lundi, 15 février 2010
Per Olov Enquist et le traumatisme des Suédois
Per Olov Enquist et le traumatisme des Suédois
Il y a quelques semaines sont parues en langue néerlandaise les mémoires du très célèbre romancier suédois, mondialement connu, Per Olov Enquist, sous le titre de « Een ander leven » (= « Une autre vie »). Dans ces mémoires, il consacre plusieurs passages (pages 191 à 207) à un roman documentaire, « Legionärerna » (= Les légionnaires »), dont il existe également une version néerlandaise, ouvrage qu’il avait publié en 1968. Le livre traite des Baltes et des Allemands réfugiés en Suède et livrés aux Soviétiques entre novembre 1945 et janvier 1946. Ce livre a permis aussi, ultérieurement, de réaliser un film sur cet événement qui constitue toujours un traumatisme permanent en Suède. Le livre d’Enquist est paru à un moment où la Suède s’imaginait être la conscience morale du monde. Cette situation mérite quelques explications.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, 3000 soldats de la Wehrmacht allemande avaient trouvé refuge sur le territoire suédois. Ils avaient été internés dans le pays. Ils avaient tenté d’échapper à l’Armée Rouge en imaginant se mettre à l’abri dans une Suède jugée sûre. L’histoire a très mal fini. Le 2 juin 1945, l’Union Soviétique exige que tous les soldats arrivés en Suède après le 8 mai 1945 leur soient livrés. Le gouvernement socialiste de Stockholm répondit le 16 juin 1945 qu’il livrerait tous les soldats de la Wehrmacht, donc aussi ceux qui avaient débarqué en Suède avant le 8 mai. Le gouvernement suédois tenait absolument à garder de bonnes relations avec l’Union Soviétique, surtout qu’il avait tout de même certaines choses à se reprocher. Pendant la guerre, les Suédois n’avaient jamais cessé de livrer du minerais de fer aux Allemands et avaient autorisé le transport de troupes allemandes à travers le territoire suédois, en direction de la Finlande.
A la fin du mois de novembre 1945, un navire soviétique, un transporteur de troupes, arrive dans le port de Trelleborg. Immédiatement, les soldats menacés d’être livrés optent pour la résistance passive. Plusieurs d’entre eux font la grève de la faim. Une tempête de protestation secoue les médias. Dans le centre de la capitale suédoise, des citoyens outrés organisent des manifestations. Les manifestants suédois savaient que les soldats qui seraient livrés allaient au devant d’une mort certaine. Bon nombre d’officiers suédois refusèrent d’exécuter les ordres. On chargea donc la sûreté de l’Etat d’exécuter l’ordre d’expulsion.
Le premier jour, soit le 30 novembre 1945, les agents de la sûreté parvinrent à mettre de force 1600 soldats sur le navire soviétique. Il y eut des scènes déchirantes. Plusieurs soldats se suicidèrent et environ 80 hommes s’automutilèrent. Ceux-ci furent à nouveau internés et échappèrent ainsi au sort fatal qu’on leur réservait, car ils furent confiés à des autorités civiles. Les blessés furent acheminés vers l’Union Soviétique en deux transports, les 17 décembre 1945 et 24 janvier 1946. Ensuite, 310 internés furent mis à la disposition des Britanniques et 50 autres livrés aux Polonais.
Au total, 2520 soldats de la Wehrmacht ont été déportés de Suède en Union Soviétique. On n’a jamais rien su de leur sort ultérieur. Aujourd’hui encore, le mystère demeure. Parmi eux se trouvaient 146 soldats de la Waffen SS originaires des Pays Baltes. Ce fut surtout leur sort qui a ému les Suédois. La trahison à l’égard des Baltes est devenu le traumatisme récurrent de la Suède contemporaine. Le gouvernement a essayé de se défendre en arguant que les Britanniques avaient, eux aussi, livré aux Soviétiques des dizaines de milliers de cosaques et de soldats russes de l’Armée Vlassov. L’émoi national eut toutefois pour résultat que le gouvernement suédois refusa de livrer les réfugiés civils issus des Pays Baltes. La livraison des soldats baltes, en revanche, a déterminé toute la période de la Guerre Froide en Suède.
Le 20 juin 1994, le ministre suédois des affaires étrangères s’est excusé, au nom de son gouvernement, auprès de la Lituanie, de l’Estonie et de la Lettonie, parce que la Suède avait livré jadis leurs compatriotes à l’empire rouge de Staline.
« Maekeblyde » / « ‘t Pallieterke ».
(article paru dans « ‘t Pallieterke », Anvers, 3 février 2010 ; trad. franc. : Robert Steuckers).
Source :
Per Olov ENQUIST, « Een ander leven », Amsterdam, Anthos, 2009, 493 pages, 25,00 Euro – ISBN 978 90 4141 416 8.
00:10 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, lettres, lettres suédoises, littérature suédoise, lettres scandinaves, littérature scandinave, scandinavie, suède, deuxième guerre mondiale, seconde guerre mondiale, pays baltes, allemagne | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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