour nourrir les vivants. Une logique identique, en quelque sorte, à celle de Soleil Vert (1973) de Richard Fleischer. Dans Alphaville, on condamne des hommes à mort pour avoir agi de façon illogique : pleurer la mort de sa femme est synonyme d’une rafale de mitrailleuse dans le bide. On exécute également les « anormaux » dans un théâtre en forme de chaise électrique géante, puis on les jette aux ordures pour laisser la place à de nouveaux condamnés. La solution écologique extrême pour régler le problème démographique en somme… Néanmoins, certains peuvent être guéris à grands coups de propagande. On les envoie donc dans… un HLM (Hôpital de la longue maladie) !

Une autre caractéristique de cette violence est l’impérialisme exponentiel. Tout totalitarisme maintient un état de guerre permanent et total en fédérant la masse contre un ennemi objectif en vue de réaliser un paradis terrestre (la fin de l’histoire ou la pureté de la race). Dans 1984, cela se traduit par les conquêtes extérieures se réalisant à travers la guerre aux deux autres États totalitaires (l’Estasia et l’Eurasia).

« Il y a partout la même structure pyramidale, le même culte d’un chef semi-divin, le même système économique existant par et pour une guerre continuelle. » (1984)

Se considérant d’une race supérieure, Alpha-60, l’ordinateur tout puissant d’Alphaville, ne trouve rien d’illogique à détruire l’homme ordinaire et à écraser les peuples « inférieurs » des autres galaxies. Devant la sidération de Lemmy Caution (« c’est impensable, une race entière ne peut être détruite »), l’ordinateur fasciste prétend tout calculer pour que l’échec soit impossible. Et Caution de rétorquer : « Je lutterai pour que cet échec soit possible », notamment en liquidant les savants fous qui « serviront d’exemple terrible à tous ceux qui prennent le monde pour un théâtre où la force technique et le triomphe de cette force mènent librement leur jeu. »

Novlangue variable et temps malléable

alphaville.jpgAlphaville de Jean-Luc Godard

Dans 1984, le parti manipule le langage à sa guise. Le déplacement des mots déréalise la réalité : c’est le but de la novlangue qui, en supprimant des mots et en les contractant, rend abstraite la réalité qu’ils décrivaient et détruit la pensée qui les sous- tendait. C’est le cas notamment des termes majeurs comme « honneur, justice, moralité, internationalisme, démocratie, science, religion. » La vérité historique est détruite : les rectifications sont des rectifications mensongères et les nouvelles statistiques sont des corrections de statistiques fantaisistes. La substitution d’un non-sens à un autre. Tout est incertain, le passé est aboli dans la mesure où on peut le réécrire au gré des besoins de la politique quotidienne.

Au sein d’Alphaville, des mots maudits disparaissent, remplacés par des nouveaux : « pleurer », « lumière d’automne » et « tendresse » sont supprimés au nom de la rationalité. Personne ne sait plus ce que veut dire le mot « conscience ». Natacha cherche en vain sa signification dans la Bible, seul livre autorisé, transformé en dictionnaire et réduit au strict logique minimum. Comme le dit cyniquement Alpha-60, « La signification des mots et des expressions n’est plus perçue. Un mot isolé ou un détail isolé dans un dessin peuvent être compris mais la signification de l’ensemble échappe. »

« Le mot « guerre », lui-même, est devenu erroné. Il serait probablement plus exact de dire qu’en devenant continue, la guerre a cessé d’exister. […] Une paix qui serait vraiment permanente serait exactement comme une guerre permanente. [C’est] la signification profonde du slogan du parti : La guerre, c’est la Paix. » (1984)

Le roman de George Orwell accorde également une importance considérable à la question du temps car il représente un enjeu aux yeux du pouvoir. Maîtriser le temps, c’est assurer sa domination sur les citoyens en régissant tous les instants de leur vie. Les individus se trouvent dépossédés de toute appréhension personnelle du temps : non seulement ils ne décident pas de la façon de l’occuper, mais ils ne peuvent pas non plus se repérer dans l’histoire, puisque celle-ci fait l’objet de falsifications. Ils sont donc livrés, pieds et poings liés, à la structure du temps imposée par le Parti de façon autoritaire. En affirmant un présentisme absolu et indiscutable (« personne n’a vécu dans le passé, personne ne vivra dans le futur. Le présent est la forme de toute vie ») l’ordinateur Alpha-60 est celui qui contrôle le passé et donc l’avenir, le présent et donc le passé.

Huxley en contre-champ

Orwell, qu’on a tendance à mettre à toutes les sauces, n’est pourtant pas la seule référence du cinéma de science-fiction contestataire. L’influence du Meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley est tout autant primordiale chez les cinéastes de la seconde moitié du XXe siècle.

