lundi, 29 août 2022
L'Idiot International. Sur l'utilité du non-conformisme
L'Idiot International. Sur l'utilité du non-conformisme
Bernard Lindekens
Source: Knooppunt Delta Vzw - Nieuwsbrief Nr 171 - Augustus 2022
Non, je ne suis pas Charlie. Je l'admets volontiers. Pour moi, Charlie Hebdo était et est encore trop un produit du Mai 68 éculé qui ressasse sans cesse les mêmes clichés. La satire est une forme d'art et le non-conformisme une attitude face à la vie. Il est même typique de notre époque qu'un tel magazine devienne le porte-drapeau de la liberté d'expression. Cependant, dans la période 1989-1994, la France a eu un véritable journal non-conformiste : L'Idiot International (1).
L'histoire de L'idiot commence en fait avec un seul homme: le merveilleusement excentrique Jean Edern Hallier (1936-1997) (2). Fils du général André Hallier, il se convertira très jeune à la littérature. Il a rencontré Jean Cocteau à l'âge de 15 ans et a fondé en 1960, avec Philippe Sollers, la revue littéraire d'avant-garde Tel Quel. À peine trois ans plus tard, il est viré de la rédaction par le même Sollers et fait ses débuts avec Les Aventures d'une jeune fille. Un début, d'ailleurs, qui a été salué par Pierre Klossowski et Michel Foucault. Outre son statut d'auteur, Jean Edern Hallier fonde la première radio libre de France (Radio Verte) et sa propre maison d'édition, les éditions Hallier, qui sera reprise en 1978 par Albin Michel. Un an plus tard, cette maison d'édition publiera également Les Idées à l'endroit d'Alain de Benoist.
L'Idiot International : la première tentative
La première tentative de L'Idiot International se produit dans les derniers jours de Mai 68. Jean Edern a fondé la revue avec Bernard Thomas et elle a été initialement soutenue par Simone de Beauvoir et largement financée par Sylvina Boissonnas, la marraine des maoïstes en France. La ligne est clairement gauchiste et des traductions issues du mouvement italien Lotta Continua apparaissent occasionnellement. A partir du 22 mai 1973, cependant, un nouveau quotidien de gauche est vendu dans les kiosques : Libération, soutenu par Jean-Paul Sartre. L'Idiot s'est arrêté.
Jean-Edern Hallier a ensuite publié des livres, rassemblé des pamphlets jusqu'à l'épisode tristement célèbre de son propre "enlèvement" en 1982, prétendument commis par les "Brigades révolutionnaires françaises". Malgré ses efforts frénétiques pour s'attirer les faveurs du candidat à la présidence François Mitterrand, Hallier ne se voit pas offrir de poste lors de son élection en 1981. Le nouveau président de la République est alors devenu son plus proche ennemi. Hallier a fait tout son possible pour publier son livre L'Honneur perdu de François Mitterrand, mais n'a pas trouvé d'éditeur.
Mais c'est un excellent prétexte pour lui de réactiver L'Idiot en 1984 avec l'aide de Philippe Sollers, Jean Baudrillard, Roland Topor... Mais les problèmes de censure ont pris le dessus. Hallier a attendu un nouveau coup médiatique pour lancer L'Idiot une troisième fois. Cette opportunité s'est présentée le 26 avril 1989 par l'intermédiaire de Salman Rushdie. Christian Bourgeois, l'éditeur actuel de Rushdie, qui détenait les droits des Versets sataniques, a refusé - sous la pression - de publier le livre. Hallier a alors publié une traduction sauvage du livre, ce qui a donné lieu à un procès et à beaucoup de publicité. Pendant ce temps, Hallier est plus disposé que jamais à attaquer la réputation de Mitterrand, et en 1990, il accepte l'inacceptable : un livre et un film présentant Fidel Castro comme "celui qui s'oppose aux Américains". Il en a tiré beaucoup d'argent, généreusement offert par le département "propagande" du Parti communiste français (PCF), qui était au bord de l'implosion après la chute du mur de Berlin. Avec Hallier, le PCF a voulu reprendre contact avec la jeunesse et le monde intellectuel. Pour Edern Hallier, cela signifiait qu'il aurait la force financière nécessaire pour donner un nouveau souffle à L'Idiot.
