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samedi, 24 octobre 2015

Modernisme et totalitarisme

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Modernisme et totalitarisme

Bernard Plouvier
Ex: http://metamag.fr
 

Tous les esprits obsessionnels et/ou enthousiastes (l’un ne va pas forcément de pair avec l’autre) sont d’essence manichéenne. Ils se différentient très fortement de ceux qui ne partagent pas leur conviction, intensément vécue, assimilée à La Vérité. La distinction entre « eux » et « nous » tourne très facilement à l’alternative « eux » ou « nous ». C’est l’essence même du phénomène totalitaire, vieux comme l’humanité, infiniment plus répandu qu’on ne le croit.    Tout le monde l’aura compris : le suffixe « - isme » indique l’exposé d’une doctrine, qu’elle soit d’inspiration (ou « d’essence ») religieuse, politique, scientifique ou artistique.


A – Le Totalitarisme n’a rien de spécifiquement moderne ! 


C’est, par définition, un État où le détenteur de l’autorité exige l’obéissance absolue de ses ouailles, en « totalité », c’est-à-dire non seulement dans leur corps (travail, service armé, participation à la vie sociale), mais aussi de leur esprit (par une idéologie officielle imposée au peuple sous la forme d’une pensée unique)… voire de leur « âme » pour ceux qui croient en une ou plusieurs divinités. Toutes les théocraties anciennes (soit les civilisations où le monarque était réputé « de droit divin » ou était lui-même souverain pontife du culte officiel) ont été des totalitarismes au même titre que le communisme, le fascisme ou le nazisme, et si les musulmans sunnites parviennent à s’accorder sur la personne d’un nouveau calife, celui-ci deviendra un potentat de droit divin, absolu s’il cumule les fonctions de sultan (chef politico-militaire).


Le totalitarisme est une manière d’envisager la domination des êtres humains. Il est indépendant du type de régime politique : le Pouvoir peut appartenir à un seul homme, dictateur omnipotent, à deux hommes ou à un consortium d’hyper-capitalistes. Il peut être fondé sur une foi, sur le culte de l’État ou de la race, sur un dogme économique et/ou social. 


Le dictateur (si l’on préfère : l’autocrate) dirige lui-même :


- l’Exécutif, soit le pouvoir qui fait respecter les lois et la puissance de l’État : administration, fiscalité, polices généralement nombreuses et très puissantes, armée, prisons, relations étrangères

- le Législatif, en décidant seul des lois, avec ou sans la fiction d’un parlement à sa botte ; il n’existe en totalitarisme moderne qu’un parti unique, ce qui procure au despote des élections sans surprise

- le Judiciaire (même remarque que pour le parlement : des magistrats vautrés devant le maître ou convaincus sincèrement de son génie)

- l’Économie, étatisée, dans le cas du marxisme, ou plus ou moins fermement dirigée, dans les régimes populistes

- la Propagande, soit l’information domestiquée : les médias, qui vont du ministre de l’Information aux « réseaux sociaux », en passant par la presse, la radio, le cinéma et la télévision, les organismes culturels et les « sociétés dépensées », voire un clergé aux ordres ; la jeunesse est l’objet d’un endoctrinement spécifique dans un espoir, assez rarement vérifié, d’assurer la pérennité du régime

- le Spirituel, enfin. C’est un peu plus rare, mais cela fut le cas sous l’Empire romain préchrétien où l’Imperator était aussi Pontifex Maximus et dans les États pontificaux jusqu’en 1871 où le pape était souverain au temporel comme au spirituel. Dans les dictatures communistes, ce pouvoir était soit serf – ce fut le cas, en URSS, sous Staline et successeurs à partir de 1941 – soit hors la loi, au Mexique dans les années 1925-35, ou en Chine maoïste.