Dans ce roman, l’État mondial impose le bonheur à tous ses sujets grâce à l’abondance des biens renouvelables, la satisfaction des sens, la liberté sexuelle, la suppression de toute privation, de toute émotion, le soma euphorisant, etc. Les hommes sont donc heureux dans l’ordre matériel. C’est là une grande différence avec l’anticipation sombre d’Orwell dans laquelle le Parti a une soif insatiable de pouvoir total sur tout être humain. De plus, l’auteur de 1984 s’inspire davantage de la contre-utopie archétypale du Russe Evguéni Ivanovitch Zamiatine, Nous autres (1920), que du Meilleur des mondes, car la soif de pouvoir, le sadisme et la cruauté sont absentes du roman d’Huxley, tandis que Zamiatine avait perçu ce côté irrationnel, barbare et fanatique du totalitarisme, essentiel selon Orwell.

On trouve ainsi l’inspiration du Meilleur des mondes dans Bienvenue à Gattaca (1997) d’Andrew Nicol pour la dimension eugéniste. Chez Huxley, les bébés naissent en flacons par portées de jumeaux pouvant atteindre 16 012 individus, tous identiques, ne possédant aucune curiosité intellectuelle. Dans le film génial de Nicol, le génotype des enfants est pré-sélectionné avant leur naissance et conditionne leur vie future, professionnelle comme sentimentale.

nous-autresDe son côté, Equilibrium (2002) de Kurt Wimmer explore l’annihilation des sentiments à coups de drogue permanente. Le prozium du film, censé protéger les hommes de leurs passions destructrices, renvoie au soma du livre qui réduit tous les obstacles entre le désir et la satisfaction et permet de se libérer de la réalité au profit du rêve.

Dans THX 1138 (déjà cité), le bonheur est obligatoire et le consumérisme est l’unique horizon indépassable : « Achetez plus et soyez heureux. » Cependant, l’interdiction des actes sexuels renvoie davantage à la ligue Anti-sexe de 1984. Les influences de ces deux colosses se croisent et se complètent couramment.

Alphaville, quant à lui, fait directement écho à la caste suprême du Meilleur des mondes : les Alphas. Les sujets de l’État mondial imaginé par Huxley, répartis en castes immuables (alpha, bêta, gamma, delta et epsilon) dès leur mise en flacon, ne questionnent jamais la légitimité de la place et des tâches qui leur sont assignées. Le pouvoir absolu choisit, dirige, réprime et neutralise tout ce qui pourrait menacer l’ordre. À ce titre, Alphaville, cité des êtres supérieurs dénués d’émotion inutiles, est bien le « monde des meilleurs ».

Enfin, et pour compléter ce sombre tableau, l’art, qui se nourrit de tragédies, de larmes, d’angoisses, de passions violentes, n’a pu survivre dans le monde du signe de T (comme le modèle de voiture T de Ford), pas plus que dans celui de Big Brother. La littérature fait peur à l’institution car le patrimoine culturel, le pouvoir des mots pourraient contrecarrer la soumission aux stéréotypes officiels, susciter une pensée personnelle, déstabiliser le discours d’autorité. La littérature véhicule une représentation du monde ancien qu’il faut détruire. Elle informe, éveille, aiguise l’esprit critique, transmet de génération en génération des textes qui restent toujours vivants. On brûle donc les tableaux dans Equilibrium, les livres dans Fahrenheit 451 (1966) et lorsque Alpha-60 demande à Lemmy Caution : « Savez-vous ce qui transforme la nuit en lumière ? », celui-ci répond : « la poésie ».

L’amour comme acte politique

Et l’espoir dans cette armada de cauchemars ? Le seul recours au monde inhumain est incarné par le rebelle, l’opposant, le dissident, le fugitif, le réfractaire, les prolétaires des bas-fonds de Londres d’Orwell, les sauvages de la réserve d’Huxley. Et, plus que tout, c’est l’amour qui constitue l’acte révolutionnaire par excellence face à la machine totalitaire. Dans 1984, tout amour, tout lien érotique, toute tendresse, donc toute fusion intime personnelle, est prohibé car échappant à l’emprise de l’État. Comme pour I-330 dans le roman de Zamiatine et, de manière plus ambiguë, pour Lenina dans celui d’Huxley, c’est une femme qui incarne la rébellion, la possibilité de la dissidence, tout simplement parce que, malgré ses travers et ses manques, elle incarne la vie, le vivant, ce qui est par définition et essence impossible à totalement canaliser. Ainsi, l’embrassement de Winston et Julia « avait été une bataille, leur jouissance une victoire. C’était un coup porté au Parti. C’était un acte politique. » L’amour, cette  « chose qui ne varie ni le jour ni la nuit, dont le passé représente le futur, […] une ligne droite qui pourtant, à l’arrivée, a bouclé la boucle » : la réponse à l’énigme de Caution, Alpha-60 ne pourra la trouver sous peine de devenir humain (« mon semblable, mon frère ») et donc de s’autodétruire.