Troisième fois, c'est alors le bon moment...
Quoi qu'il en soit, cela permet à Hallier de relancer réellement L'Idiot avec une nouvelle équipe, et quelle équipe ! Les critères de recrutement sont clairs : être capable de manier une plume polémique et d'exprimer une opinion claire. Progressivement, le magazine se transforme également en un incubateur de nouveaux talents. Les éléments suivants passent en revue à une vitesse folle : Frédéric Beigbeder, le philosophe Alain de Benoist, Frédéric Berthet, Patrick Besson, l'architecte Gilbert Castro, Jean Cau, Patrick Chassé, Marc Cohen, Jean Paul Cruse, Laurent Dandrieu, Michel Déon, Jean-Paul Dollé, Jean Dutourd, François-Bernard Huyghe, Jacques Laurent, Philippe Lecardonnel, Bertrand Leclair, le flamboyant Édouard Limonov, Gabriel Matzneff, Philippe Muray, Philippe de Saint-Robert, Alain Sanders, le chanteur Renaud (Séchan), Thierry Séchan (frère de), Philippe Sollers, Alain Soral (alors PCF), l'humoriste Morgan Sportès, le dessinateur Konk, Frédéric Taddeï, l'avocat Jacques Vergès...
L'un des contributeurs les plus remarquables du tout début est Marc-Édouard Nabe. Depuis la publication de son premier livre, Au régal des vermines, qui a donné lieu à des accusations d'antisémitisme, il est le personnage controversé par excellence. En plus de Marc Edouard Nabe, un autre auteur fait ses débuts à travers L'Idiot : un certain Michel Houellebecq ! Entre octobre 1991 et juin 1992, il a publié cinq articles dans L'Idiot international, principalement sur l'évolution de la presse féminine. Son amitié avec Nabe n'y était probablement pas étrangère. Au début des années 1990, les deux hommes vivaient à la même adresse (103 rue de la Convention dans le 15ème arrondissement de Paris), presque comme des serre-livres l'un pour l'autre. Tous deux appartenaient à la même génération, venaient d'une classe moyenne inférieure similaire et avaient des mères corses dominantes contre lesquelles ils se rebellaient. Tous deux ont également établi leur réputation en recherchant la controverse. Nabe était le partenaire principal dans cette relation, jusqu'à ce que Houellebecq soit catapulté à la célébrité en 1998 avec le magistral Les Particules élémentaires.
Il n'y avait pas de véritable ligne idéologique ou éditoriale dans le magazine. Il y avait cependant les points communs de la lutte contre le régime de François Mitterrand, contre le (néo)libéralisme et le traité de Maastricht, l'opposition à la première guerre du Golfe, l'engagement pour le tiers monde et la cause palestinienne. Cependant, les charges s'accumulent sur le bureau de Hallier, les amendes et les confiscations se succèdent. Il y a eu les inculpations de Jack Lang et de Bernard Tapie. Les controverses ont continué jusqu'à ce que les huissiers mettent fin à l'aventure du journal satirique. C'est à cette époque qu'Edwy Plenel du Monde (aujourd'hui Mediapart) a apporté sa contribution. Il y a d'abord eu Limonov qui a écrit à la fois dans L'Idiot et dans le journal de droite Le Choc du Mois. Puis, le 10 janvier 1992, Arnaud Spire, l'un des rédacteurs en chef de L'Humanité, a invité Alain de Benoist pour une interview radio. Le 12 mai, Alain de Benoist est invité par les mêmes Arnaud Spire et Francette Lazard, sous les auspices de l'Institut de recherche marxiste. Le 19 mai, le secrétaire de rédaction de L'Idiot, Marc Cohen, a participé avec Jean-Marie Domenach à un débat sur le "nouveau paysage intellectuel" organisé par le magazine Eléments. Lorsque Jean-Paul Cruse a publié le texte provocateur "Vers un Front National" dans L'Idiot le 5 mai 1993, avec la grande phrase d'ouverture "La gauche, en France, c'est fini". Pour toujours. Et c'est bien", et tout est fini.