Un totalitarisme à deux dirigeants peut exister si le souverain temporel et le souverain spirituel s’entendent. Ce fut le cas, au Japon, des Shogun (maîtres militaires et politiques) et des Mikado (empereurs et chefs du culte shintoïste), jusqu’à la révolte de l’empereur Meïji en 1867, ainsi qu’au Tibet, où coexistaient le pouvoir politico-militaire du Panchen Lama et le pouvoir spirituel et intellectuel du Dalaï Lama jusqu’à l’invasion chinoise de 1950.


Une démocratie, parlementaire ou présidentielle, peut devenir un totalitarisme en cas de guerre : ce fut le cas de la France de 1914 à 1918, des USA et de la Grande-Bretagne durant la Seconde Guerre mondiale (suspension des libertés individuelles ; économie dirigée ; justice sommaire et enfermement des suspects ; information transformée en « bourrage de crânes »).


D’une manière générale, il est difficile d’instaurer un totalitarisme quand le ou les maîtres de l’Économie, des médias et de la politique doivent coexister avec un maître spirituel. On n’y parvient qu’en domestiquant l’un ou l’autre. Ce fut l’origine des querelles médiévales entre les papes et les rois ou empereurs ; la coexistence n’était pacifique que si le pape était faible ou si les rois tremblaient devant l’éventualité d’une excommunication personnelle ou de la mise en interdit du royaume. De nos jours, les chefs spirituels pratiquent généralement une grande souplesse, largement rétribuée, face au vrai pouvoir : l’économique. Notre société mondialiste, dans laquelle tous les médias officiels racontent la même histoire sous des apparences un peu diversifiées, sont des totalitarismes de fait, où seule la fantaisie de l’électeur peut se manifester, à échéances fixes, en hissant à l’apparence du pouvoir le groupe de pantins à la mode du jour, qui ne sera probablement pas celle de la prochaine élection. Que les polichinelles soient de droite, du centre ou de gauche, ils font tous la même politique, quelle que soient leur propagande électorale : tous obéissent aux vrais potentats.


Ceux-ci, qui sont les patrons de l’Économie, subventionnent tous les partis susceptibles d’obtenir une majorité ou de former une coalition gouvernementale. La mondialisation est l’uniformisation de la politique et de l’information dans les États où règne l’économie globale (délocalisations des entreprises et des services vers des régions de bas salaires et de minime protection sociale, sauf pour les productions qui exigent des salariés hautement intellectualisés)… donc États dinosaures marxistes et fantaisistes islamistes exclus. Les maîtres de notre monde monnaient la complaisance des chefs spirituels (ou font déposer les réfractaires : le cas de Benoît XVI, opposé à l’accueil généreux par la Banque vaticane de l’argent mafieux, fera peut-être école). Leur unique souci actuel est représenté par le Net qui demeure difficile à censurer. 


Le risque de cette mondialisation-globalisation est le retour du marxisme, par désarroi de peuples exploités, paresseux et abrutis par la propagande et l’alcoolisme : le marxisme est  « soluble dans l’alcool », on le sait depuis fort longtemps, mais les Occidentaux ne l’ont découvert qu’en 1968. Le cas grec risque, lui aussi, de faire école, où un peuple se refuse à régler ses dettes extérieures, accumulées par un régime de démagogues, conseillés par des requins d’affaires… c’est le commencement, non de la sagesse, mais du populisme.


Les doctes universitaires (presque tous issus de la riche bourgeoisie) qui ont savamment disserté sur le « phénomène totalitaire » sont tous passés à côté de l’essentiel, ayant insisté lourdement sur la répression policière (très inégale, en fait, selon les États) et omis l’enthousiasme populaire, généralement né du charisme du chef de l’État (ce fut évident pour Mussolini, Hitler, Kemal Atatürk ou Perón, voire Mao Tsé-toung). Cet enthousiasme était le meilleur soutien de ces régimes, jusqu’à la déréliction finale, liée à une guerre perdue (fascisme, nazisme), à une catastrophe économique (communisme), à l’intervention massive des services secrets US (pour le Péronisme) ou au retour en force de l’islam, dans son fanatisme premier. Il ne s’agit nullement d’un « délire collectif », mais d’un rêve : bâtir un monde nouveau, fonder de nouvelles relations sociales, redonner vie à un Empire. Ce ne peut être qu’un mouvement de jeunes, non encore désillusionnés !  

