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mardi, 23 février 2016

Privatisation: la tactique Atlantiste pour attaquer la Russie

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Privatisation: la tactique Atlantiste pour attaquer la Russie

Ex: http://www.histoiretsociete.wordpress.com

Source : CounterPunch

Par PAUL CRAIG ROBERTS – MICHAEL HUDSON

Il y a deux ans, des officiels russes discutaient de plans d’action pour privatiser un groupe d’entreprises nationales dirigées par le producteur de pétrole Rosneft, la banque VTB, Aeroflot, et Russian Railways. L’objectif de départ était de moderniser la gestion de ces sociétés, et aussi d’inciter les oligarques à commencer à ramener leurs capitaux expatriés depuis deux décennies pour les investir dans l’économie russe. La participation étrangère était sollicitée dans les cas où le transfert de technologie et les techniques de gestion pouvaient aider l’économie.

Toutefois, les perspectives économiques russes se sont détériorées, à mesure que les États-Unis poussaient les gouvernements de l’Ouest à imposer des sanctions économiques contre la Russie et que les prix du pétrole baissaient. Cela a rendu l’économie russe moins attractive pour les investisseurs étrangers. Dès lors la vente de ces sociétés aujourd’hui rapporterait des montants bien inférieurs à ce qu’ils auraient pu représenter en 2014.

Entre-temps, la combinaison d’une hausse du déficit budgétaire intérieur et du déficit de la balance des paiements a donné aux défenseurs de la privatisation un argument pour pousser davantage aux ventes. Le défaut dans leur logique est leur hypothèse néolibérale selon laquelle la Russie ne peut pas seulement monétiser son déficit, mais a besoin pour survivre de liquider plus d’éléments majeurs de son patrimoine. Nous mettons en garde la Russie d’être assez crédule pour accepter ce dangereux argument néolibéral. La privatisation n’aidera pas à la ré-industrialisation de l’économie russe, mais aggravera sa transformation en une économie rentière dont les profits seront extraits au bénéfice de propriétaires étrangers.

Pour s’en assurer, le président Poutine a mis en place le 1er février un ensemble de modalités dont le but est d’empêcher les nouvelles privatisations d’être aussi désastreuses que les ventes réalisées sous l’ère Eltsine. Cette fois les biens ne seront pas vendus en dessous du prix du marché, mais devront refléter la réelle valeur potentielle. Les firmes vendues resteront sous la juridiction russe, et ne seront pas gérées par des propriétaires étrangers. Les étrangers ont été invités à participer, mais les sociétés devront rester soumises aux lois et réglementations russes, y compris les restrictions concernant le maintien de leurs capitaux en Russie.

De plus, les firmes destinées à être privatisées ne peuvent être achetées grâce à un emprunt auprès d’une banque publique nationale. L’objectif est d’obtenir de “l’argent comptant” des rachats – idéalement de devises étrangères détenues par des oligarques de Londres et d’ailleurs.


Poutine a judicieusement écarté de la vente la plus grande banque de Russie, Sberbank, qui détient la plupart des comptes épargne de la nation. Les activités bancaires doivent évidemment rester largement un service public, et cela parce que la capacité de création monétaire par le crédit est un monopole naturel et de caractère intrinsèquement public.
Malgré ces protections ajoutées par le président Poutine, il y a de sérieuses raisons de ne pas poursuivre avec ces privatisations récemment annoncées. Ces raisons vont au-delà du fait qu’elles seraient vendues en période de récession économique résultant des sanctions économiques de l’Ouest et de la chute du prix du pétrole.

Le prétexte cité par les officiels russes pour vendre ces sociétés à l’heure actuelle est le financement du déficit du budget intérieur. Ce prétexte montre que la Russie ne s’est toujours pas remise du désastreux mythe de l’Ouest atlantiste selon lequel la Russie doit dépendre des banques étrangères et des porteurs d’obligations pour créer de l’argent, comme si la banque centrale russe n’était pas capable de monétiser elle-même son déficit budgétaire.

La monétisation des déficits budgétaires est précisément ce que le gouvernement des États-Unis a fait, et ce que les banques centrales de l’Ouest ont fait dans l’ère post-Seconde Guerre mondiale. La monétisation de la dette est une pratique courante à l’Ouest. Les gouvernements peuvent aider à relancer l’économie en imprimant de la monnaie au lieu d’endetter leur pays auprès de créanciers privés qui drainent les fonds du secteur public via le paiement des intérêts aux créanciers privés.


Il n’y a pas de raison valable de recueillir des fonds de banques privées pour fournir au gouvernement de l’argent lorsqu’une banque centrale peut créer le même argent sans avoir à payer les intérêts de prêts.

Néanmoins, il a été inculqué aux économistes russes la croyance occidentale selon laquelle seules les banques commerciales devraient créer de l’argent et que les gouvernements devraient vendre des obligations portant intérêt dans le but de recueillir des fonds. La fausse croyance selon laquelle seules les banques privées devraient créer de l’argent via des prêts mène le gouvernement russe sur le même chemin qui a conduit l’Euro-zone dans une impasse économique.

