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samedi, 02 mai 2009

La critique nationale-socialiste du capitalisme et de l'impérialisme américains

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - Novembre 1987

 

La critique nationale-socialiste du capitalisme et de l'impérialisme américains

par Günther MASCHKE

A l'automne 1918, les troupes fraîches et bien équipées (voire suréquipées) du général Pershing, com-mandant en chef du corps expéditionnaire américain, décidaient de l'issue de la Première Guerre mon-diale. Malgré cela, et bien que, contrairement à Foch, Pétain et Haig, Pershing fût le seul chef allié à vou-loir porter la guerre jusqu'à Berlin et occuper l'intégralité du territoire allemand, peu d'Allemands nourrirent à l'époque des sentiments anti-américains. La haine des vaincus se dirigea plutôt contre l'An-gle-terre et, plus encore, contre la France: n'était-ce pas les Anglais qui, dès la fin des combats, main-tinrent jusqu'en 1919 un blocus économique qui réduisit à la famine un million d'Allemands? N'était-ce pas les Français qui imposèrent le diktat de Versailles avant d'occuper la Ruhr? A l'inverse, l'éphémère prospérité que connut la République de Weimar entre 1925 et 1929 n'était-elle pas due aux crédits amé-ricains? Même si la crise économique mondiale frappait l'Amérique plus durement encore que l'Alle-magne, l'image positive d'une Amérique, pays vaste, libre, aux potentialités infinies, demeurait, parmi les Allemands, pratiquement intacte.

La sympathie allemande pour l'Amérique de Roosevelt

L'année 1933 n'altéra pas ce beau tableau, bien au contraire: la propagande nationale-socialiste et les au-teurs politiques sérieux étaient plutôt pro-américains pendant les premières années du régime. La politi-que de Franklin Delano Roosevelt, au pouvoir depuis mai 1933, fut même accueillie avec faveur, voire avec enthousiasme, et l'on s'enhardit, en Allemagne, à mettre en parallèle New Deal  et national-socialisme.

De fait, les deux systèmes furent perçus comme deux variantes d'une "Troisième Voie", la seule pro-metteuse, entre le capitalisme libéral et le bolchévisme. Comme le national-socialisme, faisait-on ob-server, le New Deal  essaie de résorber le chômage de masse par l'intervention de l'Etat dans le do-maine économique; d'un côté comme de l'autre, une politique sociale garantissait la sécurité matérielle de l'exis-tence. En Allemagne comme aux Etats-Unis, la libre entreprise, échec évident, était désormais contrôlée et bridée par l'Etat planificateur; ici comme là-bas, une nation en proie au désespoir et à la ré-signation était enfin mobilisée et vitalisée par un chef charismatique. La France et l'Angeterre, restées fi-dèles au libéralisme bourgeois, étaient condamnées au déclin. Quant à l'Union Soviétique, elle ne pou--vait, au mieux, que se maintenir par la terreur. Seuls, les Allemands, les Italiens et, dans une moin-dre mesure, les Américains, avaient compris que les temps avaient changé.

Parfois, les sympathies nationales-socialistes pour Roosevelt frisaient l'idôlatrie. Colin Ross (1), le jour--naliste le plus brillant du Troisième Reich, évoque, en 1935, l'impression que lui laissa une con-fé-rence de presse à la Maison Blanche: "Bien sûr, le sourire rooseveltien est, si l'on veut, le fameux keep smiling  américain. Mais le rire et le sourire du président sont bien plus que cela. C'est un rire fondé sur la souffrance. C'est l'expression d'une âme, d'une expérience du monde, qui, parce qu'elle connaît, pour les avoir éprouvées, toute la misère et toute la détresse de l'univers, sait sourire et soulager par la tendresse. La charge immense de travail et de responsabilité qui pèse sur Roosevelt a gravé dans son visage les mêmes sillons que dans celui d'Adolf Hitler".

L'attitude positive du national-socialisme à l'égard de Roosevelt et du New Deal s'infléchira en 1935-1936, mais pour faire place à un scepticisme prudent plutôt qu'à une hostilité déclarée. Plusieurs fac-teurs joueront, que les observateurs allemands ne purent tous identifier. Ainsi, les Américains finirent par remarquer les mesures antisémites prises peu après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Ils s'en alarmèrent, eux qui pensaient pouvoir tourner le dos aux querelles européennes et retrouver leur ancien iso-la-tion-nisme pour mieux s'attaquer à leurs problèmes intérieurs: montée du chômage, misère de masse, éro-sion des sols, endettement de l'Etat, etc… De plus, Roosevelt passait, y compris en Allemagne, pour un ardent défenseur de l'isolationnisme. Cependant, l'immigration juive aux Etats-Unis, de plus en plus in-fluente, entra en relation avec le brain trust  de Roosevelt, comme en témoigne l'exemple du publi-ciste et sociologue Walter Lippman. A partir de 1935, médias et "instituts scientifiques" se mettront à "édu-quer" les Américains, jusque là plutôt rétifs en la matière, sur les dangers du "nazisme". Du coup, les organisations allemandes et germanophones d'Amérique devinrent suspectes, surveillées par toutes sor-tes de mouchards. Les groupements nationaux-socialistes déclarés n'étaient pas les seuls visés: les as-sociations culturelles, musicales ou folkloriques furent surveillées, en butte aux chicanes et aux tra-cas-series.

L'échec du New Deal

Cependant, le national-socialisme assista (et sur ce point, son analyse et sa critique furent très souvent pertinentes) à la déconfiture progressive et à l'échec final de la politique de New Deal.

En 1933, Roosevelt s'était lancé dans la bataille avec un élan incroyable et dès le premier trimestre, la fameuse "Révolution des 100 jours", avait mené à bien plusieurs réformes. La nouvelle aggravation de la crise économique mondiale et quelques faillites bancaires retentissantes pendant les derniers mois du gouvernement d'Herbert Hoover, adepte à 100% du libéralisme de marché, paralysèrent pour un temps toute opposition à Roosevelt. Le printemps 1933 marqua l'apogée de la crise: tout le crédit aux USA était pratiquement gelé et peut-être Roosevelt aurait-il alors pu nationaliser en un tour de main le secteur bancaire pour financer sa révolution. Une occasion pareille ne se représenterait plus…

Mais la résistance s'organisait. Les milieux d'affaires, la haute finance, bref le Big Business,  pro-tes-tè-rent contre les interventions dirigistes et planificatrices du New Deal,  jugées "contraires à l'esprit amé-ricain" et propagèrent le mythe de l'effort individuel et de l'initiative privée. Quant aux Etats de l'U-nion, ils virent, dans la tentative de Roosevelt de créer un puissant pouvoir central, une violation de leurs droits traditionnels et fondamentaux. Enfin, la Cour Suprême fit barrage à l'extension du pouvoir exécutif du président et torpilla ses projets de loi les uns après les autres.

La critique nationale-socialiste dressa un bilan difficilement contestable: Roosevelt avait échoué parce qu'il n'avait pas su  —et aussi peut-être parce qu'il ne pouvait  pas—  devenir dictateur. En fait, le pré-sident américain, naguère encore comparé à Hitler, n'était pas un Führer  et les Etats-Unis, selon Colin Ross qui voyait ainsi confirmée sa thèse de "l'échec du melting pot", n'étaient, au mieux, que "les peuples unis de l'Amérique": ils ne formaient ni un Etat au sens européen du terme ni une nation politiquement unie. La démocratie  qui s'y manifestait à travers la lutte des pouvoirs particuliers et des lobbies  avait eu raison de la dictature souhaitée. C'est pour cela que Roosevelt ne pouvait  atteindre aucun des objectifs du New Deal.  Les réformes en profondeur firent dès lors place à la propagande; mais la propagande ne pouvait réussir que si elle se cherchait (et se trouvait) un adversaire, une cible.

