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samedi, 02 mai 2009

La critique nationale-socialiste du capitalisme et de l'impérialisme américains

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - Novembre 1987

 

La critique nationale-socialiste du capitalisme et de l'impérialisme américains

par Günther MASCHKE

A l'automne 1918, les troupes fraîches et bien équipées (voire suréquipées) du général Pershing, com-mandant en chef du corps expéditionnaire américain, décidaient de l'issue de la Première Guerre mon-diale. Malgré cela, et bien que, contrairement à Foch, Pétain et Haig, Pershing fût le seul chef allié à vou-loir porter la guerre jusqu'à Berlin et occuper l'intégralité du territoire allemand, peu d'Allemands nourrirent à l'époque des sentiments anti-américains. La haine des vaincus se dirigea plutôt contre l'An-gle-terre et, plus encore, contre la France: n'était-ce pas les Anglais qui, dès la fin des combats, main-tinrent jusqu'en 1919 un blocus économique qui réduisit à la famine un million d'Allemands? N'était-ce pas les Français qui imposèrent le diktat de Versailles avant d'occuper la Ruhr? A l'inverse, l'éphémère prospérité que connut la République de Weimar entre 1925 et 1929 n'était-elle pas due aux crédits amé-ricains? Même si la crise économique mondiale frappait l'Amérique plus durement encore que l'Alle-magne, l'image positive d'une Amérique, pays vaste, libre, aux potentialités infinies, demeurait, parmi les Allemands, pratiquement intacte.

La sympathie allemande pour l'Amérique de Roosevelt

L'année 1933 n'altéra pas ce beau tableau, bien au contraire: la propagande nationale-socialiste et les au-teurs politiques sérieux étaient plutôt pro-américains pendant les premières années du régime. La politi-que de Franklin Delano Roosevelt, au pouvoir depuis mai 1933, fut même accueillie avec faveur, voire avec enthousiasme, et l'on s'enhardit, en Allemagne, à mettre en parallèle New Deal  et national-socialisme.

De fait, les deux systèmes furent perçus comme deux variantes d'une "Troisième Voie", la seule pro-metteuse, entre le capitalisme libéral et le bolchévisme. Comme le national-socialisme, faisait-on ob-server, le New Deal  essaie de résorber le chômage de masse par l'intervention de l'Etat dans le do-maine économique; d'un côté comme de l'autre, une politique sociale garantissait la sécurité matérielle de l'exis-tence. En Allemagne comme aux Etats-Unis, la libre entreprise, échec évident, était désormais contrôlée et bridée par l'Etat planificateur; ici comme là-bas, une nation en proie au désespoir et à la ré-signation était enfin mobilisée et vitalisée par un chef charismatique. La France et l'Angeterre, restées fi-dèles au libéralisme bourgeois, étaient condamnées au déclin. Quant à l'Union Soviétique, elle ne pou--vait, au mieux, que se maintenir par la terreur. Seuls, les Allemands, les Italiens et, dans une moin-dre mesure, les Américains, avaient compris que les temps avaient changé.

Parfois, les sympathies nationales-socialistes pour Roosevelt frisaient l'idôlatrie. Colin Ross (1), le jour--naliste le plus brillant du Troisième Reich, évoque, en 1935, l'impression que lui laissa une con-fé-rence de presse à la Maison Blanche: "Bien sûr, le sourire rooseveltien est, si l'on veut, le fameux keep smiling  américain. Mais le rire et le sourire du président sont bien plus que cela. C'est un rire fondé sur la souffrance. C'est l'expression d'une âme, d'une expérience du monde, qui, parce qu'elle connaît, pour les avoir éprouvées, toute la misère et toute la détresse de l'univers, sait sourire et soulager par la tendresse. La charge immense de travail et de responsabilité qui pèse sur Roosevelt a gravé dans son visage les mêmes sillons que dans celui d'Adolf Hitler".

