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lundi, 04 août 2008

La guerre postmoderne: entretien avec Claudio Risé

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La guerre postmoderne: entretien avec Claudio Risé

Depuis 1945, toutes les guerres se déclenchent dans le monde à partir d'un refus des Etats nationaux vecteurs de la modernité. Claudio Risé, psychanalyste jungien et professeur de polémologie, collabore à plusieurs publications. Ses travaux les plus récents concernent la psychologie de l'agressivité (Il maschio selvatico. Come ritrovare l'istinto rimosso dalle buone maniere, Red Edizioni); en règle générale, le Prof. Risé aborde la thématique du ³virilisme² (Parsifal, Red Edizioni; Maschio amante felice, Frassinelli). Son dernier travail affronte un thème bien différent: la guerre postmoderne (La guerra postmoderna. Elementi di polemologia; Editrice Tecnoscuola, Gorizia, 1996). C'est sur ce dernier ouvrage que nous l'avons interrogé, à la suite de son brillant exposé lors de notre dernière université d'été.

Q.: Dans l'ensemble de vos travaux, quelle place occupe ce livre sur la guerre?

CR: D'une part, il est la continuation de toutes mes recherches. Mon Parsifal raconte l'archétype du guerrier, tel que nous l'a rapporté Wolfram von Eschenbach, qui n'est pas du tout le chaste moine de Wagner. Chez Wolfram von Eschenbach la guerre est l'événement historique par lequel se manifeste l'instinct viril dans toutes es contradictions: don de soi et, simultanément, destructivité. D'autre part, j'ai voulu confronter deux disciplines dans cet ouvrage: la science politique et la psychologie des profondeurs. Je les ai aussi confrontées à ce phénomène qu'est la guerre et qui a modifié la face du monde de 1945 à nos jours. La guerre, ou la menace de la guerre, a démenti toutes les spéculations nées de l'idéologie des Lumières, selon lesquelles nous avancerions vers l'unification politique et culturelle de la planète, or le fait est que le nombre des Etats est passé de quarante à environ deux cents!

Q.: Pourquoi parlez-vous de ³guerre postmoderne²?

CR: Parce que les guerres d'aujourd'hui, les guerres qui éclatent autour de nous, sont des luttes contre les universalismes imposées par la modernité ³illuministe² des révolutions bourgeoises. Les peuples pris dans les mâchoires annihilantes du mondialisme refusent cette conception occidentale de la liberté-égalité-fraternité que leur ont imposée les puissances colonisatrices. Ils partent en guerre pour rechercher leurs appartenances, leurs identités, pour reformuler des projets historico-politiques qui ont été balayés jadis par les impérialismes d'essence bourgeoise. Mon livre cherche à décrire les caractéristiques de ces guerres (qui se déroulent dans le monde), de ces peuples et de ces cultures niés dans leur identité, mais qui s'opposent aux Etats dits nationaux, mais en réalité multinationaux, parce qu'ils sont les vecteurs de la modernité. Ils s'opposent aux désastres culturels et territoriaux imposés par les grandes entreprises multinationales, qui sont en réalité les ³sujets forts² de ces Etats. Cette guerre globale contre l'homogénéisation est aussi un aspect de l'actuel ³globalisme².

Q.: Le globalisme recèlerait donc des aspects contredisant son projet de conquête culturelle et économique par l'Occident bourgeois? Votre position n'est-elle pas un peu ambigüe ou peut-être trop optimiste?

CR: Le globalisme est un aspect central de la réalité dans laquelle nous vivons, et c'est à partir du fait global qu'il représente que nous devons commencer à réfléchir. Je me sens très proche de Jünger et d'une bonne part des protagonistes de la ³révolution conservatrice², quand ils nous demandent d'aller de l'avant, de partir du présent pour retravers, traverser et récupérer le passé. L'informatisation globale, par exemple, a fourni un formidable instrument aux mouvements de récupération identitaire et a plongé dans un crise très profonde (pour l'heure, elle n'est pas encore surmontable) les instruments de contrôle politique des puissances dominantes qui sont les soi-disant ³services de sécurité². Je m'intéresse également aux pressions anti-sécularisantes que produisent, dans un monde global, les cultures (comme l'Islam mais il n'est pas le seul). Elles sont hostiles aux processus de sécularisation dérivés des bourgeoisies protestantes et accentués à la suite des révolutions bourgeoises. Le globalisme provoque une revitalisation du ³sacré naturel² (et, du point de vue psychologique, de l'instinct qui y est lié). La culture de la ³pensée faible² avait décrété que ce sacré et cet instinct avaient été évacués. J'ai ensuite pris en considération les coups très graves que la civilisation occidentale avait infligés aux cultures traditionnelles lors de leur rencontre, surtout quand elle a imposé à tous l'appareil normatif des lois et des règlements générés par la modernité. Ces lois et ces règlements sont très intrusifs et s'insinuent profondément dans la sphère privée, et ainsi dans l'instinct, comme nous l'a bien décrit Foucault. Une armée de prostituées, des bandes de gamins, partent en guerre, avec, en poche, les clefs d'un paradis bien différent de celui que nous avions imaginé, des bandits provenant du monde entier sont en train de mettre à mal toutes les constructions hypocrites de la ³political correctness² et du ³processus de civilisation² si cher à Freud et à Norbert Elias. Ce sont tous ces phénomènes qui m'intéressent et tous sont indubitablement les fruits du globalisme.

Q.: Comment cette ³guerre postmoderne² se concilie-t-elle avec Clausewitz?

CR: Je pense personnellement qu'elle ne se réconcilie pas trop avec les théories du général prussien. Clausewitz voyait la guerre comme une forme du pouvoir politique de l'Etat, comme ³la politique qui dépose sa plume et empoigne l'épée². Les guerres postmodernes, quant à elles, sont des guerres de nations ³organiques², de nations objectives, vivantes, contre l'appareil juridico-administratif des Etats. Les guerres postmodernes se combattent au nom de valeurs culturelles et transcendentes plus qu'au nom de pouvoirs politiques et ³mondains². Elles fuient les règles du pouvoir et échappent ainsi à celles de la diplomatie et de la stratégie. Elles se réconcilient davantage avec les ³forces obscures, inconnues², par lesquelles le Dieu de Tolstoï (qui tient dans sa main les c¦urs des rois) se manifeste dans l'histoire. La polémologie, telle que l'a imaginée Gaston Bouthoul dans les années 1950-1970, a eu la capacité de saisir cet aspect profond, inconscient, non calculé, du phénomène de la guerre. Ce n'est pas un hasard si les études ultérieures ont plutôt cherché à oublier cet aspect, pour revenir aux considérations conventionnelles sur la stratégie ou sur le droit ou l'économie. Ce n'est pas un hasard si la peur de ces passions étreint les universitaires modernes. Car ces passions sont des passions qui se réfèrent au divin, à des essences transpersonnelles, comme cela se manifeste dans toutes les guerres.
(entretien paru dans Orion, n°8/1996). 
 

[Synergies Européennes, Orion (Milano) / NdSE (Bruxelles), Septembre, 1996]

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