« Le commandement des anciens despotismes était : « Tu ne dois pas ». Le commandement des totalitaires était : « Tu dois ». Notre commandement est : « Tu es ». » (1984)

On se souvient également du baiser de Trinity qui ramène Néo d’entre les morts au beau milieu du chaos final, perturbant la logique mécanique des agents de la matrice. C’est aussi Natacha qui prononce lentement « Je…vous…aime », les derniers mots du film de Jean-Luc Godard, se sauvant elle-même de l’aliénation mentale. Une fin infiniment plus optimiste que celle de 1984 où les anciens amants, après un passage terrifiant au Ministère de l’Amour, ont retourné leur amour réciproque pour celui, véritable, envers Big Brother. En ce sens, Brazil est plus fidèle à la contre-utopie d’Orwell avec un faux espoir final des plus déprimants.

Le feu de la subversion

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Matrix Revolutions

Dans Le Meilleur des mondes, John le Sauvage, face à l’humiliant esclavage d’une structure sociale fermée et étouffante, réitère son droit à la transgression. « Je n’en veux pas du confort. Je veux Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché. » Le « droit d’être malheureux » qu’il revendique en toute lucidité participe de la condition et du bonheur d’être un homme véritable.

Demeurer un homme en refusant la perfection mathématique de la raison instrumentale c’est également ce que fait Lemmy Caution, en répliquant à l’un des 14 milliards de centres nerveux composant Alpha-60 qui trouvent logique de le condamner à mort : « Je refuse de devenir ce que vous appelez normal. […] Allez vous faire foutre avec votre logique ! »

Nos desserts :

mercredi, 01 mai 2013

Le terrorisme c’est toujours et partout le spectacle d’imposture étatique

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De l’attentat de la gare de Bologne à celui du Marathon de Boston en passant par tous les 11 septembre petits, grands ou moyens, le terrorisme c’est toujours et partout le spectacle d’imposture étatique de la crise mondiale du chaos de la marchandise !

par Gustave LEFRANÇAIS

 

« Les bombes-fusées qui tombaient chaque jour sur Londres étaient probablement lancées par

le gouvernement de l’Océania lui-même,

juste pour maintenir les gens dans la peur ” »

 

George Orwell, 1984

 

Les opérations sous fausse bannière ou « sous faux-pavillon », parfois désignées sous l’anglicisme de false flag sont des actions de perfidie et d’artifice stratégiques menées avec utilisation de marques de reconnaissance fabriquées, contrefaites, postiches, fourbes ou empruntées, dans le cadre d’opérations clandestines destinées à désigner un responsable inexact, imaginaire et trafiqué qui portera ainsi le chapeau illusoire mais pourtant bien tangible d’une action commise par tout autre que lui mais qui permettra de la sorte que tous les bénéfices en reviennent à celui qui justement l’aura cependant perpétré.

 

Au tout début du mois d’août 1964, deux destroyers américains qui s’étaient engagés dans les eaux territoriales du Nord-Viêtnam, essuyèrent soi-disant des tirs de la part de batteries nord- vietnamiennes. Il est établi aujourd’hui par la documentation déclassifiée que ces Incidents du Golfe du Tonkin ont constitué une manœuvre délibérée de feinte, de provocation et de simulation pour prétexter une escalade de l’intervention américaine dans le conflit indochinois. Les Papiers du Pentagone ont de la sorte révélé que le texte de la position rédigée par l’administration Johnson l’avait été en fait plusieurs mois avant la date desdits « incidents ». Le manège légendaire de cet accrochage arrangé a donc fourni au président Johnson la couverture tant attendue pour faire voter le texte de la Résolution qui lui donna les moyens de déclarer la guerre sans avoir à demander au préalable l’autorisation du Congrès.

 

Même si cette péripétie fut en réalité le contraire de ce que le spectacle officiel en a dit puisqu’elle n’a jamais existé réellement qu’en stricte contradiction avec la logorrhée des experts étatico-médiatiques du faux omniprésent qui l’ont évidemment narrée de manière retournée, cela a bien entendu suffi à convaincre la conscience hallucinée et obéissante des Américains de l’utilité d’une riposte. Johnson a donc pu paisiblement autoriser alors les raids aériens de terreur sur le Viêtnam par ce casus belli entièrement forgé par les officines et les ateliers de l’ombre. Sur cette lancée de simulacres, de fourberie, de sang et de larmes, les Bush, Clinton et Obama n’ont cessé en Irak, en Yougoslavie en Afghanistan et ailleurs, de démontrer que partout où règne le spectacle capitaliste de la terreur démocratique, les seules forces autorisées sont celles qui reproduisent la terreur capitaliste du spectacle démocratique.