L'attitude positive du national-socialisme à l'égard de Roosevelt et du New Deal s'infléchira en 1935-1936, mais pour faire place à un scepticisme prudent plutôt qu'à une hostilité déclarée. Plusieurs fac-teurs joueront, que les observateurs allemands ne purent tous identifier. Ainsi, les Américains finirent par remarquer les mesures antisémites prises peu après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Ils s'en alarmèrent, eux qui pensaient pouvoir tourner le dos aux querelles européennes et retrouver leur ancien iso-la-tion-nisme pour mieux s'attaquer à leurs problèmes intérieurs: montée du chômage, misère de masse, éro-sion des sols, endettement de l'Etat, etc… De plus, Roosevelt passait, y compris en Allemagne, pour un ardent défenseur de l'isolationnisme. Cependant, l'immigration juive aux Etats-Unis, de plus en plus in-fluente, entra en relation avec le brain trust  de Roosevelt, comme en témoigne l'exemple du publi-ciste et sociologue Walter Lippman. A partir de 1935, médias et "instituts scientifiques" se mettront à "édu-quer" les Américains, jusque là plutôt rétifs en la matière, sur les dangers du "nazisme". Du coup, les organisations allemandes et germanophones d'Amérique devinrent suspectes, surveillées par toutes sor-tes de mouchards. Les groupements nationaux-socialistes déclarés n'étaient pas les seuls visés: les as-sociations culturelles, musicales ou folkloriques furent surveillées, en butte aux chicanes et aux tra-cas-series.

L'échec du New Deal

Cependant, le national-socialisme assista (et sur ce point, son analyse et sa critique furent très souvent pertinentes) à la déconfiture progressive et à l'échec final de la politique de New Deal.

En 1933, Roosevelt s'était lancé dans la bataille avec un élan incroyable et dès le premier trimestre, la fameuse "Révolution des 100 jours", avait mené à bien plusieurs réformes. La nouvelle aggravation de la crise économique mondiale et quelques faillites bancaires retentissantes pendant les derniers mois du gouvernement d'Herbert Hoover, adepte à 100% du libéralisme de marché, paralysèrent pour un temps toute opposition à Roosevelt. Le printemps 1933 marqua l'apogée de la crise: tout le crédit aux USA était pratiquement gelé et peut-être Roosevelt aurait-il alors pu nationaliser en un tour de main le secteur bancaire pour financer sa révolution. Une occasion pareille ne se représenterait plus…

Mais la résistance s'organisait. Les milieux d'affaires, la haute finance, bref le Big Business,  pro-tes-tè-rent contre les interventions dirigistes et planificatrices du New Deal,  jugées "contraires à l'esprit amé-ricain" et propagèrent le mythe de l'effort individuel et de l'initiative privée. Quant aux Etats de l'U-nion, ils virent, dans la tentative de Roosevelt de créer un puissant pouvoir central, une violation de leurs droits traditionnels et fondamentaux. Enfin, la Cour Suprême fit barrage à l'extension du pouvoir exécutif du président et torpilla ses projets de loi les uns après les autres.

La critique nationale-socialiste dressa un bilan difficilement contestable: Roosevelt avait échoué parce qu'il n'avait pas su  —et aussi peut-être parce qu'il ne pouvait  pas—  devenir dictateur. En fait, le pré-sident américain, naguère encore comparé à Hitler, n'était pas un Führer  et les Etats-Unis, selon Colin Ross qui voyait ainsi confirmée sa thèse de "l'échec du melting pot", n'étaient, au mieux, que "les peuples unis de l'Amérique": ils ne formaient ni un Etat au sens européen du terme ni une nation politiquement unie. La démocratie  qui s'y manifestait à travers la lutte des pouvoirs particuliers et des lobbies  avait eu raison de la dictature souhaitée. C'est pour cela que Roosevelt ne pouvait  atteindre aucun des objectifs du New Deal.  Les réformes en profondeur firent dès lors place à la propagande; mais la propagande ne pouvait réussir que si elle se cherchait (et se trouvait) un adversaire, une cible.

