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mercredi, 01 avril 2015

Le général Breedlove et the Hybrid War

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Le général Breedlove et the Hybrid War

Ex: http://www.dedefensa.org

Au Brussels Forum du GMF évoqué par ailleurs (voir le 23 mars 2015 : «[L]a grande fête de l’atlantisme à la fois la plus pompeuse, la plus opulente, la plus indiscutable pour Bruxelles devenue ainsi, pour trois jours, la capitale de l’euroatlantisme...»), nous avons eu droit à un spectacle intéressant, et même instructif, – du moins, selon notre point de vue... Il est bon en effet, dans ce rendez-vous annuel d’une si haute tenue, d’introduire un général significatif, si possible de la puissante cohorte américaniste, pour bien marquer de quel côté se trouve la puissance et de quoi l’on parle exactement. Cette année, comme en 2014 d’ailleurs, c’était le général Breedlove, aviateur de l’USAF devenu pour un temps le commandant en chef suprême des forces alliés en Europe (SACEUR). Interrogé comme on s’attendait qu’il fut, Breedlove a donné des précisions absolument imprécises sur son attitude vis-à-vis de l’Ukraine, du style qui enfonce les portes ouvertes, du type-“toutes les options sont sur la table”, etc. ; envisageant la possibilité de livraisons d’armes tout en disant que cela risquait d’être déstabilisant, envisageant aussi “l’inaction” et disant que cela aussi risquerait d’être déstabilisant. Bref, aucun intérêt sinon la confirmation que Breedlove a bien appris sa leçon...

Passons à autre chose, qui est le cœur de notre sujet. Breedlove se trouvait, avec trois autres invités, placé devant le thème “future of conflict” (l’“avenir de la guerre” ou “le conflit du futur”, etc., les traductions, souvent avec des sens différents, ne manquent pas). Plutôt que s’aventurer dans le prévisionnisme qui ressemblerait aujourd’hui à une sorte de “complotisme du futur” tant les choses sont complexes, le général Breedlove a préféré nous parler simplement du présent, et d’ailleurs un présent qui s’est révélé avoir un passé. Il s’agit de “the Hybrid War”, ou “guerre hybride” comme on l’a aisément compris. (Certains ont aussi parlé de la “guerre furtive”, ou “Stealth war”, – mais laissons-les parler et revenons à l’expression officiellement admise.)

Le général Breedlove a donc exposé que la “guerre hybride”, à défaut d’être le conflit du futur, était certainement celui du présent ; et cette “guerre révolutionnaire” (du point de vue technique) n’est certainement pas nouvelle, nous confie-t-il encore. Effectivement, l’expression “guerre hybride” est employée, notamment, dès le 30 mars 2007, dans un rapport de la colonelle Margaret S. Bond, de la réserve de l’US Army, pour le US Army War College ; l’auteure ajoute que ce type de conflit est également désigné sous l’acronyme de DIME, ce que nous confirme Breedlove ... DIME emprunte, de manière très simple et explicite, les initiales des quatre moyens qui sont utilisés dans ce type de conflit, – Diplomatie, Information, Militaire, Économie. On dira aussitôt que cela non plus n’est pas très nouveau, même par rapport à 2007, que de tous les temps une guerre a recouru de diverses façons aux moyens de la diplomatie, de l’information, de la force militaire et de l’économie. Breedlove en convient d’ailleurs complètement, nous confirmant plus encore la “nouveauté” de cette “guerre révolutionnaire” qui n’a rien de nouveau...

«And frankly, to start off, to sort of demystify it, there is this feeling that it is something new and exciting or different. And it is different, but really, it is a collection of tools that we’ve seen in warfare before. We in the military like to use a simple model when we teach in our schools. We keep everything very simple. So we use a model called DIME, diplomatic, informational, military, and economics. So, as we dissect this hybrid war or this unconventional war that we see being waged today, the new things are how these tools that we have recognized from before are now put together and used in new ways to bring new kinds of pressure diplomatically to attack a capitol, to attack the credibility of the leadership of a nation, diplomatically to try to disassemble those support mechanisms for our capitol, those alliances, those agreements, and other nations that are a part of helping a capitol.»

