Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 15 décembre 2017

Bonne nouvelle: les "archiveseroe" réactivées !

Une bonne nouvelle: le site 

http://www.archiveseroe.eu

vient d'être réactivé ! Vous disposez à nouveau d'une documentation exceptionnelle ! Profitez-en !

eemanspélerin.jpg

L'Allemagne, la France et l'Eurasie

eurasie-relief-et-milieux-natur.jpg

L'Allemagne, la France et l'Eurasie

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Dans une Allemagne ou Angela Merkel semble avoir perdu sa capacité à rassembler les différents partis politiques, il est intéressant de constater la montée en influence de Sigmar Gabriel, actuel ministre des Affaires Etrangères et membre influent du SPD, Parti social-démocrate (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Sigmar_Gabriel).

Ceci est d'autant plus important que Sigmar Gabriel défend des perspectives très intéressantes dans le domaine international. Elles concernent tout autant la France que l'Allemagne. Ainsi, dans un discours-programme sur la politique étrangère, le 5 décembre, il paru prendre acte de la perte d'influence des Etats-Unis en Europe. Mais loin de la regretter, il s'est est quasiment réjoui. Il y voit une occasion pour l'Allemagne de réaffirmer ses ambitions géopolitiques. Il parlait devant des diplomates et experts de haut rang rassemblés dans le cadre du Forum Berlinois sur la politique étrangère organisé par l'influente Fondation Körber 1).

Certains pourraient craindre en France que le concept de Grande Allemagne qui était sous-jacent à son discours corresponde à celui d'Europe allemande. En effet, pour lui, il n'est pas question d'envisager d'une façon ou d'une autre le retrait de l'Union européenne. Cependant, même s'il ne l'a pas dit, obligé à la réserve diplomatique, il considère que l'Allemagne n'a rien à gagner dans l'Europe actuelle, largement au service des intérêts américains, tant économiques omni-présents à Bruxelles que politico-militaires fondamentalement anti-russes au sein de l'Otan.

Par contre, si l'on peut dire les choses d'une façon un peu brutale que Sigmar Gabriel ne voudrait certainement exprimer officiellement, il ambitionne une Europe franco-allemande, ou plutôt alémano-française. Avec réalisme, il admet que si l'Allemagne dispose d'une puissance économique et financière infiniment supérieure à celle de la France, celle-ci aura longtemps, car ces choses ne s'improvisent pas, la supériorité d'une force armée polyvalente, de solides industries de défense et de capacités de déploiement incomparables dans un certain nombre de théâtres mondiaux.

On peut penser qu'aujourd'hui Emmanuel Macron, par divers qualités que nous n'examineront pas ici, est beaucoup plus rassurant pour l'Allemagne que ses prédécesseurs. Macron lui-même avait déjà montré son attrait pour une Europe franco-allemande, mais le moins que l'on puisse dire est qu'Angela Merkel ne l'avait pas encouragé dans cette voie. Les ouvertures d'un Sigmar Gabriel, même si celui-ci ne dispose encore que de pouvoirs limités au sein de l'actuelle ou de la future Grande Coalition, ne pourront que l'intéresser.

Une stratégie eurasiatique

Au plan international, Sigmar Gabriel, dans son discours, s'est radicalement démarqué de ce que l'on pourrait appeler la stratégie américaine de ses prédécesseurs, visant à faire de l'Allemagne le meilleure élève d'une classe européenne dont Washington resterait toujours le magister. Il a expliqué, pour la première fois en Allemagne, dans une instance aussi influente que le Forum Berlinois, qu'il portait un intérêt considérable au grand projet de la Chine, dont nous avons souvent discuté ici, relatif à l'OBOR, “One Belt One Road” ou “nouvelle Route de la Soie”). Il y voit une initiative très prometteuse pour intégrer les politiques économiques, géopolitiques et géostratégiques des nombreux pays qui seront ainsi reliés.