En privatisant la création monétaire par le crédit, l’Europe a fait passer la planification économique des mains des gouvernements démocratiquement élus vers celles du secteur bancaire.


La Russie n’a pas besoin d’accepter cette philosophie économique pro-rentière qui saigne un pays de ses revenus publics. Les néolibéraux l’ont promu non pas pour aider la Russie, mais pour mettre la Russie à genoux.

Essentiellement, ces russes alliés de l’Ouest – “intégrationnistes atlantistes” – qui veulent que la Russie sacrifie sa souveraineté pour l’intégration dans l’empire occidental utilisent les sciences économiques néolibérales pour prendre au piège Poutine et ouvrir une brèche dans le contrôle qu’a la Russie sur sa propre économie, rétablie par Poutine après les années Eltsine où la Russie était pillée par les intérêts étrangers.

Malgré quelques succès dans la réduction du pouvoir des oligarques résultant des privatisations d’Eltsine, le gouvernement russe a besoin de conserver les entreprises nationales comme pouvoir économique compensateur. La raison pour laquelle les gouvernements gèrent les réseaux de chemins de fer et les autres infrastructures fondamentales est de baisser le coût de la vie et celui de faire des affaires. Le but poursuivi par les propriétaires privés, au contraire, est d’augmenter les prix aussi haut qu’ils le peuvent. Cela est appelé “appropriation de la rente”. Les propriétaires privés dressent des postes de péage pour élever les coûts des services d’infrastructure qui ont été privatisés. Ceci est l’opposé de ce que les économistes classiques entendent par “libre marché”.

Il est question d’un marché qui a été conclu avec les oligarques. Les oligarques deviendront actionnaires dans des sociétés publiques avec l’argent des précédentes privatisations qu’ils ont caché à l’étranger, et obtiendront une autre “affaire du siècle” lorsque l’économie russe aura suffisamment récupéré pour permettre que d’autres gains excessifs soient faits.


Le problème est que plus le pouvoir économique passe du gouvernement au contrôle du secteur privé, moins le gouvernement a de pouvoir compensateur face aux intérêts privés. Sous cet angle, aucune privatisation ne devrait être permise à l’heure actuelle.

Des étrangers devraient encore moins être autorisés à acquérir des biens nationaux russes. Afin de recevoir un unique paiement en monnaie étrangère, le gouvernement russe remettra aux étrangers des sources de revenus futurs qui peuvent, et qui vont, être extraites de Russie et envoyées à l’étranger. Ce “rapatriement” des dividendes se produira même si la gestion et le contrôle restent géographiquement en Russie.

Vendre des biens publics en échange d’un paiement unique est ce que le gouvernement de la ville de Chicago a fait lorsqu’il a vendu contre un paiement unique les 75 ans de source de revenus de ses parcmètres. Le gouvernement de Chicago a obtenu de l’argent pour l’équivalent d’une année en abandonnant 75 ans de revenus. En sacrifiant les revenus publics, le gouvernement de Chicago empêchait les biens immobiliers et le patrimoine privé d’être taxés et permettait par la même occasion aux banques d’investissement de Wall Street de se faire une fortune.

Cela suscitat également un tollé public contre ce cadeau. Les nouveaux acheteurs augmentèrent brusquement les tarifs des stationnements de rue et poursuivirent le gouvernement de Chicago en dommages et intérêts lorsque la ville ferma les rues lors de parades publiques et pendant les vacances, en ce que cela “interférait” avec la rente d’exploitation des parcmètres. Au lieu d’aider Chicago, cela aida à pousser la ville vers la banqueroute. Il ne faut pas s’étonner que les atlantistes aimeraient voir la Russie subir le même sort.

Utiliser la privatisation pour couvrir à court terme un problème de budget crée un plus grand problème à long terme. Les profits des sociétés russes s’écouleraient en dehors du pays, réduisant le taux de change du rouble. Si les profits sont payés en rouble, les roubles pourraient être dopés par le marché de change étranger et échangés contre des dollars. Cela déprécierait le taux de change du rouble et augmenterait la valeur d’échange du dollar. En effet, autoriser les étrangers à acquérir les biens nationaux russes aide les étrangers à spéculer contre le rouble russe.

Bien sûr, les nouveaux propriétaires russes des biens privatisés pourraient aussi envoyer leurs profits à l’étranger. Mais au moins le gouvernement russe réalise que les propriétaires soumis à la juridiction russe sont plus facilement réglementés que ne le sont les propriétaires qui sont capables de contrôler les sociétés depuis l’étranger et de garder leurs fonds de roulement à Londres ou dans d’autres centres bancaires étrangers (tous soumis au levier diplomatique américain et aux sanctions de la nouvelle guerre froide).

