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jeudi, 12 décembre 2024

La Russie et son double - Entretien avec Gérard Conio

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La Russie et son double

Entretien avec Gérard Conio

Propos recueillis par Frédéric Andreu

A 86 ans, l'auteur de La Russie et son double est ce que l'on appelle un "professeur". En effet, Gérard Conio a la réputation de "dire les choses devant". Et puisque ses propos "donnent du sens", on peut dire de lui qu'il est aussi un "enseignant". 

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Ses analyses de la Russie de Poutine dérangent car elles tranchent avec les idées toutes faites et les poncifs médiatiques. En d'autres termes, Gérard Conio entre dans la complexité de la question russe et cela déplaît aux réducteurs de tête. Un pays-continent vaste comme trente cinq fois la France et traversé par onze fuseaux horaires est complexe. Très complexe. Pour Churchill, la Russie est "un rébus enveloppé de mystère au sein d'une énigme". Avec force réponses, Gérard Conio nous aide a discerner les fausses des vraies fenêtres. C'est sa manière à lui de saluer ses lecteurs avec l'antique courtoisie des gentilshommes. 

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- Cher Monsieur, votre connaissance de la Russie étonne, puisque - sans que rien ne l'y prédisposait dans vos origines familiales - vous devenez un éminent spécialiste de la langue et de la culture de ce pays. Simple enchaînement de faits ou destinée manifeste ? 

Emmanuel Todd a entièrement raison d’appeler à raison garder dans notre relation avec la Russie et avec son président, Vladimir Poutine. Kissinger a déclaré fort justement que la diabolisation de Poutine par les dirigeants occidentaux n’était pas une politique mais l’alibi pour ne pas en avoir une.

Le conflit russo-ukrainien a été certainement une aubaine pour les Etats-Unis qui l’ont provoqué, mais il a été en France le déclencheur d’une vague de racisme antirusse qui s’est appliqué non seulement à la culture, à la langue russe, mais à tout être et tout objet qui pouvait se prêter à cet anathème. On a proscrit les athlètes russes des Jeux Olympiques, sous prétexte de dopage. On a même interdit les chats « russes » dans les salons d’exposition. Quant à l’art, l’un des plus grands musées britanniques a débaptisé les danseuses russes de Degas en les transformant en « danseuses ukrainiennes » !

Pendant deux ans, les plateaux de télévision ont été l’instrument d’un déchaînement de haine fondée sur le mensonge et la diffamation. Récemment encore un général de l’Otan accusait Trump d’être l’agent de Poutine, en oubliant que l’enquête menée par un procureur hostile à Poutine n’avait trouvé aucune preuve de l’ingérence russe dans les élections américaines. Mais ce n’est qu’un détail futile dans la masse de bobards colportés par une chaîne « d’information » qui restera dans l’histoire du journalisme comme « une monstruosité médiatique ». Karl Kraus qui, pendant la première guerre mondiale, conspuait déjà le journalisme de connivence, serait époustouflé aujourd’hui de constater la puissance de frappe d’une propagande axée sur le déni des réalités et la fabrication de l’opinion dans le sens du courant.

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Les mots d’ordre qui ont sévi sous le régime soviétique comme « ceux qui ne sont pas pour nous sont contre nous » paraissent bien faibles devant l’inquisition politico-médiatique qui a mis au ban de l’humanité un peuple qui a sauvé le monde du nazisme et qui aujourd’hui se mobilise contre sa résurgence encouragée, voire exaltée par l’Occident au nom de « la démocratie ».

Cette actualité demande à être éclairée par une histoire falsifiée qui procède à l’inversion des rôles et change le sens des mots en substituant la fiction à la réalité et le mensonge à la vérité. Le seul remède à cette maladie de l’esprit repose sur le conseil que Confucius donnait à l’Empereur de Chine pour remettre de l’ordre dans la cité. « Il faut, disait-il, revenir aux dénominations correctes ». 

- Au cours de votre carrière, vous avez été en contact avec l' "Âge d'homme", maison qui publia des écrivains soviétiques dissidents. Pouvez-vous revenir sur l'histoire de cette Maison qui a marqué les relations Est / Ouest ?

iwites.jpgJe suis entré à l’Âge d’homme en 1972 lorsque Vladimir Dimitrijevic a appris que je possédais l’un des trois tapuscrits originaux des Ames mal lavées de S. I. Witkiewicz (tableau, ci-contre) qui m’avait été confié à Varsovie par la veuve de Witkiewicz. Il m’a demandé de traduire cette dernière œuvre de Witkiewicz que l’on disait perdue, alors qu’elle se trouvait dans une malle chez Jadwiga Witkiewicz. Elle m’avait dit qu’étant donné le caractère pamphlétaire de ce texte, il lui paraissait impossible de le publier en Pologne. Et elle me conseillait de le traduire pour le faire connaître en France. Elle se trompait parce que quelques années plus tard, Anna Micinska l’a édité avec Les Narcotiques. 

Vladimir Dimitrijevic a alors décidé de publier conjointement mes traductions de ces deux œuvres auxquelles j’ai ajouté une étude sur « Witkiewicz et la crise de la conscience européenne », embryon d’une thèse que je n’ai jamais soutenue, car je suis passé de la littérature polonaise à la littérature russe.