Certes la Chine, responsable de l'initiative, entend en rester le moteur, mais en aucun cas elle ne paraît viser à le faire à son seul profit, non plus qu'à celui de la Russie, son alliée indéfectible. Il a expliqué que «  Nous, en Occident, pourrions être à juste titre critiqués pour n'avoir conçu aucune stratégie comparable ». Il semble y voir, non seulement pour l'Allemagne, mais pour une Europe alémano-française, une occasion irremplaçable permettant de s'intégrer à la construction d'un grand ensemble eurasiatique en gestation. Celui-ci deviendrait sans discussions la première puissance mondiale à tous égards – peut-être la seule puissance capable d'assurer la survie du monde face aux multiples crises qui se préparent.

Il serait inadmissible que la France ne voit pas les enjeux et tarde encore, comme elle le fait actuellement, à rejoindre le grand ensemble eurasiatique qui se mettra d'autant plus vite en place qu'une Allemagne sous la direction d'un Sigmar Gabriel, déciderait sans attendre d'en exploiter les opportunités.

1) Voir
* https://www.deutschland.de/fr/topic/politique/forum-berli...
* https://www.koerber-stiftung.de/en/berlin-foreign-policy-...

Allemagne, le début d’une crise de régime

endeD1.png

Carnets d’outre Rhin:

Allemagne, le début d’une crise de régime

Olivier Tisier ♦
Correspondant de Métamag à Berlin

Ex: http://metamag.fr

La coalition jamaïque a fait du reggae

Après une énième tentative avortée de coalition jamaïcaine, les membres du FDP, le parti libéral qui avait été revigoré par on ne sait quel miracle, ont choisi de se retirer. Cela fut fortement critiqué par les Verts (les Grünen) qui ne voyaient, pour leur part, aucune raison de quitter les négociations puisque leur directeur Cem Özdemir estime que la démocratie naît du compromis. Cela peut sembler dépassé mais pour lui, l’interêt de l’Allemagne doit passer avant les querelles de partis. Le chef du FDP, Christian Linder a déclaré, au contraire, qu’ils n’abandonneraient pas les électeurs de son parti en participant à une coalition contraire à ses valeurs. Il a ajouté qu’il valait mieux ne pas gouverner que de gouverner mal.

jamaika-buendnis.jpg

Ainsi, après des semaines de tractations, rien n’est finalement sorti de ces échanges sauf des conflits et de fausses promesses. Il faut dire que le principal thème du désaccord portait sur l’immigration. La plupart des membres de ce qui aurait été la future coalition aurait voulu la réduire. Le FDP parle d’une fenêtre maximale de 150 000 à 250 000 personnes, la CDU de 200 000 tandis que les Verts se refusaient à tout quota qu’ils jugent inacceptable. La dispute a porté aussi sur le regroupement familial. Les Grünen voudraient que chaque réfugié ayant un statut de protection même subsidiaire puisse en bénéficier alors que la CDU et la CSU en particulier y sont totalement opposés.

Désaccord aussi sur le concept de pays d’origine validé. Le FDP veut instaurer un quota maximum de 5% d’immigrés issus du Maghreb. Les Grünen y sont naturellement totalement opposés.

Et Angela Merkel dans tout cela? La chancelière est très déçue de l’arrêt des négociations. Elle déclare vouloir faire tout ce qui est en son pouvoir pour que le pays continue à être bien gouverné. Seulement les Allemands, peuple pragmatique s’il en est, se rendent bien compte que la CDU et la CSU sont conjointement responsables de cette crise de régime en ayant voulu créer une coalition de chimères. Merkel devrait au cours du mois de décembre s’entretenir avec le président Frank Walter Steinmeier.

Que risque-t-il donc se passer ? Un gouvernement ne possédant pas une majorité serait bien trop affaibli pour gouverner, aussi l’Allemagne repassera-t-elle sans doute par la case ”élections”. Rappelons que le SPD, grand absent, avait depuis les résultats des dernières élections décliné fermement toute possibilité de Groko, c’est à dire de GrosseKoalition.