L'analyse critique de Giselher Wirsing à l'encontre du New Deal de Roosevelt

Sous le Troisième Reich, Giselher Wirsing fut l'un de ces journalistes qui, tout en sacrifiant aux rites obligatoires de la propagande officielle, furent également capables d'analyses de qualité. En 1938, dans une série d'articles rédigés pour les Münchner Neueste Nachrichten,  et, l'année suivante, dans des textes plus importants écrits pour la revue qu'il dirigeait, Das Zwanzigste Jahrhundert,  Wirsing décrit les cau-ses de l'échec du New Deal:  ces travaux, de haut niveau intellectuel, sont la quintessence des innom-bra-bles reportages, articles, brochures et études scientiques parus en Allemagne entre 1935 et 1939 sur le thè-me des  Etats-Unis. En 1942, Wising regroupa ses essais dans un ouvrage intitulé Der maßlose Kontinent - Roosevelts Kampf um die Weltherrschaft  (= "Le continent de la démesure; le combat de Roo-sevelt pour la domination du monde") (2). Bien que, dans cet ouvrage, Wirsing réaffirme que le New Deal,  même s'il avait réussi, n'aurait finalement eu que de maigres résultats, sa plume de jour-na-liste y est plus acérée: entretemps, les Etats-Unis sont entrés en guerre contre l'Allemagne. "C'est pré-ci-sément dans le domaine de la politique agricole, écrit Wirsing, que le New Deal devait essuyer le re-vers moral le plus cuisant, bien qu'Henri Wallace, ministre de l'agriculture de Roosevelt,…eût révélé les carences du système agraire aux USA. La politique agricole du New Deal  devint une juxtaposition d'ex-pédients qui permirent certes d'alléger le poids de la crise mais n'en vinrent jamais réellement à bout. Pour Wallace, le problème-clé de l'agriculture mécanisée américaine était la surproduction alors que le marché mondial s'était rétréci par suite des mesures d'autarcie prises dans le monde entier. De sorte que le New Deal,  au lieu d'engager la bataille pour la production, fit l'inverse: il fit tout pour li-miter la production. C'est cette idée fondamentale qui inspira l'Agricultural Adjustment Act  (AAA) de 1933. Une politique agricole véritablement  constructive n'aurait jamais dû s'appuyer sur une analyse aus-si né--gative tant que les excédents enregistrés dans les campagnes contrastaient avec les carences les plus effroyables en milieu urbain".

La stabilisation des prix agricoles, couramment pratiquée aujourd'hui, fut alors anticipée par des méthodes extrêmement brutales: enfouissement de la viande porcine, déversement en mer de tonnes de fruits mûrs, incendie des champs de coton: toutes ces mesures étaient le contraire exact des Ernteschlachten (batailles pour les récoltes) nationales-socialistes. Elles furent considérées par les capitalistes comme typiques du "dirigisme d'Etat" et par les communistes comme … typiques du "capitalisme"…

Quand l'abondance devient un fléau

Anticapitaliste d'inspiration nationaliste et romantique, Wirsing a bien cerné la réalité en mettant en lu-mière une contradiction inhérente à plusieurs volets du New Deal:  le hiatus entre l'intervention de l'E-tat, propre au New Deal,  et les axiomes d'un libéralisme presque dogmatique:

"Wallace adopta une démarche mécanique  fondée sur la théorie du pouvoir d'achat. Il constata que l'a-gri-culteur américain produisait trop dans tous les domaines, que la chute des prix devenait irrépressible et que l'endettement menaçait d'étouffer l'ensemble du système agraire. Il en concluait qu'il fallait limi-ter la production jusqu'au point où l'offre, ainsi réduite, s'harmoniserait à la demande. Théorie parfai-te-ment conforme, du reste, au libéralisme classique… Or, les initiateurs de cette politique agricole, qui per-suadèrent  —par toute une série de mesures coercitives—  l'agriculteur de ne plus cultiver ses champs et de détruire ses récoltes, se prirent pour des révolutionnaires. Ils parvinrent effectivement à fai-re passer le revenu agricole net de 4,4 milliards de dollars en 1933 à 7 milliards en 1935, mais cette aug-mentation rapide des prix était due en bonne partie à la sécheresse catastrophique de 1935, aux tor-na-des de poussière et aux inondations de l'année 1936-1937. Paradoxalement, Roosevelt vit dans la séche-resse son meilleur allié: avec l'AAA, c'est elle qui avait miraculeusement augmenté le pouvoir d'achat dans l'agriculture. L'indstrie des biens de consommation, qui soutenait Roosevelt, pouvait être satisfaite des résultats".

Naturellement, ni Wirsing ni Colin Ross (qui publia, également en 1942, Die "westliche Hemisphäre" als Programm und Phantom des amerikanischen Imperialismus  [= "L'hémisphère occidental", pro-gram-me et spectre de l'impérialisme américain]) (3) ni d'ailleurs l'explorateur suédois Sven Hedin, le sym-pa-thisant d'Hitler sans doute le plus célèbre, n'ont manqué de signaler qu'en Allemagne, l'intervention de l'Etat s'inspirait de conceptions doctrinales macro-économiques éprouvées alors qu'aux Etats-Unis, elle res-tait con-fuse et contradictoire. Le fait est qu'en Allemagne, et pas seulement à cause du réarmement, les chômeurs disparurent (sur ce point, le régime a sans doute exagéré ses mérites: le plein emploi ne fut jamais réellement atteint, pas même au début de la guerre) alors qu'aux USA, les résultats demeu-rè-rent médiocres malgré l'organisation de travaux de nécessité publique et le Service du Travail. En Allemagne, la dictature, mais aussi la grande tradition allemande du socialisme d'Etat produisaient leurs effets. Ces deux éléments n'existaient pas aux Etats-Unis. Ecoutons Wirsing résumer la queston agraire aux Etats-Unis, en sachant que ses observations valent pour l'ensemble du New Deal:

