Officiellement, c'est à Paris le 19 mars et non à Washington qu'a été prise la décision de mener contre la dictature libyenne des opérations de guerre. Officiellement encore, c'est à Londres et non à Washington que ce 28 mars, on a justifié cette ingérence en faveur des rebelles qui piétinent au même moment devant Syrte. On y a donc reconnu comme pouvoir légitime un Conseil national de 33 membres, aux identités discrètes.
Au moment où j'écris ces lignes, les développements de l'affaire libyenne confirment hélas une observation initiale, antérieure à la décision du chef de l'État, chef des armées françaises : La route vers la démocratie ne coule pas comme un long fleuve tranquille. (1)
La guerre, expression sanglante et tragique de l'Histoire, recommence toujours. Comme la mer elle se renouvelle constamment sous des formes différentes. Malheur par conséquent à ceux qui refont le conflit précédent. Le maréchal Pétain, en souvenir de 1917, estimait que la guerre serait gagnée lorsque les Américains interviendraient. À son procès (2), Paul Reynaud intervint non seulement comme témoin mais comme inspirateur de l'accusation. Ancien protecteur d'un certain colonel De Gaulle, devenu chef du gouvernement, il lui fera, en définitive, le reproche essentiel d'avoir ainsi bafoué "l'allié de l'Est" : c'est-à-dire non pas, à ses yeux, la malheureuse Pologne, abandonnée matériellement par Paris en 1939, mais, toujours aux yeux des dirigeants parisiens, l'Union Soviétique stalinienne, que tous les hommes politiques confondaient avec "la Russie". Inutile d'épiloguer, je crois, sur la sanction endurée par celui qui sera, pour la honte de la France, le plus vieux prisonnier du monde.
Il est remarquable d'observer trop couramment le retard d'une, deux ou trois guerres des gens qui décident d'y conduire leurs peuples. Mais ce décalage frappe aussi ceux qui se révèlent incapables de voir, par exemple, que l'intervention internationale en Afghanistan ne relève pas du même ordre que l'expédition en Irak, que ces théâtres d'opérations ne peuvent pas s'assimiler au Vietnam, et qu'enfin la situation libyenne ne correspond pratiquement à aucun précédent.
Or dans tous ces différents cas de figures, l'action des Occidentaux dépend de la stratégie adoptée par les États-Unis.
Ne nous y trompons pas : le président Obama détient encore l'influence déterminante dans cette affaire où cependant, à Washington même, le centre de la décision de soutenir, ou d'inspirer, l'initiative franco-britannique vient du Département d'État, c'est-à-dire d'abord de Mme Clinton, son ancienne rivale quand, sénatrice de New York, elle briga en 2008 l'investiture du parti démocrate. Trois femmes d'influence militent en faveur de l'intervention américaine en Libye. Il s'agit outre Hillary Clinton, d'abord de Susan Rice, actuellement ambassadrice auprès des Nations unies ; à ses côtés on cite Samantha Power, journaliste proche du président au sein du Conseil national de sécurité. L'obsession des trois remonterait, dit-on, à l'affaire du Rwanda. On ne veut "plus jamais" laisser un gouvernement, certes souverain et "légal" du point de vue international, massacrer impunément une partie de son propre peuple. Cette formulation de la doctrine du droit d'ingérence a rencontré un "moindre succès" en Irak. Et cela aurait, déplorent-elles, plombé ce principe pour de longues années. La démence de Kadhafi leur donnent l'occasion d'en redorer le blason.
Finalement, avec beaucoup de réticences, Obama a fini par reconnaître ce 28 mars, s'exprimant à l’université de Washington, et non dans le Bureau Ovale, que les États-Unis étaient engagés désormais sur un troisième théâtre d'opérations, venant après ceux d'Afghanistan et l'Irak.
Mais les deux précédents avaient été décidés par GW Bush.
Or, en 2008 il avait été élu sur le rejet de cette politique. À la suite de quoi, en 2009 il avait reçu le Prix Nobel de la Paix sans avoir rien réalisé sur ce terrain. Et désormais, même le New York Times qui l'a toujours soutenu et qui a toujours critiqué Bush reconnaissait le 29 mars l'identité des arguments avancés.
Tout recommence toujours dira-t-on.
Notre devoir absolu consistera toujours à défendre l'armée française partout où elle se bat. Cela implique de se préoccuper aussi de savoir jusqu'où et pourquoi elle est engagée.
Il faut absolument éviter de recommencer, rien ne serait pire, une fois de plus, les expériences honteuses de Suez en 1956, ou de Beyrouth en 1983. (3) Les troubles qui agitent la rive sud de la Méditerranée menacent l'ensemble de notre continent. Ils posent de ce fait le problème des moyens autonomes de la défense de l'Europe, de l'investissement des Européens, et pas seulement celui de l'Europe du sud piégée par les artisans de "l'Eurabia".
On ne fera pas l'économie de ce débat. Il dérange certainement les partisans de la priorité de nos dépenses de consommation et de redistribution. Tant pis pour eux.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. "L'Insolent" du 10 mars "La démocratie et le mythe du long fleuve tranquille", où nous considérions que "L'ignorance de l'Histoire, et même le mépris pour ses enseignements les plus ordinaires a toujours causé le plus grand tort à nos dirigeants."(…)
- cf. Tome Ier du Procès du Maréchal Pétain.
- cf. à ce sujet "L'Insolent" du 25 octobre 2010 "Le legs humiliant de la Mitterrandie".
Vous pouvez entendre l'enregistrement de notre chronique
sur le site de Lumière 101
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