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J’ai donné à Vladimir (photo, ci-dessus) des textes sur « Les Futuristes russes » et sur « Le Formalisme et le futurisme russes devant le marxisme » qui ont été mes premières publications à l’Age d’homme avant mes traductions de Witkiewicz qui avaient été retardées à cause des aléas de l’édition. Il m’a ensuite associé à la direction de la collection « Les classiques slaves » dont je me suis occupé, jusqu’à sa disparition en 2011.

Bien que je n'ai pas connu Dominique de Roux, je suis resté en relation avec Jacqueline de Roux qui a dirigé les Cahiers H qui ont pris la suite des Cahiers de l’Herne...

- L'art est une autre fenêtre par laquelle vous observez le monde. En 2005, vous publiez un ouvrage remarqué sur le rapport entre l'art et la société. Comment expliquez-vous que ce dernier ait connu plus d'échos favorables en Russie qu'en France ? 

J’ai rassemblé en 2005 dans L’Art contre les masses mes textes sur l’avant-garde russe, un terme consacré mais inexact, car les artistes que l’on désigne ainsi ne se réclamaient pas de l’avant-garde mais de « l’art de gauche », d’abord dans le sens d’un radicalisme esthétique, puis dans celui d’une symbiose entre l’art et la politique, quand Maïakovski a créé LEF, le Front gauche des arts qui voulait unir « Le front de l’art « et Le front de la vie », construire la vie par l’art, un projet battu en brèche par le pouvoir stalinien qui avait opté pour le « réalisme socialiste ».

Cet ouvrage a été traduit et publié en russe et il a circulé grâce au « bouche à oreille » en suscitant plus d’intérêt auprès des Russes qu’auprès des Français puisque son tirage russe a été rapidement épuisé tandis qu’en France il serait encore disponible si l’Age d’homme avait continué à exister.

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Dans le sillage des futuristes et des constructivistes russe, j’ai voulu dénoncer le leurre de l’imbrication entre le modernisme artistique et la modernité sociale qui aboutit aujourd’hui à la fin de l’art et de la culture. C’est pourquoi j’ai parlé de « la contrainte déguisée en liberté » comme le paradigme de la lutte permanente entre l’homme créatif et l’homme spéculatif.

Les artistes russes qui se réclamaient de « l’art de gauche » voulaient combattre « le byt », la routine, assimilée aux stéréotypes de l’académisme, mais c’est « le byt » qui a triomphé.

Au lieu de s’opposer frontalement à la liberté de création, la modernité sociale l’a revendiquée pour mieux imposer la contrainte que la société de masse exerce sur chaque individu qui la compose. Les tenants de cette ligne de rupture avec le passé, avec la tradition, avec le principe d’une autorité acceptée, ont proclamé le culte universel de la liberté comme un dogme irréfutable. Mais cette liberté couvrait une main de fer dans un gant de velours.

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Jack London avait désigné ce système de coercition qui se réclame de la démocratie comme « le talon de fer ». Et on est entré dans une décadence inéluctable sous le signe de l’anarchie, du chaos, d’une subjectivité sans limite puisqu’une mère a le droit de sacrifier son enfant à son bon plaisir. C’est une subjectivité sanctifiée par le vice et le crime.

Et les rares lanceurs d’alerte qui veulent défendre la vérité contre le mensonge et le respect de la réalité contre le principe de plaisir sont traités comme des ennemis de l’humanité. L’erreur n’est plus dispensatrice d’énergie comme le croyait Victor Chklovksi, elle est devenue une énorme toile d’araignée qui règne sur des esprits atrophiés par l’ignorance, par l’endoctrinement, par la propagande, par la publicité. Sur tous les plans, on assiste à l’apothéose de la destruction, la destruction des moyens de production par la société de consommation qui transforme la masse en un bétail corvéable à merci, la destruction de la faculté de jugement par la coagulation de l’opinion dans un conformisme dont les anciens régimes n’avaient pas idée, la destruction du corps social par la dissolution de la famille, de la nation, de la religion, une dissolution exercée par ceux-là mêmes qui en sont les garants : le gouvernement, l’école, l’église, la destruction de la santé par les laboratoires et par l’académie de médecine, bref, par tous ceux qui prêchent la contrainte déguisée en liberté

lundi, 23 janvier 2023

Ossendowski: le soleil se lève à l'Ouest et se couche à l'Est

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Ossendowski: le soleil se lève à l'Ouest et se couche à l'Est

Fabio S. P. Iacono

Source: https://www.kulturaeuropa.eu/2023/01/12/ossendowski-il-sole-sorge-a-occidente-e-tramonta-a-oriente/

Ferdynand Antoni Ossendowski est né à Ludza, une commune de Lettonie appartenant à la région de Letgallia, en 1876.  Il a fait ses études au gymnase de Kam'janec'-Podil's'kyj, puis a obtenu son diplôme à Saint-Pétersbourg. Il s'inscrit à la faculté de mathématiques-physique de l'université locale.

En tant qu'assistant du professeur Aleksander Zalewski, il a voyagé dans des régions reculées: la Sibérie, le Caucase et les montagnes de l'Altaï. De temps en temps, étant occupé comme écrivain sur le paquebot Odessa-Vladivostok, il a voyagé en Asie et en Extrême-Orient. Pour le récit de son voyage en Crimée et à Constantinople, il a également obtenu des royalties. Pour son voyage en Inde, il a reçu le prestigieux prix de la Société littéraire de Saint-Pétersbourg.