A la racine de la discussion sur la privatisation devrait se trouver la question de ce qu’est l’argent et de la raison pour laquelle il devrait être créé par des banques privées plutôt que par des banques centrales. Le gouvernement russe devrait financer le déficit de son budget grâce à la banque centrale qui créerait l’argent nécessaire, tout comme les USA et le Royaume-Uni le font. Il n’est pas nécessaire au gouvernement russe d’abandonner pour toujours des sources de revenus futures simplement pour couvrir le déficit d’une année. Ceci est le chemin qui conduit à l’appauvrissement et à la perte d’indépendance économique et politique.

La globalisation a été inventée comme un outil de l’empire américain. La Russie devrait se protéger contre la globalisation, et non s’y ouvrir. La privatisation est le moyen pour diminuer la souveraineté économique et maximiser les profits en augmentant les prix.
Tout comme les ONG financées par l’Occident qui officient en Russie sont la cinquième colonne qui opère contre les intérêts nationaux russes, les économistes néolibéraux de Russie font de même, qu’ils le réalisent ou non. La Russie n’échappera pas aux manipulations de l’Occident tant que son économie ne sera pas hermétique aux tentatives occidentales de reformatage de l’économie russe dans l’intérêt de Washington et non dans celui de la Russie.

Source : CounterPunch, le 08/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

mercredi, 14 octobre 2009

Ce qui se cache derrière les privatisations

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Ce qui se cache derrière les privatisations

Ex: http://unitepopulaire.org

« Le marché, parce que sa dynamique est tellement contraire à celle de la nature, de l’homme et de la vie sociale, ne peut s’imposer à des citoyens rétifs qu’au prix d’incalculables dislocations et souffrances : faute d’être retenue par l’intervention régulière de l’Etat, la "main invisible" inventée par Adam Smith eût partout abouti à la démolition de la société qu’on observa en Russie pendant l’ère Elstine. […]

 

 

Même si ses partisans enflammés le prétendent aussi naturel que la liberté, même si ses adversaires découragés l’imaginent aussi irrésistible que la géométrie euclidienne, le laisser-faire oblige à ne jamais cesser de faire. Pour parachever la construction de la cathédrale libérale, pour consolider l’ordre marchand, il faut toujours un traité de plus, une protection constitutionnelle de moins, une nouvelle étape dans la foulée de la précédente : en Europe, la convergence des politiques monétaristes a facilité la libération des capitaux, qui a préparé le terrain au traité de Maastricht, qui a imposé l’indépendance des banques centrales, qui a garanti le maintien de politiques sacrifiant l’emploi.

 

Cet étouffement programmé du secteur public s’inscrit bien sûr dans cette perspective. Les entreprises nationalisées ont eu pour vocation de suppléer aux insuffisances du marché, d’être le fer de lance d’une politique économique démocratique, d’assurer des missions de service public, de favoriser l’égalité des citoyens, de jouer un rôle d’aiguillon social. Or aucun de ces objectifs ne constitue plus la priorité des gouvernants, une partie de l’opinion s’est mise à douter qu’ils restaient accessibles, et la vente des entreprises nationales a semblé constituer un gisement financier facilement exploitable. Pourtant, privatiser, c’est oublier ce que soixante ans au moins d’histoire économique ont enseigné.

 

Et d’abord les défaillances de l’entrepreneur privé. Des activités à haut risque, à forte exigence de capital et à cycle long (espoir de profit plus éloigné que l’horizon des marchés financiers) réclament l’intervention de la puissance publique, qui en est souvent le seul ou principal client (nucléaire, spatial, armement), faute de quoi devraient se constituer des monopoles industriels tellement puissants qu’ils deviendraient vite, comme le craignait Charles de Gaulle, "en mesure de faire pression sur l’Etat".

 

La volonté collective d’orienter l’économie, ensuite. Tantôt frileux, tantôt aveuglé par le tropisme du dividende, le capitalisme n’accouche naturellement ni d’une politique industrielle, ni d’une stratégie d’aménagement du territoire, ni d’un équilibre de plein emploi. Sans l’intervention de l’Etat, le Japon se fût enfermé dans des activités à faible valeur ajoutée, la désertification et l’enclavement de régions entières seraient devenues inexorables parce que cumulatives, la neutralité de la dépense publique n’eût pas permis de combattre l’insuffisance de la demande globale. […]

 

Toute avancée du marché exige un travail minutieux de préparation idéologique. Cela est d’autant plus facile que les principaux moyens d’information, eux-mêmes propriété de grands groupes privés (Bouygues, Lagardère, LVMH, etc.) opèrent comme autant de relais de presse sur le patronat : dans ce rôle, les éditorialistes économiques de TF1 ou d’Europe 1 sont seulement plus caricaturaux que les autres. Toutefois, la contrainte financière qui pèse sur un Etat de plus en plus privé de recettes fiscales joue également son rôle : reprenant à son compte une idée maîtresse du reaganisme, Alain Minc n’avait-il pas expliqué : "Le système public ne reculera que pris en tenaille entre des déficits devenus insupportables et des ressources en voie de rétraction" ? Créer une contrainte pour ensuite s’y prétendre soumis est la démarche habituelle qui précède tous les reculs sociaux. »

 

Serge Halimi, "Déréguler à tout prix", Manière de Voir n°102, décembre 2008-janvier 2009