Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 21 mars 2010

L'héritage des clans en Ecosse

clanbedford.jpg

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1988

L'héritage des Clans en Écosse

par Freiceadan nan Gaidheal

Grâce à Sir Walter Scott et à toute l'armée de ses héritiers, depuis la Reine Victoria jusqu'aux millionnaires texans du pétrole se réclamant d'une vague ascendance calédonienne, le système écossais des clans est généralement perçu aujourd'hui en termes de tartans, de kilts et de chefs vivant à Dallas. Mais le système des clans est davantage que tout ce folklore : il incarne l'idée d'un modèle de relations entre les hommes, entre égaux, entre les égaux et les chefs qu'ils se désignent et entre égaux et le pays qu'ils habitent et enrichissent. Cette idée de­meure aussi valable et pertinente aujourd'hui qu'il y a mille ans.

Car le clan écossais était davantage qu'une simple association d'hommes vêtus de plaid et partageant un même nom. Avant que les romantiques de l'ère victorienne ne l'imaginent, il n'existait rien de semblable au "tartan clanique". Le clan constituait une entité sociale très rare dans l'Europe d'alors : il était une association d'hommes libres, possédant leurs propres terres et élisant leurs chefs.

Les terres du clan n'étaient pas possédées par un seigneur, ou par le chef du clan, mais par la to­talité de ses membres. Seul le clan en tant que tout pouvait vendre ou céder les terres qui lui appartenaient. Ces terres étaient partagées entre tous les membres par l'assemblée du clan pour le bénéfice de toute la collectivité. Une partie était allouée au chef et à son administration ; une autre aux prêtres (d'abord païens, ensuite chrétiens de rite celtique) ; une autre partie était travaillée en commun et, enfin, une dernière partie était tenue en réserve pour subvenir aux besoins des pauvres, des vieillards et des infirmes. Le reste était partagé de façon telle que chaque membre du clan puisse disposer de son propre lopin à cultiver.

 

Solidarité clanique et éligibilité des rois

 

Chacun des membres du clan payait des impôts au clan de façon à soutenir la communauté et de soutenir les pauvres, les vieux, les malades et les orphelins. Lorsqu'un membre du clan tom­bait malade, il ou elle avait droit, légalement, à de la nourriture et un traitement médical gra­tuits, payés par le clan. Se doter de provisions pour le bien-être de tous les membres du clan, telle était la fonction même de l'institution cla­nique, codifiée dans l'ancienne loi écossaise.

Le chef du clan n'était pas un suzerain héréditaire mais un chef élu, choisi habituellement mais non nécessairement dans une famille de chefs, lors de l'assemblée de tout le clan. Le chef en titré nommait et formait généralement son successeur, le tanist (du gaélique tanaiste, « second »), qui n'était pas son fils aîné mais la personne qu'il jugeait la plus capable de lui succéder. L'assemblée du clan n'était pas tenue d'entériner ce choix.

Le même système de tanistry, ou de chefferie élective, se retrouvait à plus grande échelle dans le gouvernement de l'Écosse entière. Cha­cune des six provinces ou mhaorine (intendance) de l'Écosse du haut moyen-âge était gouvernée par un mormaer (mor-mhaer ou Grand Intendant) élu par les chefs des clans de sa province. Il était issu généralement d'une vieille famille d'intendants. Tous les chefs de clan du pays, conjointement aux mormaer et aux évêques de rite celtique, avaient le droit d'élire et de déposer le Ard Righ na h-Alba ou le Grand Roi d'Écosse au cours d'une grande assemblée tenue selon la coutume dans l'ancienne capitale Scone. Les Grands Rois étaient généralement choisis dans les maisons royales de Moray et Atholl mais la dignité de roi n'avait rien d'héréditaire et ne se transmettait pas de père à fils aîné.

Les hommes et les femmes d'un clan, même humbles, n'étaient nullement serfs et leur chef n'était jamais un despote féodal. Chaque membre du clan avait son mot à dire dans l'élection du chef et détenait une part de propriété dans les terres collectives du clan. Il ou elle disposait de droits clairement définis par l'ancienne et complexe loi celtique. Les querelles étaient réglées par arbitrage devant un breithaemh professionnel, un juge. La peine de mort était rarement prononcée et, le cas échéant, uniquement pour des crimes monstrueux. Les femmes ne l'encouraient jamais. Les jugements barbares par ordalie, les punitions entraînant des mutilations, pratiquées dans toute l'Europe avec la bénédiction de l'Église officielle, étaient inconnues dans la vieille Écosse. La punition la plus terrible et la plus crainte était le bannissement.

 

Le christianisme sape le système clanique

 

Les femmes détenaient une place élevée dans la société clanique, contrairement à la position subordonnée (« bien meuble » ou « instrument ») que leur assignait l'idéologie chrétienne domi­nante. Toute femme pouvait être élue chef de clan et même conduire son clan à la bataille. Elle demeurait propriétaire de tous les biens qu'elle avait amenés lors de son mariage. Elle pouvait exercer une fonction à égalité avec un homme et elle jouissait de nombreux droits non octroyés ailleurs dans le « monde chrétien ».