En 1899, après le soulèvement des étudiants à Saint-Pétersbourg, Ossendowski a été contraint de quitter la Russie impériale et de s'installer à Paris, où il a poursuivi ses études à la Sorbonne. Ses professeurs étaient Maria Curie-Sklodowska et Marcelin Berthelot. En 1901, il retourne en Russie, où le professeur Zalewski l'invite à l'Institut de technologie nouvellement fondé à l'Université de Tomsk. Ossendowski a contribué en donnant des cours de chimie et de physique. Parallèlement, il donne des cours à l'Académie agricole et publie de nombreux articles scientifiques sur l'hydrologie, la géologie, la chimie physique, la géographie et la physique.

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Après le début de la guerre russo-japonaise (1904-1905), Ossendowski s'est installé à Harbin, en Mandchourie, où il a fondé le Central Technical Research Laboratory, un institut financé par la Russie pour le développement des gisements de la région. En même temps, il a dirigé la branche locale de la Société géographique russe à Vladivostok. À ce titre, il a effectué de nombreux voyages en Corée, à Sakhaline, en Oussouri et sur les rives du détroit de Béring. En Mandchourie, il devient également l'un des leaders de la diaspora polonaise et publie son premier roman en polonais, Noc ("Nuit"). Il rejoint le Comité central révolutionnaire, une formation politique qui a tenté de prendre le pouvoir en Mandchourie pendant la révolution de 1905.

Après l'échec de la révolution, Ossendowski organise une grève contre la répression du Royaume de Pologne et est ensuite arrêté. Un tribunal militaire le condamne à mort pour conspiration contre le tsar, mais sa peine est ensuite commuée en plusieurs années de travaux forcés. En 1907, il est libéré de prison avec un "ticket loup", qui l'empêche de trouver du travail ou de quitter la Russie. Il se consacre à l'écriture du roman V ludskoi Pyli, qui raconte son internement dans les prisons: avec ce livre, il atteint une grande renommée en Russie, popularité qui lui permet de retourner à Saint-Pétersbourg en 1908. Pendant ce temps, il a continué à écrire des livres en tant que directeur de la "Société du secteur de l'or et du platine" et à collaborer avec divers journaux et magazines, tant russes que polonais.

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Après le début de la Première Guerre mondiale, Ossendowski a continué à publier des livres, notamment un roman de science-fiction, un récit sur les espions allemands en Russie et un pamphlet décrivant les crimes de guerre allemands et austro-hongrois. Après le déclenchement de la révolution de février 1917, Ossendowski est retourné en Sibérie, à Omsk, où il a commencé à donner des cours à l'université locale.

Après la Révolution d'octobre et le déclenchement de la guerre civile russe, il participe au gouvernement russe anti-révolutionnaire dirigé par le chef suprême, l'amiral Aleksandr Vasil'evič Kolčak. Il a servi à divers titres, notamment comme officier de renseignement, envoyé au près du Corps d'intervention américain et comme assistant polonais de la 5e division du major Walerian Czuma. En 1918, il est responsable du transfert de nombreux documents des tsaristes et de l'Armée blanche afin de parvenir à un accord, y compris des documents relatifs aux nombreuses manifestations de soutien allemand à Lénine et aux bolcheviks (documents Sisson).

Après la défaite d'Aleksandr Vasil'evič Kolčak en 1920, Ossendowski rejoint un groupe de Polonais de l'Armée blanche, qui tente d'échapper à la dictature communiste sibérienne en traversant l'Inde, la Mongolie, la Chine et le Tibet. Après un voyage de plusieurs milliers de kilomètres, l'expédition est arrivée en Mongolie, où elle a reçu la citoyenneté des mains du baron Roman von Ungern-Sternberg, un mystique attiré par les religions d'Extrême-Orient comme le bouddhisme et le lamaïsme, qui croyait être la réincarnation de Dayisun Tngri, le dieu mongol de la guerre. Le nationalisme russe et les croyances chinoises et mongoles convergent dans le Baron. Il était vraiment un excellent stratège et chef militaire. Ossendowski a rejoint l'armée du baron von Ungern-Sternberg en tant qu'officier. Il est également nommé conseiller politique du baron et chef des services secrets. À la fin de l'année 1920, il est envoyé en mission diplomatique au Japon, puis aux États-Unis, pour ne jamais revenir en Mongolie.

Après son arrivée à New York, Ossendowski a commencé à travailler pour le service diplomatique polonais et comme espion.

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Fin 1921, il publie son premier livre en anglais: Beasts, Men and Gods. Le livre raconte ses voyages pendant la guerre civile russe et les guerres menées par le Baron. En 1923, il a été traduit en polonais, puis dans plusieurs autres langues.

En 1922, Ferdynand Ossendowski est retourné en Pologne et s'est installé à Varsovie. Immédiatement après son retour, il commence à donner des cours à l'Université libre polonaise, à l'École de guerre et en sciences politiques à l'Université de Varsovie. Dans l'entre-deux-guerres, il a été considéré comme le pionnier du genre narratif appelé roman de voyage. Avec près de 80 volumes publiés en Pologne, traduits dans plus de vingt langues, Ossendowski compte parmi les auteurs polonais les plus publiés dans le monde.

