mercredi, 07 mars 2012
Sur l'identité wallonne
Intervention de Jean-Luc Gascard à la journée identitaire du Château Coloma (3 mars 2012)
Sur l'identité wallonne
Quel est la place de la culture et de la langue wallonne au sein des peuples européens ?
Le wallon a toute sa place dans l’histoire des peuples d’Europe. Wallon vient de Wahl, un vieux mot germanique utilisé par les Germains pour désigner les populations celtophones et romanes. La langue wallonne est très ancienne et comme le picard, le champenois ou encore le normand, elle est une langue d’Oïl qui fait partie du groupe des langues gallo-romanes. Bon nombre des évolutions que l’on considère comme typique du wallon sont apparues entre le 8° et le 12° siècle et vers 1200, la langue wallonne était nettement individualisée. Le wallon n’est donc pas un français abâtardi ou incorrect, c’est une langue en soi qui n’a simplement pas aussi bien réussi que le patois français et nombre des belgicismes découlent directement du wallon. Je rappelle que les peuples wallons n’ont jamais fait partie de la France, sauf quand ils ont été occupés, mais faisaient partie du SERG et particulièrement la Principauté de Liège. La place des wallons de l’Est étaient certainement d’être à l’époque un pont entre les mondes germaniques et romans. Il paraît qu’il y aurait 15 à 20 % des mots wallons qui seraient d’origine germanique et c’est sûrement dans le dialecte du wallon oriental, celui de Liège et d’Ardenne, que cela se retrouve le plus et qui rend notre dialecte si particulier. Je vais me permettre de vous lire comme exemple quelques courtes phrases :
Dji’m rapinse qui s’a lèyî prinde a s’badjawe = je me rappelle qu’il s’est laissé prendre à son bagout
Fareût veûy kimint qu’i s’sètche foû di spèheûr = il faudrait voir comment il va se débrouiller
Moussî ainsi, i ravisse on spâwta = habillé ainsi, il ressemble à un épouvantail (les Blancs Moussî de Stavelot sont donc simplement ceux qui sont habillés de blanc, pour la Laetare, le carnaval local, qui aura lieu dans 15 jours !)
Dja’n hête a m’deût = j’ai une écharde à mon doigt
En entendant cela, vous comprenez bien… que vous n’y comprenez rien du tout(pas plus d’ailleurs que la majorité des jeunes liégeois et ardennais actuels), ce qui prouve bien tout simplement que le wallon n’est pas du français. J’ai encore vu quand j’étais gamin des anciens à qui il fallait traduire en wallon, parce qu’ils ne comprenaient pas le français. Heureusement, même s’il est en nette perte de vitesse, le wallon est encore parlé et compris par une petite minorité de wallons de souche (la preuve !). Par contre, le wallon est forcément ignoré de la masse exotique… et est donc une langue identitaire par excellence. Et, heureusement, on trouve encore des jeunes qui s’impliquent dans le théâtre dialectal et qui sont parfaitement conscients de l’aspect identitaire de leur dialecte.
En ce qui concerne la culture (les industries, mœurs, habitudes culinaires, folklore, architecture,…), on perd souvent de vue, à force de « vivre dedans », qu’elle existe bel et bien. Elle n’a rien à envier à ses voisines. Si tout le monde connaît l’importance de la peinture flamande et la richesse des villes de Flandre au MA, beaucoup moins nombreux sont ceux qui connaissent l’importance de l’art mosan à l’époque ottonienne, son orfèvrerie, ses églises imposantes, son « école liégeoise » et encore moins savent que les marchands de la vallée mosane allaient vendre leurs produits dans toute la Germanie, jusqu’à Vienne et Prague et en Italie sur les marchés de Ligurie. Et je suppose que je ne dois pas vous parler de l’importance des industries minières et métallurgiques chez nous, sans parler de l’industrie du verre et de la laine, qui ont fait de la Wallonie au 19° siècle une des économies les plus prospères du monde.
Donc, quand j’entends certains en Flandre qui essaient de nous faire passer pour des barakî à moitié inculte, des nawe (fainéant) et des accros depuis 1830 aux subsides de la vache à lait flamande, mon sang wallon bouillonne d’indignation. On n’est peut-être plus ce que l’on a été, mais nous ne sommes pas les ratés pour lesquels on veut nous faire passer. Nous avons toujours notre place parmi les peuples d’Europe.
Si le monde politique le désirait réellement, le wallon serait un excellent facteur de cohésion identitaire, tant au niveau local que régional. Mais, pour les raisons idéologiques que nous ne connaissons que trop bien, les autorités n’apportent aucun soutien à la langue wallonne, ou si peu. Sa survivance au niveau populaire démontre donc une réelle volonté de certains Wallons de rester eux-mêmes, bien au-delà des chimères idéologiques universalistes et égalitaristes.
Un pouvoir politique identitaire, soucieux de valoriser toutes les identités enracinées d’Europe, trouverait dans la défense du wallon et de la culture wallonne un important objectif politique (cohésion identitaire ethnique). On peut toujours rêver !
Dans le cas ou la Wallonie obtiendrait son autonomie, en cas d'éclatement de la Belgique, quel en serait le bénéfice pour la culture wallonne ?
En l’état des choses, le bénéfice serait minime, parce que, malheureusement, il n’y a plus concordance entre la Wallonie et les wallons.