Pour Edwy Plenel et l'écrivain de troisième ordre Didier Daeninckx, il n'en fallait pas plus pour parler d'une "conspiration rouge-brune" qui allait menacer la paix mondiale - encore une fois ! En réalité, cependant, il se passait quelque chose de très différent. A cette époque, dans le contexte de la succession de Georges Marchais, une bataille entre tendances se déroulait au sein du PCF. Un groupe minoritaire, dirigé par Pierre Zarka, voulait apparemment transformer le PCF en un parti plus radical avec un fort penchant populiste, qui entendait transcender la dichotomie droite-gauche à certains égards. En fin de compte, le groupe autour de Robert Hue a remporté la mise. Quant à Jean-Edern, il a pris ses distances avec son ami Cohen d'une manière peu élégante. Jean Paul Cruse a été victime d'une chasse aux sorcières au sein de Libération, où il était employé comme journaliste. Peu de temps après, L'Idiot a disparu de la scène pour refaire surface une dernière fois en avril 2014. Cependant, cette version, éditée par son fils Frédéric Hallier, ne durera que trois numéros et disparaîtra ensuite en silence. Pourtant, entre 1989 et 1994, le magazine allait devenir une oasis de liberté d'expression.
Ou comme l'a dit un jour Alain de Benoist : "Dans le monde utilitaire dans lequel nous vivons, où l'intolérance et le conformisme interdisent désormais tout débat, L'Idiot était un petit grain de sable qui, sinon bloquait la machine, du moins la dérangeait. Il serait dommage de l'oublier" (3).
Notes:
1) Fréderic Haller & Denis Gombert (ed.), L'Idiot international. Une Anthologie, Albin Michel, Paris,2005, ISBN 2-226-15199-0, 229 p.
2) Jean-Claude Lamy, Jean-Edern Hallier. L'idiot insaisissable, Albin Michel, Paris, 2017, ISBN 9 782226 319975, 594 p.
3) Voir : ICI
Bernard Lindekens
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samedi, 11 janvier 2020
Mort aux fafs ! La nouvelle charge d'Alcide Gaston !
82 pages. Imprimé sur un luxueux papier couché!
Mort aux fafs !
La nouvelle charge d'Alcide Gaston !
The road of excess leads to the palace of wisdom ( Le chemin de l’excès mène au royaume de la sagesse) - William Blake in The Marriage of Heaven and Hell
Dans cette véritable catharsis littéraire, Alcide Gaston érige plus que jamais l’excès au rang de purge existentielle, exercice ô combien périlleux et réservé à une certaine trempe d’hommes différenciés.
Confrontant volontiers le phantasme à la triste réalité, ce nouveau scandale éditorial plongera le lecteur dans une intrigue au sein de laquelle le « camp national » subit l’inenvisageable.
Fort éloigné d’un quelconque style d’écrivain « con-for(t)-maté », cette contribution de Gaston rappelle avant tout aux jeunes malappris dotés d’égos démesurés, qu’il en cuira à quiconque néglige le respect que l’on doit à celles et ceux qui nous ont précédés sur le chemin menant à la Victoire !
Avertissement de l’éditeur :
Compte tenu du simple fait que cet ouvrage comporte dans sa fiction plusieurs scènes que la morale réprouve, il est entendu que ledit livre s’adresse, et sans exclusive pour son lieu de dépôt légal, aux Hommes, Femmes, LGBT…XYZ de plus de 18 années révolues. Et/ou dans un pays exigeant autre législation, l’importateur se conformera aux lois en vigueur de son propre pays d’importation.