Avec un volume sur Lénine, dans lequel il expose ouvertement les méthodes communistes et les politiques soviétiques, ainsi que la fausseté et le tellurisme démoniaque des cadres communistes. En fait, en Pologne, ses livres ont été interdits pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après la guerre polonaise de 1939 contre le nazisme et le début de la Seconde Guerre mondiale, Ferdynand Ossendowski est resté à Varsovie. En 1942, il se convertit du luthéranisme au catholicisme et rejoint le parti clandestin Narodowa Demokracja l'année suivante. Il a travaillé dans les structures des services secrets, collaborant avec la délégation du gouvernement polonais à la formation de la résistance polonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après le soulèvement de Varsovie, Ossendowski, alors gravement malade, s'est installé à Żółwin, près de Varsovie, où il est mort au cours de l'hiver 1945. Il a été enterré dans le cimetière de Milanówek. Le 18 janvier, la région est occupée par l'Armée rouge. Ossendowski était recherché par le NKVD et était considéré comme un ennemi du peuple pour son livre sur Lénine et le totalitarisme soviétique. Les agents soviétiques ont exhumé son corps pour confirmer son identité et confirmer sa mort.

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Après la guerre, les autorités communistes soviétiques dirigeant la Pologne ont interdit les livres d'Ossendowski. Son nom n'était plus mentionné dans les encyclopédies et tous ses livres avaient été confisqués dans les librairies et brûlés. Leur circulation n'a repris qu'après la chute du mur de Berlin en 1989, la désintégration du "Pacte de Varsovie" et l'implosion de l'URSS la veille de Noël 1991.

Fabio S. P. Iacono

vendredi, 11 décembre 2020

Stanislaw Ignacy Witkiewicz - Le Désastre et l’Adieu

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Luc-Olivier d’Algange:

Stanislaw Ignacy Witkiewicz

Le Désastre et l’Adieu

410-THw2KdL._SX340_BO1,204,203,200_.jpgStanislaw Ignacy Witkiewicz fut une des figures majeures de l’avant-garde polonaise de Zakopane avec ses amis  Witold Gombrowicz, Bruno Schulz et Tadeusz Kantor, lequel fut son metteur en scène. Né le 24 février 1885 à Varsovie, il mit fin à ses jours en 1939, après s’être adonné à la littérature, au théâtre, à la philosophie, à la peinture, à la photographie, dans un jaillissement créateur ininterrompu. Surtout connu comme homme de théâtre, il est aussi l’auteur de plusieurs romans qui subvertissent radicalement, à l’égal de James Joyce, l’art romanesque, parmi lesquelles, Les 622 chutes de Bungo, L’Adieu à l’automne et L’Inassouvissement, autobiographie hallucinée et uchronie terrifiante et prophétique, que les éditions Noir sur Blanc ont pris l’heureuse initiative de rééditer dans la « Bibliothèque de Dimitri », ainsi intitulée en hommage à Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions L’Âge d’Homme. Peu d’œuvres auront davantage fait se heurter, en présence d’un désastre grandiose, le passé et l’avenir, ce qui disparaît et ce qui doit advenir – au point de révoquer en doute la nature même de l’existence des êtres et des choses, et à peu près tout ce que nous pensions savoir de l’esprit humain. L’occasion nous est ainsi donnée de revenir sur cette pensée en action qu’est l’œuvre polyphonique de Witkiewicz.

Ce précipité du temps porté à incandescence ne relève en rien de la fantaisie ou de l’arbitraire d’une subjectivité : la situation historique nous renseigne ; Witkiewicz se donne la mort à l’entrée des troupes étrangères dans son pays. Le passé était détruit, et l’avenir au « nivellisme », autrement dit à la suprême égalité de la mort. Mais avant de se donner la mort, cet homme qui fut prodigieusement un grand vivant fit de l’art, de la littérature, de la philosophie, de l’amour, de la science, de l’ivresse autant d’expériences métaphysiques, mues par une énergie et une discipline peu communes. Avant de quitter le monde qu’il avait prodigieusement honoré  de son intelligence et de ses passions, Witkiewicz, qui se considérait d’abord comme un philosophe, écrivit donc des romans, considérant que la genèse d’une pensée vaut autant que la pensée elle-même dans ses résultats et qu’un roman, diachronique plus que synchronique, témoigne mieux qu’un traité de ces temporalités abruptes ou bouleversées qui révèlent des causes lointaines et des effets indiscernables,  sans plus  céder à l’illusion scientiste des expériences reproductibles. Là où les systèmes traitent de cas généraux, avec des paramètres en nombres limités, le roman décrit des cas particuliers, avec des paramètres en nombre infini.  Là où les systèmes définissent l’humanité en général, le roman va à la rencontre des hommes de chair et de sang, les « frères, les vrais frères », comme disait Miguel de Unamuno.

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Witkiewicz se pose ainsi la question de l’individu, au moment où il lui semble que celui-ci est sur le point de disparaître. Qu’est-ce qu’un individu ? Pour lui, l’individu – ce qui ne peut se diviser – est un irréductible, un indivis, et aussi, comme en témoigne la dernière phrase de L’Adieu à l’Automne, un drôle d’individu, une sorte de mauvais sujet, un mal-pensant.