Effectivement, ce qui constitue un aspect très particulier et sans doute révolutionnaire de la “guerre” dans le Donbass, c’est la façon dont on a usé des différents moyens («the new things are how these tools... are now put together and used in new ways»). Plus précisément, il s’agit sans aucun doute de l’extraordinaire importance prise par le moyen de l’information (c’est-à-dire la communication selon le cadre très large du système de la communication) par rapport, pour l’essentiel, au moyen de l’activité militaire, notamment dans le cas du débat sans fin sur l’intervention ou pas de l’armée russe en tant que telle dans le Donbass. L’intérêt est donc dans l’interconnexion entre le moyen de l’information (de la communication) et le moyen militaire. On s’attache à ce qu’en dit Breedlove dans cette intervention initiale dont on a déjà donné un extrait, où il expose les définitions des composants de l’acronyme DIME, et précisément, pour notre cas, les deux moyens de l’information (de la communication) et du militaire. (Comme on le lit, il dit fort peu de choses de l’aspect diplomatique qui est intervenu d’une façon conventionnelle et l’on laisse également l’aspect économique où rien de révolutionnaire n’est intervenu, mais plutôt une utilisation massive des moyens habituels de la guerre économique, des sanctions aux manipulations financières.)

«So, first, in a diplomatic way, to attack credibility and to try to separate a nation from its support mechanisms. Informationally, this is probably the most impressive new part of this hybrid war, all of the different tools to create a false narrative. We begin to talk about the speed and the power of a lie, how to get a false narrative out, and then how to sustain that false narrative through all of the new tools that are out there, the social media tools, the way that we can use the internet and purchasing and employing those informational tools that get this narrative out.

»Militarily, of course, the military tools are relatively unchanged, but how they are used or how they are hidden in their use, is the new part of this hybrid war. How do we recognize, how do we characterize and then how do we attribute this new employment of the military in a way that is built to bring about ambiguity? Employed to bring about ambiguity. And that ambiguity, then, to either be embraced by those who want to embrace it or attacked by those who see the subversiveness of it. And then, if that sort of unattributable use of the military doesn’t work, and the objectives are not being met, then a more overt use of the military.»

Le premier passage, qui concerne la section “guerre de la communication” (plutôt que “guerre de l’information”) est intéressant malgré sa brièveté, dans l’esprit même de la dialectique employée. Il n’est plus question de “désinformation”, de “mésinformation”, etc., qui sont des techniques employées par rapport à la réalité, mais bien de narrative en tant que telles qui sont effectivement, presque inconsciemment mais d’une manière extrêmement convaincante pour notre interprétation, présentées comme des objets ou des concepts en soi et non plus des méthodes. On voit bien que Breedlove s’attache moins à la question de la méthode pour influencer la perception de la réalité qu’au constat implicite qu’il doit exister des narrative, qui sont des objets en soi présentant d’une façon autonome une réalité complètement faussaire, des moyens accomplis et autonomes de la “guerre hybride”. Certes, l’emploi par Breedlove du qualificatif “faux” [false] s’adresse bien entendu dans sa position conformiste appuyée fermement sur sa psychologie de l’inculpabilité aux affirmations russes, à ce que lui, Breedlove, juge être leur narrative ; mais cet emploi prend finalement la résonnance d’une redondance inutile mais également extrêmement significative, lorsqu’il est correctement interprété.

La narrative selon Breedlove est un outil de la guerre, donc il n’a pas de nationalité, et dire que la narrative est false n’a pas grand sens puisque la narrative n’est pas construite en référence à la réalité, mais pour sa valeur propre comme outil d’influence sur la marche de la guerre. Implicitement, d’ailleurs, le discours de Breedlove impliquant cette indifférence de la narrative par rapport à la réalité et en faisant un outil essentiel indiquent que la technique est d’usage courant du côté US, car les USA n’ont aucunement l’habitude, par leur doctrine de masse et de force, de ne pas employer un outil de la guerre dès lors qu’ils en connaissent l’existence et peuvent en disposer, – ils utilisent tous les moyens, et puisque la narrative en est un reconnu par eux, ils l’utilisent donc nécessairement. C’est une attitude et une conception que ne partagent pas les Russes, qui, s’ils admettent qu’il existe des formes de “guerre hybride“, ne font pas de la narrative un moyen en soi, sans rapport avec la réalité. Pour eux, la réalité existe encore, et ils se soumettent donc à la logique de la “vérité de situation” ; nous soupçonnons bien entendu que ce n’est aucunement le cas du côté US. (Bien entendu, Breedlove, n’ayant guère d’intérêt pour l’existence d’une “vérité de situation”, n’imagine pas une seconde que puisse exister le phénomène du déteminisme-narrativiste. C’est dire implicitement qu’il y est d’autant plus enchaîné.)

