jeudi, 29 janvier 2015
Métaphysique du sexe
Métaphysique du sexe
Ex: http://lagrandetouriste.blogspot.com
Né en 1898, mort en 1974, le baron Julius Evola était un penseur traditionnaliste. Qu'est-ce que la Tradition? Dans le monde indo-européen, c'est, entre autres héritages, une organisation sociale selon trois fonctions ̶ religieuse, guerrière et économique. Mise en évidence par le philologue Georges Dumézil, ce sont, par exemple, les tripartitions Brahmanes/Kshatriyas/Vaisyas en Inde, Clergé/Noblesse/Tiers-État dans la France pré-révolutionnaire. De par sa naissance et sa conformation intérieure, Julius Evola se rattachait à l'ordre des guerriers. En ces temps troublés qui sont les nôtres, ses ouvrages sont donc à ranger dans toute bibliothèque dissidente qui se respecte.
Celui qui nous intéresse aujourd'hui s'intitule "Métaphysique du Sexe". Qu'est-ce que la métaphysique? Evola donne deux acceptions. La première est la définition philosophique courante: on appelle métaphysique la « recherche des principes et des significations ultimes ». La deuxième est étymologique: du grec μετά ("après", "au-delà de"), c'est la « science de ce qui est au-delà du physique ». Au sujet des sexes et des relations entre les sexes, Evola affirme que seule la métaphysique a quelque chose de valable à dire: « Que dans toute expérience intense de l'eros un rythme différent s'établisse, qu'un courant différent investisse et transporte, ou bien suspende, les facultés ordinaires de l'individu humain, que se produisent des ouvertures sur un monde autre ̶ c'est ce qu'on a su ou pressenti depuis toujours. »
« Lorsque nous indiquerons les significations les plus profondes qui se cachent dans l'amour en général et même dans l'acte brutal qui l'exprime et l'accomplit ̶ cet acte où « se forme un être multiple et monstrueux », où l'on dirait qu'homme et femme « cherchent à humilier, à sacrifier tout ce qu'il y a de beau en eux » (Barbusse), la plupart des lecteurs, peut-être, ne se reconnaîtra pas dans tout cela et pensera qu'il ne s'agit là que d'interprétations toutes personnelles, imaginaires et arbitraires, abstruses et "hermétiques". »
De sorte que la reproduction, si elle est une conséquence de la sexualité couramment observée, n'en constitue pas pour autant le but. A la suite du poète russe Vladimir Soloviev, Evola remarque que de nombreux organismes se multiplient de manière asexuelle, et que le fait sexuel n'intervient que dans la reproduction des organismes complexes. En outre, « plus nous montons haut dans l'échelle des organismes, plus la puissance de multiplication s'amoindrit, tandis qu'au contraire augmente la force de l'inclination sexuelle… Enfin, chez l'être humain, la multiplication se fait beaucoup moins que dans tout le règne animal, alors que l'amour sexuel atteint l'importance et l'intensité les plus grandes. » (Soloviev) Evola mentionne aussi le baiser, que l'espèce n'exige en rien pour se multiplier, et qui est pourtant érotiquement nécessaire. (Les amants des peuples qui ne connaissent pas le baiser ont d'autres pratiques, comme le fait de se toucher les fronts, qui permettent pareillement le "mélange des souffles".)

Le terme de "polarité sexuelle" est central: il signifie que le masculin et le féminin sont à l'eros ce que le Nord et le Sud sont au champ magnétique terrestre. Selon la philosophie chinoise, il suffit même que deux individus de sexe opposé soit placés l'un à côté de l'autre, sans contact corporel, pour que s'éveille cette énergie spéciale appelée "tsing", dont l'intensité varie en fonction des degrés de "yin" et de "yang" présents en chacun d'eux. En Islam, la très stricte séparation des sexes est réputée porter cette tension à son maximum. De manière générale, pour l'ensemble des tenants de la Tradition, la différence des sexes n'est pas un constat mais un axiome. Une anthropologie fondée sur l'observation est sans valeur, puisque rien d'absolu n'est observable. A celle-ci, Evola oppose non pas la "déconstruction de genre" chère aux progressistes, mais un savoir primordial, fondé sur les principes.
Le caractère "fluidique", "magique" de l'attraction des sexes est comme la lettre volée d'Edgar Poe: invisible parce qu'évident. Les écrivains en témoignent mieux que les psychiatres. Evola reprend l'image de la "cristallisation" formulée par Stendhal: comme les branches des arbres se couvrent de cristaux dans les régions salines de Salzbourg, le désir de l'amant cristallise autour de l'aimée comme un halo d'extraordinaireté, propre à induire cet état de fascination qui est le pré-requis du « traumatisme de l'étreinte ». C'est ainsi qu'en toute inconscience, les amants mettent en œuvre des techniques spirituelles. Dans son Liber de arte amandi, daté du XIIème siècle, le clerc André Le Châpelain a défini l'amour comme une « agonie due à une méditation extrême sur une personne de sexe opposé ».

"Métaphysique du sexe" est un ouvrage extrêmement dense, qui éclaire quantité de mythes, de hiérogamies, et de rituels archaïques tels que la prostitution sacrée, les orgies saisonnières, le mariage hétérosexuel. Julius Evola y fait l'exégèse des plus rebattus des lieux communs de l'amour ("Je t'ai dans la peau", etc.) et de ses métaphores les plus persistantes: le cœur, la foudre, la mort. En passant, il évoque une tradition issue de la chevalerie médiévale nommée Amour Courtois, dont la branche ésotérique, qui n'est pas sans lien avec les Templiers, a fourni à la littérature européenne quelques-uns de ses plus magistraux chefs-d'œuvre. Plus près de nous, il n'est pas anodin que l'artiste catholique Jean-Louis Costes, qui se qualifie lui-même de « Christophe Colomb du cul », ait été rattaché à cette tradition par certains commentateurs.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce livre, et sur ses limites. Nous nous en tiendrons à cette brève introduction, et souhaitons qu'elle contribue à l'effort de guerre...
00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, métaphysique, métaphysique du sexe, sexualité, julius evola, tradition, traditionalisme | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Les commentaires sont fermés.