Un professeur d’université dans la tourmente

L’université de Leipzig évalue les poursuites juridiques possibles à l’encontre d’un professeur. Il est en effet reproché au professeur de droit Thomas Rauscher d’être raciste. La direction de l’université a déclaré promouvoir un monde ouvert et être totalement opposée aux idéologies intolérantes et xénophobes. Le professeur Rauscher avait tweeté : «Nous ne devons rien aux Africains et aux Arabes. Ils ont détruit leur propre continent par la corruption, la paresse, les conflits ethniques et religieux et maintenant nous prennent ce que nous avons bâti avec efforts ».

rauscher.jpg

Rauscher a, de plus, commenté la manifestation d’indépendance à Varsovie en ces termes: « Une Europe blanche de nations frères, c’est pour moi un but merveilleux ».On imagine mal en France ce que fut d’ailleurs cette journée de l’indépendance du 11 novembre à Varsovie dont on n’a pas parlé dans l’hexagone sauf pour dire que c’était une manifestation de l’extrême droite polonaise alors que dans la capitale polonaise, ce fut carrément grandiose : le rassemblement d’une population unie dans un nationalisme réel. Chacun avait son brassard blanc et rouge, les drapeaux étaient fièrement brandis. On sentait alors à Varsovie que le peuple polonais en avait bavé de vivre sous le joug russe et qu’il chérit ainsi plus que tout et avec amour l’indépendance de sa patrie. Mais revenons à Leipzig, où la ministre des Sciences (SPD), Eva Maria Stange a critiqué les idées xénophobes du professeur Rauscher. La responsable du cycle secondaire de l’enseignement, affiliée aux Verts, Claudia Maicher a indiqué que la réaction de l’université était nécessaire et fondée. Encore une fois dans les hautes sphères de l’enseignement, que l’on soit en France ou en Allemagne, on trouve des femmes de gauche, c’est disons classique. On trouve aussi parfois des hommes c’est vrai, enfin des hommes d’un certain type, c’est plus original ! L’association des étudiants socio-démocrates se sont en tout cas empressés de perturber le cours du professeur sous le slogan original « Rauscher dégage ». Ils ont aussi projeté ses tweets sur le mur de la salle d’amphi. Le professeur leur a demandé de ne plus perturber son cours et a critiqué « leurs méthodes de nazi ».

Entre temps, il avait supprimé son compte tweeter. Ce professeur de droit originaire de Franconie enseignait depuis le milieu des années 90 à Leipzig. Il était aussi directeur de l’institut pour les procédures de droit privé européennes ainsi que professeur de droit privé. En fait, cet universitaire représente un certain type d’allemand de plus de 40 ans qui sent que le pays qu’il a connu est en train de partir à volo. Une bonne partie de cette génération ne bronche pas et se console en faisant des voyages à Majorque ou en roulant dans des Mercedes rutilantes. Mais le fait que cette affaire se passe dans l’ancienne Allemagne de l’Est ne nous surprendra pas car les gens y sont plus attachés à leur identité que dans le reste du pays.

Des milliers de suppressions d’emplois annoncés chez Siemens

A Berlin, les employés, le conseil d’entreprise et les syndicats ont protesté contre l’annonce de milliers de licenciements chez Siemens. Déjà, l’annonce du plan avait donné lieu à des manifestations à Leipzig. Siemens souhaite supprimer pour des raisons de changement structurel mondial, 6 900 emplois dans la production. D’après Janina Kugel du comité de direction, c’est le seul moyen pour Siemens de conserver ses parts de marché face à la concurrence. C’est l’ère du capitalisme le plus sauvage, des banksters et ce genre d’événements ne vont hélas que s’amplifier dans l’avenir. A moins de revenir vers un protectionnisme national.