L'analyse critique de Giselher Wirsing à l'encontre du New Deal de Roosevelt

Sous le Troisième Reich, Giselher Wirsing fut l'un de ces journalistes qui, tout en sacrifiant aux rites obligatoires de la propagande officielle, furent également capables d'analyses de qualité. En 1938, dans une série d'articles rédigés pour les Münchner Neueste Nachrichten,  et, l'année suivante, dans des textes plus importants écrits pour la revue qu'il dirigeait, Das Zwanzigste Jahrhundert,  Wirsing décrit les cau-ses de l'échec du New Deal:  ces travaux, de haut niveau intellectuel, sont la quintessence des innom-bra-bles reportages, articles, brochures et études scientiques parus en Allemagne entre 1935 et 1939 sur le thè-me des  Etats-Unis. En 1942, Wising regroupa ses essais dans un ouvrage intitulé Der maßlose Kontinent - Roosevelts Kampf um die Weltherrschaft  (= "Le continent de la démesure; le combat de Roo-sevelt pour la domination du monde") (2). Bien que, dans cet ouvrage, Wirsing réaffirme que le New Deal,  même s'il avait réussi, n'aurait finalement eu que de maigres résultats, sa plume de jour-na-liste y est plus acérée: entretemps, les Etats-Unis sont entrés en guerre contre l'Allemagne. "C'est pré-ci-sément dans le domaine de la politique agricole, écrit Wirsing, que le New Deal devait essuyer le re-vers moral le plus cuisant, bien qu'Henri Wallace, ministre de l'agriculture de Roosevelt,…eût révélé les carences du système agraire aux USA. La politique agricole du New Deal  devint une juxtaposition d'ex-pédients qui permirent certes d'alléger le poids de la crise mais n'en vinrent jamais réellement à bout. Pour Wallace, le problème-clé de l'agriculture mécanisée américaine était la surproduction alors que le marché mondial s'était rétréci par suite des mesures d'autarcie prises dans le monde entier. De sorte que le New Deal,  au lieu d'engager la bataille pour la production, fit l'inverse: il fit tout pour li-miter la production. C'est cette idée fondamentale qui inspira l'Agricultural Adjustment Act  (AAA) de 1933. Une politique agricole véritablement  constructive n'aurait jamais dû s'appuyer sur une analyse aus-si né--gative tant que les excédents enregistrés dans les campagnes contrastaient avec les carences les plus effroyables en milieu urbain".

La stabilisation des prix agricoles, couramment pratiquée aujourd'hui, fut alors anticipée par des méthodes extrêmement brutales: enfouissement de la viande porcine, déversement en mer de tonnes de fruits mûrs, incendie des champs de coton: toutes ces mesures étaient le contraire exact des Ernteschlachten (batailles pour les récoltes) nationales-socialistes. Elles furent considérées par les capitalistes comme typiques du "dirigisme d'Etat" et par les communistes comme … typiques du "capitalisme"…

Quand l'abondance devient un fléau

Anticapitaliste d'inspiration nationaliste et romantique, Wirsing a bien cerné la réalité en mettant en lu-mière une contradiction inhérente à plusieurs volets du New Deal:  le hiatus entre l'intervention de l'E-tat, propre au New Deal,  et les axiomes d'un libéralisme presque dogmatique:

"Wallace adopta une démarche mécanique  fondée sur la théorie du pouvoir d'achat. Il constata que l'a-gri-culteur américain produisait trop dans tous les domaines, que la chute des prix devenait irrépressible et que l'endettement menaçait d'étouffer l'ensemble du système agraire. Il en concluait qu'il fallait limi-ter la production jusqu'au point où l'offre, ainsi réduite, s'harmoniserait à la demande. Théorie parfai-te-ment conforme, du reste, au libéralisme classique… Or, les initiateurs de cette politique agricole, qui per-suadèrent  —par toute une série de mesures coercitives—  l'agriculteur de ne plus cultiver ses champs et de détruire ses récoltes, se prirent pour des révolutionnaires. Ils parvinrent effectivement à fai-re passer le revenu agricole net de 4,4 milliards de dollars en 1933 à 7 milliards en 1935, mais cette aug-mentation rapide des prix était due en bonne partie à la sécheresse catastrophique de 1935, aux tor-na-des de poussière et aux inondations de l'année 1936-1937. Paradoxalement, Roosevelt vit dans la séche-resse son meilleur allié: avec l'AAA, c'est elle qui avait miraculeusement augmenté le pouvoir d'achat dans l'agriculture. L'indstrie des biens de consommation, qui soutenait Roosevelt, pouvait être satisfaite des résultats".

Naturellement, ni Wirsing ni Colin Ross (qui publia, également en 1942, Die "westliche Hemisphäre" als Programm und Phantom des amerikanischen Imperialismus  [= "L'hémisphère occidental", pro-gram-me et spectre de l'impérialisme américain]) (3) ni d'ailleurs l'explorateur suédois Sven Hedin, le sym-pa-thisant d'Hitler sans doute le plus célèbre, n'ont manqué de signaler qu'en Allemagne, l'intervention de l'Etat s'inspirait de conceptions doctrinales macro-économiques éprouvées alors qu'aux Etats-Unis, elle res-tait con-fuse et contradictoire. Le fait est qu'en Allemagne, et pas seulement à cause du réarmement, les chômeurs disparurent (sur ce point, le régime a sans doute exagéré ses mérites: le plein emploi ne fut jamais réellement atteint, pas même au début de la guerre) alors qu'aux USA, les résultats demeu-rè-rent médiocres malgré l'organisation de travaux de nécessité publique et le Service du Travail. En Allemagne, la dictature, mais aussi la grande tradition allemande du socialisme d'Etat produisaient leurs effets. Ces deux éléments n'existaient pas aux Etats-Unis. Ecoutons Wirsing résumer la queston agraire aux Etats-Unis, en sachant que ses observations valent pour l'ensemble du New Deal:

"Les tendances régionalistes et particularistes ne se manifestèrent nulle part de façon plus marquée que dans la question agraire. Quand des régions entières furent subitement menacées d'un nouveau fléau, comme le Middle West par les tornades de poussière de 1934-35, ou les Etats du Mississipi par les crues dévastatrices de l'année 1937, le Congrès consentit à débloquer des fonds parfois importants. Mais le système démocratique empêcha une imbrication adroite des diverses mesures ponctuelles dans le cadre d'une planification globale qui eût brisé toute résistance. A cause de l'impéritie du Congrès, de la sot-tise des Governors  des Etats, des groupements d'intérêts, etc…, le gouvernement de Roosevelt ne put jamais franchir l'obstacle…".

Les excellents projets de Roosevelt sont torpillés par les intérêts corporatistes privés

La liste des projets gouvernementaux torpillés par la Cour Suprême, que ce soit la loi sur les pensions des cheminots ou la déclaration d'illégalité de l'Agricultural Adjustment Act,  en 1936, est, elle aussi, in-finie. Roosevelt essaya bien de désamorcer l'opposition en y introduisant des juges favorables à sa politique et en adjoignant à ses opposants des "suppléants" avec droit de décision (les Américains di-sent: "to pack the Court");  la manœuvre avorta. Son projet favori, notamment la création d'une "Tennessee Valley Authority",  resta lettre morte. Roosevelt voulait aménager la vallée du Tennessee en y construisant de grands barrages et d'imposantes centrales électriques afin d'empêcher les inon-da-tions, permettre l'irrigation et fournir aux agriculteurs l'électricité à bon marché dont ils avaient le plus grand besoin pour leur élevage de bétail laitier et de boucherie, sans compter les programmes de reboi-sement et de terrassement. Sur le terrain, tout cela réussit. Jusqu'au jour où les compagnies privées d'é-lec-tricité sabotèrent cette politique énergétique et ces plans grandioses de mise en valeur du sol américain.

Si la comparaison entre l'interventionnisme américain et l'interventionnisme germanique montra à quel point il avait été hasardeux, de parler, en tant qu'observateurs allemands, d'affinités, même écono-mi-ques, entre le na-tional-socialisme et le New Deal,  il devint peu à peu patent que Roosevelt et Hitler avaient, en matière de commerce extérieur, des conceptions diamétralement opposées.

La guerre commerciale : autarcie contre libre-échangisme

Cette opposition, qui fut un facteur décisif de l'entrée en guerre des USA, donna au national-socialisme l'occasion d'étudier de près l'impérialisme américain (en fermant bien sûr les yeux sur son impérialisme à lui). Dès 1933, les relations économiques germano-américaines se détériorèrent. L'économie dirigée allemande, qui tendait au réarmement et à l'autarcie, jugula et planifia les importations, adapta les ex-por-tations aux importations grâce à des accords de compensation et à l'institution de taux de change multiples. Le principe allemand "marchandise contre marchandise" et le monopole d'Etat en matière de com-merce extérieur débouchèrent, par le biais des accords bilatéraux de clearing et de la technique de la "répartition des devises", sur une bilatéralisation des échanges.

On conçoit, dès lors, que la politique américaine de libre-échange, la "open door policy",  ait rencontré une résistance de plus en plus vive: en développant leurs relations économiques avec l'Amérique latine, les Allemands réussirent même à évincer les Américains et les Anglais de marchés aussi importants que ceux de l'Argentine ou du Brésil. Avec le pacte germano-soviétique, et les victoires successives des for-ces de l'Axe, les Américains entrevirent le spectre d'une partition du marché mondial (4): ils redoutèrent de plus en plus d'être handicapés économiquement et commercialement dans des zones de plus en plus vastes; qui plus est, la main d'œuvre bon marché des pays de l'Axe risquait même de saper leurs posi-tions concurrentielles partout ailleurs.