Dès lors qu’elle échappe à la réduction au plus petit commun dénominateur et qu’elle ose être un défi aux convenances, la pensée ne témoigne plus que pour elle-même. Toutefois, écrit Witkiewicz, « la caractéristique du moment, c’est que l’âme médiocre, se sachant médiocre, a la hardiesse d’affirmer les droits de la médiocrité et de les imposer partout ». Les six décennies qui nous séparent de sa mort, l’une après l’autre, confirment ses vues : « Le nivellisme : cette idée maniaque était comme un fleuve dans lequel s’écoulaient depuis un certain temps, comme de petites rivières, toutes ses autres pensées ; ce fleuve se jetait dans la mer : dans l’idée s’une société d’automates désindividualisés. S’automatiser au plus vite et cesser de souffrir ! »

9782825114629.jpgCe que Witkiewicz nomme le « nivellisme » ne porte pas seulement atteinte à ses goûts ; et il serait trop facile d’opposer le généreux sens commun aux préférences aristocratiques de l’esthète. Ce « nivellisme » est aussi et surtout une négation de la nature humaine dans ses nuances et gradations. Emprisonné dans un seul temps, dans un seul état de conscience et d’être, une seule destinée, nous voici, tel du bétail, au nom du bonheur collectif ou de « l’homme nouveau », livrés à la pire des régressions. Le « nivellisme » sera donc une mise en demeure, à celui qui ne voudra pas s’y résigner, de sauver, une dernière fois avant l’« Adieu », toutes les puissances de l’intelligence, de l’imagination et du désir humain.

Les hallucinogènes, les narcotiques et excitants divers seront, par exemple, pour Witkiewicz, non des complaisances au désespoir et à la confusion, mais des clefs ouvrant à divers états de conscience qui aiguiseront, à l’inverse, la lucidité qu’ils ont pour fonction d’exacerber ou de troubler. De même la culture encyclopédique, loin de ramener au bercail d’un savoir commun, sera pour l’auteur de L’inassouvissement une mise en abyme de l’étonnement : pouvoir être quelques instants l’infini à soi-même et comme la toute-possibilité du monde, mais détachée : « Ensuite un soleil gigantesque, de grands chats paresseux, des serpents et des condors tristes, tous devenaient lui-même et en même temps n’étaient pas du tout lui. »

Toute philosophie, nous le savons depuis Nietzsche, est toujours autobiographique. Celle de Witkiewicz est un combat dans le désastre, un « Adieu » au monde héraldique, en abyme, où le visible fût plus mystérieux encore que l’invisible dont il est l’empreinte.  Un « Adieu » au monde complexe, tourmenté et fallacieux qui devra laisser place à un monde déterminé, banal, simple et sincère  – celui des derniers des hommes dont parle Nietzsche – où la conscience réduite à l’utilité sociale se laissera borner par une morale puritaine, où l’existence comme une corolle frémissante, une corolle épouvantée, s’étiolera dans la communication de masse et l’éclairage sans ombre portée des salles d’opération.

Avant que cette banalité ne fît oublier les fastes qui la précédèrent, avant l’« Adieu », avant « l’oubli de l’oubli » des hommes heureux, des amnésiques, qui, je cite, « ne sauront plus rien de leur déchéance », autrement dit avant la bestialisation et l’infantilisation totale de l’espèce, qui rebutera définitivement la beauté du monde, Witkiewicz évoquera donc le moment inaugural de la pensée : «  Donc tout existe quand même. Cette constatation n’était pas aussi banale qu’elle pouvait paraître. L’ontologie subconsciente, animale, principalement animiste, n’est rien à côté du premier éblouissement de l’ontologie conceptuelle, du premier jugement existentiel. Le fait de l’existence en lui-même n’avait jusqu’alors représenté pour lui rien d’étrange. Pour la première fois il comprenait l’insondabilité abyssale de ce problème ».

L_Adieu_a_l_automne.jpgAvant donc la culture commune « conviviale, festive, et citoyenne », avant « l’homme-masse » – et je renvoie ici à l’excellente post-face à L’Adieu à l’Automne, d’Alain van Crugten, pour la comparaison avec Ortega –, Witkiewicz retourne aux ressources profondes de la culture européenne, à l’esprit critique, à l’ontologie conceptuelle qui laisse entre les hommes et le monde, entre les hommes entre eux, entre la certitude et le doute, entre ce que nous sommes et ce que nous croyons être, une distance, une attention, lesquelles nous rendent à la possibilité magnifique et terrible d’être dissemblables et seuls, au lieu d’être voués, de naissance, à cette fusion sociale purement immanente, ce grégarisme, qui évoque bien davantage la vie des insecte que l’humanitas. Quoi qu’on en veuille, et l’œuvre de Witkiewicz est ici anticipatrice, sinon prophétique ; le « nivellisme », nous y sommes, menacés par la facilité, et « cette sensation de triomphe et de domination qu’éprouvera en lui chaque individu moyen ». L’individu moyen, se concevant et se revendiquant comme moyen sera non le maître sans esclave rêvé par les utopies généreuses, mais l’esclave sans maître, c’est à dire le dominateur le plus impitoyable, le plus résolu, le mieux armé, par sa quantité, le plus administratif, le mieux assis dans sa conviction d’incarner le Bien.