"Les tendances régionalistes et particularistes ne se manifestèrent nulle part de façon plus marquée que dans la question agraire. Quand des régions entières furent subitement menacées d'un nouveau fléau, comme le Middle West par les tornades de poussière de 1934-35, ou les Etats du Mississipi par les crues dévastatrices de l'année 1937, le Congrès consentit à débloquer des fonds parfois importants. Mais le système démocratique empêcha une imbrication adroite des diverses mesures ponctuelles dans le cadre d'une planification globale qui eût brisé toute résistance. A cause de l'impéritie du Congrès, de la sot-tise des Governors  des Etats, des groupements d'intérêts, etc…, le gouvernement de Roosevelt ne put jamais franchir l'obstacle…".

Les excellents projets de Roosevelt sont torpillés par les intérêts corporatistes privés

La liste des projets gouvernementaux torpillés par la Cour Suprême, que ce soit la loi sur les pensions des cheminots ou la déclaration d'illégalité de l'Agricultural Adjustment Act,  en 1936, est, elle aussi, in-finie. Roosevelt essaya bien de désamorcer l'opposition en y introduisant des juges favorables à sa politique et en adjoignant à ses opposants des "suppléants" avec droit de décision (les Américains di-sent: "to pack the Court");  la manœuvre avorta. Son projet favori, notamment la création d'une "Tennessee Valley Authority",  resta lettre morte. Roosevelt voulait aménager la vallée du Tennessee en y construisant de grands barrages et d'imposantes centrales électriques afin d'empêcher les inon-da-tions, permettre l'irrigation et fournir aux agriculteurs l'électricité à bon marché dont ils avaient le plus grand besoin pour leur élevage de bétail laitier et de boucherie, sans compter les programmes de reboi-sement et de terrassement. Sur le terrain, tout cela réussit. Jusqu'au jour où les compagnies privées d'é-lec-tricité sabotèrent cette politique énergétique et ces plans grandioses de mise en valeur du sol américain.

Si la comparaison entre l'interventionnisme américain et l'interventionnisme germanique montra à quel point il avait été hasardeux, de parler, en tant qu'observateurs allemands, d'affinités, même écono-mi-ques, entre le na-tional-socialisme et le New Deal,  il devint peu à peu patent que Roosevelt et Hitler avaient, en matière de commerce extérieur, des conceptions diamétralement opposées.

La guerre commerciale : autarcie contre libre-échangisme

Cette opposition, qui fut un facteur décisif de l'entrée en guerre des USA, donna au national-socialisme l'occasion d'étudier de près l'impérialisme américain (en fermant bien sûr les yeux sur son impérialisme à lui). Dès 1933, les relations économiques germano-américaines se détériorèrent. L'économie dirigée allemande, qui tendait au réarmement et à l'autarcie, jugula et planifia les importations, adapta les ex-por-tations aux importations grâce à des accords de compensation et à l'institution de taux de change multiples. Le principe allemand "marchandise contre marchandise" et le monopole d'Etat en matière de com-merce extérieur débouchèrent, par le biais des accords bilatéraux de clearing et de la technique de la "répartition des devises", sur une bilatéralisation des échanges.

On conçoit, dès lors, que la politique américaine de libre-échange, la "open door policy",  ait rencontré une résistance de plus en plus vive: en développant leurs relations économiques avec l'Amérique latine, les Allemands réussirent même à évincer les Américains et les Anglais de marchés aussi importants que ceux de l'Argentine ou du Brésil. Avec le pacte germano-soviétique, et les victoires successives des for-ces de l'Axe, les Américains entrevirent le spectre d'une partition du marché mondial (4): ils redoutèrent de plus en plus d'être handicapés économiquement et commercialement dans des zones de plus en plus vastes; qui plus est, la main d'œuvre bon marché des pays de l'Axe risquait même de saper leurs posi-tions concurrentielles partout ailleurs.