En 1941, année de l'attaque allemande contre l'Union Soviétique, le géopoliticien allemand Karl Haus-ho-fer publia son étude intitulée "Le bloc continental" (5). Ce bloc continental devint le cauchemar des Etats-Unis. Dans cette optique, l'Allemagne, la Russie, le Japon et les territoires qu'ils contrôlaient, donc également l'Afrique du Nord, la Chine et la Corée, ainsi que l'ensemble balkanique, devaient for-mer un bloc militaro-économique sur lequel se briseraient les ambitions anglo-américaines d'hégémonie mondiale. Finalement, la terre l'emporterait sur la mer, l'économie d'Etat sur le libre-échange, l'auto-ri-ta-risme sur la démocratie car le grand-espace suivrait sa propre loi alors que le libéralisme, impliquant partout des normes apparemment objectives, était contraint d'intervenir tous azimuts et de postuler dans le monde entier des conditions d'action uniformes.

                                                        

Aux Etats-Unis, la réaction à l'encontre de cette perspective d'un bloc continental tourna rapidement à l'hystérie, surtout par calcul de propagande: depuis 1937, Roosevelt voulait la guerre avec le Japon. A partir de 1939-1940, il voudra la guerre avec l'Alle-magne. Et décrira comme un "îlot impuissant" (!) une nation comme les Etats-Unis dont le volume du commerce ex-té-rieur, grâce à un marché intérieur gigantesque, n'atteignait à l'époque que 5 ou 6%. Dans son discours du 10 juin 1940, prononcé en Virginie, Roosevelt proclamait:"Pour moi-même comme pour l'écrasante majorité des Américains, l'existence d'un tel îlot est un cau-che-mar affreux, celui d'un peuple sans liberté, le cauchemar d'un peuple affamé, incarcéré, ligoté, d'un peuple nourri jour après jour par les gardiens impitoyables qui régentent les autres continents et n'ont pour nous que mépris". Et Walter Lippman ajoutait le 22 juillet 1940 dans la revue Life:"Si les cartells étatisés des puissances de l'Axe cimentaient un bloc continental eurasien de l'Irlande au Japon, les conséquences pour les Etats-Unis en seraient la baisse du niveau de vie, la montée du chô-mage et une économie réglementée. La disparition des libertés de notre libéralisme nous obligerait du même coup à nous adapter aux puissances de l'Axe". Et Lippmann concluait: "Le fait est qu'une éco-no-mie libre telle que nous la connaissons, nous, citoyens Américains, ne peut survivre dans un monde sou-mis à un régime de socialisme militaire".

Un monde trop petit pour deux systèmes

Le 9 juin 1941, Henry L. Stimson, Ministre de la Guerre, déclarait à l'Académie militaire de West-Point (6): "Le monde est trop petit pour deux systèmes opposés". Il est frappant de constater que la cam--pagne de Roosevelt contre l'Allemagne avait commencé dès 1937,  c'est-à-dire avant l'Anschluß  et l'an-nexion de la Tchécoslovaquie, voire avant les crimes collectifs perpétrés par les nationaux-socia-listes. Par contre, elle coïncida avec le moment précis, où l'échec du New Deal  éclata au grand jour. Com-mentaire de Giselher Wirsing:"L'été 1937 fut le grand tournant. Pas seulement politiquement, mais économiquement. Au moment où le président essuyait une défaite face à la Cour Suprême, un nouveau déclin économique brutal s'a-mor-ça… Dans l'industrie et l'agriculture, s'annonça une chute générale des prix. L'industrie et le com-merce avaient constitué d'importantes réserves en prévision de nouvelles hausses. En même temps, sous la pression du Big Business  et du Congrès, le président avait réduit sensiblement les dépenses fé-dé-rales et fait des coupes sombres dans les budgets de relance et d'aide sociale… Ce fut la "dépression Roosevelt". Au printemps 1938, on comptait à nouveau 11 millions de chômeurs. L'arsenal de lois du New Deal,  déjà incohérent en lui-même, s'avérait impuissant face aux faiblesses structurelles… On élabora pour l'agriculture un Agricultural Adjustment Act,  nouvelle version, mais inspiré des vieux principes: une limitation draconienne des cultures… La loi sur les salaires et le travail fut vidée de sa sub-stance. Dans tous les domaines, aucun progrès par rapport à 1933…".

L'exutoire de Roosevelt: la politique étrangère

Sven Hedin (7) a fait remarquer que les salaires payés par la Works Progress Administration  (WPA) pour les travaux de secours aux chômeurs ne dépassaient pas 54,87 dollars mensuels. Même la sécurité sociale ne fut pas transformée radicalement par le New Deal.  Voici le bilan qu'en dresse Sven Hedin: "En juillet 1939, le Social Security Bulletin  révéla que les pensions de retraite versées aux USA at-teignaient, par personne et par mois, 19,47 dollars. Mais en Alabama, le montant ne dépassait pas 9,43 $, en Caroline du Sud, 8,18$ mensuels, en Géorgie 8,12$, dans le Mississipi 7,37$ et en Arkansas 6$ seulement! Quiconque découvre l'amère réalité américaine derrière les slogans officiels ne peut que me-surer l'échec de Roosevelt en politique intérieure. Beaucoup remarquèrent que ce fut là un facteur dé-ter-minant du recours à l'aventure extérieure". Ce point de vue, des millions d'Américains l'ont partagé et aujourd'hui encore, les historiens critiques envers Roosevelt y adhèrent.

Le "discours de quarantaine" du 5 octobre 1937 marqua le début d'une véritable guerre froide contre l'Allemagne et le Japon. Même si l'on tient compte du conflit sino-japonais, les propos de Roosevelt sont assez énigmatiques:"Des peuples et des Etats innocents sont cruellement sacrifiés à un appétit de puissance et de domi-na-tion ignorant le sens de la justice… Si de telles choses devaient se produire dans d'autres parties du mon-de, personne ne doit s'imaginer que l'Amérique serait épargnée, que l'Amérique obtiendrait grâce et que notre hémisphère occidental ne pût être attaqué… La paix, la liberté et la sécurité de 90% de l'hu-ma-nité sont compromises par 10% qui nous menacent de l'effondrement de tout ordre international et de tout droit… Lorsqu'un mal se répand comme une épidémie, la communauté doit mettre le malade en qua-rantaine afin de protéger la collectivité".

"Hémisphère occidental" contre bloc continental

Les nationaux-socialistes virent bien que l'idée rooseveltienne d'"hémisphère occidental" (dont les limites d'intervention ne furent jamais précisées!) était grosse d'une volonté d'hégémonie mondiale directement opposée à leurs ambitions propres, plutôt continentales. Le déclin de l'Angleterre (à l'époque, le phénomène suscita en Allemagne une multitude de commentaires dans les milieux journalistiques et scientifiques) (8) positionna les Etats-Unis dans le rôle de l'héritier, mais un héritier qui apparaissait plus agressif encore que le de cujus.  Alors que s'annonçait (ou avait déjà commencé) le choc avec les Etats-Unis, en 1942-1943, plusieurs auteurs allemands se mirent à étudier ce nouvel impérialisme et leurs con-clusions ressemblent à s'y méprendre aux analyses marxistes qui furent ultérieurement publiées sur les Etats-Unis. Dans son ouvrage Imperium Americanum  (9), paru en 1943, Otto Schäfer relate "l'extension de la sphère de puissance des Etats-Unis" depuis le refoulement de l'Angleterre, la guerre contre l'Espagne, l'acquisition du Canal de Panama, le contrôle des Caraïbes jusqu'à la péné-tra-tion du Canada et de l'Amérique latine. Et Schäfer illustrait son propos par un bilan statistique de la politique américaine d'investissements à l'étranger.

Helmut Rumpf, spécialiste de droit public, décrivait en 1942, dans son livre Die zweite Eroberung Ibero-Amerikas  (= "La deuxième conquête de l'Amérique ibérique") (10), la mise au pas et le pillage économique du Mexique et de l'Amérique centrale par les USA.

Albert Kolb (11), enfin, se pencha sur les relations avec les Philippines, Hans Römer (12) sur les in-gé-ren-ces américaines dans les guerres civiles d'Amérique centrale, et Wulf Siewert (13), dans Seemacht USA  (= "La puissance maritime des Etats-Unis") sur le développement de la marine américaine sous Roosevelt, qui suscita outre-Atlantique un enthousiasme proche de la ferveur qu'avait jadis inspirée en Al-le-magne la flotte de Guillaume II (toutes proportions gardées, car la US Navy  devait connaître des len-demains plus heureux que la flotte impériale allemande). L'idée maîtresse de cette abondante litté-ra-ture, présentant, très souvent un niveau scientifique fort honorable, c'est que la doctrine de Monroe, dé-fen-sive au moment de sa conception et de sa proclamation (1823), puisqu'elle devait défendre le con-ti-nent américain contre toute intervention européenne, était depuis longtemps devenue une doctrine offen-sive autorisant des interventions illimitées dans l'"hémisphère occidental". Il était dès lors dans la logi-que des choses que le publiciste américain Clarence K. Streit (14) finisse par réclamer (en 1939) une fu-sion entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et que Walter Lippmann envisage la création d'un super-Etat regrou-pant —sous direction américaine— tous les pays "atlantiques" régis par le capitalisme libéral.