Notons, en passant, la différence fondamentale entre une Église, qui unit les hommes en les considérant comme une communauté de pécheurs, et ces communautés d’« hommes nouveaux », qui se considèrent, dans leur médiocrité, littéralement impeccables et parfaits, sans plus rien avoir à apprendre du passé, et relisons contre eux, comme un alexipharmaque, c’est à dire un contre-poison, les romans provocants, vénéneux, vénériens, sarcastiques, lyriques, coruscants, métaphyiques, cruels et humoristiques de Witkiewicz, relisons dans les heures, et nous savons que les heures, par étymologie sont des prières qui nous restent avant d’être dissous dans la communication de masse, avant d’être, dans l’informe, la proie au pire conformisme !

En lisant les romans de Witkiewicz, on reconnaît qu’il fut homme de théâtre, tant ils semblent se dérouler dans un espace où l’alentour aurait été aboli dans une sorte de frayeur intersidérale. Un vide métaphysique, sans plus de civilisation, ni de spectateurs semble entourer les personnages, dans leur étrangeté même. Sur la scène de l’œuvre, deux configurations du passé s’entrebattent. L’une est liée à la forme, à l’Idéa, au « double regard » platonicien, qui voit les choses comme déjà advenues et comme devant advenir, réminiscence « de ces instants où la vie contemporaine mais lointaine et comme étrangère à elle-même, rayonnait de cet éclat mystérieux que n’avaient habituellement pour lui que certains des meilleurs moments du passé ». L’autre est liée à la force de dissolution, de nostalgie mauvaise : « Être un taureau, un serpent, même un insecte, ou encore une amibe occupée à se reproduire par simple division, mais surtout ne pas penser, ne se rendre compte de rien. »  Autrement dit, être parfait, sans péché, sans manque, sans attente, sans transcendance…  Nous en sommes là. L’heure est, selon la formule rimbaldienne, « pour le moins très sévère ». La témérité spirituelle est requise. L’« Adieu » est une oraison funèbre, mais sans pomposité, à des êtres humains téméraires et fragiles, à des êtres humains imparfaits, livrés à l’incertitude et au doute, à l’exaltation et à l‘acédie, et cette imperfection, pour Witkiewicz, et pour nous qui consentons à être les hôtes du romancier, vaut infiniment mieux qu’une perfection planifiée, une perfection considérée comme due par d’éternels revendiquants,  épris du bonheur de l’amibe – perfection qui ne saurait être réalisée qu’au prix d’une terrible réduction procustéenne. Nous y sommes.

L’« Adieu » de Witkiewicz est un « Adieu » à l’imperfection, c’est à dire un « Adieu » à l’Inassouvissement, à l’insatisfaction, un « Adieu » à la beauté escarpée, anfractueuse, déroutante. Un « Adieu » à la fragilité des hommes seuls, désemparés, pessimistes, audacieux et frémissants. Un « Adieu » à des hommes, qui sont des personnages flamboyants et farfelus alors que nous sommes sur le point d’entrer dans un monde de figurants tristes, ternes et sérieux. Et l’on se souviendra de La Bruyère écrivant : « le barbare est celui qui prend tout au sérieux ».

Luc-Olivier d’Algange 

Stanislaw Ignacy Witkiewicz, L’Inassouvissement, Éditions Noir sur Blanc, 2019.

 

vendredi, 13 mars 2020

Stanisław Przybyszewski

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Stanisław Przybyszewski

Halina Floryńska-Lalewicz

Author: Culture.pl

Writer, poet, dramatist and essayist. Born on 7 May 1868 in Łojewo near Kruszwica, died 23 November 1927 in Jaronty– Inowrocław county.

Upon graduation from a German gymnasium in Toruń (Thorn), Przybyszewski went to Berlin to study architecture and medicine from 1889. In 1892 he edited "Gazeta Robotnicza", the Polish socialist weekly appearing in Berlin. The following year he married the Norwegian writer Dagny Juel and in 1894-98 lived mostly in Norway. While in Germany and Norway, he stayed in close touch with the circles of international Bohemia; he was friends with Edvard Munch, Richard Dehmel, August Strindberg and others.

In 1898 he arrived in Kraków and was appointed editor of "Życie". The following year the magazine went bust for censorhip and financial reasons. In 1901-05 Przybyszewski lived in Warsaw, devoting himself to literary work.

From 1906 to 1918 he stayed in Munich. In 1917-18 he contributed to the Expressionist magazine "Zdrój" which was published in Poznan.

In 1919 he returned to Poland to take civil service posts in Poznan and Gdansk. He also got involved in social responsibility projects - he was the champion and organizer of the construction of a Polish gymnasium and the Polish House in Gdansk. In 1924 he got employed at the Civil Office of the President of the Republic. He was awarded the Officer Cross and the Commander Cross of the Polonia Restituta Order. An active man of letters till his last days, he was the author of a great many publications and gave tremendously popular public lectures.