 

Durant ces dernières années, les premiers grands attentats étatiques sous fausse bannière eurent spectaculairement lieu en Italie lors des années de plomb lorsque la modernisation de l’esclavage citoyenniste rendit nécessaire que le gouvernement fit de l’attentat aveugle le mode opératoire le plus approprié à la psychologie de masse de la soumission, de l’in-conscience et de la cécité. Ainsi, le 2 août 1980, à 10 h 25, à la gare de Bologne, une bombe posée dans la salle d’attente explosait. Elle tuait 85 personnes et en blessait plus de 200, arrivant ou partant de la gare pour cette période de fort trafic estival.

 

Dans son arrêt du 23 novembre 1995, la Cour de cassation du tripatouillage officiel italien, malgré mille et une occultations savantes ou grossières, fut néanmoins obligée de reconnaître que derrière cet attentat, il y avait bien l’existence d’une vaste organisation criminelle gouvernementale où l’on retrouvait la maffia, la loge maçonnique P2 et les services spéciaux les plus secrets de l’appareil d’État… Bien entendu, les commanditaires profonds du massacre n’ont jamais été découverts puisque cachés derrière les comparses secondaires de l’organisation Gladio, ceux-ci se trouvaient au cœur central et insaisissable de l’état-major de la stratégie de la tension élaborée par les États-Unis via l’O.T.A.N. et ses divers magasins et affidés, ceci tant pour neutraliser les velléités dommageables de non-alignement de certains courants politiciens italiens que pour briser la radicalité ouvrière des grèves sauvages qui débordait alors dangereusement les chiens de gardes politiques et syndicaux.

 

Le mardi 16 avril 2013, une double bombe de fabrication prétendument artisanale, emplie de divers fragments métalliques, a tué trois personnes et en a blessé plus d’une centaine d’autres lors du marathon de Boston. À la faveur de l’étrange découverte propice d’un sac à dos contenant le couvercle d’une cocotte-minute et grâce aux vidéos des caméras de surveillance opportunément disposés, les autorités du spectacle du boniment et de la fabulation étatiques eurent rapidement les moyens, de diffuser les photographies de deux suspects : les frères Tsarnaev qui avaient eu, eux, la grande amabilité de longuement flâner juste face aux appareils d’observation et d’enregistrement qui purent par conséquent abondamment et minutieusement les filmer. Selon la version officielle, les deux frères échappèrent à un policier qu’ils tuèrent sur un campus universitaire. Ensuite, après avoir détourné une automobile, ils furent atteints par la police. Plus de 200 coups de feu furent échangés durant la nuit, les deux hommes furent blessés. Le premier décéda rapidement à l’hôpital pendant que son frère, s’échappait à pied avant d’être rattrapé par la police pour finalement être enfin mis en état de ne plus jamais pouvoir dire autre chose que ce pourquoi il serait autorisé à parler.

 

Toute cette affaire des deux islamistes hollywoodiens de la filière tchétchène de la C.I.A. a évidemment mobilisé les chaînes de télévision de toutes les fictions imaginables du spectacle mondial de la misère marchande. Depuis le Daghestan, les parents des suspects ont, eux, proclamé qu’ils avaient été manipulés. Leur mère, a même souligné qu’ils étaient sous surveillance étroite du F.B.I. et ne pouvaient donc monter aucune opération sans que ce dernier en ait évidemment immédiatement eu connaissance.

 

À Boston, les services spéciaux du chaos gouvernementaliste ont donc parfaitement rempli leur mission dans le cadre d’une opération de camouflage et d’intoxication qui permet en un temps de crise économique approfondie et de crise sociale ravageuse de faire utile diversion massive en ce moment d’ébranlement ou d’ailleurs plusieurs États entendaient comme le Texas demander à retirer leur or de la Réserve fédérale…

 

La crise du spectacle démocratique de la dictature marchande est désormais à son point culminant et le chaos étatiquement programmé y est alors amené à produire partout et sans cesse son mythique ennemi inventé, le terrorisme qui est en fait sa seule vraie défense en ce temps de décomposition universelle où la liberté despotique de l’argent et ses conséquences véritables ne peuvent être encore acceptées qu’au regard d’antagonismes factices et d’attaques insidieuses sous faux drapeaux constamment mis en scène par le biais d’orchestrations machiniques de vaste ampleur.