En 1941, année de l'attaque allemande contre l'Union Soviétique, le géopoliticien allemand Karl Haus-ho-fer publia son étude intitulée "Le bloc continental" (5). Ce bloc continental devint le cauchemar des Etats-Unis. Dans cette optique, l'Allemagne, la Russie, le Japon et les territoires qu'ils contrôlaient, donc également l'Afrique du Nord, la Chine et la Corée, ainsi que l'ensemble balkanique, devaient for-mer un bloc militaro-économique sur lequel se briseraient les ambitions anglo-américaines d'hégémonie mondiale. Finalement, la terre l'emporterait sur la mer, l'économie d'Etat sur le libre-échange, l'auto-ri-ta-risme sur la démocratie car le grand-espace suivrait sa propre loi alors que le libéralisme, impliquant partout des normes apparemment objectives, était contraint d'intervenir tous azimuts et de postuler dans le monde entier des conditions d'action uniformes.

                                                        

Aux Etats-Unis, la réaction à l'encontre de cette perspective d'un bloc continental tourna rapidement à l'hystérie, surtout par calcul de propagande: depuis 1937, Roosevelt voulait la guerre avec le Japon. A partir de 1939-1940, il voudra la guerre avec l'Alle-magne. Et décrira comme un "îlot impuissant" (!) une nation comme les Etats-Unis dont le volume du commerce ex-té-rieur, grâce à un marché intérieur gigantesque, n'atteignait à l'époque que 5 ou 6%. Dans son discours du 10 juin 1940, prononcé en Virginie, Roosevelt proclamait:"Pour moi-même comme pour l'écrasante majorité des Américains, l'existence d'un tel îlot est un cau-che-mar affreux, celui d'un peuple sans liberté, le cauchemar d'un peuple affamé, incarcéré, ligoté, d'un peuple nourri jour après jour par les gardiens impitoyables qui régentent les autres continents et n'ont pour nous que mépris". Et Walter Lippman ajoutait le 22 juillet 1940 dans la revue Life:"Si les cartells étatisés des puissances de l'Axe cimentaient un bloc continental eurasien de l'Irlande au Japon, les conséquences pour les Etats-Unis en seraient la baisse du niveau de vie, la montée du chô-mage et une économie réglementée. La disparition des libertés de notre libéralisme nous obligerait du même coup à nous adapter aux puissances de l'Axe". Et Lippmann concluait: "Le fait est qu'une éco-no-mie libre telle que nous la connaissons, nous, citoyens Américains, ne peut survivre dans un monde sou-mis à un régime de socialisme militaire".

Un monde trop petit pour deux systèmes

Le 9 juin 1941, Henry L. Stimson, Ministre de la Guerre, déclarait à l'Académie militaire de West-Point (6): "Le monde est trop petit pour deux systèmes opposés". Il est frappant de constater que la cam--pagne de Roosevelt contre l'Allemagne avait commencé dès 1937,  c'est-à-dire avant l'Anschluß  et l'an-nexion de la Tchécoslovaquie, voire avant les crimes collectifs perpétrés par les nationaux-socia-listes. Par contre, elle coïncida avec le moment précis, où l'échec du New Deal  éclata au grand jour. Com-mentaire de Giselher Wirsing:"L'été 1937 fut le grand tournant. Pas seulement politiquement, mais économiquement. Au moment où le président essuyait une défaite face à la Cour Suprême, un nouveau déclin économique brutal s'a-mor-ça… Dans l'industrie et l'agriculture, s'annonça une chute générale des prix. L'industrie et le com-merce avaient constitué d'importantes réserves en prévision de nouvelles hausses. En même temps, sous la pression du Big Business  et du Congrès, le président avait réduit sensiblement les dépenses fé-dé-rales et fait des coupes sombres dans les budgets de relance et d'aide sociale… Ce fut la "dépression Roosevelt". Au printemps 1938, on comptait à nouveau 11 millions de chômeurs. L'arsenal de lois du New Deal,  déjà incohérent en lui-même, s'avérait impuissant face aux faiblesses structurelles… On élabora pour l'agriculture un Agricultural Adjustment Act,  nouvelle version, mais inspiré des vieux principes: une limitation draconienne des cultures… La loi sur les salaires et le travail fut vidée de sa sub-stance. Dans tous les domaines, aucun progrès par rapport à 1933…".