Erlangen_Himbeerpalast_001.JPG

Ces licenciements concernent plusieurs sites allemands. Les turbines de Görlitzet Leipzig avec 920 suppressions et le site de Erfurt qui sera vraisemblablement vendu. A Berlin, ce sont 870 emplois qui sont concernés. Les sites d’Erlangen et Offenbach devrait être fusionnés. Mülheim dans la Ruhr devrait perdre 640 employés. IG Metall promet de se battre pour chaque emploi. D’après les mots de son représentant qui est aussi membre du conseil de surveillance de Siemens, Jürgen Kernen: «Un plan social d’une telle importance est au regard de la situation globale de l’entreprise absolument inacceptable mais seul compte pour le capitalisme l’augmentation du profit ».

En effet la semaine précédant ces annonces, le PDG de Siemens Joe Kaeser avait présenté le bilan annuel en indiquant que cette année avait été particulièrement bonne. Et c’est presque au même moment que ce dernier s’apprête à jeter dehors quantité de ses salariés. On peut ainsi comprendre le dégoût et la colère des ouvriers. La présidente du conseil d’entreprise  Birgit Steinborn a elle aussi ajouté que ce plan était un coup bas porté aux employés de Siemens. Les représentants du personnel voient aussi dans ces suppressions de postes une trahison du pacte conclu en 2010 concernant la garantie de l’emploi. Mais les promesses, même les garanties sociales des pactes de « flexibilité » ou des ordonnances de « flexi-sécurité » n’engagent à Berlin comme à Paris que ceux qui y croient.

L’ultime vestige du Saint-Empire romain germanique

Le 6 août 1806, sur un ultimatum de Napoléon Ier, l’empereur François II de Habsbourg signait la dissolution du Saint-Empire romain germanique, proclamait l’Empire d’Autriche et prenait le nom de François Ier. Cette décision forcée mettait un terme définitif aux 1 200 – 1 300 entités souveraines de cette étonnante structure géopolitique mitteleuropéenne.

Pourtant, deux cent onze ans plus tard demeure en plein cœur des Alpes entre Suisse et Autriche son dernier vestige : la principauté de Liechtenstein. Ce territoire de 160 km² et de 37 000 habitants, dont la capitale est Vaduz, est surtout connu des Français pour être un ancien « paradis fiscal ». En union économique et douanière avec la Confédération helvétique, cette principauté a rejoint l’ONU en 1990 et participe à l’Association européenne de libre-échange, à l’Espace économique européen ainsi qu’à l’espace Schengen. Le Conseil de l’Europe la surveille néanmoins avec une très grande attention, car les canons de la démocratie oligarchique et ploutocratique n’y sont pas appliqués.

Dans La doctrine anarcho-royaliste (2017, 395 p., 9,90 €), Rodolphe Crevelle, principal responsable du Lys Noir, encense la principauté traitée de « Cuba anarcho-royaliste ». La famille princière a donné son nom au pays si bien que son chef est prince de et à Liechtenstein. La titulature n’est pas anodine. Au début des années 2000, Son Altesse Sérénissime Hans-Adam II fit adopter par référendum une révision constitutionnelle lui accordant de larges prérogatives exécutives, quitte à froisser Montesquieu et son équilibre imbécile des pouvoirs. Avec Monaco, le Liechtenstein est le dernier État d’Europe où le souverain règne et gouverne. Afin de bien montrer aux parlementaires du Landtag qu’il est plus démocrate qu’eux, le prince régnant permet aussi des procédures de démocratie directe et le recours au référendum.

liechtenstein-sf.gif

La situation politique n’est depuis plus figée dans un bipartisme stérile et convenu. Les conservateurs du Parti progressiste des citoyens (35,2 % aux législatives de cette année) et les démocrates chrétiens de l’Union patriotique (33,7 %) qui alternent au gouvernement, ont vu l’apparition de la Liste libre, fondée en 1985, d’obédience sociale-démocrate – écologiste (12,6 %), et, en 2013, des Indépendants (18,4 %) au programme très flou, parfois qualifié de « populiste », voire « libertarien ». Si l’un des premiers élus est un mécanicien travesti, dès 2015, les Indépendants se sont élevés contre les quotas de « migrants » imposés par Bruxelles.