 

L’histoire du terrorisme est désormais l’une des forces productives majeures du spectacle étatique mondialiste; elle définit donc le cœur stratégique du dressage social puisque les spectateurs doivent retenir de la pédagogie de l’attentat, que, en comparaison au terrorisme, toute la pourriture quotidienne de la vie fausse devra leur demeurer préférable et préférée.

 

« U.S.A., U.S.A. », ont ainsi scandé naïvement des Bostoniens descendus dans la rue et de la sorte bien domptés par le jeu des images fantastiques du renversement concret du réel. Certains arborant même frénétiquement un drapeau américain. Des célébrations totémiques de l’aliénation qui traduisaient le soulagement d’une population traumatisée par le plus grave attentat étatiquement télécommandé aux États-Unis depuis la mystification du 11-Septembre. L’union sacrée de la servitude volontaire n’a bien évidemment qu’un temps mais le confusianisme mystérieux des bombes barbouzardes conserve toujours là un intérêt évident bien que sa durée soit éminemment toujours et de plus en plus rétrécie…

 

Dans le monde du spectacle de la marchandise où les intérêts agissants de la dictature démocratique des Mafia de l’argent sont à la fois si bien et si mal obscurcis, il convient toujours pour saisir les mystères du terrorisme d’aller au-delà des rumeurs médiatiques policières puisque la sauvegarde des secrets de la domination opère continûment par attaques fardées et véridiques artifices.

 

Le leurre commande le monde du fétichisme de la marchandise et aujourd’hui d’abord en tant que leurre d’une domination qui ne parvient plus à vraiment s’imposer au moment où l’économie historique de la crise manifeste explosivement la crise historique de l’économie elle-même.

 

Du meurtre d’Aldo Moro par les brigades rouges étatiques aux attentats pentagonistes du 11-Septembre et en passant évidemment par la disparition violemment paramétrée de John Fitzgerald Kennedy sans oublier les tueries hautement calculées du télépiloté Merah, la société du spectacle de l’indistinction marchande ne cesse de s’éminemment montrer comme le monde de l’inversion universelle où le vrai est toujours réécrit comme un simple moment nécessaire de la célébration du faux. Derrière les figurants, les obscurs tirages de ficelles et les drapeaux mal bricolés, les vrais commanditaires sont adroitement camouflés puisqu’ils résident invariablement dans ces lieux impénétrables et énigmatiques, inaccessibles à tout regard, mais qui du même coup les désignent par cette ruse de la raison qui rend précisément percevable ce qui se voulait justement in-soupçonnable.

 

Le masquage généralisé se tient derrière le spectacle qui donne ainsi à infiniment contempler quelque chose en tant que complément décisif et stratégique de ce qu’il doit empêcher simultanément que l’on voit et, si l’on va au fond des choses, c’est bien là son opération la plus importante; obliger à sans cesse observer ceci pour surtout ne point laisser appréhender cela.

 

Par delà chaque tueur fou opportunément manipulé dans les eaux troubles du djihadisme téléguidé ou, de l’extrémisme supervisé existe, en premier lieu, l’incontournable réalité du gouvernement du spectacle de la marchandise lequel dorénavant possède tous les moyens techniques et tous les pouvoirs gestionnaires d’altérer et de contre-faire l’ensemble de la production sociale de toute la perception humaine mise sous contrôle. Despote absolu des écritures du passé et tyran sans limite de toutes les combinaisons qui arrangent le futur, Big Brother pose et impose seul et partout les jugements sommaires de l’absolutisme démocratique des nécessités du marché de l’inhumain.

 

On commet une très lourde erreur lorsque l’on s’exerce à vouloir expliquer quelque attentat en opposant la terreur à l’État puisqu’ils ne sont jamais en rivalité. Bien au contraire, la théorie critique vérifie avec aisance ce que toutes les rumeurs de la vie pratique avaient si facilement rapporté lors des très enténébrées disparitions de Jean de Broglie, Robert Boulin, Joseph Fontanet, Pierre Berégovoy et François de Grossouvre. L’assassinat n’est pas étranger au monde policé des hommes cultivés de l’État de droit car cette technique de mise en scène y est parfaitement chez elle en tant qu’elle en est désormais l’articulation de l’un des plus grands quartiers d’affaires de la civilisation moderne.

 

Au moment arrivé de la tyrannie spectaculaire de la crise du capitalisme drogué, le crime règne en fait comme le paradigme le plus parfait de toutes les entreprises commerciales et industrielles dont l’État est le centre étant donné qu’il se confirme là finalement comme le sommet des bas-fonds et le grand argentier des trafics illégaux, des disparitions obscures et des protections cabalistiques.

