vendredi, 22 juin 2012
Au-delà du vote individuel
Au-delà du vote individuel
par Georges FELTIN-TRACOL
Parmi les nombreuses promesses électorales du socialiste François Hollande, il y a le droit de vote aux élections locales des étrangers extra-communautaires qui seraient victimes d’une soi-disant discrimination alors qu’ils paient leurs impôts (les braves gens !). Avant d’étendre ce droit politique majeur à des non-citoyens, il serait approprié de l’accorder aux nouvelles générations de racines européennes.
Avec La famille doit voter, Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti retracent l’histoire d’un enjeu politique qui fit longtemps débat, mais qui pourrait resurgir : le vote plural familial. Le « vote plural » se pratique dans les systèmes censitaires pour désigner l’attribution à un même électeur de plusieurs suffrages. Il se distingue du vote familial qui revendique une autre forme de représentativité.
L’ouvrage retrace en détail les débats sur le rôle politique des familles sous la IIIe République, l’État français et aux débuts de la IVe République. Ce thème, méconnu et intéressant, méritait un meilleur traitement. Malheureusement, Le Naour et Valenti se montrent partiaux. S’inscrivant dans le conformisme intellectuel de la gauche bien-pensante, ils étudient leur sujet avec un parti-pris défavorable. Pour eux, le suffrage familial est une tentative inacceptable de remise en cause du suffrage universel d’essence égalitaire. Un mineur pouvant, dès sa naissance, hériter ou posséder un bien sous la tutelle de ses représentants légaux, pourquoi ne pourrait-il pas être électeur par délégation ?
Certes, les partisans du vote familial qui se recrutent dans la droite conservatrice invoquent l’ordre supposé des pères de famille. Mais ils ne sont pas les seuls à en réclamer l’instauration. La Belgique (État fasciste ?) l’applique de 1893 à 1919. En décembre 1923, 440 députés de la Chambre bleu-horizon (en chemises brunes ?) en votent le principe. En 1945 – 1946, d’anciens résistants démocrates-chrétiens défendent en vain l’idée d’une « République familiale » contre un Sénat à majorité radicale. Et, dans les années 1970, l’ancien Premier ministre gaulliste Michel Debré qui ne passe pas pour un nostalgique de l’alliance du Trône et de l’Autel, ne reprend-il pas le combat en faveur du vote familial ? Bien entendu, les auteurs ont beau jeu de noter que le Front national s’y est montré favorable, surtout pour des motifs démographiques (1). En 1988, Bruno Gollnisch, alors député du Rhône, observait dans une proposition de loi que « les familles de trois enfants et plus, qui représentent 11 % de la population, et qui assurent à elles seules 27 % du renouvellement des générations, ne représentent que 5,3 % du corps électoral (2) ».
Le vote familial eut cependant des alliés surprenants, comme les militantes du vote féminin ou les partisans de « l’approbation des morts ». À l’exception de quelques pétroleuses suffragettes extrémistes, les organisations féministes ont souvent collaboré avec les partisans du vote familial, car elles y voyaient une avancée notable dans la réalisation de leur objectif final. Quant au vote des morts tombés pour la France proposé par Maurice Barrès dans sa chronique du 1er février 1916 (et reprise vers la fin de la Seconde Guerre mondiale par le communiste Jacques Duclos !), il fait resurgir les débats autour de la citoyenneté accordée aux femmes et du suffrage multiple, l’académicien suggérant que les épouses ou les pères des disparus en deviennent les mandataires.
De leur côté, les promoteurs du vote familial se divisent en natalistes et en familialistes. Pour le courant nataliste, « le dénombrement intégral des membres de la famille répond […] à une logique individualiste qui reconnaît à l’épouse et aux enfants le droit d’être représentés » alors que la tendance familialiste considère que la famille est la « cellule sociale fondamentale et repose sur la fonction supérieure du père de famille par rapport au célibataire ». Nourris par les travaux de Frédéric Le Play et de René de La Tour du Pin qui associent familialisme et corporatisme, les seconds accusent les premiers d’aménager et donc d’accepter la dérive individualiste. En revanche, les deux parties s’inquiètent de la dépopulation de la France. Soucieux de la faible natalité persistante après 1918, ils réclament une grande politique familiale nataliste et lorgnent, dans les années 1930, du côté des régimes autoritaires voisins, avec toutefois d’importantes nuances. « Si les natalistes admirent les politiques démographiques menées par les fascismes, les familialistes se méfient de l’omnipotence de l’État qui écrase l’autorité paternelle et finalement nuit aux familles. L’étatisme est pour eux un péril au moins aussi redoutable que l’individualisme », leur préférence allant pour le régime portugais de Salazar.
Soulagés par une décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 1979 qui proscrit tout vote plural, Le Naour et Valenti pensent que le vote familial se trouve désormais dans les « poubelles de l’histoire », car « la réforme du suffrage universel est maintenant complètement inintelligible aux Français. La famille ne votera pas », concluent-ils. Pourquoi cette assurance fate ? Ignorent-ils que l’histoire est toujours ouverte ? Longtemps, on a estimé que la famille était une structure vieillotte, ringarde, dépassée. Et à quoi assiste-t-on maintenant ? À une intense propagande en faveur du mariage homosexuel, de l’homoparentalité et de la famille homosexuée. Pour peu que les couples de même sexe obtiennent le droit à l’enfantement (la maternité étant l’ultime discrimination à bannir), des groupes activistes exigeront ensuite l’extension du suffrage à leur progéniture…
En dépit de la multiplication des familles monoparentales et des familles recomposées, l’enjeu du vote familial reste d’actualité. En 2004, des parlementaires conservateurs autrichiens demandèrent son introduction rapide. Et en 2005, ce sont trente députés allemands du Bundestag qui déposèrent une proposition de loi similaire. Dans une Europe touchée par l’« hiver des berceaux », la « Peste blanche » et le Papy Boom, la reconnaissance du vote familial s’interpréterait comme le signal fort d’une relance volontariste de la fécondité autochtone. Mais cette mesure politique de salut public doit impérativement s’accompagner d’une révision draconienne des naturalisations et de la réforme radicale du code de la nationalité. Le droit du sang remplacerait avantageusement le droit du sol sous peine d’obtenir le contraire de ce que l’on souhaite. L’application du vote familial suppose enfin une remise en cause des dogmes égalitaires et universalistes actuellement dominants, en clair, entreprendre une gigantesque révolution intellectuelle. « Mais après tout, écrivait Marc Dem, pourquoi la gauche aurait-elle le monopole de la révolution ? (3) » Loin d’être dépassé, le suffrage familial ou plural a de l’avenir et la grande supériorité d’être pré-moderne, anti-moderne et post-moderne.
Georges Feltin-Tracol
Notes
1 : Cette proposition qui figurait dans le programme présidentiel de Jean-Marie Le Pen de 1988 à 2007 semble avoir été abandonnée en 2012, car très incorrecte au regard des gras médias.
2 : Proposition de loi cité par Marc Dem, « Que deviendra la France quand il n’y aura plus de Français ? », Le Choc du Mois, n° 5, avril 1988, p. 26.
3 : Idem.
• Jean-Yves Le Naour (avec la collaboration de Catherine Valenti), La famille doit voter. Le suffrage familial contre le vote individuel, Hachette, coll. « Littératures », 2005, 266 p., 20,50 €.
• Article d’abord paru dans la revue Liberté politique, n° 31, octobre – novembre 2005 – 2006, et largement modifié pour la présente mise en ligne.
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00:05 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théorie politique, politologie, sciences politique, élections, suffrage, démocratie | | del.icio.us | | Digg | Facebook