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vendredi, 19 février 2016

W. B. Yeats : un poète irlandais en politique

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W. B. Yeats : un poète irlandais en politique

Par

Bruno de Cessole

 

Ex: http://www.valeursactuelles.com (archives: 2011)

 
La poétique et le politique peuvent nouer une liaison, rarement conclure un mariage. Tôt ou tard cet engagement du poète dans les affaires de la Cité se délie, et l’« homme des Muses », comme aimait à dire Jünger, se retranche du temporel pour regagner sa solitude élective.

Chateaubriand, Lamartine, D’Annunzio, Thomas Mann, Tommaso Marinetti, Ezra Pound, Louis Aragon, André Malraux, Mario Varga Llosa et quelques autres en témoignent, dont l’engagement se solda par la désillusion. Du moins ont-ils, quelque temps, insufflé un peu de hauteur à la trivialité de la politique au jour le jour, et élargi l’horizon de la “gouvernance”.

Parmi ces artistes engagés ou fourvoyés, le cas de William Butler Yeats, étudié avec finesse et pénétration par cet éminent connaisseur de l’Irlande qu’est Pierre Joannon, se révèle exemplaire. Quand, en 1923, l’académie suédoise décerna à Yeats le prix Nobel de littérature, les jurés étaient conscients que leur choix était autant politique que littéraire. En couronnant le poète, ils entendaient célé­brer l’hom­me qui avait tenu la gageure de conserver son contact avec le peuple tout en pratiquant l’art le plus aristocratique qui soit, et d’avoir été l’interprète d’un pays qui « attendait, depuis longtemps en silence quelqu’un pour lui prêter une voix ». L’éveilleur d’une nation. Comme le reconnut un homme politique irlandais : « Sans Yeats, il n’y aurait pas eu d’État libre d’Irlande. »

Pourtant, W. B. Yeats ne fut ni un doctrinaire, ni un homme d’action – en dépit des huit années qu’il consacra aux affaires comme sénateur – mais avant tout un poète, et le fondateur de la renaissance littéraire irlandaise. Pierre Joannon le souligne avec force : il est impossible de figer en système de pensée cohérent les idées fluctuantes de l’écrivain, dont le principe de contradiction était au cœur de l’œuvre : « Je crois, écrivait-il, que tout bonheur dépend de l’énergie qu’il faut pour prendre le masque de quelque autre moi, que toute vie joyeuse et créatrice implique qu’on renaisse comme quelque chose qui n’est pas soi, quelque chose qui n’a pas de mémoire et qui est créé en un instant pour être perpétuellement renouvelé. » Au vrai, que de masques contradictoires il porta tour à tour ou simultanément : « Conservateur révolutionnaire, Anglo-Irlandais converti au celtisme, adorateur des dieux et des héros de l’antique Hibernie et sectateur de l’Irlande coloniale du XVIIIe siècle, anglophobe pétri d’influence anglaise, sénateur de l’État libre titulaire d’une pension du gouvernement britannique, libéral antidémocrate séduit par l’autoritarisme. Autant de professions de foi en forme d’oxymores. »

Avec pertinence, Pierre Joannon balaie l’accusation de fascisme au nom de laquelle quelques détracteurs tentèrent de le discréditer, en raison de la sympathie momentanée qu’il eut pour le mouvement des “chemises bleues” du général O’Duffy. Nourri de Berkeley, de Swift et de Burke autant que de Vico, de Nietzsche et de Spengler, Yeats, certes antidémocrate et antiégalitaire, était d’abord un individualiste irréductible, tenant d’un libéralisme aristocratique que professèrent également ses contemporains comme Paul Valéry et Fernando Pessoa. Et qui revendiqua haut et fort : « L’orgueil de ceux qui ne se lièrent/Jamais à nulle cause, à nul État/Ni aux esclaves méprisés,/Ni aux tyrans méprisants. »   Bruno de Cessole           

Un poète dans la tourmente, de Pierre Joannon, Terre de Brume, 134 pages, 14,50 euros.

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