 

Plus que jamais, en ce moment très spécifiquement crisique où en France, reprenant le témoin d’une droite complètement épuisée, la gauche du Capital bien vite superbement exténuée est en charge des affaires d’un marché en pleine décomposition, l’exutoire terroriste risque de devenir de plus en plus tentant pour détourner la colère qui monte, il est temps d’en finir avec toutes les mystifications et tous les malheurs historiques de l’aliénation gouvernementaliste afin de commencer à pressentir la possibilité de situations humaines authentiques. Hors de l’économie politique de la non-vie, il convient exclusivement d’organiser le retour aux sources à une communauté d’existence enfin débarrassée de toute exploitation et de toute domination.

 

Pour L’Internationale, Gustave Lefrançais

 

Fin avril 2013

 


 

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samedi, 10 novembre 2012

APUNTES SOBRE “INGSOC”: EL LENGUAJE NO SEXISTA

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APUNTES SOBRE “INGSOC”: EL LENGUAJE NO SEXISTA,

por Cristina Martinez 

Teniendo en cuenta la proliferación de guías de lenguaje no sexista, no queda más remedio que realizar la siguiente reflexión:

Quienes defienden el uso inclusivo del lenguaje arguyen que el género masculino es excluyente. Sin embargo, si analizamos esta afirmación detenidamente, podremos comprobar que, como tantas otras emitidas sin conocimiento suficiente, es falsa.

En la oración los niños pequeños son preciosos, se incluye tanto a las mujeres como a los varones; en cambio, la frase las niñas pequeñas son preciosas sólo puede referirse a mujeres y, por tanto, quedan excluidos los varones. Con este sencillo ejemplo, queda demostrado que el masculino es el género inclusivo y el femenino, el exclusivo. De ahí que en gramática se hable de género marcado (femenino) y género no marcado o genérico (masculino).

Dado que en español, como en otras muchas lenguas románicas, el género no marcado representa la concordancia por defecto, si, a fin de evitar la supuesta discriminación sexista implícita en el lenguaje, según esas guías, recurrimos al desdoblamiento pueden ocurrir dos cosas: o bien, pondremos en peligro la concordancia; o bien, caeremos en imposibles circunloquios que atentan contra el principio de economía lingüística.

Veamos un ejemplo. En la oración los humanos son mamíferos, que hace referencia tanto a mujeres como a hombres, si para evitar la discriminación obedecemos los principios no sexistas que tratan de imponer y recurrimos al desdoblamiento, el resultado, respetando la concordancia, debería ser el siguiente: las humanas y los humanos son mamíferas y mamíferos. Es obvio que, esta solución es impracticable, especialmente a nivel oral, además de caer en irrelevantes repeticiones que cansan al lector o al oyente.

Si se opta por concordar únicamente los artículos definidos, se cae en una incorrección gramatical, dado que en castellano los elementos átonos (los artículos) no pueden ir coordinados. Por tanto, una solución como la que sigue, tan recurrente en los medios de comunicación, es agramatical: las y los humanos son mamíferos.

Otra de las soluciones a la que se ha recurrido es el uso de símbolos, ilegibles en el lenguaje escrito e invisibles en el oral, tales como paréntesis, arrobas, etc.

Al no haber una norma sobre el asunto, no parece ni útil, ni justificado, ni mucho menos necesario recurrir a este tipo de desdoblamientos. Es necesario un criterio unificado que homogeneice los usos lingüísticos y eso, precisamente, es lo que trata de hacer la Real Academia, tan criticada a raíz del artículo de Ignacio Bosque sobre este asunto que, paradójicamente, ha recibido el apoyo de la gran mayoría de los lingüistas.

Es tal la estulticia lingüística de los que se han aventurado a escribir esas guías que confunden género con sexo deliberadamente, porque desconocen que con el género, en español, ocurre algo parecido que con el plural y el singular. Este es el genérico y engloba a aquel. Por tanto, no se excluye al resto de madres cuando se afirma, por ejemplo: Una madre nunca abandona a su hijo.

Si los abanderados del lenguaje no sexista fueran coherentes y siguieran sus propios criterios a pies juntillas, caerían en continuas aberraciones porque cualquier afirmación podría resultarles excluyente. Así, por ejemplo, una afirmación como alimente a su hijo con leche materna puede resultar discriminatoria tanto con las niñas como con el resto de bebés del mundo. Siendo consecuentes con las normas (que, curiosamente, no existen) del lenguaje no sexista, deberíamos optar por: *padres y madres alimenten a todos sus hijas e hijos con leche materna y paterna. Huelga el comentario.

El desdoblamiento sólo está justificado cuando exista ambigüedad que no pueda resolverse mediante elementos extralingüísticos o contextuales. Será totalmente aceptable, en este caso, por ejemplo: Tengo hermanos y hermanas, si el interlocutor desconoce que son varones y hembras; o en este otro: los alumnos, varones y hembras, usarán el mismo uniforme, para aclarar que tanto unos como otras vestirán igual. Excepto en estos pocos casos, el desdoblamiento resulta innecesario e injustificado.