Przybyszewski's role in the Young Poland period goes beyond the facts contained in his curriculum vitae and, indeed, beyond what he wrote. In the late 19th and early 20th centuries he was a major figure, if not a prophet, of literary life. Writers of more intellectually mature works used to start their discourse from comments on his views. A large percentage of his generation spoke his language. One of the reasons for it was his eccentric personality and his scandalizing legend which included erotic excesses, drinking and the notorious divorce of Jadwiga and Jan Kasprowicz which he had caused. More than that, he was the one to formulate the main philosophical ideas of his generation in a most extreme and dramatic way, and did it through literary provocation.

spybook.jpgHe earned fame in Berlin, where he became a hero of the international artistic community. It was in Berlin that he published his resonant essay "Zur Psychologie des Individuums. I - Chopin und Nietzsche. II - Ola Hansson" 1892 as well as poems Totenmesse, 1895 (Polish version: Requiem aeternam, 1904), Vigilien, 1895 (Polish version: Z cyklu wigilii, 1899), De profundis, 1895 (Polish version 1900), Androgyne, 1900. They introduced themes which would be central to all of his work: individualism, the metaphysical and social status of creative individuals, fate of geniuses, the sense of such attributes of genius as "degeneration" and "illness". He continued to present his philosophical views in essays published in a number of magazines and later collected in the volumes "Auf den Wegen der Seele" 1897 ("Na drogach duszy" [On the Paths of the Soul], 1900), "Szlakiem duszy polskiej" [On the Paths of the Polish Soul], 1917, "Ekspresjonizm, Słowacki i Genesis z ducha" [Expressionism, Slowacki and Genesis from the Spirit], 1918.

Initially open to various views, Krakow's "Życie", coming out in 1897-1900, was transformed into a magazine of the young generation when Artur Górski was appointed editor-in-chief in early 1898, to become the organ of Young Poland. In no. 1 of 1899 Przybyszewski published Confiteor, the manifesto of the new art and one of its key writings. Its main slogan, "art for art's sake", was not just an appeal for the autonomy of artistic activities. It was born out of Przybyszewski's conviction, shared with other artists, that art reveals important truths about existence, reaching the Absolute. The artist's "naked soul", stripped of conventions and freed from social constraints and intellectual stereotypes, is able to transcend the seeming biological and spiritual dualism of the human being. Indeed, this dualism is one of cognitive powers, and conceals the basic unity of being. According to Przybyszewski, the opposition of soul and brain is the opposition of intuitive and discursive cognition; the former, analytical and communicable, belongs to the unified order of social phenomena; the latter is a way in which the individual communicates with absolute reality.

Przybyszewski's manifesto, affirmative of creative individuals as bearers of metaphysical insight, was targeted against the positivist program of socially involved art and the positivist concept of progressive natural and social evolution. It juxtaposed two types of cognition, two moral models and two development ideas: the social one and the individual one. Przybyszewski invoked the anti-positivist trends of contemporary philosophy, represented by Friedrich Nietzsche, Arthur Schopenhauer, Eduard Hartmann, as well as Polish romantic tradition (mainly Słowacki's philosophy of Genesis), theosophy and occultism. His views were also influenced by the heritage of naturalism. The sphere of the Absolute, in which the "naked soul", freed from social constraints, belongs, initially had strongly marked features of the sphere of biology and drive, believed to determine the conscious life of man and to cause permanent moral conflict. Przybyszewski based on it his concepts of "blameless guilt", doom and evil, the latter perceived as the inseparable element of being. Gradually, however, the "naked soul" evolved to become increasingly spiritual, its destructive and self-destructive energy proving the evolution's driving force towards individual perfection. Przybyszewski combined Slowacki's concept of King Spirit who destroys the existing forms of being to create finer ones, with Nietzsche's idea of the Overman. To legitimize these ideas, he finally accepted the concept of re-incarnation.

spybook2.jpgPrzybyszewski translated the philosophical issues raised in his essays and narrative poems into the language of literary prose and drama. A very prolific writer, he published many novels, all of them trilogies, in German and Polish, notably Homo Sapiens, German edition 1895-96, Polish edition. 1901; Satans Kinder, 1897; Synowie ziemi [Sons of the Earth], 1904-11; Dzieci nędzy [Children of Poverty], 1913-14; Krzyk [The Cry], 1917; Il Regno Doloroso, 1924. All of his novels had basically the same type of protagonists, i.e. outstanding individuals destroyed by the social world and by their internal demons. These doomed characters were presented in extreme, frequently pathological, emotional states of alcoholism, jealousy, destructive love. The plots were weak and served as a pretext to analyze the characters' internal states. This new type of the protagonist required appropriate narration techniques that were different from those used in realistic novels. Przybyszewski made innovative use of (seemingly) indirect speech and of internal monologue.

As they violated taboos of social behaviour and were - intentionally - morally provocative, all of his books aroused intense public response. Translated into English, Italian, Czech, Bulgarian, Serbo-Croatian, Yiddish and many other languages, his novels and essays had a major influence on the period's literature, particularly in Scandinavia and Central Europe.

He also wrote a number of dramas, including Das grosse Gluck, 1897; Złote Runo [Golden Fleece], 1901; Śnieg [The Snow], 1903; Matka [Mother], 1903; Odwieczna Baśń [Perennial Fairytale], 1906; Śluby [The Oaths], 1906; Gody życia [The Nuptials of Life], 1910; Topiel [Deep Water], 1912; Miasto [The Town], 1914; Mściciel [The Avenger], 1927. Their themes and characters were similar to those of the novels. Likewise, the plots were flimsy, and were compensated for by numerous monologues and discussions revealing the inner life of the characters.

Przybyszewski's dramas were put on stage in many Polish and European theatres; in a number of cases the staging preceded the coming out in print. In 1921, marking Przybyszewski's thirtieth anniversary as a writer, his dramas appeared in the repertoires of the theatres of Krakow, Warsaw and Lvov. All the premieres were accompanied by heated debates on their literary and moral aspects.

