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samedi, 28 novembre 2015

Le crépuscule de la paysannerie dans Le Médecin de campagne de Balzac

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Le crépuscule de la paysannerie dans Le Médecin de campagne de Balzac

En 1833, Balzac publie Le Médecin de campagne, l’un des romans les plus singuliers de la Comédie Humaine dont l’intrigue laisse entrevoir la fin du monde paysan traditionnel.

Le décor est planté dans la première moitié du XIXe siècle, en 1829. Le colonel Pierre-Joseph Genestas, vétéran des armées napoléoniennes, rencontre un médecin de campagne du Dauphiné, à quelques lieues de Grenoble. Le premier contact entre ces deux bourgeois est amical et, rapidement, ils se confient l’un à l’autre. Le médecin, qui est aussi le maire de la ville, évoque ses victoires et ces dix ans qu’il a passés à développer le bourg pour que « la circulation de l’argent fasse naître le désir d’en gagner ». À son arrivée, le lopin de terre était misérable, la réputation de la province sans rayonnement, et les paysans, hermétiques au progrès. À force de pugnacité, ce bourg s’est transformé en une petite ville dynamique à l’économie florissante : explosion de la natalité (passant de 700 à 2 000 âmes), création de routes pour favoriser le commerce, développement de l’industrie…

Mais l’« ami des pauvres », comme l’appellent à tort les paysans, n’est pas qu’un tacticien pugnace. Celui-ci se montre aussi particulièrement dédaigneux à l’égard des hommes de la terre. Le docteur Benassis considère que ceux qui « croupissaient dans la fange et vivaient de pommes de terre et de laitage » doivent être éduqués. Homme providentiel auto-proclamé, il s’est donné pour mission d’imposer sa vision du monde. « Je résolus d’élever ce pays comme un précepteur élève un enfant », raconte-t-il. Évoquant l’« incapacité de penser » des paysans, il les infantilise pour imposer son propre modèle qu’il considère comme supérieur.

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Sa solution est toute trouvée : en faisant des agriculteurs des consommateurs comme les autres, Benassis espère voir éclore une économie de marché toute puissante, quitte à réduire la terre, fondement du monde paysan, à un simple moyen de production.

La terre, comme unique bien du paysan

En hébreu la racine du mot « Terre », Adama, est la même que celle du mot « Homme », Adam. Ce lien, révélé dans la Genèse, souligne le fait que l’homme naît de la terre et retourne à la poussière. Ces racines communes expriment combien ces deux entités sont indissociables symboliquement et combien elles se nourrissent mutuellement. Pareillement, l’identité paysanne naît de la relation fondamentale que l’homme entretient avec la terre. La terre est le seul seigneur du paysan et Benassis le saisit lorsqu’il déclare à Genestas : « Le travail, la terre à cultiver, voilà Le Grand-Livre des Pauvres. »

Incarnation de cette bourgeoisie hors-sol, le médecin de campagne ne comprend pas l’attachement du paysan aux lieux dans lesquels il s’enracine. « Quelque insalubre que puisse être sa chaumière, un paysan s’y attache beaucoup plus qu’un banquier ne tient à son hôtel », confie-t-il à Genestas. Cette incompréhension participe de son dédain du monde paysan.

Le nom que porte le premier chapitre du livre n’est pas anodin. Cette entrée en matière où l’on suit les pérégrinations du médecin accompagné par le militaire s’intitule « Le pays et l’homme ». Il exprime cette déliaison, ce projet en sous-bassement puisque Benassis impose une logique économique toute-puissante. La rupture entre le pays et l’homme correspond à ce à quoi le médecin de campagne fait référence lorsqu’il se dit prêt à « froisser pour accomplir le bien ». Il est impossible de propager des méthodes d’agriculture moderne, de faire du monde un grand marché, sans détériorer ce rapport entretenu avec la terre. Or, la terre, comme les frontières qui la délimitent, figure comme une façon d’enraciner l’homme dans un espace et dans un temps singulier, qui le définissent.

Pour transformer le paysan en consommateur et accomplir ses projets économiques, Benassis essentialise la terre en une matière première qu’il convient d’exploiter. Cela, selon la logique d’Adam Smith dans La Richesse des Nations qui considère la terre comme un simple facteur de production, au même titre que le travail ou le capital. C’est-à-dire seulement comme un moyen d’alimenter la machine économique : sa valeur est conditionnée par son prix de revient, et n’acquière de l’importance que lorsque le salaire qu’on obtient d’elle augmente. Seulement, lorsque la terre devient une valeur marchande comme une autre, elle perd son supplément d’âme.