Se ha dicho hasta la saciedad que la lengua no entiende de sexos y, por tanto, es el hablante el que discrimina. Esta es una problemática que debería tratarse desde el punto de vista social, no lingüístico, y proponer soluciones  que sean aplicables en la realidad y no falacias que lo único que proporcionan son discusiones fútiles y gastos inútiles del dinero público. Poco podemos hacer, en cuanto a lengua se refiere, si la idea de igualdad entre hombres y mujeres no es una realidad en el imaginario social. Forzar al uso de un lenguaje artificial, en vez de concienciar activamente sobre el asunto, es un disparate que no sólo atenta contra la libertad de los hablantes sino que, además, contraviene las normas gramaticales y sintácticas del español

Cuando el cambio de mentalidad respecto a este asunto se produzca, de una manera real, en la sociedad; cuando se extienda y se consolide la igualdad de sexos, se trasladará de forma natural a la lengua, sin necesidad de forzar el sistema. La realidad hay que cambiarla de raíz y no limitarse a barnizar las palabras que la reflejan, intentando sugestionar a los hablantes para crearles una suerte de sentimiento de culpa por provocar con sus palabras la discriminación femenina. Esto no es otra cosa que un burdo ejercicio de manipulación de la conciencia y un intento evidente de crear una Neolengua que refleje una realidad que no existe.

Las palabras tienen significado pero no ideología. Yo, personalmente, no voy a eludir de toda responsabilidad al hablante porque, si existe machismo en el lenguaje, es la intención del que lo usa la que lo contiene.

samedi, 16 juillet 2011

George Orwell's Nineteen Eighty-Four

George Orwell’s Nineteen Eighty-Four

By Jonathan Bowden

Ex: http://www.counter-currents.com/ 

george-orwell.jpgGeorge Orwell’s Nineteen Eighty-Four [2] is probably the most important political novel of the twentieth century, but the Trotskyite influence on it is under-appreciated. The entire thesis about the Party’s totalitarianism is a subtle mixture of libertarian and Marxist contra Marxism ideas. One of the points which is rarely made is how the party machine doubles for fascism in Orwell’s mind – a classic Trotskyist ploy whereby Stalinism is considered to be the recrudescence of the class enemy. This is of a piece with the view that the Soviet Union was a deformed workers’ state or happened to be Bonapartist or Thermidorean in aspect.

Not only is Goldstein the dreaded object of hatred — witness the Two-Minute hate — but this Trotsky stand-in also wrote the evil book, The Theory and Practice of Oligarchical Collectivism, which the party defines its existence against. The inner logic or dialectic, however, means that the Inner Party actually wrote the book so that it would control the mainsprings of its own criticism.

One of the strongest features of Nineteen Eighty-Four is its use of what the novelist Anthony Burgess called “sense data.” These are all the unmentionable things — usually realities in the physical world — which make a novel physically pungent or real to the reader. This is the very texture of life under “real, existing socialism”: scraping oneself in the morning with a bar of old soap, the absence of razor blades, human hair blocking a sink full of dirty water; the unsanitary details of conformism, socialist commerce, and queuing which made the novel feel so morally conservative to its first readers. This and the depiction of the working class (or Proles), who are everywhere treated as socially degraded  beasts of burden. Some of the most fruity illustrations come from Winston Smith’s home flat in Victory mansions — the smell of cabbage, the horrid nature of the Parsons’ children, the threadbare and decrepit nature of everything, the continuous droning of the telescreen.

Most of these “sense data” are based on Britain in 1948. It is the reality of Wyndham Lewis’ Rotting Hill — a country of ration cards, depleted resources, spivdom, dilapidated buildings after war-time bombing, rancid food, restrictions, blunt razor blades, and almost continuous talk about Victory over the Axis powers. Britain’s post-war decline dates from this period when the national debt exceeded outcome by seven times — and this was before the joys of Third World immigration which were only just beginning. The fact that Nineteen Eighty-Four is just the conditions in Britain in 1948 — at the level of the senses — is a fact not widely commented on.

The uncanny parallels between Newspeak and political correctness are widely mentioned but not really analyzed — save possibly in Anthony Burgess’ skit 1985, a satire which majors quite strongly on proletarian or workers’ English — whereby every conceivable mistake, solecism, mispronunciation, or scatology is marked up; correct usage is everywhere frowned upon.