Both the work and the legend of Przybyszewski lost some of its popularity in the twenty years separating the two world wars, other literary events eclipsing them. Przybyszewski's other side came to the forefront, however. This enemy of involvement of art and of any social ties gave himself in to the tide of patriotic feeling, publishing a bilingual pamphlet "Polen und der heilige Krieg; Polska and the Holy War" (1916), an apotheosis of the struggle for national liberation. After World War I his support for the freshly regained statehood was not limited to words; he championed and master-minded pro-Polish public actions and became a valued civil servant. Once a poet maudit, he had a funeral worthy of a dignitary, writes his biographer, Stanisław Helsztyński. Przybyszewski was buried in Góra in the Kujawy region. His coffin was placed in a four-horse carriage decorated with state insignia. The funeral procession was a three-quarter mile long and included state and Church dignitaries, chancellors of colleges and universities, writers and journalists. An honorary salute was fired over his grave. A public collection of money which lasted for four years paid for the stately tomb that has survived to the present day.

Przybyszewski played a major role in Polish cultural life as an artist, thinker and taboo-breaking provocateur. Writing in Polish as well as German, he was among the best-known Polish writers in Europe. Today he is of interest mostly to historians of literature and culture as well as to lovers of the period of Young Poland. Of the few stagings of his dramas, the most interesting performance was that of Matka directed by Krystian Lupa in Jelenia Góra in 1979.

Major publications: "Wybór pism" [Selected Writings], Wroclaw 1966; "Listy" [Letters] vol. 1-2, Wroclaw 1954.

Author: Halina Floryńska-Lalewicz, January 2004
 

dimanche, 15 février 2009

Comment peut-on être polonais?

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com/

Comment peut-on être polonais?

Books Magazine, Février 2009 : "À 25 ans, Dorota Maslowska brosse le portrait au vitriol d'une société en quête d'identité, en apesanteur entre passé communiste et désillusion européenne.

En 2000 - elle a 17 ans -, un mensuel féminin publie son journal intime. À 19 ans, elle écrit Polococktail Party (paru en France aux éditions Noir sur Blanc en 2004). La critique, dithyrambique, la compare à Céline et à Gombrowicz. En quelques mois, près de cinquante mille exemplaires sont vendus : une première en Pologne. Aujourd'hui, Dorota Maslowska a 25 ans et quatre romans à son actif - quatre bestsellers! Une oeuvre en forme de peinture réaliste et désenchantée de la société polonaise actuelle, en particulier de sa jeunesse, paumée et désabusée. Avec Miedzy nami dobrze jest, paru en octobre dernier, l'enfant terrible des lettres polonaises s'attaque cette fois à une Pologne en mal d'identité, perdue entre le souvenir du système communiste et l'espoir déçu de l'adhésion à l'Union européenne. « Cette pièce de théâtre est mon manifeste pour une "polonité" affirmée », a déclaré l'auteur dans une interview au quotidien en ligne Polska Times. Inspirée par son propre modèle familial, traditionnel et provincial, elle explore le quotidien de trois générations de femmes vivant sous le même toit : « La grand-mère vit hantée par ses souvenirs de la guerre ; la mère cherche le réconfort dont elle a besoin pour pallier le vide de son existence dans les publicités pour Karefour et Zant [Carrefour et Géant] ; la fille tente de se construire au milieu du néant qui caractérise le nouveau mode de vie. »

Chronique d'une société en mal d'être, où la consommation devient « l'étiquette à travers laquelle on construit son identité, où posséder et avoir deviennent synonymes d'exister, où les objets symbolisent les briques avec lesquelles on tente de recomposer un monde tombé en morceaux », explique la jeune femme. « Les trois héroïnes passent leur temps à dire ce qu'elles ne feront pas, à parler des lieux où elle: n'iront pas. Leur monde est un immense manque : elles ne partent pas en vacances, ne téléphonent pas, n'ont pas chacune leur chambre... Et elles veulent pas être polonaises. Elles obsédées par ceux qu'elles appellent "les gens normaux", ces "Européens' qu'elles ne seront jamais et qui ne sont concrètement personne. Les Polonais ne veulent plus être personne, analyse la romancière rebelle. Perdus entre passé et présent, doutant de l'avenir, assommés par le matraquage télévisuel et les grands discours des intellectuels nationaux déconnectés de la réalité, pris en étau entre la grisaille de leur vie et le monde virtuel des publicités multicolores, les personnages de Dorota Maslowska voient le simple fait d'être polonais comme un défaut, presqu'une tare.

Six ans après avoir dynamité le monde des lettres polonaises par sa verve enragée, sa langue amère, orale mais imagée, celle que l'on surnomme la Françoise Sagan de Gdansk a décidé de remettre au cœur du débat public une question fondamentale : que signifie être polonais aujourd'hui? Dorota Maslowska avoue ne trouver l'inspiration que dans la colère : « Sans colère, je ne sais pas écrire. Il y a quelques mois, j'étais invitée à un anniversaire. La fête était orgiaque, les décorations démesurées, la nourriture presque trop raffinée. Là, en regardant autour de moi, j'ai vu le vide terrible dans les yeux des invités, les cadavres des crevettes flambées à la vodka et les mégots de cigarettes. Je suis rentrée chez moi emplie d'une colère hors norme

La littérature de l'Est a trouvé sa nouvelle voix : c'est celle de la révolte. Et selon la critique polonaise, elle devrait continuer à faire parler d'elle."