Les Allemands ont sous-estimé les Américains

Un économiste aussi sérieux que Friedrich Lenz (15) affirmait encore en 1942, dans son livre Politik und Rüstung der Vereinigten Staaten  (= "Politique et armement des Etats-Unis"), que la production de guerre aux USA était beaucoup trop lente pour représenter à bref délai une menace pour l'Allemagne. Le capitalisme libéral, que le New Deal n'avait fait qu'égratigner, était incapable, assurait Lenz, d'assumer la directivité qu'implique une politique d'armement. Lenz allait jusqu'à soutenir qu'en 1941, "les USA ne pouvaient aligner que 425 chars lourds". Or, même si les objectifs de production annon-cés par Roosevelt le 6 janvier 1942 (60.000 avions, 35.000 chars et 20.000 tubes de DCA pour 1942, 125.000 avions, 75.000 chars et 35.000 tubes de DCA pour 1943) ne furent jamais atteints, et si le dé-veloppement rapide de l'armée entraîna outre-Atlantique de graves difficultés, les Etats-Unis, en appro-vi-sionnant massivement l'Armée Rouge, n'en apportèrent pas moins aux Allemands la preuve irréfu-table de l'efficacité de leur production guerrière.

Sven Hedin lui-même affirmait: "Aux manœuvres de l'automne 1941, l'armée américaine était équipée de fusils mitrailleurs et de blindés en bois et en carton pâte, exactement comme la Reichswehr d'après 1919". Apès les manœuvres, le général McNair déclarait que "deux divisions seulement sont en état de se battre". Et Sven Hedin ajoutait:

"En 1940, les forces armées ne comptaient que 250.000 hommes. Or, le Victory Program  américain prévoit pour l'assaut contre l'Allemagne un effectif de 6,7 millions d'hommes répartis en 215 divisions. Comment Roosevelt va-t-il les former, les entraîner, les armer pour qu'ils viennent à bout des divisions aguerries de l'Allemagne et de ses alliés?".

Bien sûr, à l'époque, la conquête des richesses russes paraissait acquise pour l'Allemagne et les Japonais allaient de succès en succès. Mais le paradoxe, c'est que cette sous-estimation des Etats-Unis était due à une analyse pertinente de l'échec du New Deal!  L'échec économique et social des Etats-Unis trouva tout simplement un exutoire dans le domaine de l'économie de guerre…

Pourtant, on débattit, sous le Troisième Reich, des conséquences d'une défaite éventuelle de l'Axe face aux Etats-Unis: Friedrich Lenz affirma qu'après l'échec du capitalisme libéral et les succès des Etats to-ta-litaires (parmi lesquels il comptait généreusement l'Union Soviétique bien que celle-ci fût entre-temps passée dans le camp adverse), l'effondrement de ces mêmes Etats entraînerait une régression sans précé-dent dans l'histoire mondiale: "Promettre le rétablissement de la civilisation libérale du XIXème siècle sur les ruines des systèmes totalitaires d'Allemagne, d'Italie et du Japon, et peut-être même de Russie soviétique est une position réactionnaire", et Lenz d'ajouter avec une ironie féroce: "Peut-être Thomas Mann sera-t-il alors le nouveau praeceptor Germaniae  de cette civiliation libérale?".

L'idéal social de "Park Avenue"

L'idée américaine accélère-t-elle ou retarde-t-elle l'histoire? Giselher Wirsing, lui, polémique contre l'entrée en guerre des USA en avançant des arguments sociaux: "Park Avenue va-t-elle diriger le monde? Dans quel but? On a a calculé qu'en 1927, les 4000 familles qui y résidaient, dépensaient un budget annuel gloabal de 280 millions de dollars. Sur ce total, 85 mil-lions ont été dépensés pour entretenir la garde-robe de ces dames et de leurs filles… Pour se nourrir, ces 4000 familles ont dépensé 32 millions de dollars et pour leurs bijoux, 20 millions par an!… Voilà la civilisation pour laquelle il faudrait se battre! Et pour laquelle devront mourir les soldats chinois, indiens, australiens, anglais, sud-africains, canadiens et égyptiens!… Pour quelle liberté? Pour celle de Park Avenue,  celle de drainer les milliards du monde entier. Pour la liberté de profiter de la guerre".

Mais quel ordre une Amérique victorieuse offrirait-elle au monde? Le pronostic le plus séduisant est ce-lui que propose Carl Schmitt dans un article (16) publié dans la revue Das Reich  du 19 avril 1942 et in-titulé Beschleuniger wider Willen oder Problematik der westlichen Hemisphäre  (= "Accélérateur de l'his--toire malgré lui, ou le problème de l'hémisphère occidental"); Schmitt y justifie son pronostic en sou-lignant la propension obligée des Etats-Unis à violer les autres grands-espaces et leur incapacité à créer pour eux-mêmes un grand-espace (Grossraum)  cohérent et circonscrit:

"En essayant de prolonger la puissance maritime et la domination mondiale britanniques, le président des Etats-Unis n'a pas seulement recueilli de cet héritage les parts les plus avantageuses; il s'est ipso facto placé sous la loi qui gouvernait au siècle dernier l'existence politique de l'Empire britannique. L'Angleterre était devenue la gardienne de tous les "hommes malades", à commencer par celui du Bos-pho-re, jusqu'aux maharadjas indiens et aux sultans de toutes sortes. L'Angleterre était un frein au dé-veloppement de l'histoire mondiale… Quand Roosevelt quitta le terrain de l'isolationnisme et de la neutralité, il entra, qu'il le voulût ou non, dans la logique retardatrice et rigidifiante qui fut celle de l'empire mondial britannique".

Carl Schmitt poursuit: "Dans la foulée, le président proclama l'avènement du "siècle américain" afin de coïncider avec la ligne idéologique américaine traditionnelle, tournée théoriquement vers l'avenir et toutes formes d'innovation comme l'avait démontré l'essor spectaculaire des Etats-Unis au XIXème sièc-le. Ici encore, comme à toutes les étapes importantes de l'histoire politique américaine ré-cen-te, on s'enlise dans les contradictions inhérentes à cet hémisphère qui a perdu toute cohésion intérieure. Si Roosevelt, en entrant en guerre, était devenu l'un des grands ralentisseurs de l'histoire mondiale, passe encore; ce serait déjà beaucoup. Mais la vacuité de la décision annihile tout effet authentique. C'est ainsi que s'accomplit le destin de tous ceux qui lancent leur barque dans le maëlström de l'histoire sans que leur intériorité ne soit assurée (ohne Bestimmtheit des inneren Sinnes).  Ce ne sont ni des hommes impulseurs de mouvement, ni de grands retardateurs: ils ne peuvent que finir… accélérateurs malgré eux…".

Les idées de "grand-espace" (17), dont les nationaux-socialistes n'ont pas la paternité mais qu'ils ont récu-pérées pour camoufler et justifier leurs propres ambitions, succombèrent, sur le champ de bataille, à la "pensée globale" des Américains, et des millions d'Allemands, aujourd'hui encore, s'en disent soulagés. Mais ce constat n'infirme en rien la critique qui fut faite jadis, sous Hitler, du capitalisme amé-ricain ni l'idée grandiose de servir la paix en créant de grands-espaces fermés aux interventions de puis-sances géopolitiquement étrangères. On peut même prévoir que les Américains vont devenir les gar-diens de l'ordre ancien, les conservateurs des formes politiques révolues. Dans la perspective d'une éman-cipation européenne qui ne pourra compter, bien évidemment, que sur ses propres forces, il fau-drait distinguer, dans les idées de cette époque, entre ce qui relevait des besoins et de la propagande et ce qui mériterait plus ample approfondissement.

Günther MASCHKE.

(trad. Jean-Louis Pesteil; texte tiré de la revue autrichienne Aula et reproduit dans Orientations avec l'aimable autorisation de l'auteur; adresse d'Aula: AULA-Verlag, Merangasse 13, A-8010 Graz, Autriche)

mercredi, 29 octobre 2008

1933: la radio devient l'instrument privilégié des propagandes

1933 : La radio devient l'instrument privilégié des propagandes

par Jean-Jacques Ledos

trouvé sur: http://www.gavroche.info


(Gavroche n° 129-130, mai-août 2003, p. 30 à 37)



« La propagande est l'ensemble des méthodes utilisées par un groupe organisé en vue de faire participer activement ou passivement à son action, une masse d'individus psychologiquement unifiés par des manipulations psychologiques et encadrés dans une organisation. » Jacques Ellul définissait ainsi le souci, pour un pouvoir, politique ou affairiste, de transmettre des messages ou des opinions à une collectivité que la radiodiffusion permettait d'atteindre immédiatement. La pratique par les pouvoirs développera la tentation d'un usage discrétionnaire, c'est-à-dire unilatéral et progressivement fermé à la discussion ou à la contestation.
Lénine avait été le premier à évaluer le pouvoir de la radio (1). Dans un autre modèle de société, ce sont les entrepreneurs, soucieux de faire connaître leurs produits à un public étendu, qui, les premiers, au début des années 1920, en saisirent l'efficacité pour diffuser la publicité au moment où les stations de radiodiffusion commençaient d'émettre, aux États-Unis, puis en Grande-Bretagne, à destination d'un public global mais indifférencié. Le même projet, en France, était alors combattu par les défenseurs du service public opposés à une démarche purement commerciale (2).