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jeudi, 11 octobre 2012
Rencontre avec les Editions du Rubicon
PARIS (NOVOpress) – Fondées en septembre 2012, les Editions du Rubicon sont une nouvelle maison d’édition non-conforme qui se propose de faire connaître au plus grand nombre des « ouvrages militants », notamment étrangers, susceptibles de nourrir le combat identitaire et patriote contemporain. NOVOpress a décidé d’en savoir plus sur cette courageuse et stimulante initiative. Entretien
NOVOpress : Vous venez de fonder les « Editions du Rubicon », pouvez-vous nous dire dans quel but et quelles en sont les spécificités ?
Pour répondre à votre première question, je citerais tout simplement les quelques lignes de présentation qui figurent sur notre site Internet (www.leseditionsdurubicon.com) : “Animée par un esprit libre et non conformiste, cette maison d’édition créée en 2012, vous fera découvrir au travers de ses réalisations présentes et à venir, l’univers du livre politique. En choisissant de mener à terme des projets éditoriaux de militants engagés, nous proposons à votre esprit de partir à l’assaut de ce monde vétuste et sans foi”.
NOVO : Pour votre première publication, vous avez choisi de présenter et de diffuser la traduction française du livre d’Adriano Scianca « Reprendersi tutto » ou, en français, « Casapound: une terrible beauté est née ». Pourquoi ce choix et quelle a été la genèse de ce projet ?
Nous avons découvert ce livre et rencontré son auteur lors d’une expédition militante du MAS (NDLR: Mouvement d’action sociale) en mai 2011 à Rome (Tana del Tigri 2011) chez nos camarades italiens. Nous avons rencontré en Adriano Sciancca un militant politique, responsable culturel de Casapound, qui par ses écrits nous permettait de comprendre l’identité profonde du mouvement et nous explicitait les fondements et principes sur lesquels CasaPound et son action politique se fondent. Nous avons été séduits par cette approche à la fois politique et philosophique. Il se dit beaucoup de choses en France sur Casapound. L’idée de pouvoir fournir au public francophone un véritable outil de compréhension de l’essence du phénomène italien s’est donc alors naturellement imposée.
NOVO : Le livre d’Adriano Scianca est assez « dense », on y trouve de nombreuses références philosophique et il aborde des aspects politiques et sociaux très spécifiquement « italiens », la traduction d’un tel ouvrage n’a pas dû être aisée. Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Le livre d’Adriano Scianca est riche, c’est vrai. Riche d’enseignements, de concepts et surtout d’inspiration. Effectivement, il aborde un certain nombre d’éléments typiquement et spécifiquement italiens qu’il a fallu annoter, expliciter.
Les échanges réguliers avec l’auteur, l’aide des camarades français vivants à Rome et notre connaissance de la politique italienne nous ont permis de surmonter les difficultés de traduction, les spécificités de langages et le tropisme politique. Ainsi, nous avons agrémenté le texte de plus de 600 notes de bas de page. Nous avons également inséré un cahier photos en couleur de 24 pages qui permet d’illustrer qualitativement l’esthétique de Casapound (flyers, affiches, décorations intérieures des lieux de vie du mouvement, manifestations de rue, concerts, etc.)
En cela, cet ouvrage n’est pas à prendre comme un mode opératoire d’applicabilité, mais plutôt comme un outil de travail militant qui doit amener tout un chacun à repenser ses modalités d’action et de réflexion politiques en vue d’un ancrage dans le réel. Avec comme seul objectif, la victoire !
NOVO : Selon vous, que peut-apporter à un lecteur français la découverte de cet ouvrage présentant les « 40 concepts » qui fondent l’action du mouvement politique et social italien Casapound ?
Tout d’abord, la lecture de ce livre permettra au lecteur de mieux cerner le mouvement des fils de la Tortue, d’apprécier le sens et les raisons de leur développement mais également de « démystifier » Casapound et de soustraire la réalité de ce mouvement aux légendes qui courent sur lui dans les milieux français.