L'exutoire de Roosevelt: la politique étrangère

Sven Hedin (7) a fait remarquer que les salaires payés par la Works Progress Administration  (WPA) pour les travaux de secours aux chômeurs ne dépassaient pas 54,87 dollars mensuels. Même la sécurité sociale ne fut pas transformée radicalement par le New Deal.  Voici le bilan qu'en dresse Sven Hedin: "En juillet 1939, le Social Security Bulletin  révéla que les pensions de retraite versées aux USA at-teignaient, par personne et par mois, 19,47 dollars. Mais en Alabama, le montant ne dépassait pas 9,43 $, en Caroline du Sud, 8,18$ mensuels, en Géorgie 8,12$, dans le Mississipi 7,37$ et en Arkansas 6$ seulement! Quiconque découvre l'amère réalité américaine derrière les slogans officiels ne peut que me-surer l'échec de Roosevelt en politique intérieure. Beaucoup remarquèrent que ce fut là un facteur dé-ter-minant du recours à l'aventure extérieure". Ce point de vue, des millions d'Américains l'ont partagé et aujourd'hui encore, les historiens critiques envers Roosevelt y adhèrent.

Le "discours de quarantaine" du 5 octobre 1937 marqua le début d'une véritable guerre froide contre l'Allemagne et le Japon. Même si l'on tient compte du conflit sino-japonais, les propos de Roosevelt sont assez énigmatiques:"Des peuples et des Etats innocents sont cruellement sacrifiés à un appétit de puissance et de domi-na-tion ignorant le sens de la justice… Si de telles choses devaient se produire dans d'autres parties du mon-de, personne ne doit s'imaginer que l'Amérique serait épargnée, que l'Amérique obtiendrait grâce et que notre hémisphère occidental ne pût être attaqué… La paix, la liberté et la sécurité de 90% de l'hu-ma-nité sont compromises par 10% qui nous menacent de l'effondrement de tout ordre international et de tout droit… Lorsqu'un mal se répand comme une épidémie, la communauté doit mettre le malade en qua-rantaine afin de protéger la collectivité".

"Hémisphère occidental" contre bloc continental

Les nationaux-socialistes virent bien que l'idée rooseveltienne d'"hémisphère occidental" (dont les limites d'intervention ne furent jamais précisées!) était grosse d'une volonté d'hégémonie mondiale directement opposée à leurs ambitions propres, plutôt continentales. Le déclin de l'Angleterre (à l'époque, le phénomène suscita en Allemagne une multitude de commentaires dans les milieux journalistiques et scientifiques) (8) positionna les Etats-Unis dans le rôle de l'héritier, mais un héritier qui apparaissait plus agressif encore que le de cujus.  Alors que s'annonçait (ou avait déjà commencé) le choc avec les Etats-Unis, en 1942-1943, plusieurs auteurs allemands se mirent à étudier ce nouvel impérialisme et leurs con-clusions ressemblent à s'y méprendre aux analyses marxistes qui furent ultérieurement publiées sur les Etats-Unis. Dans son ouvrage Imperium Americanum  (9), paru en 1943, Otto Schäfer relate "l'extension de la sphère de puissance des Etats-Unis" depuis le refoulement de l'Angleterre, la guerre contre l'Espagne, l'acquisition du Canal de Panama, le contrôle des Caraïbes jusqu'à la péné-tra-tion du Canada et de l'Amérique latine. Et Schäfer illustrait son propos par un bilan statistique de la politique américaine d'investissements à l'étranger.

Helmut Rumpf, spécialiste de droit public, décrivait en 1942, dans son livre Die zweite Eroberung Ibero-Amerikas  (= "La deuxième conquête de l'Amérique ibérique") (10), la mise au pas et le pillage économique du Mexique et de l'Amérique centrale par les USA.