La naissance de la propagande par la radio
À l'occasion de l'élection présidentielle aux États-Unis, en novembre 1920, un journal de Pittsburgh utilisa une station expérimentale (KDKA) pour diffuser la victoire de Warren Harding, avant la presse imprimée. L'exploitation de l'événement a fait oublier l'initiative d'un ingénieur néerlandais qui diffusait déjà depuis un an des programmes musicaux à la Haye (PCCG). En 1924, une chaîne américaine de radio retransmettra la Convention du parti Démocrate mais, d'une manière générale les pouvoirs politiques manifestent de la méfiance à l'égard d'un moyen de communiquer l'information qu'ils ne contrôlent pas encore.

Grande-Bretagne : une royale démocratie
En Grande-Bretagne, le roi George V s'exprime pour la première fois, en 1924, à la BBC, à l'occasion d'une exposition consacrée à l'Empire britannique. Il prendra l'habitude, à partir de 1932, d'adresser ses vœux à ses vingt millions de sujets par ce même canal. Quatre ans plus tard, c'est à la radio que son fils aîné, appelé à lui succéder sous le nom d'Édouard VIII, annoncera qu'il renonce, par amour, à la Couronne. Aussi, et en particulier grâce à ses stations d'ondes courtes, les cérémonies du couronnement de George VI, deuxième fils du défunt George V, auront les honneurs de la jeune télévision anglaise dont c'est le premier grand reportage en direct. Il s'agit d'entretenir la ferveur nationale à l'égard de l'institution monarchique mais la radio est aussi le lien entre le pouvoir central et les territoires éloignés de l'Empire.

Les hésitations françaises
En France, en 1924, le ministre des finances, Étienne Clémentel, qui avait prévu de présenter sur Radio-Paris un projet d'emprunt, en fut empêché par son collègue des PTT. En 1928, Raymond Poincaré interdit toute intervention politique à la radio pendant la campagne électorale. Le premier homme politique à s'adresser aux Français sera, en 1930, André Tardieu, Président du Conseil ouvert à la modernité. Sa présence jugée excessive par ses adversaires politiques lui vaudra le surnom « d'Homme au micro entre les dents » (3). Deux ans plus tard, l'un de ses successeurs, Gaston Doumergue, s'y exprimera régulièrement pour rendre compte de son action.

1933 : les nazis s'emparent de la radio
Le Traité de Versailles, signé à Versailles en 1919, redécoupait l'Europe et imposait à l'Allemagne vaincue une occupation et des limitations de souveraineté qui eut pour effet d'exacerber le sentiment national. Un habile ambitieux, Adolf Hitler, trouva sur ce terrain l'occasion de développer son désir de pouvoir. Dans Mein Kampf publié en 1925, il exploitait ainsi les frustrations de ses compatriotes et développait ses projets de gouvernement. La propagande serait l'instrument privilégié de la réalisation de ces projets grâce un usage à la fois brutal et répétitif de messages dont le livre constitue le catalogue.
La fonction de la propagande y était décrite en termes simplistes et méprisants voire insultants pour ceux auxquels elle était destinée :
« Ne voit-on pas la tâche d'un dirigeant moins dans la conception d'un plan que dans l'art de faire comprendre à un troupeau de moutons à têtes vides, pour mendier ensuite leur bienveillante approbation ? […] La grande masse d'un peuple se soumet toujours à la puissance de la parole. » (chap. III) … « Toute propagande doit être populaire et placer son niveau spirituel dans la limite des facultés d'assimilation du plus borné parmi ceux auxquels elle doit s'adresser. Dans ces conditions, son niveau spirituel doit être situé d'autant plus bas que la masse des hommes à atteindre est plus nombreuse » [La masse] « a toujours besoin, dans sa lourdeur, d'un certain temps pour se trouver prête à prendre connaissance d'une idée, et n'ouvrira sa mémoire qu'après la répétition mille fois renouvelée des notions les plus simples… »[chap. VI].
L'auteur soulignait ailleurs la « bestialité » des masses.

En janvier 1933, les élections législatives ne donnèrent au Parti nazi qu'une majorité relative. C'était suffisant pour que le vieux Maréchal Hindenburg, Président de la République dite de Weimar, désigne comme Chancelier Adolf Hitler qui avait développé depuis dix ans un parti présenté comme national et socialiste, sur les bases d'un mécontentement populaire amplifié par une crise économique sans précédent. Il est alors aisé de désigner dans le gouvernement social-démocrate l'absence d'une volonté clairement exprimée et d'en imputer la responsabilité, d'une manière non démontrée, aux Juifs dont la présence est loin d'être majoritaire dans les instances de pouvoir. La démagogie ne s'est jamais encombrée d'évidences.

Le projet hitlérien peut être résumé selon deux thèmes essentiels: la propagande intensive et l'antisémitisme. Hitler se disait obsédé par la propagande des Alliés, cause essentielle – pour lui – de la défaite allemande pendant la première guerre mondiale. Pour faire passer son message nationaliste et socialiste, Hitler désigne des coupables : les Juifs, dans un pays où l'antisémitisme est récurrent.
Après la parution de Mein Kampf, les thèmes essentiels seront constamment répétés, parfois édulcorés, dans les assemblées du parti national-socialiste (NSADP ).
Le projet des nazis, dans lequel le cynisme l'emporte sur le simplisme, trouvera son application dans le déploiement d'une propagande qu'on dirait aujourd'hui « multimédia » parmi lesquels la radio va occuper une place essentielle.

L'Allemagne disposait déjà, avant la première guerre mondiale, de puissantes stations radiotélégraphiques intercontinentales. Elle poursuivit, après sa défaite, son équipement dans le domaine de la radiophonie qui permettait de diffuser des messages au plus grand nombre. L'exploitation pratique : puissance des émetteurs, équipement des foyers, était affaire de moyens. Les pays à l'économie la plus avancée s'employèrent à les développer.
Dans le gouvernement du IIIe Reich, l'organisation de la propagande sera confiée à Josef Gœbbels qui, depuis plusieurs années, a déjà désigné à destination d'une opinion inquiète les cibles responsables de tous les désordres, les Juifs et les communistes. Un auteur allemand l'a désigné comme le « cerveau de cette manipulation des âmes » n'hésitant pas à reconnaître en lui l'un des rares hommes intéressants du Troisième Reich. Il s'y révélera comme un maître de la haine dans la pratique du pouvoir exercée dans le mépris des autres.

La radio, dont le réseau couvre déjà la totalité du territoire allemand, Prusse orientale comprise, s'impose comme un moyen de communication de masse que le pouvoir nazi va investir en priorité. Elle est au cœur du dispositif de propagande préparé par Goebbels, organisateur de la propagande du Parti. On sait que les émissions peuvent être reçues sans qu'une dépense importante soit imposée aux auditeurs. La fabrication et la commercialisation à faible prix d'un récepteur populaire (Volksempfänger) favorisera bientôt l'équipement des foyers. Son utilisation discrétionnaire s'inscrit dans une pratique totalitaire entretenue par une propagande constante puis par la terreur. Les élites bourgeoises de la nation ont déjà adhéré au projet d'un rétablissement des valeurs de la nation et de l'ordre. Elles soutiennent un projet qui préserve leurs intérêts et rétablit leur pouvoir sur la sphère économique.

La radio est développée comme un moyen de démocratie directe mais unilatérale. Le Führer s'adresse sans intermédiaire au peuple dont les contestations ne sont pas admises à l'antenne.
Le 1er février, au lendemain de sa désignation comme Chancelier, Hitler prononce sa première déclaration, Aufruf an das deutsche Volk (Proclamation au peuple allemand) à la radio et non devant le Reichstag, comme la tradition et la courtoisie parlementaires l'avaient établi.
Quelques mois plus tard, dans un discours prononcé à Berlin à l'occasion de l'inauguration, en août, de l'exposition annuelle de la radio, Gœbbels désignera la radio comme le « huitième pouvoir ».