Le gouvernement princier a en effet fait accueillir quelques dizaines de clandestins extra-européens. Il faut reconnaître que l’accueil des réfugiés est une habitude locale. Le Liechtenstein était cher au cœur d’Alexandre Soljenitsyne. Le célèbre dissident soviétique n’oublia jamais qu’en 1945, la principauté accepta la présence de quelque 500 soldats de la 1re Armée nationale russe qui venaient de combattre les Soviétiques aux côtés des forces allemandes. Malgré les pressions diplomatiques formidables des Alliés occidentaux et de Moscou, Vaduz ne céda jamais, refusa de livrer ces Russes blancs au NKVD et tint tête à l’URSS de Joseph Staline. Cet épisode méconnu fit l’objet en 1993 d’un film de Robert Enrico, Vent d’Est.

Ce bel exemple montre que la fermeté de caractère constitue la base déterminante de toute véritable souveraineté politique.

Bonjour chez vous !

Cette chronique hebdomadaire du Village planétaire a été diffusée sur Radio Libertés le 8 décembre 2017.

Allan Bloom et la déconstruction de la civilisation occidentale

bloom.jpg

Allan Bloom et la déconstruction de la civilisation occidentale

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

En 1986 Allan Bloom publiait un livre retentissant, The closing of american mind dont le titre fut absurdement traduit en français. Cet auguste platonicien plagié peu après par Alain Finkielkraut dressait l’état des lieux de la barbarie universitaire américaine qui depuis lors a gagné la France et l’Europe, et ne s’arrêtera que lorsqu’elle aura tout dévoré. Minorités sexuelles et raciales en bisbille, relativisme moral, délire de société ouverte, interdiction d’interdire, chasse aux préjugés, abrutissement sonore et consumériste, règlementation orwellienne du droit et du langage, tout était fin prêt. Le professeur Bloom écrivait pour une minorité éclairée, reliquat de temps plus cultivés, chassée depuis par le business et les archontes du politiquement correct.

ame_desarmee_1.jpegL’ouvrage est essentiel car depuis le délire a débordé des campus et gagné la société occidentale toute entière. En même temps qu’elle déboulonne les statues, remet en cause le sexe de Dieu et diabolise notre héritage littéraire et culturel, cette société intégriste-sociétale donc menace le monde libre russe, chinois ou musulman (je ne pense pas à Riyad…) qui contrevient à son alacrité intellectuelle. Produit d’un nihilisme néo-nietzschéen, de l’égalitarisme démocratique et aussi de l’ennui des routines intellos (Bloom explique qu’on voulait « débloquer des préjugés, « trouver du nouveau »), la pensée politiquement correcte va tout dévaster comme un feu de forêt de Stockholm à Barcelone et de Londres à Berlin. On va dissoudre les nations et la famille (ou ce qu’il en reste), réduire le monde en cendres au nom du politiquement correct avant d’accueillir dans les larmes un bon milliard de réfugiés. Bloom pointe notre lâcheté dans tout ce processus, celle des responsables et l’indifférence de la masse comme toujours.

Je ne peux que renvoyer mes lecteurs à ce maître-ouvrage qui satisfera autant les antisystèmes de droite que de gauche. J’en délivre juste quelques extraits que je reprends de l’anglais :

• Sur l’éducation civique et les pères fondateurs, dont on déboulonne depuis les statues :

« L'éducation civique s'est détournée de la fondation du pays pour se concentrer sur une ouverture fondée sur l'histoire et les sciences sociales. Il y avait même une tendance générale à démystifier la Fondation, à prouver que les débuts étaient défectueux afin de permettre une plus grande ouverture à la nouveauté. »

Les pères fondateurs ? Racistes, fascistes, machistes, esclavagistes ! Lisez mon texte sur Butler Shaffer à ce sujet : Hitler est plus populaire que Jefferson.