Albert Kolb (11), enfin, se pencha sur les relations avec les Philippines, Hans Römer (12) sur les in-gé-ren-ces américaines dans les guerres civiles d'Amérique centrale, et Wulf Siewert (13), dans Seemacht USA  (= "La puissance maritime des Etats-Unis") sur le développement de la marine américaine sous Roosevelt, qui suscita outre-Atlantique un enthousiasme proche de la ferveur qu'avait jadis inspirée en Al-le-magne la flotte de Guillaume II (toutes proportions gardées, car la US Navy  devait connaître des len-demains plus heureux que la flotte impériale allemande). L'idée maîtresse de cette abondante litté-ra-ture, présentant, très souvent un niveau scientifique fort honorable, c'est que la doctrine de Monroe, dé-fen-sive au moment de sa conception et de sa proclamation (1823), puisqu'elle devait défendre le con-ti-nent américain contre toute intervention européenne, était depuis longtemps devenue une doctrine offen-sive autorisant des interventions illimitées dans l'"hémisphère occidental". Il était dès lors dans la logi-que des choses que le publiciste américain Clarence K. Streit (14) finisse par réclamer (en 1939) une fu-sion entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et que Walter Lippmann envisage la création d'un super-Etat regrou-pant —sous direction américaine— tous les pays "atlantiques" régis par le capitalisme libéral.

Les Allemands ont sous-estimé les Américains

Un économiste aussi sérieux que Friedrich Lenz (15) affirmait encore en 1942, dans son livre Politik und Rüstung der Vereinigten Staaten  (= "Politique et armement des Etats-Unis"), que la production de guerre aux USA était beaucoup trop lente pour représenter à bref délai une menace pour l'Allemagne. Le capitalisme libéral, que le New Deal n'avait fait qu'égratigner, était incapable, assurait Lenz, d'assumer la directivité qu'implique une politique d'armement. Lenz allait jusqu'à soutenir qu'en 1941, "les USA ne pouvaient aligner que 425 chars lourds". Or, même si les objectifs de production annon-cés par Roosevelt le 6 janvier 1942 (60.000 avions, 35.000 chars et 20.000 tubes de DCA pour 1942, 125.000 avions, 75.000 chars et 35.000 tubes de DCA pour 1943) ne furent jamais atteints, et si le dé-veloppement rapide de l'armée entraîna outre-Atlantique de graves difficultés, les Etats-Unis, en appro-vi-sionnant massivement l'Armée Rouge, n'en apportèrent pas moins aux Allemands la preuve irréfu-table de l'efficacité de leur production guerrière.

Sven Hedin lui-même affirmait: "Aux manœuvres de l'automne 1941, l'armée américaine était équipée de fusils mitrailleurs et de blindés en bois et en carton pâte, exactement comme la Reichswehr d'après 1919". Apès les manœuvres, le général McNair déclarait que "deux divisions seulement sont en état de se battre". Et Sven Hedin ajoutait:

"En 1940, les forces armées ne comptaient que 250.000 hommes. Or, le Victory Program  américain prévoit pour l'assaut contre l'Allemagne un effectif de 6,7 millions d'hommes répartis en 215 divisions. Comment Roosevelt va-t-il les former, les entraîner, les armer pour qu'ils viennent à bout des divisions aguerries de l'Allemagne et de ses alliés?".

Bien sûr, à l'époque, la conquête des richesses russes paraissait acquise pour l'Allemagne et les Japonais allaient de succès en succès. Mais le paradoxe, c'est que cette sous-estimation des Etats-Unis était due à une analyse pertinente de l'échec du New Deal!  L'échec économique et social des Etats-Unis trouva tout simplement un exutoire dans le domaine de l'économie de guerre…

Pourtant, on débattit, sous le Troisième Reich, des conséquences d'une défaite éventuelle de l'Axe face aux Etats-Unis: Friedrich Lenz affirma qu'après l'échec du capitalisme libéral et les succès des Etats to-ta-litaires (parmi lesquels il comptait généreusement l'Union Soviétique bien que celle-ci fût entre-temps passée dans le camp adverse), l'effondrement de ces mêmes Etats entraînerait une régression sans précé-dent dans l'histoire mondiale: "Promettre le rétablissement de la civilisation libérale du XIXème siècle sur les ruines des systèmes totalitaires d'Allemagne, d'Italie et du Japon, et peut-être même de Russie soviétique est une position réactionnaire", et Lenz d'ajouter avec une ironie féroce: "Peut-être Thomas Mann sera-t-il alors le nouveau praeceptor Germaniae  de cette civiliation libérale?".