Ensuite, soyons clairs, l’Italie n’est pas la France. Ce livre n’est donc pas à prendre comme un manuel pratique de militance mais bien plutôt comme un outil de travail et de réflexion. La puissance de cet ouvrage réside dans le fait qu’Adriano a su mettre les mots sur les enjeux majeurs de notre monde et faire de ces mots des leviers d’action. En clair, ce livre doit amener chaque lecteur à reformuler, repenser les modalités, les fondements de l’action politique dans une perspective résolument positive, réaliste et avant-gardiste.
Plus largement, ce livre nous invite à entrer en rupture pour dépasser le paradigme militant habituel et entamer une réflexion globale sur les moyens d’action efficients qui s’offrent à nous.
NOVO : Pouvez-vous nous dire un mot de l’accueil et de la réception de ce livre en France ou est-ce encore trop tôt ?
Cet ouvrage répond à une véritable attente du public francophone. L’accueil qui lui a été fait est extrêmement positif sur le fond comme sur la forme. Nous avons annoncé la sortie du livre début septembre sur les ondes de Méridien Zéro, l’émission francophone de Radio Bandiera Nera. Nous avons également réalisé un film promotionnel diffusé sur internet (vous le trouverez sur notre site) qui nous a valu d’excellents retours.
NOVO : Pour finir, pouvez-vous évoquer vos futurs projets éditoriaux ?
Nous avons un certain nombre de projets éditoriaux en soute. Nous souhaitons développer des écrits politiques de réflexion et d’action. Des écrits incisifs, taillés pour l’époque de fer qui est la nôtre. Nous voulons proposer des armes adaptées au combat d’aujourd’hui. Cependant, il nous faut rester modeste car chaque livre engage le suivant. Donc pour le moment, nous nous consacrons à la diffusion du livre sur Casapound.
Les Editions du Rubicon
21 rue Fécamp
75012 Paris
contact@leseditionsdurubicon.com
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mardi, 22 février 2011
2de Tref- & Familiedag: Ode aan het non-conformisme
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18:40 Publié dans Evénement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : événement, flandre, non-conformisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 26 octobre 2008
Figures dissidentes
Figures dissidentes
Trouvé sur : http://archaion.hautetfort.com
Comme le rappelle le politologue suisse Eric Werner, le dissident est, à l’origine, celui qui s’assied en travers : non point marginal -avec ce que ce terme comporte de pose -, mais ailleurs par rapport à la doxa dominante. Paradoxal au sens étymologique. Professeur de sciences politiques à l’Université de Genève, Eric Werner a signé, aux éditions L’Age d’Homme, deux essais remarqués, L’Avant-guerre civile et L’Après démocratie. Il y étudiait avec une rigueur d’entomologiste les dérives et les bouleversements en cours de la modernité tardive. Aujourd’hui, ce disciple du dissident russe Alexandre Zinoviev publie une série de courts dialogues caustiques sur ce qu’il appelle « les postiches de la démocratie-fiction ». Y interviennent le Sceptique, l’Etudiante ou l’Ethnologue, personnages masqués qui parlent en privé du monde tel qu’il va : la voiture, les tests ADN, les mégafichiers, ou de grands thèmes : l’immigration et les bouleversements qu’elle implique pour nos descendants, la lutte contre ( ?) le terrorisme et le contrôle social généralisé qui en est le corollaire obligé,… J’écris « en privé », car vu le recul des libertés publiques, il faut parfois prendre quelques précautions, comme celle conseillée au moment de l’affaire Elf à la juge Eva Joly par l’un des plus hauts magistrats de France : « Madame, je tiens de source incontestable que vous êtes entrée dans une zone d’extrême danger. Ne vous approchez pas des fenêtres. »
E. Werner joue finement du paradoxe pour démonter les discours lénifiants, par exemple sur la gouvernance. Les figure d’Antigone et d’Œdipe lui inspirent des pages d’une lucidité exemplaire: la première n’est-elle pas l’archétype de la personne qui réalise seule son destin, car autonome ? Quant au roi de Thèbes, son ombre ne plane-t-elle pas sur mai 68 ? En effet, à rebours d’une commémoration béate ou grincheuse, Werner voit bien que ce psychodrame (que l’on distinguera nettement de la crise sociale de l’époque) fut un parricide symbolique: sans pour autant se priver de dividendes bien concrets, une génération refusa d’assumer son héritage en contestant le principe même de continuité. Au fondement de cette posture, le dogme de l’indispensable rupture avec la tradition en vue d’une illusoire liberté. D’autres réflexions, notamment sur Benoît XVI et son discours de Ratisbonne, mériteraient de longues citations tant elles vont à l’essentiel…mais ne nous approchons pas des fenêtres.