• Sur la chasse à la discrimination et la tabula rasa intellectuelle qui en découle :

« L'indiscriminabilité est donc un impératif moral parce que son contraire est la discrimination. Cette folie signifie que les hommes ne sont pas autorisés à rechercher le bien humain naturel et à l'admirer lorsqu'ils l’ont trouvé, car une telle découverte est contemporaine de la découverte du mal et du mépris à son égard. L'instinct et l'intellect doivent être supprimés par l'éducation. L'âme naturelle doit être remplacée par une âme artificielle. »

• Sur l’ouverture, l’openness, la société ouverte façon Soros,  Allan Bloom écrit :

« L'ouverture visait à offrir une place respectable à ces «groupes» ou «minorités» - pour arracher le respect à ceux qui n'étaient pas disposés à le faire - et à affaiblir le sentiment de supériorité de la majorité dominante (plus récemment appelée WASP, un nom dont le succès montre quelque chose du succès de la sociologie dans la réinterprétation de la conscience nationale). Cette majorité dominante a donné au pays une culture dominante avec ses traditions, sa littérature, ses goûts, sa prétention particulière de connaître et de superviser la langue, et ses religions protestantes. Une grande partie de la machinerie intellectuelle de la pensée politique et des sciences sociales américaines du vingtième siècle a été construite dans le but d'attaquer cette majorité. »

De tout cela il ne reste plus rien maintenant. La société ouverte rejoint la société du vide de Lipovetsky, elle est plus exactement du néant où l’on a tout interdit puisqu’il sera interdit… d’interdire.

Sur le nouveau complexe d’infériorité occidental et l’obsession tiers-mondiste :

« Les aventuriers sexuels comme Margaret Mead et d'autres qui ont trouvé l'Amérique trop étroite nous ont dit que non seulement nous devons connaître d'autres cultures et apprendre à les respecter, mais nous pourrions aussi en tirer profit. Nous pourrions suivre leur exemple et nous détendre, nous libérer de l'idée que nos tabous ne sont rien d'autre que des contraintes sociales. »

En tant que Français je reconnais d’ailleurs qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Relisez Diderot et son voyage de Bougainville… La France dite révolutionnaire n’avait pas attendu les nietzschéens et les pions postmodernes pour ravager son héritage de tyrans, prêtres et autres félons…

Le tout ne débouche pas forcément sur une destruction physique du monde (encore que…), mais sur une nullité généralisée (voyez l’art, nos prix littéraires ou notre cinéma). Allan Bloom souligne la fin de l’humanisme estudiantin et l’avènement de l’abrutissement estudiantin. Sur le premier :

« Tout au contraire. Il y a une indifférence à ces choses, car le relativisme a éteint le véritable motif de l'éducation, la recherche d'une vie bonne. Les jeunes Américains ont de moins en moins de connaissance et d'intérêt pour les lieux étrangers. Dans le passé, il y avait beaucoup d'étudiants qui connaissaient et aimaient l'Angleterre, la France, l'Allemagne ou l'Italie, car ils rêvaient d'y vivre ou pensaient que leur vie serait rendue plus intéressante en assimilant leurs langues et leurs littératures. »

bloomplato.jpgTout cela évoque Henry James mais aussi Hemingway, Gertrude Stein, Scott Fitzgerald, à qui Woody Allen rendait un rare hommage dans son film Minuit à Paris – qui plut à tout le monde, car on remontait à une époque culturelle brillante, non fliquée, censurée. Cette soi-disant « génération perdue » des couillons de la presse n’avait rien à voir avec la nôtre – avec la mienne.

Sur l’étudiant postmoderne, avec son truisme tiers-mondiste/migrant façon Bergoglio :

« Ces étudiants ont presque disparu, remplacés tout au plus par des étudiants intéressés par les problèmes politiques des pays du tiers monde et en les aidant à se moderniser, dans le respect de leurs anciennes cultures, bien sûr. Ce n'est pas apprendre des autres mais la condescendance et une forme déguisée d'un nouvel impérialisme. C'est la mentalité du Peace Corps, qui n'est pas un stimulant à l'apprentissage mais une version sécularisée de faire de bonnes œuvres. »

On sait que c’est cette mentalité de Peace corps qui a ensanglanté la Libye, la Syrie ou le Yémen, en attendant l’Europe.