Le nouveau directeur de la radio, Eugen Hadamovsky, doit sa nomination à un militantisme récent mais actif au service du Parti nazi plutôt qu'à une expérience acquise dans le domaine de la radiophonie. Il a organisé la diffusion radiophonique des réunions électorales de Hitler. Il est un de ces « hommes nouveaux » qui doivent « bannir toutes les conceptions anciennes de la radio qui doit devenir cent pour cent nationale-socialiste, de manière à ce qu'elle serve à imprégner entièrement la nation de l'esprit nouveau. » Dès l'installation du Führer à la Chancellerie, il publie les « Directives officielles pour les émissions de la Radiodiffusion allemande ».
Il expose également son projet d'une radio mise au service du Parti : « Ein Volk! Ein Reich! Ein Rundfunk! (4) » dans Propaganda und nationale Macht (Propagande et pouvoir national) : il associe habilement à l'encadrement des représentants sélectionnés des auditeurs «…Cette corporation doit englober la radiodiffusion dans sa totalité ; elle sera alors le plus fort élément pour la formation de la volonté nationale. » C'est aussi une mise en pratique d'une propagande active et non plus seulement passive telle que Goebbels l'esquissait en mars : « Nous avons créé un ministère de l'Éducation populaire et de la Propagande. Ces deux titres ne signifient pas la même chose. L'éducation populaire est essentiellement quelque chose de passif ; la propagande, elle, est quelque chose d'actif… »

La parole nazie comme la retransmission des premières grandes manifestations du Parti sont quotidiennement présentes sur les ondes voire diffusées plusieurs fois. « Les nazis ont su utiliser l'incertitude et la paresse [de l'opinion] face aux situations complexes et aux problèmes apparemment insolubles. Le vide se fait alors dans l'opinion publique. On le comble par ces succédanés que sont les slogans dont on martèle inlassablement les esprits. »
Le contenu des programmes quotidiens d'information est décidé au ministère de la Propagande. La vérité officielle est encadrée de telle manière que le recours aux procédés habituels de la désinformation – vérités partielles, omission, comparaisons douteuses – est inutile.

Une émission régulière, L'heure de la nation, doit développer le sentiment patriotique par « des chants, discours ou conférences, évocation des épisodes glorieux du passé ». Les programmes exaltant la valeur militaire se multiplient dans le cadre d'un mouvement de « régénération ».
Désormais les manifestations de masse mises en scène par le ministère de Gœbbels sont retransmises. Elles doivent entretenir le sentiment de cohésion nationale qui est l'un des thèmes essentiels de la propagande. Lorsque les grands rassemblements hitlériens seront diffusés, il sera recommandé aux possesseurs de poste d'ouvrir leurs fenêtres et de pousser le niveau sonore d'écoute afin que les voisins ou les promeneurs puissent entendre la voix du Führer. L'écoute de la radio devient un devoir civique. Pour unifier la diffusion, une coordination associe trois stations qui disposaient précédemment d'une certaine indépendance, Cologne, Francfort-sur-le-Main et Stuttgart.

La radio sera aussi un instrument de propagande sinon une arme vers l'étranger. « La radio ne reconnaît pas les frontières créées par la Nature ou par l'Homme. Elle s'insinue dans le territoire des autres peuples » déclarera un dignitaire nazi. Les pays de culture germanique sont visés en premier lieu ainsi que l'affirmera l'un des reponsables : « Nos émissions s'adressent à tous les peuples de langue et de culture allemande où qu'ils soient… »
Dès le 18 mars 1933, une personnalité nazie a adressé par la radio un salut aux « camarades » autrichiens. Les émissions de propagande seront ensuite relayées à Vienne où la police découvre un émetteur clandestin exploité par des nazis autrichiens. En 1938, la radio coordonnera les opérations d'occupation de l'Autriche (Anschluss).

En 1934, une campagne ardente a été dirigée vers le Territoire de la Sarre qui doit se prononcer par référendum sur le rattachement ou non au IIIe Reich. C'est de ce territoire réintégré en 1935 dans le Vaterland que le gouvernement nazi lancera en direction de l'Alsace et de la Lorraine une campagne plus perfide au moyen d'émissions dramatiques, Hörspiele, dans lesquelles les auteurs rappelaient la (pseudo)-« germanité » historique des deux provinces de l'Est français. Deux magazines, l'un, quotidien, Echo de la frontière, l'autre, hebdomadaire, Programme alsacien, constituent l'ordinaire de la propagande.
Après quelques années de pratique, un bilan d'étape établira que « la radio a été complètement politisée et est devenue la voix de la nation ». «C'est la plus moderne, la plus puissante et la plus révolutionnaire arme que nous possédions pour combattre un monde ancien et fini… »

L'Italie fasciste
Benito Mussolini gouverne l'Italie depuis octobre 1922 avec le soutien du Parti national fasciste (Partito Nazionale Fascista, fort de plus de 300 000 adhérents à la fin de 1921). Le Duce a conquis le pouvoir contre un régime démocratique dépourvu d'autorité face aux désordres. La parole démagogique séduit d'emblée par un emprunt provisoire au discours socialiste dont elle dénonce, par ailleurs, l'avatar révolutionnaire circonstanciel. Toutefois, le fascisme ne dispose pas d'un corpus doctrinal ni de partisans nombreux comme le NSDAP hitlérien (5).

Un Service de Presse (Uffizio Stampa) a été créé dès 1922. C'est l'organe de la propagande du gouvernement. La prise de contrôle des moyens d'informations sera plus lente qu'en Allemagne mais stimulée par le modèle nazi à partir de 1933.
Au début des années 30, l'Italie, qui compte à peine 40 millions d'habitants, est un pays en retard de développement. La radiodiffusion, en particulier, ne couvre pas encore l'ensemble du territoire. On compte environ 300 000 postes récepteurs pour une population d'environ 41 millions d'habitants, soit 7,3 postes pour 1 000 habitants. Pour compenser une production insuffisante de l'industrie radioélectrique, l'Italie importe les récepteurs populaires Volksempfänger que l'Allemagne nazie a commencé de fabriquer.

Divers observateurs, italiens et étrangers, s'accordent pour reconnaître que le régime de Mussolini n'a guère utilisé la radio comme instrument de propagande, avant 1930 : « Pendant quelques années, l'Eiar ne fut pas un domaine relevant de l'action de propagande fasciste […] Le gouvernement se contentait de contrôler la radio comme l'une des activités du pays parmi d'autres. »
Le régime fasciste n'en a pas moins encadré la jeune radio. Des fidèles, des proches, mais aussi des représentants de l'industrie électrique ont ainsi été placés aux postes de responsabilité. Ces derniers se sont engagés derrière le Duce dont le programme politique et les méthodes de gouvernement conviennent à leurs intérêts. À la fin des années 20, leur présence fait presque oublier la finalité de la radiodiffusion. Le directeur de l'EIAR, Arnaldo Mussolini, rend public un programme riche de bonnes intentions: « À partir d'aujourd'hui, l'Eiar place dans son vaste programme un nouvel élément qui pourra avoir une grande efficacité dans les domaine de l'idéal et de la morale […] Nous sommes persuadés que la radio-diffusion – cette nouvelle chaire qui vient se placer entre l'école et le journal – et qui va connaître un développement rapide – peut donner des résultats de grande valeur dans la culture, les missions d'éducation, afin d'élever […] en chacun la vie de l'intelligence et de l'esprit (6) »

Le discours sera tout à fait différent lorsque le Duce haranguera les foules depuis le balcon du Palais de Venise (Piazza Venezia, à Rome). On imagine l'impact qu'aurait eue la télévision chargée de retransmettre les gesticulations et les mouvements de menton. Mussolini avait, comme tout dictateur, le sens des effets visuels. À l'époque, seul le micro pouvait répercuter dans une rhétorique caricaturale réduite à de courtes phrases un discours qui exprimait en quelques idées simples mais démagogiques les menaces proférées envers les adversaires ou les ennemis, l'exaltation d'un nationalisme primaire qui séduit les masses.
Des chroniques ciblées seront bientôt diffusées, à destination de la jeunesse, des paysans, des ouvriers et plus généralement des citoyens. Leur titre révèle les objectifs du régime : Dalla civiltà liberale a la civilta facista in Chronache del regime (De la civilisation libérale à la civilisation fasciste, « Programme national », 23 septembre 1936), Politica colonizzatrice del regime (Politique colonisatrice du régime) in Cronache dell'agricolture (28 janvier 1939), Motivi essenziali della difesa della razza (Motifs essentiels de la défense de la race , « Programme national », 22 janvier 1940).

Le régime fasciste est soucieux de faire passer son message politique mais surtout d'imposer une pratique gouvernementale. L'écoute de la radio est un devoir civique, comme en d'autres régimes totalitaires. La radio que Marinetti a désignée comme la « parole électrique » doit former la nouvelle conscience politique. En novembre 1933, une émission de commentaires d'actualité trouve sa place dans les programmes : Cronache del regime ( « Chroniques du régime »)
L'information est, bien entendu, sous le contrôle étroit du pouvoir fasciste. Chaque jour, les stations doivent consacrer deux heures aux communications du gouvernement qui peut aussi intervenir par nécessité. Les interventions sur des sujets politiques, économiques ou financiers sont soumises à autorisation. Le régime a le souci de faire passer son message et sa volonté au plus grand nombre des italiens et, plus tard, aux voisins ou aux colonisés.

