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lundi, 15 février 2016

Livre: La haine du monde de Chantal Delsol

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Livre: La haine du monde de Chantal Delsol
 
Directeur de l'Institut Clisthène et doctorant en philosophie politique
Ex: http://www.bvoltaire.fr

9782204108065-56a237361d263.jpg« Éduque- les, si tu peux » : c’est par ces mots de Marc-Aurèle que Chantal Delsol concluait son ouvrage sur le populisme, enjoignant nos gouvernants au respect de l’enracinement, et le peuple à élever prudemment son regard. La Haine du Monde, son dernier essai, poursuit cette réflexion sur la modernité tardive, nous éduquant à notre tour.

En fin de compte, nous dit-elle, le conflit intellectuel que nous traversons oppose les démiurges aux « jardiniers ». Tandis que les premiers espèrent « transfigurer le monde », ces derniers « l’aiment et le cultivent ».

Les démiurges sont les enfants du siècle des Lumières. Ils s’activent pour émanciper l’homme des particularismes – des « emprises », diraient-ils – familiaux, religieux, communautaires, nationaux ou culturels. Ainsi Chantal Delsol pense-t-elle que ces démiurges sont emportés par un désir identique à celui des communistes du XXème siècle. Mais la modernité tardive réussit son « œuvre d’arrachement au monde » là où le communisme avait échoué.

La dérision est en effet aujourd’hui préférée à la terreur. Delsol évoque Sade, qui susurrait déjà aux oreilles des révolutionnaires d’user d’une telle subversion, dans son pamphlet Français, encore un effort pour être républicains (1795). A quoi bon user de balles ou de guillotines quand il suffit de tourner l’ancien monde en ridicule pour mieux l’abattre ? Ainsi notre société est-elle devenue sadique, détruisant ses fondements dans un gigantesque éclat de rire.

Indéniablement, nous aurions tort de penser que la seule récusation de la terreur « suffirait à nous débarrasser des totalitarismes ». La violence prend de nouvelles formes car, à trop arracher l’humanité au monde, nous nous isolons les uns des autres : « l’isolement est la conséquence du refus des particularités ». Privés de nos particularités qui nous constituent, nous n’avons jamais été autant livrés à nous-mêmes.

Certains refusent de le voir et en veulent davantage. Persuadés de leur supériorité, les chantres de l’émancipation croient être – comme ceux des totalitarismes d’hier – un aboutissement. Se plaçant à la fin de l’histoire, ils voudraient maintenant nier le tragique de l’existence humaine. Le trans- ou post-humanisme, « dernière phase de l’émancipation totale à laquelle nous convie la modernité », veut en finir avec la finitude de l’existence. Il est un rêve d’immortalité.

Chantal Delsol ne peut accepter une telle naïveté : « Nous ignorons si [ce monde post-humain] se réalisera ; mais nous savons déjà que même s’il se réalisait, il ne tiendrait pas ses promesses qui sont en réalité des feintes ». Car cette démesure est un u-tupos, une « image sans lieu ».

Ainsi est-ce justement le sens du lieu, donc du particularisme, de la limite et de la mesure, qu’il importe de retrouver. Car « l’homme ne peut devenir singulier et accéder à l’universel que s’il est d’abord et en même temps particulier ». Aussi impatiente qu’arrogante, la modernité tardive, elle, n’est qu’universalisme.

Et, comme souvent, c’est dans les actions simples que nous trouvons la trace d’un absolu : « le jardinier qui travaille sous ma fenêtre ne cherche pas l’efficacité, nous explique Chantal Delsol, mais la fécondité. Il n’est pas un romancier, il n’est pas installé là pour créer un monde, mais pour parfaire celui qu’il a trouvé en arrivant ». Cet essai est une leçon, disions-nous.

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