Autre philologue stricto sensu, c’est-à-dire amoureux du langage comme vecteur de vérité, Philippe Barthelet, écrivain, disciple de Gustave Thibon, producteur à France Culture, un homme très actif et qui a entrepris de bâtir une métaphysique de la grammaire. Jugez plutôt : « Quand la piété n’est plus tenable et qu’elle devient révolte, au risque de la folie mais aussi de l’insanité, celle outrancière et insignifiante dont le siècle s’accommode si bien, qu’il en a fait sa musique de table. » Ne vient-il pas de décrire en peu de mots tout le malaise moderne ? Ou encore, à propos de la vie en société : « rien n’est rompu entre nous ; tout est évanoui ». Qui dit mieux dans l’actuel vacarme ? Eloge des poètes de langue wallonne (« plus-que-français, qui portent à notre langue un amour indécourageable, celui des marches »), citations latines (Deus imperat, angelus operat, homo obtemperat – Alain de Lille, un voisin à nous), défense de l’accent circonflexe (« fantôme des lettres disparues ») ou charge contre la corruption du langage (« incivilité » ou « bouffon » ont récemment changé de sens), l’Olifant de messire Barthelet recèle des trésors de civilisation et de sagesse. Mieux : croyant en la résurrection, ce rebelle insuffle à ses lecteurs un refus serein du déclin, ce qui fait de L’Olifant un précieux viatique – terme que je ne prendrai pas ici au sens d’extrême-onction !
« Ignorance volontaire, lâcheté, servilité, grégarité, moralisme : tous les attributs du multiculturalisme » : Richard Millet, écrivain et éditeur chez Gallimard, ne mâche pas ses mots contre ceux qu’il désigne comme de « faux dévots, de mauvais prêtres – des techniciens de la parole flatulante ». Réjouissant franc-parler au temps des cuistres et des journaleux, les premiers armant idéologiquement les seconds ! Millet désigne l’ennemi, mixte de puritain et de faussaire, l’auxiliaire de l’appareil techno-marchand à prétention humanitaire. Ce lecteur de Du Bellay défend dans L’Opprobre la dimension théophanique de la langue. Le voilà donc philologue, au même titre que Barthelet ou que Werner. Un homme libre, entré en dissidence contre la doxa dominante (précisons: doxa, et non pensée), qui retrouve les accents de Jünger avec l’image salvatrice de recours aux forêts, ou ceux de Heidegger quand il évoque l’obscurcissement du monde et la fuite des dieux. Si R. Millet propose de réactiver la retraite sur les cimes, si au devoir de mémoire il préfère la prière du cœur, la seule qui vaille, s’il refuse les discours convenus sur l’Islam par exemple, au contraire de ses deux confrères, il n’évite pas toujours un écueil bien parisien tel que la jonglerie de concepts ou l’autoglorification (« je suis le dernier écrivain »). Unique bémol tout compte fait secondaire, car ferme demeure sa langue - et droite sa pensée.
Werner, Barthelet, Millet : trois besaces de tomates contre l’imposture aux mille faces.
Christopher Gérard
Eric Werner, Ne vous approchez pas des fenêtres, Xenia, Vevey, 136 p., 14€
Philippe Barthelet, L’Olifant, Rocher, Monaco, 222 p., 18€
Richard Millet, L’Opprobre, Gallimard, Paris, 178 p., 11.5€
Publié dans La Revue générale, juin 2008
00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dissidence, philosophie, insolence, anti-conformisme, non-conformisme, anarchistes de droite | | del.icio.us | | Digg | Facebook