Mussolini soulevait l'enthousiasme des foules rassemblées Piazza Venezia, à Rome lorsqu'il annonçait une « Italie fasciste et impériale… » (7). Le projet colonial a l'Éthiopie pour cible. Suivant encore le modèle d'un Reich expansionniste, le Duce occupera l'Albanie en 1939. La propagande radiophonique a préparé l'opinion des pays concernés. C'est la mission de Radio Bari, installée en 1932 sur la côte orientale de l'Italie méridionale. Elle diffuse à partir d'août 1933 un programme d'information en albanais, Gazeta Shqipetare, soutenu par la Chambre de commerce italo-orientale. L'année suivante, la station sera la première, dans le bassin méditerranéen, à émettre en langue arabe à destination de l'Afrique du nord.

Afin d'entretenir le nationalisme, associé dans la conscience itailenne à la primauté de la Ville éternelle, comme centre mondial de la chrétienté, la radio diffuse de nombreuses causeries religieuses. Le pape Pie XI s'est exprimé sur les ondes pour la première fois en 1931. Le Saint-Siège, dont la station radiophonique a été inaugurée en 1931, en developpe les moyens d'émission afin d'assurer la diffusion universelle de sa mission.
Le 1er avril, le début de « l'Année sainte » (d'une durée de six mois) est l'occasion d'une diffusion en plusieurs langues – italien, anglais, français – par un émetteur en ondes courtes inauguré deux mois plus tôt. En juin, la visite d'une délégation de catholiques chinois est l'occasion pour le pape Pie XI de s'adresser à une communauté lointaine.

Espagne : la radio déstabilise la République
La Constitution adoptée en 1931 a mis en place à Madrid un gouvernement républicain. L'événement a été annoncé par la station Unión Madrid de Barcelone. Ce gouvernement de gauche affronte une opposition de droite qu'il tente de contenir par des mesures maladroites de ses responsables. En août 1932, l'un de deux-ci, le général Sanjurjo, tente de soulever ses partisans par un appel à l'insurrection depuis la station de Séville. Sans succès mais quatre ans plus tard, un autre général, Franco, lance un appel radiodiffusé depuis l'une des îles Canaries. C'est le « Manifeste de Las Palmas », première étape d'une conquête qui s'achèvera 7 ans plus tard par l'établissement de la dictature.

États-Unis : un discours « démocrate »
Franklin Delano Roosevelt est élu en novembre 1932 au moment où la dépression engendrée par le crack boursier de 1929 est à son maximum. Son premier souci est de rétablir la confiance, puits de dynamisme des entreprises, du commerce et des consommateurs. La première urgence est de réduire le nombre des chômeurs.
Il a évalué le profit politique de l'usage de la radio à l'occasion de la campagne électorale de 1928 en soutenant la candidature d'Al Smith (battu par le républicain Herbert Hoover) : « J'ai tenté l'expérience d'écrire et de prononcer mon discours pour le seul bénéfice de l'auditoire radiophonique et pour la presse plutôt que pour l'effet qu'il pourrait avoir sur les délégués à la convention… » (8) Élu Gouverneur de l'État de New York, Roosevelt s'adressera à ses concitoyens par l'intermédiaire des stations locales.

Roosevelt installé dans ses nouvelles fonctions le 4 mars 1933 choisit de rendre compte directement à ses concitoyens. En décembre 1932, le réseau NBC a offert au nouveau Président la possibilité de s'exprimer chaque semaine, s'il le souhaite, pendant un quart d'heure. La première intervention est diffusée depuis la Maison Blanche, le 12 mars à 22 heures. Elle a pour objet de redonner confiance aux Américains dans leur système bancaire en leur expliquant sa nécessité et son fonctionnement : « J'ai conscience que les nombreuses déclarations des assemblées des États ou de Washington, la législation, les règlementations du Trésor exprimées le plus souvent en langage bancaire ou législatif doivent être expliquées au citoyen moyen… »
« Différant par le ton des émissions de Hitler et de Mussolini, qui étaient reçues par le public sur un fond de foules hystériques, les causeries de Roosevelt ressemblaient à un échange d'idées dans une sorte de conseil de famille. » En renouvelant la forme de la communication politique, le Président rend compte avec pédagogie des premières décisions qu'il a déjà prises. C'est un succès. un demi-million de lettres parviennent à la Maison Blanche au cours de la semaine suivante. Marshall Mc Luhan dira plus tard que cette nouveauté médiatique avait « forgé une nouvelle unité tribale… ».
C'est le début de la « démocratie directe ». Au moment où il prenait l'habitude de s'adresser directement au pays, Hitler lui rendait cet hommage : « J'ai de la sympathie pour Mr Roosevelt, parce qu'il va droit à son but par-dessus le Congrès, les lobbies et la démocratie… »

Dans une nouvelle intervention, deux mois plus tard, le 7 mai, le Président esquisse une personnalisation du pouvoir que l'urgence des décisions à prendre impose, de son point de vue. Une sorte d'économie organisée est engagée : « La législation adoptée ou en cours de promulgation peut-être vraiment considérée comme la partie d'un plan bien établi… » Dans le cadre de cette nouvelle volonté, les grandes lignes de ce que l'on connaît comme le New Deal sont exposées : « Nous allons demander au Congrès des lois qui permettent au Gouvernement de soutenir des travaux d'intérêt collectif afin de stimuler l'emploi, directement et indirectement. »
Des programmes de soutien au monde agricole (Farm Relief Bill), d'augmentation des salaires ouvriers (a more fair wage return), de limitation de la durée du travail et de la surproduction sont annoncés. Une réorganisation des transports ferroviaires sera envisagée avec l'assistance du Gouvernement mais le Président se défend du soupçon d'interventionnisme : « On aurait grand tort de considérer les mesures que nous avons prises dans le domaine agricole, l'industrie et les transports comme un contrôle gouvernemental. Il s'agit plutôt d'un partenariat, non dans le domaine des profits qui sont réservés aux citoyens, mais plutôt un partenariat dans la programmation et dans la surveillance de son exécution. »

La propagande de guerre
Le Front populaire, en France, n'a pas su – ou voulu – utiliser à son profit la radio dont le socialisme révolutionnaire avait la charge. Un ministre de la propagande, Ludovic-Oscar Frossard, figure pour la première fois sous ce titre dans le deuxième cabinet Blum (mars-avril 1938). En 1939, le gouvernement Daladier confie l'organisation des contenus de l'information radiodiffusée dans une situation de guerre à un jeune écrivain, Paul Vialar qui suggère de confisquer les postes récepteurs pour limiter les effets de la propagande allemande. En 1940, un Haut-commissariat à l'information sera institué et confié à un écrivain illustre, Jean Giraudoux.

À partir de 1933, les stations allemandes ne se contentent plus de diffuser la propagande nazie à usage interne. L'expansionnisme du IIIe Reich utilise ses émetteurs frontaliers pour préparer certains de ses voisins à une guerre de conquête. La station de Stuttgart diffuse en français les interventions pro-nazies de Gabriel Ferdonnet. Correspondant à Berlin de divers journaux depuis 1927, il sera connu, en France, comme le « traître de Stuttgart » pour avoir rédigé les textes de propagande nazie que lisait un speaker sur l'antenne de cette station. Il sera condamné à mort, pour collaboration, par un tribunal français, en 1945.
Depuis 1936, le gouvernement français a mis en place, discrètement, des contre-feux à l'initiative de deux germanophones, Pierre Berteaux et Pascal Copeau dont les émissions sont, depuis Strasbourg, une réponse à celles de Ferdonnet (9). Leur programme doit contrer l'intense propagande nazie.

Les Anglais reçoivent de Hambourg ou de Berlin les harangues d'un américain converti au nazisme, Lord Haw-Haw (William Joyce). La propagande nazie diffuse également depuis le Luxembourg un programme dont le titre Radio-Humanité tente de tromper l'auditoire communiste. Pendant les années de guerre, la BBC organisera la réponse en utilisant les services d'un journaliste également germanophone, Sefton Demler, présenté sous le pseudonyme de Gustav Siegfried Eins. Les Soviétiques, de leur côté, ne manquent pas d'entretenir l'ardeur des anti-nazis en Allemagne.