L'idéal social de "Park Avenue"

L'idée américaine accélère-t-elle ou retarde-t-elle l'histoire? Giselher Wirsing, lui, polémique contre l'entrée en guerre des USA en avançant des arguments sociaux: "Park Avenue va-t-elle diriger le monde? Dans quel but? On a a calculé qu'en 1927, les 4000 familles qui y résidaient, dépensaient un budget annuel gloabal de 280 millions de dollars. Sur ce total, 85 mil-lions ont été dépensés pour entretenir la garde-robe de ces dames et de leurs filles… Pour se nourrir, ces 4000 familles ont dépensé 32 millions de dollars et pour leurs bijoux, 20 millions par an!… Voilà la civilisation pour laquelle il faudrait se battre! Et pour laquelle devront mourir les soldats chinois, indiens, australiens, anglais, sud-africains, canadiens et égyptiens!… Pour quelle liberté? Pour celle de Park Avenue,  celle de drainer les milliards du monde entier. Pour la liberté de profiter de la guerre".

Mais quel ordre une Amérique victorieuse offrirait-elle au monde? Le pronostic le plus séduisant est ce-lui que propose Carl Schmitt dans un article (16) publié dans la revue Das Reich  du 19 avril 1942 et in-titulé Beschleuniger wider Willen oder Problematik der westlichen Hemisphäre  (= "Accélérateur de l'his--toire malgré lui, ou le problème de l'hémisphère occidental"); Schmitt y justifie son pronostic en sou-lignant la propension obligée des Etats-Unis à violer les autres grands-espaces et leur incapacité à créer pour eux-mêmes un grand-espace (Grossraum)  cohérent et circonscrit:

"En essayant de prolonger la puissance maritime et la domination mondiale britanniques, le président des Etats-Unis n'a pas seulement recueilli de cet héritage les parts les plus avantageuses; il s'est ipso facto placé sous la loi qui gouvernait au siècle dernier l'existence politique de l'Empire britannique. L'Angleterre était devenue la gardienne de tous les "hommes malades", à commencer par celui du Bos-pho-re, jusqu'aux maharadjas indiens et aux sultans de toutes sortes. L'Angleterre était un frein au dé-veloppement de l'histoire mondiale… Quand Roosevelt quitta le terrain de l'isolationnisme et de la neutralité, il entra, qu'il le voulût ou non, dans la logique retardatrice et rigidifiante qui fut celle de l'empire mondial britannique".

Carl Schmitt poursuit: "Dans la foulée, le président proclama l'avènement du "siècle américain" afin de coïncider avec la ligne idéologique américaine traditionnelle, tournée théoriquement vers l'avenir et toutes formes d'innovation comme l'avait démontré l'essor spectaculaire des Etats-Unis au XIXème sièc-le. Ici encore, comme à toutes les étapes importantes de l'histoire politique américaine ré-cen-te, on s'enlise dans les contradictions inhérentes à cet hémisphère qui a perdu toute cohésion intérieure. Si Roosevelt, en entrant en guerre, était devenu l'un des grands ralentisseurs de l'histoire mondiale, passe encore; ce serait déjà beaucoup. Mais la vacuité de la décision annihile tout effet authentique. C'est ainsi que s'accomplit le destin de tous ceux qui lancent leur barque dans le maëlström de l'histoire sans que leur intériorité ne soit assurée (ohne Bestimmtheit des inneren Sinnes).  Ce ne sont ni des hommes impulseurs de mouvement, ni de grands retardateurs: ils ne peuvent que finir… accélérateurs malgré eux…".

Les idées de "grand-espace" (17), dont les nationaux-socialistes n'ont pas la paternité mais qu'ils ont récu-pérées pour camoufler et justifier leurs propres ambitions, succombèrent, sur le champ de bataille, à la "pensée globale" des Américains, et des millions d'Allemands, aujourd'hui encore, s'en disent soulagés. Mais ce constat n'infirme en rien la critique qui fut faite jadis, sous Hitler, du capitalisme amé-ricain ni l'idée grandiose de servir la paix en créant de grands-espaces fermés aux interventions de puis-sances géopolitiquement étrangères. On peut même prévoir que les Américains vont devenir les gar-diens de l'ordre ancien, les conservateurs des formes politiques révolues. Dans la perspective d'une éman-cipation européenne qui ne pourra compter, bien évidemment, que sur ses propres forces, il fau-drait distinguer, dans les idées de cette époque, entre ce qui relevait des besoins et de la propagande et ce qui mériterait plus ample approfondissement.

Günther MASCHKE.

(trad. Jean-Louis Pesteil; texte tiré de la revue autrichienne Aula et reproduit dans Orientations avec l'aimable autorisation de l'auteur; adresse d'Aula: AULA-Verlag, Merangasse 13, A-8010 Graz, Autriche)

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