Another aspect of the novel which receives scant attention is its sexological implications. In most coverage of Nineteen Eighty-Four the party organization known as the Anti-Sex league is given scant attention. Yet Orwell had considerable theoretical overlaps with both Fromm and Wilhelm Reich — never mind Herbert Marcuse. Orwell’s thesis is that totalitarianism fosters a sexless hysteria in order to cement its power. The inescapable corollary is that more liberal systems promote pornography and promiscuity in order to enervate their populations.

Orwell certainly pin-pointed the arrant puritanism of Stalinist censorship — something which became even more blatant after the Second World War. One also has to factor in the fact that Orwell was living and writing in an era where importing James Joyce’s Ulysses and Henry Miller’s Tropic of Cancer were criminal offenses. Nonetheless, Orwell’s anti-puritanism and libertarianism, sexually speaking, is very rarely commented on. Perhaps this leads to the nakedly sexual rebellion of Winston’s and Julia’s affair against the Party. A series of actions for which the mock-Eucharist, the imbibing of bread and wine in O’Brien’s inner party office, will not give them absolution!

It might also prove instructive to examine the sequences of torment which Winston Smith has to undergo in the novel’s last third. This phase of the book is quite clearly Hell in a Dantesque triad (the introductory section in Victory Mansions and at the Ministry is Purgatory, and Heaven is the brief physical affair with Julia). In actual fact, well over a third of the novel is expended in Hell, primarily located in the fluorescent-lit cells of the Ministry of Love.

This is the period where O’Brien comes into his own as the party inquisitor or tormentor, an authorial voice in The Book, and a man who quite clearly believes in the system known as Ingsoc, English Socialism. He is a fanatic or true believer who readily concedes to the Party’s inner nihilism and restlessness: “you want an image of the future, Winston, imagine a boot stamping down on a human face forever.”

orwell1984.jpg

Moreover, the extended torture scene proceeds over a third of the novel’s expanse and was quite clearly too much for many readers — in north Wales, one viewer of the BBC drama in the mid-fifties dropped dead during the rat scene. I suppose one could call it the ultimate review! Questions were even asked in parliament about what a state broadcaster was spending its money on.

Nonetheless, O’Brien is quite clearly configured as a party priest who is there to enforce obedience to the secular theology of Ingsoc. (Incidentally, Richard Burton is superb as O’Brien in the cinematic version of the novel made in the year itself, 1984 [5].)

The point of the society is to leave the Proles to their own devices and concentrate entirely on the theoretical orthodoxy of both the inner and outer party members. In this respect, it resembles very much a continuation of the underground and Bohemia when in power. You get a whiff of this at the novel’s finale, with Winston ensconced in the Chestnut Tree cafe waiting for the bullet and convinced of his love for Big Brother.

This is the inscrutable face of the Stalin lookalike which stares meaningfully from a hundred thousand posters in every available public place. Might he be smiling under the mustache?


Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2011/07/george-orwells-nineteen-eighty-four/

URLs in this post:

[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2011/07/1984_movie_poster.jpg

[2] Nineteen Eighty-Four: http://www.amazon.com/gp/product/0452284236/ref=as_li_ss_tl?ie=UTF8&tag=countercurren-20&linkCode=as2&camp=217145&creative=399369&creativeASIN=0452284236

[3] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2011/07/goldstein.jpg

[4] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2011/07/bigbrother.jpg

[5] 1984: http://www.amazon.com/gp/product/B00007KQA3/ref=as_li_ss_tl?ie=UTF8&tag=countercurren-20&linkCode=as2&camp=217145&creative=399369&creativeASIN=B00007KQA3

lundi, 08 février 2010

Nouveautés sur le site "Vouloir"

Nouveautés sur le site

http://vouloir.hautetfort.com/

 

vou-7310.jpgPierre-Jean BERNARD :

Les néo-socialistes au-delà de la gauche et de la droite

 

Carl PEPIN :

Sur Georges Valois

 

Paul SERANT :

Sur Georges Valois

 

◊ ◊ ◊

 

Robert STEUCKERS :

Préface à « Religiosité indo-européenne » de H. F. K. Günther

 

Robert STEUCKERS :

La lecture évolienne des thèses de H. F. K . Günther

 

◊ ◊ ◊

 

Ralf VAN DEN HAUTE :

1984, 1984,5, 1985 ou... d’Orwell à Burgess

 

R. DUMAS :

« 1984 » : roman du pouvoir, pouvoir du roman

 

Takeo DOI :

« 1984 » d’Orwell et la schizophrénie

 

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Bruno FAVRIT :

Hypathie, vierge martyre des païens

 

John THORP :

A la recherche d’Hypathie

 

Jean-Yves DANIEL :

L’astronomie des Grecs ou comment « sauver les phénomènes » ?

 

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Frank GOOVAERTS :

Sur l’itinéraire d’Erich Wichman (1890-1929)

 

Robert STEUCKERS :

Adieu à Frank Goovaerts