La déclaration de guerre en 1939 a pour cause immédiate l'invasion de la Pologne par les armées allemandes, le 1er septembre. Une fausse information est à l'origine de cette intervention. Le 31 août, des hommes de main nazis ont investi le studio d'une petite station, Glivice, proche de l'émetteur de Katowice, en Silésie, à proximité de la frontière avec la Tchécoslovaquie, pour diffuser une proclamation anti-allemande qui ne sera pas transmise mais néanmoins relayée par les grandes stations du Reich et dénoncée comme une provocation qui justifie l'attaque de la Pologne.
C'est le début d'une guerre mondialisée pendant laquelle la radio tiendra un rôle essentiel d'information, de désinformation et de contre-désinformation.

La guerre des ondes
Le Maréchal Pétain, Président du Conseil – le dernier de la IIIe République – désigné le 16 juillet 1940 par le Président de la République Albert Lebrun, s'adresse le lendemain à la nation, par la radio, depuis Bordeaux. Il y prononce la fameuse phrase : « je fais à la France le don de ma personne pour atténuer ses malheurs… »
Il n'est pas illogique que chacun des pays engagés dans la guerre diffuse les informations qui servent sa cause nationale. Ce souci sera, à l'occasion, étendu à la necessité de persuader l'auditoire de l'excellence de son action par une propagande dont le monopole ou le champ de diffusion assureront le succès.

Être réellement informé sera, dès lors, affaire de foi ou seulement de crédulité, mais sûrement une question de patience à la recherche de messages venus de loin ou cryptés par un brouillage.
Les émissions de la France Libre, transmises de Londres par la BBC, sont à cet égard exemplaires. L'appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940, a été peu entendu. Les rendez-vous répétés que l'équipe française de Londres entretiendra chez les Français au cours des années suivantes entretiendront l'esprit de résistance qui conduira à la défaite du Reich.

La ligne de démarcation entre la zone sud et la zone nord inclut l'un des deux puissants émetteurs en ondes longues d'Allouis, inauguré en 1939. Il sera affecté à partir de 1941 à la diffusion de programmes à destination des pays occupés. Le second émetteur sera utilisé au brouillage des émissions de la BBC. Deux émetteurs diffusent vers l'Angleterre des émissions de propagande habilement noyée dans une programmation où domine la musique de jazz. Certains auditeurs se souviennent de l'annonce : « Hier spricht Calais ! » (Ici Calais).

De la victoire des alliés à la guerre froide
L'armistice de mai 1945, s'il met fin aux combats, introduit l'opposition entre deux modèles de société, le capitalisme et le collectivisme. Chacune des options aura, pendant près de quatre décennies, le souci de persuader l'opinion de sa supériorité. La radio en sera l'instrument.
L'URSS, dans la tradition de la Révolution d'octobre, a développé très tôt les moyens de diffuser l'idéologie communiste dans des programmes émis dans de nombreuses langues. L'émetteur en grandes ondes de Moscou, Radio-Komintern, a été inauguré en 1927. (10)

Après la fin de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis ont entretenu et développé les stations que leur logistique avait apportées au profit des armées en campagne pour la libération de l'Europe tel l'AFN – American Forces Network – qui s'installera durablement en Europe pour opposer un modèle à l'autre, communiste. D'autres le complèteront, VOA – Voice of America –, Radio Free Europe et Radio Liberty. À Berlin, les Américains installent une puissante station, RIAS – Radio in American Sektor – émettant en allemand et en anglais. Les programmes, composés de musique de variétés et de jazz, sont attractifs pour les auditeurs des deux Allemagnes (et au-delà…). Ils fournissent au bloc de l'Est les informations dont les populations sont privées. L'écoute de ces stations peut difficilement être interdite quelle que soit la dissuasion tentée par les gouvernements qui la dénoncent comme « crime idéologique ». On n'est pas, alors, avare d'emphase.

Les pays sous obédience communiste ont, de leur côté, installé de nombreuses stations qui diffusent leur propagande. Elle a peu d'effet en Europe, sinon à l'égard des militants crédules. Elle est mieux accueillie par le petit nombre des auditeurs du Tiers Monde qui y trouvent l'encouragement à un changement de nature révolutionnaire.
« En 1948, une enquête de la BBC montrait que les principales émissions internationales provenaient dans l'ordre de leur importance, de : la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Russie, la France, l'Australie, la Hollande, la Belgique, le Canada, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Roumanie, la Turquie, la Bulgarie, la Pologne, l'Albanie. » (11)
À partir de 1950, la Chine populaire aura le souci de brouiller les émissions du camp adverse. Son activité de propagande internationale réjouira, davantage peut-être, les amateurs à la recherche d'une écoute lointaine sur les ondes courtes que les militants maoïstes !
En Amérique centrale, Che Guevara soulignera dès 1959, le rôle mobilisateur de la radio.

La Conférence de Bandoung qui a réuni, en 1955, les pays dit « non-alignés » parce qu'ils ne se réclament d'aucun des deux blocs – capitaliste ou communiste – développe leur souci d'affranchissement à l'égard des puissances anciennement coloniales qui ont conservé des liens économiques dominants. Le Caire, où le général Nasser a renversé la monarchie égyptienne en 1952, devient le centre de ces mouvements indépendantistes. La radio est un instrument essentiel des mouvements de libération. La station à vocation internationale La voix des Arabes est inaugurée en juillet 1953. Elle diffuse des programmes en cinq langues (arabe, anglais, français, grec, italien). En 1960, on en comptera 22, plus que la France n'en diffuse (19) .

Dans la plupart des pays européens, la radio est exploitée par le secteur public qui les préserve alors d'une autre propagande envahissante, la publicité. Le renouveau libéral, à partir des années 70, a fait disparaître ces obstacles à la liberté d'entreprendre… ou de manipuler les consciences. La publicité qui a envahi les « grilles » de programmes est une forme de propagande dont les bonnes intentions restent à démontrer.

La radio bousculée par l'arrivée de la télévision : prééminence de l'image
On peut tenter d'évaluer l'impact des propagandes totalitaires des années 30, si leurs opérateurs avaient disposé de la transmission de l'image et surtout de l'intervention sur les images.
À la veille de la Deuxième Guerre mondiale, la télévision promet de contribuer à la vérité de l'information grâce à la réalité des images diffusées en direct. La transmission du couronnement du roi d'Angleterre, George VI, en 1937 est une mise en scène élaborée entre le protocole de la monarchie et les exigences des techniciens. Elle indique déjà que le reportage peut être mis en scène.

Le nouveau média se développera dans le grand public en Europe à partir des années 50 dans des institutions de service public qui laissent aux majorités de gouvernement le contrôle des programmes. La continuité de la diffusion en direct laisse (théoriquement) peu d'opportunité de dissimulation de l'événement. Seule la présence d'esprit de celui qui choisit les images à transmettre peut occulter certains épisodes. On doit à cette réaction immédiate des opérateurs de n'avoir jamais vu le général de Gaulle, affligé d'une mauvaise vue, trébucher en descendant d'une estrade. En revanche, voir Khrouchtchev frapper le pupitre de l'ONU de son soulier est un événement médiatique spectaculaire sinon diplomatique.

L'enregistrement magnétique à partir de 1960, puis, une décennie plus tard, les moyens d'intervention a posteriori – montage et effets spéciaux (trucages électroniques et post-production) – permettront la diffusion de contenus satisfaisants pour les pouvoirs, politique puis affairiste lorsque la publicité imposera les contraintes de l'entrepreneur commanditaire.
Depuis les dernières années du vingtième siècle, le développement des images virtuelles permet de créer des images dont la conformité ne cessera de se distancier par rapport à la réalité.
Jean-Jacques Ledos


1. Voir « La radio en U.R.S.S. » in Gavroche n° 61, janver-févier. 1992)
2. Nikola Tesla, un grand savant injustement ignoré dans la galerie des célébrités qui ont développé la radio, avait projeté de construire, en 1900, sur la côte est des États-Unis une station de diffusion mondiale.
3. Détournement de « l'homme au couteau entre les dents ».
4. « Un peuple, un Reich, une Radio ! » sur le modèle de « Ein Volk! Ein Reich! Ein Führer »
5. Selon Hannah Arendt, Mussolini « qui aimait tant l'expression d'"État totalitaire", n'essaya pas d'établir un régime complètement totalitaire et se contenta de la dictature et du parti unique. »
6. Mussolini Arnaldo: Gli eroi della volontà (Les héros de de la volonté). Déclaration sur Radio-Milan le 6 février 1930.
7. « Una ora solenne ha scocàtta per l'Italia fascista e impériale… » depuis le balcon d'où jadis Laetizia Bonaparte assistait au triomphe de son fils Napoléon.
8. Déclaration à Walter Lippmann, citée par André Kaspi in Frankin Roosevelt (Fayard, 1988).
9. « Un Allemand hitlérien, speaker à la Radiodiffusion française (1937-1940) » in Gavroche n° 57/58 (Mai-août 1991).
10. « La radio en URSS » in Gavroche n° 61, janv.-fév. 1992.
11. Fouad Benhalla : « La guerre radiophonique » (Revue Politique et Parlementaire, 1984).