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Perte de la terre, perte de spiritualité

Parce qu’il veut « élever » les paysans, Benassis va asseoir la domination du matériel sur le spirituel : « Le besoin engendrait l’industrie, l’industrie le commerce, le commerce un gain, le gain un bien-être, le bien-être des idées utiles. » Toute puissance supérieure est éradiquée au profit du visible, de la rentabilité et du commerce, dans une logique spéculative. Cette unique source d’« idées utiles » permet de faire naître de nouveaux besoins, à l’infini.

Il ne s’agit pas là d’un remède matériel à une condition spirituelle inaliénable, mais d’une matérialité stricte et assumée : Benassis s’engage à ce que « la circulation de l’argent fasse naître le désir d’en gagner » et fait ainsi de l’argent, non pas un moyen mais une fin en soi. C’est cette logique spéculative que dénoncera Charles Péguy au début du siècle suivant dans L’Argent : « Pour la première fois dans l’histoire du monde, les puissances spirituelles ont été toutes ensemble refoulées non point par les puissances matérielles mais par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. »

Cette perte de la dimension spirituelle de la terre, participe à l’avènement d’un nouveau dieu. En 1944, dans La Grande Transformation, l’économiste hongrois Karl Polanyi expliquera combien cette soumission de la terre aux lois du marché est l’une des grandes caractéristiques du capitalisme. Le Médecin de Campagne permet de percevoir les prémisses du capitalisme préindustriel dans la société du règne de Louis-Philippe.

vendredi, 06 novembre 2015

Crise migratoire, la ruralité mise au pas

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Crise migratoire, la ruralité mise au pas

par Jacques Thomas

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Le 27 octobre 2015 sera à noter dans les annales. A l'instar d'autres dates symboliques concernant les « progrès » de la submersion migratoire que connaît notre continent depuis plus de quarante ans...

Que s'est-il passé ce jour ?

Le 27 octobre 2015, aux environs de 10h du matin, six autocars transportant près de 292 « migrants » évacués sur « volontariat »  de la Jungle de Calais ont pris la route. En sus de Villeurbanne ou encore de Istres, trois lieux de destination sont à inscrire dans nos esprits : Guerche, Arry et Mauzac-et-Grand-Castang. Trois villages de quelques centaines d'habitants. Un en Bretagne, un en Lorraine et le dernier dans le Périgord.

Ces « migrants », certains ayant vécu pendant près d'un an à Calais, ont été convaincus par diverses structures associatives de renoncer au mirage britannique pour se maintenir en France. Seront étudiées au cas par cas les possibilités de maintien sur le territoire français, qui n'en doutons pas, seront trouvées.

Il s'agit bien évidemment d'un test, d'une première vague. Bernard Cazeneuve a affirmé que, dans un premier temps, près de 2000 personnes allaient bénéficier de ces mesures de délocalisation mais nous pouvons affirmer dès à présent que ce sera bien plus.

Trois éléments sont à considérer.

Premièrement : La volonté étatique, explicitement affirmée, est de diffuser, comme en intraveineuse,  l’immigration clandestine à travers l'ensemble du territoire et particulièrement dans le monde rural.

La ruralité est, que nous le voulions ou non, notre dernier refuge, le lieu où nous pouvons encore envisager un avenir sérieux et durable pour nos familles (recours aux forêts, BAD, projets localistes, etc.). Or, cette décision de transfert voulu par les autorités, sans même prévenir les habitants des lieux, est un message explicite : « Bande de péquenots, vous n'y échapperez pas ! Nulle part vous ne trouverez la paix. »

Deuxièmement : Cette décision est la preuve que la situation sur Calais n'est absolument pas maîtrisée. L'arrivée des froids ne doit pas être étrangère à cette dernière. La crainte de voir encore quelques milliers d'individus supplémentaires venant s'ajouter aux plus de 6000 présents terrorise littéralement les pouvoirs publics. Les associations sur site ne parviennent plus à gérer le flux et à travailler sereinement. La situation est explosive et dégénérera nécessairement dans les semaines à venir.

Troisièmement : Il sera très intéressant de suivre, pour les secteurs concernés par cette mise sous perfusion migratoire, les évolutions des troubles et incivilités (vols, dégradations, viols, etc.) ainsi que celui du vote Front National. En s'attaquant à la France rurale et péri-urbaine, celle déconnectée des métropoles mondialisées et où les sentiments identitaires sont vivaces (malgré une tendance fréquente à voter bizarrement…), le système fait un pari audacieux et dangereux pour sa survie.

Jacques Thomas / C.N.C.

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