Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 15 décembre 2017

L’ultime vestige du Saint-Empire romain germanique

Le 6 août 1806, sur un ultimatum de Napoléon Ier, l’empereur François II de Habsbourg signait la dissolution du Saint-Empire romain germanique, proclamait l’Empire d’Autriche et prenait le nom de François Ier. Cette décision forcée mettait un terme définitif aux 1 200 – 1 300 entités souveraines de cette étonnante structure géopolitique mitteleuropéenne.

Pourtant, deux cent onze ans plus tard demeure en plein cœur des Alpes entre Suisse et Autriche son dernier vestige : la principauté de Liechtenstein. Ce territoire de 160 km² et de 37 000 habitants, dont la capitale est Vaduz, est surtout connu des Français pour être un ancien « paradis fiscal ». En union économique et douanière avec la Confédération helvétique, cette principauté a rejoint l’ONU en 1990 et participe à l’Association européenne de libre-échange, à l’Espace économique européen ainsi qu’à l’espace Schengen. Le Conseil de l’Europe la surveille néanmoins avec une très grande attention, car les canons de la démocratie oligarchique et ploutocratique n’y sont pas appliqués.

Dans La doctrine anarcho-royaliste (2017, 395 p., 9,90 €), Rodolphe Crevelle, principal responsable du Lys Noir, encense la principauté traitée de « Cuba anarcho-royaliste ». La famille princière a donné son nom au pays si bien que son chef est prince de et à Liechtenstein. La titulature n’est pas anodine. Au début des années 2000, Son Altesse Sérénissime Hans-Adam II fit adopter par référendum une révision constitutionnelle lui accordant de larges prérogatives exécutives, quitte à froisser Montesquieu et son équilibre imbécile des pouvoirs. Avec Monaco, le Liechtenstein est le dernier État d’Europe où le souverain règne et gouverne. Afin de bien montrer aux parlementaires du Landtag qu’il est plus démocrate qu’eux, le prince régnant permet aussi des procédures de démocratie directe et le recours au référendum.

liechtenstein-sf.gif

La situation politique n’est depuis plus figée dans un bipartisme stérile et convenu. Les conservateurs du Parti progressiste des citoyens (35,2 % aux législatives de cette année) et les démocrates chrétiens de l’Union patriotique (33,7 %) qui alternent au gouvernement, ont vu l’apparition de la Liste libre, fondée en 1985, d’obédience sociale-démocrate – écologiste (12,6 %), et, en 2013, des Indépendants (18,4 %) au programme très flou, parfois qualifié de « populiste », voire « libertarien ». Si l’un des premiers élus est un mécanicien travesti, dès 2015, les Indépendants se sont élevés contre les quotas de « migrants » imposés par Bruxelles.

Le gouvernement princier a en effet fait accueillir quelques dizaines de clandestins extra-européens. Il faut reconnaître que l’accueil des réfugiés est une habitude locale. Le Liechtenstein était cher au cœur d’Alexandre Soljenitsyne. Le célèbre dissident soviétique n’oublia jamais qu’en 1945, la principauté accepta la présence de quelque 500 soldats de la 1re Armée nationale russe qui venaient de combattre les Soviétiques aux côtés des forces allemandes. Malgré les pressions diplomatiques formidables des Alliés occidentaux et de Moscou, Vaduz ne céda jamais, refusa de livrer ces Russes blancs au NKVD et tint tête à l’URSS de Joseph Staline. Cet épisode méconnu fit l’objet en 1993 d’un film de Robert Enrico, Vent d’Est.

Ce bel exemple montre que la fermeté de caractère constitue la base déterminante de toute véritable souveraineté politique.

Bonjour chez vous !

Cette chronique hebdomadaire du Village planétaire a été diffusée sur Radio Libertés le 8 décembre 2017.

jeudi, 27 février 2014

Une monarchie populaire dans les Alpes

photo_lg_liechtenstein.jpg

Une monarchie populaire dans les Alpes

par Georges FELTIN-TRACOL

Le Saint-Empire romain germanique existe encore en 2013 ! Plus exactement, son ultime vestige situé au cœur des Alpes, coincé entre la Suisse et l’Autriche : la principauté du Liechtenstein. D’une superficie de 160 km2 et peuplé d’environ 35 000 habitants, le Liechtenstein dont la capitale est Vaduz, est le cinquième État germanophone après l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse et la Belgique.

 

Considéré comme un paradis fiscal, le Liechtenstein figure en tête des pays les plus riches de la planète. Alternant les unions économiques ou douanières avec l’Autriche et la Suisse (le franc suisse est d’ailleurs sa monnaie officielle), il dispose de ressources agricoles, bénéficie du tourisme, s’est enrichi grâce à la philatélie et a développé une industrie diversifiée (métallurgie, textile, pharmaceutique, agro-alimentaire). Le chômage s’élève à 1,1 % de la population active. Mais c’est le secteur bancaire qui assure sa prospérité économique. La principauté accueille une vingtaine de banques et plus de 80 000 fondations fiduciaires protégées par un secret bancaire et de nombreux avantages fiscaux adoptés entre 1924 et 1928 avant même la Confédération helvétique.

 

En 1999, un rapport rendu public du B.N.D. (les services secrets allemands)  accusait la principauté d’être un centre du blanchiment de l’argent des mafias russe, italienne et albanaise. En 2008, l’Allemagne exigea du Liechtenstein une liste complète des ressortissants allemands détenteurs d’un compte en banque dans la principauté. Très sourcilleux en matière de souveraineté politique, le gouvernement liechtensteinois tint tête aux pressions allemandes et refusa la moindre divulgation. En revanche, il accepta de modifier graduellement les règles du secret bancaire. L’animosité fut donc vive entre Berlin et Vaduz. Ce n’était pas la première fois.