Ce système celtique, unique en son genre, atteignit son apogée vers la moitié du XIème siècle, sous le règne sage et éclairé de MacBeth MacFindlaech, mis en scène plus tard par Shakespeare. La chute de MacBeth en 1057, dont la position fut usurpée par le roi­marionnette Malcolm Canmore, mis sur le trône d'Écosse par une armée anglaise, enclencha le processus de déclin des clans.

Ce déclin a eu pour base l'Église chrétienne. Tout comme en Scandinavie, en Écosse, l'Église apporta dans le sillage de ses missions la fin de la liberté et la mort des anciennes et vénérables traditions, apanages d'une nation fière et indépendante. L'Église imposa à l'esprit des hommes une tyrannie totalitaire, à l'ombre du chevalet de torture et des bûchers. L'Église détestait le système clanique parce qu'il interdisait la transmission de terres aux ecclésiastiques et parce qu'il subordonnait la hiérarchie ecclésiale à sa structure propre, chaque espace clanique devant constituer un diocèse dont les membres intervenaient dans la nomination des évêques. Rome suspectait ainsi l'Église celtique d'Écosse de servir de havre à des idées indépendantes et « hérétiques ».

En Écosse, l'Église, comme une calamité, s'abattit sur le peuple par les intrigues de Mar­garet, l'épouse fanatique et religieuse de Mal­colm Canmore, le roi laquais des Anglais. Ses fils continuèrent son travail de sape. Trois d'entre eux régnèrent sur l'Écosse. Ils importèrent des prêtres et des moines anglais, ce qui contribua à mettre l'Église celtique à genoux.

Des conceptions étrangères à l'Écosse, comme la primogéniture (l'hérédité du pouvoir et des terres par le fils aîné, indépendamment de ses compétences) et, surtout, l'idée que les terres ne sont pas un héritage collectif inaliénable, appartenant au peuple dans son ensemble, mais une simple propriété qui peut être vendue ou achetée. Dans cette conception, les hommes ne sont plus eux-mêmes que des « biens meubles » et doivent être traités en conséquence (servage et féodalisme). Voilà quelques-uns des principes pervers que l'Église a imposé à la vieille Écosse.

 

Les Highlands restent libres...

 

Sous le règne des fils de Margaret (et surtout sous David Ier), qui s'emparèrent du pouvoir illégalement, soit par « héritage » tout en déposant le roi élu Donald Ban, des chevaliers normands furent introduits dans le pays pour défendre le roi contre le peuple. Ceux-ci reçurent en octroi des terres écossaises en remerciement de leurs services. Le Roi, selon la loi traditionnelle, n'avait pas le droit de les donner...

Dans la partie méridionale de l'Écosse, la culture autochtone celtique, avec son système de clan, fut annihilée par une religion étrangère, un système politique étranger, des soldats étrangers et une langue étrangère. L'Église encouragea l'usage de l'anglais à la place du gaélique parce que cette langue était celle des « hérétiques » du rite celtique. L'ère des hommes libres, régis par des lois correctes, fut supplantée par la domination âpre de seigneurs en armures et à cheval, de prêtres étrangers en robe soutenus par une police tonsurée des esprits, sur leurs serfs.

Seuls les Highlands demeurèrent libres. En 1411, sur le champ sanglant de Red Harlaw, les Highlanders furent sur le point de libérer l'Écosse entière. Hélas, ils connurent l'échec. Un jour humide d'avril 1746, les Highlands finirent par ployer le genou. Les derniers restes du système clanique succombèrent avec eux. La loi étrangère et féodale de la possession personnelle des terres fut imposée au Nord, transformant les chefs de clan en seigneurs héréditaires et leurs clansmen en manants.

Les mérites des deux systèmes sociaux peuvent se jauger à la lumière de ce qui se passa après. Comme le Dr. Johnson put le prévoir avec justesse, la nouvelle loi transforma les chefs patriarcaux en seigneurs rapaces. Pendant plus de mille ans, sous l'ancien système, les clansmen des Highlands avaient vécu en toute sécurité sur la terre de leurs ancêtres. Après moins de cent ans sous la nouvelle loi, les collines étaient désertées de leurs habitants, chassés par les héritiers non élus de leurs anciens chefs, de façon à faire de la place pour les moutons, décrétés « plus rentables ». Le lien immémorial entre la terre et le peuple venait de se briser. L'ancienne culture et l'ancienne langue furent houspillés, au bord de l'annihilation.

 

Freiceadan nan Gaidheal (article tiré de la revue The Dragon, n°1, 1987, éditée par Julie O'Loughlin, adresse : BM-IONA, London WCIN 3XX).

 

Les commentaires sont fermés.