 

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B – Le modernisme est une doctrine très floue  


Il est née durant la Grande Guerre (un peu avant pour sa part artistique, qui, seule, fut durable, mais a passé initialement pour accessoire), au contact de l’effarante guerre de matériel, au cours de laquelle l’homme avait perdu sa position d’étalon de mesure. De 1914 à 1918, on fit la guerre avec du « million d’hommes » et des tonnes d’explosifs, avec des chars d’assaut, des avions de combat volant à 100 voire 200 km/h, des sous-marins. Et tout cela parut neuf, provoquant chez les survivants un engouement pour la modernité. 


Le culte de la vitesse et de la masse naquit de façon parallèle à la reconnaissance de la fin de l’efficacité de l’individu (sauf position exceptionnelle, mais même un pilote de chasse, prototype du guerrier solitaire moderne, a besoin d’une énorme logistique pour effectuer ses exploits).


Le modernisme, c’est aller plus vite et plus haut, frapper plus fort, construire davantage, produire plus et différemment, grâce à une rationalisation du travail. Le pétrole et l’électricité – déjà bien utilisés avant 1914 – deviennent des matières premières essentielles, à obtenir en énormes quantités et le moins cher possible, au besoin par des guerres à motif économique. Débute également le règne des produits artificiels, nés du génie chimique. Commence surtout la société de consommation envisagée comme le nec plus ultra (la « course au standing de vie » et au confort pour tous) chez les Nord-Américains et les Occidentaux à leur traîne. C’est l’aspect du modernisme qui est renié par les idéalistes nationalistes qui veulent adapter le monde industriel au culte de l’État, né en France au XVIIe siècle (sous Louis XIV) et rationalisé en Prusse aux XVIIIe (Frédéric II) et XIXe (Fichte, Hegel) siècles… et, pour certains, le culte de la race (nazisme ; mouvements panslave, panarabe, pantouranien, de « la plus grande Asie » etc.). 


Les populistes y ajoutent une idée de justice sociale : minimum de protection sociale (l’application est également prussienne, mais date des années 1880-90, grâce à Bismarck, puis à Guillaume II – pourtant présentés comme des « réactionnaires » par les universitaires, alors qu’ils furent d’assez performants « despotes éclairés »), et meilleurs salaires (ce fut la grande idée de l’entrepreneur populiste des USA Henry Ford, judéophobe acharné jusqu’à ce qu’il fasse sa soumission, en 1926, à la finance omnipotente).


Le modernisme, c’est aussi libérer les êtres de la tutelle du clergé, lorsqu’il est jugé rétrograde, mais ce n’est nullement bafouer la morale universelle, que l’on peut nommer l’éthique : ne pas voler ni violer ; ne pas tuer, sauf cas de légitime défense ; aider et protéger les faibles qui le méritent ; s’occuper de sa famille ; faire honnêtement son travail etc. Le travail féminin entraîne une diminution de la fécondité, un accroissement des divorces et des avortements de complaisance, chez les femmes insatisfaites pour toutes sortes de raisons qui ne sont pas exclusivement d’ordre sexuel ; la psychanalyse, l’une des plaies du XXe siècle, a fait errer un nombre ahurissant de « penseurs » sociaux. Les régimes modernistes vont s’opposer sur ces points, selon qu’ils sont populistes (favorables au boom démographique, donc luttant contre les avortements et limitant les divorces aux seuls cas de force majeure) ou marxistes (très permissifs, voire partisans de « l’amour libre »… 


On peut affirmer, sans trop de risque de se tromper, que le modernisme est la réactualisation, grâce à l’industrie et aux moyens nouveaux de communication des êtres et des idées, du « despotisme éclairé » du siècle (autoproclamé en toute modestie) des Lumières… « Il n’est rien de nouveau sous le soleil », soupirait, trois siècles avant notre ère, le rédacteur de l’Ecclésiaste.

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