 

Historiquement, la famille princière de Liechtenstein est vassale des Habsbourg. Jusqu’au prince souverain François-Joseph II (1906 – 1938 – 1989), les Liechtenstein vivaient à Vienne et ignoraient tout de leur territoire. Satellite de l’Autriche, le Liechtenstein n’entre pas en 1871 dans l’Empire allemand de Bismarck. Si, dès 1914, la principauté proclame sa neutralité, elle suscite néanmoins le grand intérêt de l’Allemagne qui projette en 1917 d’en chasser la famille princière, d’y installer le pape et de la transformer en État pontifical ! La ferme intervention diplomatique de l’Autriche-Hongrie et le refus conjugué de la dynastie liechtensteinoise et du souverain pontife font avorter le plan.

 

En 1938, l’Anschluss de l’Autriche par l’Allemagne relance les spéculations sur le devenir du Liechtenstein qui n’a plus d’armée depuis 1866 et qui ne peut pas se prévaloir d’une éventuelle assistance militaire helvétique. En 1939, le jeune prince souverain François-Joseph II rencontre Hitler à Berlin. Le Führer garantit son indépendance. De nouveau neutre pendant la Seconde Guerre mondiale, le Liechtenstein voit certains de ses habitants s’engager du côté allemand. Soucieux d’empêcher l’élection au Landtag (Parlement) de nationaux-socialistes locaux, le prince proroge d’autorité le mandat des députés avec l’assentiment de ses sujets.

 

En mai 1945, la principauté résiste à l’U.R.S.S. de Staline. En effet, près de cinq cents combattants russes de l’Armée Vlassov, alliée de l’Allemagne, viennent de se réfugier au Liechtenstein. Moscou exige leur rapatriement forcé alors que ni la Suisse, ni les États-Unis ne souhaitent mécontenter l’Union Soviétique. Or Vaduz refuse de les livrer et n’accepte que des retours volontaires. À la surprise générale, l’U.R.S.S. cède… Cet épisode historique méconnu, salué en son temps par Alexandre Soljénitsyne, a fait l’objet en 1993 d’un beau film de Robert Enrico, Vent d’Est.

 

L’après-guerre permet à la petite principauté de retrouver une sérénité certaine. En 1978, elle rejoint le Conseil de l’Europe. En 1981, la peine de mort, jamais appliquée depuis 1785, est abolie. En 1984, le droit de vote est accordé aux Liechtensteinoises. Contrairement à sa voisine suisse longtemps méfiante à l’égard des institutions internationales, le Liechtenstein accepte de les intégrer : 1990 pour l’O.N.U., 1991 pour l’A.E.L.E. (Association européenne de libre-échange qui réunit aujourd’hui l’Islande, la Norvège et la Suisse) et 1992 pour l’Espace économique européen à la suite d’un référendum marqué par un oui à l’adhésion de 55,81 %.

 

Si le Liechtenstein a pour hymne officiel une composition de l’abbé Jauch sur l’air britannique du God save the Queen, cette monarchie princière dont le catholicisme fut la religion d’État jusqu’en 2012 et qui a pour devise « Dieu, prince et patrie », diffère de ses homologues monégasque et andorrane puisqu’elle combine le droit divin et le pouvoir populaire.

 

Principal propriétaire foncier de la principauté, le prince souverain est « par la grâce de Dieu, seigneur de et à Liechtenstein, duc de Troppau et Jägerndorf, comte à Rietberg », mais c’est une constitution révisée en 2003 qui définit sa fonction. Il incarne l’exécutif. Le prince souverain nomme et peut révoquer sans se justifier le chef du gouvernement et les ministres. Composé de 25 membres élus au suffrage universel direct et au scrutin proportionnel pour 4 ans dans deux circonscriptions, le Landtag vote les lois et le budget. Outre des élus indépendants, la Chambre se compose de trois forces politiques : le Parti des citoyens progressistes (1918) d’orientation conservatrice, les démocrates-chrétiens de l’Union patriotique (1936) et les écologistes de gauche de la Liste libre (1985). La vie politique tourne surtout autour du dialogue permanent entre le prince souverain, Hans-Adam II, fils de François-Joseph II (ou son représentant, le régent, son fils et futur dirigeant, Alois) et ses sujets.

 

À l’instar de la Confédération helvétique, le Liechtenstein applique le référendum d’initiative populaire. L’opposition républicaine a à plusieurs reprises utilisé cette procédure afin de réduire les prérogatives princières à savoir le droit de dissolution du Parlement et le droit de veto sur les lois votées par le Landtag ou acceptées par référendum. Ainsi, en 2011, le prince Hans-Adam II annonce à l’avance qu’il s’opposera à la légalisation de l’avortement même si celle-ci est acceptée. 52,3 % des électeurs se rallient au choix du prince. Un an plus tard, une initiative populaire propose la suppression du veto princier sur une décision référendaire. Le prince souverain prévient ses sujets que son approbation le conduira à s’installer en Autriche. Il interdira aussi l’usage du nom de Liechtenstein à l’État de facto républicain. Finalement, 76,1 % des électeurs votent non, montrant leur grand attachement pour leur dynastie. Les Liechtensteinois ne souhaitent pas devenir le canton helvète du Haut-Rhin ou un nouveau Land autrichien.

 

Les penseurs politiques français du XIXe siècle (certains légitimistes, des orléanistes atypiques ou des bonapartistes) rêvaient de concilier le pouvoir héréditaire et le suffrage populaire. La principauté du Liechtenstein a réussi cette combinaison, ce qui en fait une démocratie semi-référendaire de droit divin.

 

Georges Feltin-Tracol

 


 

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

 

URL to article: http://www.europemaxima.com/?p=3498

liechtenstein_coa.png