L’autre aspect évoqué par Breedlove dans l’extrait cité, — l’aspect militaire, — est très intéressant surtout lorsqu’il est mis en rapport avec l’extrait sur le moyen de la communication (narrative). Dans cette partie, Breedlove revient exactement à ce qu’il nous disait il y a exactement un an, lors du précédent Brussels Forum, lorsqu’il décrivait l’extraordinaire insaisissabilité, pour les observateurs, des opérations russes qui aboutirent à détacher la Crimée du contrôle de Kiev, pour laisser s’organiser le référendum jusqu’à la sécession et au rattachement à la Russie (voir le 24 mars 2014). Il décrit l’activité du “moyen militaire” en répétant le même mot, – “ambiguïté”, – bien entendu en référence à cette expérience de la crise ukrainienne à partir de mars 2014 («How do we recognize, how do we characterize and then how do we attribute this new employment of the military in a way that is built to bring about ambiguity? Employed to bring about ambiguity. And that ambiguity, then, to either be embraced by those who want to embrace it or attacked by those who see the subversiveness of it»). Le problème qui apparaît alors est de savoir comment réconcilier ce fait même de l’ambiguïté de l’activité militaire, c’est-à-dire de l’extrême difficulté à l’impossibilité de l’identifier précisément, de la localiser, de la décrire et de la comprendre, avec le fait de la narrative qui, au contraire, prétend vous montre une réalité tranchée, claire et évidente de la responsabilité et de la fourberie de l’adversaire dans le chef de son activité militaire mise au grand jour, sans la moindre ambiguïté. Comment réconcilier cette “ambiguïté” dont tout montre que Breedlove l’a reconnue pour ce qui concerne l’activité des forces russes sur le théâtre général de cette crise, notamment en Crimée, avec ses propres diverses clameurs, dans les quatre ou cinq deniers mois, proclamant que des unités russes étaient engagées, qu’elles étaient en nombre important et précisés (quoique changeant d’une version à l’autre) ? D’un côté, on affirme que ce qui caractérise l’activité militaire, c’est l’impossibilité de la mesurer et de l’identifier exactement, de l’autre on proclame que cette activité militaire est massive, comme si on l’avait exactement mesurée et identifiée.

Ainsi peut-on déterminer la faiblesse de l’exposé de Breedlove, en ceci que son affirmation que la narrative est une arme de communication est une déclaration unilatérale. Effectivement, comme on l’a vu plus haut, les Russes n'ont jamais accepté cette définition et cette conception, affirmant qu’ils rendaient compte de la réalité des choses en affirmant n’être pas intervenus en unités régulières dans le Donbass, et donc affirmant de facto qu’il existait bien une “vérité de la situation”. Breedlove, lui, officialise le montage et l’usage de la narrative, impliquant que le côté US/BAO considère cette “arme” et l’utilise effectivement, ce qu’il montre et démontre a contrario et involontairement par le passage qui suit. A cet égard, on peut conclure que les élites-Système du bloc BAO, d’une façon ou d’une autre, sont emprisonnées au déteminisme-narrativiste de deux façons : d'une part au niveau du contenu des narrative qu’elles développent en se faisant croire à elles-mêmes qu’elles les contrôlent (aspect “technique” de cette “‘arme de guerre”), mais en croyant le plus souvent, ou en étant obligées de croire à leur contenu, et ainsi conduites à justifier de ce contenu jusqu’au terme de la logique ; d'autre part, au niveau de la méthodologie, par cette façon exposée par Breedlove de donner à la narrative un statut majeur dans la “guerre hybride” alors qu’elle n’y figure pas précisément dans l’arsenal russe. C’est, par un curieux raccourci, affirmer la réalité sinon la vérité d’une technique dont on explique par ailleurs qu’elle est toute entière bâtie sur la manipulation, le simulacre et le mensonge, – le très puissant, le surpuissant mensonge, comme arme-Système, auquel Breedlove rend un très étrange hommage en parlant de «...the speed and the power of a lie». On conviendra que cette extrême complication, ou cette extrême sophistication d’une pensée évidemment sophiste dans le sens très péjoratif du mot, rend particulièrement difficile, après les avoir perdues, d’espérer retrouver un jour une “vérité de situation”, sinon la réalité elle-même. C’est là la fondamentale et mortelle faiblesse du bloc BAO, enchaîné au Système et à sa politique de déstructuration et de dissolution, – ici poussée à l’extrême, déstructuration et dissolution de la réalité, alors que le champ d’action continue à être une crise ukrainienne bien réelle, elle...

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