Je m’explique : comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le wallon est parlé par ses populations depuis bien longtemps. Mais depuis bien longtemps, les élites wallonnes ont adopté le français, et cela avant bien des contrées de l’actuelle France. Et comme en Flandre, ces élites ont tenté d’imposer la francisation généralisée à notre population. Le terme fransquillon servait aux wallons du peuple, déjà pendant l’occupation française, pour décrire ces pédants qui ne jurait que par le français. Mais alors qu’en Flandre, le mouvement flamand se battait depuis 1840 pour l’usage de la langue flamande et sa culture, le mouvement dit wallon lui n’entendait défendre que l’usage du français.
"Le mouvement wallon naissant s'inscrit donc dans une perspective belge telle qu'ont été défini les contours et surtout l'identité linguistique de cet État en 1830. Il considère l'acquisition de la langue française comme une forme d'adhésion à la Belgique et aux grands principes de liberté dans la Constitution
On peut donc bien dire que l’unitarisme belge s’est fait d’abord et avant tout au détriment de la langue, et donc de la culture, wallonne puisque le flamand, lui, a survécu.
Dans ma propre famille, tous les gens de la génération de mes grands-parents en Ardenne parlaient wallon, mais on a dénigré à l’école le wallon auprès de la génération de ma mère. Ainsi, il y a quelques années, alors que je parlais avec une de mes tantes de l’intérêt de continuer à parler notre langue, elle me répondit : « arrête avou soula, c’est sale, c’è s’t one langue po les biesses (arrête avec ça, c’est sale, c’est une langue pour les bêtes[càd les cons, les demeurés mais les animaux aussi]) ! ». C’est pourtant la langue de ses parents, mes grands-parents !
Etonnez-vous après cela que le wallon tend à disparaître parmi tous mes cousins et cousines et tous les gens de ma génération. Le pire, c’est qu’avec l’abandon de la langue wallonne se perd aussi le lien avec notre histoire et notre culture wallonne. Et je ne vous parle même pas des générations qui suivent. En fait, ils sont devenus des Francophones, c’est-à-dire des gens indifférenciés, sans véritables racines. Et quand on n’a pas de racines, on est voué à flotter aux vents de toutes les modes et opportunismes. Par exemple quand un grand défenseur des francophones comme Maingain est disposé à faire apprendre aux enfants des écoles de sa commune l’arabe, pour mieux accepter leur présence. Qui s’intègre à qui, je vous le demande ?
C’est ce hiatus entre Wallonie et wallons qui fait notre perte. On appelle encore trop souvent wallons les gens qui vivent en Wallonie, alors qu’ils ne sont souvent plus que des Francophones. C’est si vrai que, récemment, un homme politique a appelé à créer une « patrie francophone ». Une patrie francophone ! Fâ s’ti ko arradjî (intraduisible = +ou- c’est pas croyable), qu’es que c’est coula por une arrêdje ? éco one saqwê qu’a tchoukî foû dol tiesse d’one biesse libéral (qu’est-ce que c’est que cela pour une affaire ? Encore une chose qui a poussé hors de la tête d’un bête libéral)! Evidemment, cela est fort utile pour noyer les populations autochtones, nous les wallons, dans le magma des allogènes de toutes sortes qui viennent nous envahir et aussi pour garder un lien avec Bruxelles. Ou pire, nous intégrer à la France. Ca, jamais ! Je préfère encore demander l’asile politique en Flandre. Qui sait, ils pourraient peut-être nous accorder…des facilités ?
Mais il ne faut bien sûr pas perdre espoir. Il y aurait comme un frémissement d’intérêt. Il n’est que de voir l’intérêt porté à des émissions comme Ma Terre ou celle sur les Wallons du Wisconsin. Ou même le théâtre wallon à la télé. Et aussi l’existence de nombreux groupes de musique traditionnelle.
Et que l’on ne vienne pas me dire que c’est trop difficile de garder ou même d’apprendre notre langue autochtone. Elle n’est sûrement pas plus difficile pour nous que le chinois, le russe ou l’arabe. Ou même le flamand. Le jour où j’ai commencé à parler wallon à l’école, mes collègues ont rigolé malade, se demandant d’un air ahuri ce que ça pouvait être et ce qui pouvait bien encore passer par la tête de ce grand original. Maintenant ils n’y font même plus attention et comprennent souvent ce que je dis. Qui sait, encore un peu et je pourrais vous convertir au Liégeois ? Ce n’est qu’une question de volonté. Les Luxembourgeois, les Gallois préservent bien leur langue, pourquoi pas nous ?
Pour résumer, pour retirer un bénéfice quelconque d’une autonomie, ce qu’il nous faut, c’est faire la différence entre Wallons et Francophones. Le wallon est celui qui a ses racines, c’est-à-dire ses ancêtres, en Wallonie et aussi qui parle, qui vit wallon. Et par-dessus tout, ce qu’il nous faut, c’est garder notre fierté. J’entendais à la fin d’un concert d’un groupe acadien ce cri du coeur : soyez toujours fiers de qui vous êtes, et les dieux savent si les Acadiens ont failli perdre leur identité et souffrent encore pour la garder. C’est la fierté qui les sauvent et qui nous sauvera. Tout le reste, programmes, subsides, etc… en dépend.
Je vous dis donc pour terminer : je suis wallon, pas francophone, et dji su fir de mè p’tite patreye (je suis toujours fier de ma petite patrie) « amon nos’aut »(entre nous, entre gens de chez nous).
00:05 Publié dans Affaires européennes, Entretiens, Terres d'Europe, Terroirs et racines | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : terres d'europe, terroitrs, racines, wallonie, belgicana, europe, affaires européennes, patries charnelles, entretiens | | del.icio.us | | Digg | Facebook