Ce qui en résulte ? Moralité, relativisme culturel et je-m’en-foutisme intégral (« foutage de gueule, dirait notre rare idole incorrecte OSS 117) :

« Pratiquement tout ce que les jeunes Américains ont aujourd'hui est une conscience inconsistante qu'il y a beaucoup de cultures, accompagnées d'une morale saccharine tirée de cette conscience : nous devrions tous nous entendre. Pourquoi se battre? »

Le bilan pour les étudiants conscients est désastreux, et qu’il est dur de se sentir étrangers en ce monde. Je rappelle que Tolkien écrira dans une lettre en 1972 :

 “I feel like a lost survivor into a new alien world after the real world has passed away.”

Allan Bloom  ajoute sur cette montée du cynisme et de l’indifférence que j’ai bien connue dans les années 80 :

« Les étudiants arrivent maintenant à l'université ignorants, cyniques au sujet de notre héritage politique, manquant des moyens d'être soit inspiré par lui ou sérieusement critique de lui. »

La chasse aux préjugés horripile Allan Bloom :

« Quand j'étais jeune professeur à Cornell, j'ai eu un débat sur l'éducation avec un professeur de psychologie. Il a dit que c'était sa fonction de se débarrasser des préjugés chez ses étudiants. Il les a abattus. J'ai commencé à me demander par quoi il remplaçait ces préjugés. »

Allan Bloom fait même l’éloge des préjugés au nez et à la barbe des présidents banquiers, des ministresses branchées, des députés européens, des lobbyistes sociétaux, des prélats décoincés :

« Les préjugés, les préjugés forts, sont des visions sur la façon dont les choses sont. Ce sont des divinations de l'ordre de l'ensemble des choses, et par conséquent le chemin de la connaissance se produit à travers des opinions erronées. L'erreur est en effet notre ennemi, mais elle seule indique la vérité et mérite donc notre traitement respectueux. L'esprit qui n'a pas de préjugés au départ est vide. »

On en reste au vide…

Bilan des libérations de tout genre :

« Les diverses libérations gaspillaient cette énergie et cette tension merveilleuses, laissant les âmes des étudiants épuisées et flasques, capables de calculer, mais pas de perspicacité passionnée. »

Car le bonhomme de neige, comme on disait quand je passais mon bac, croit être revenu de tout, qui n’est allé nulle part. Cela ne l’empêchera pas de demander sa guerre contre la Russie orthodoxe, la Chine nationaliste, ou l’Iran intégriste. Car sa régression stratégique et intellectuelle aura accompagné sa cruauté humanitaire et son involution moraliste.

Bloom enfin a compris l’usage ad nauseam qu’on fera de la référence hitlérienne : tout est décrété raciste, fasciste, nazi, sexiste dans les campus US dès 1960, secrétaires du rectorat y compris ! Mais lui reprenant Marx ajoute que ce qui passe en 1960 n’est ni plus ni moins une répétition comique du modèle tragique de 1933. Les juristes nazis comme Carl Schmitt décrétaient juive la science qui ne leur convenait pas comme aujourd’hui on la décrète blanche ou sexiste.

Citons Marx d’ailleurs car Bloom dit qu’on l’a bien oublié à notre époque de juges postmodernes :

« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »

On verra si on garde le ton de la farce. Moi je doute : on est trop cons.

Sources

Allan Bloom – The closing of American mind

Nicolas Bonnal – La culture moderne comme arme de destruction massive ; Comment les Français sont morts (Amazon.fr)

Alain Finkielkraut – La défaite de la pensée

Gilles Lipovetsky – L’ère du vide

Marx – Le dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte

Nietzsche – Deuxième considération inactuelle, de  l’inconvénient des études historiques…

Platon – Livre VIII de la république (561 d-e)

Tocqueville – De la démocratie en Amérique, II, deuxième et quatrième partie