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vendredi, 09 novembre 2018

Max Nordau et l’art dégénéré du goy (1900)

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Max Nordau et l’art dégénéré du goy (1900)

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Les Carnets de Nicolas Bonnal

Philosophe juif et sioniste hérétique (il acceptait l’Ouganda…), Max Nordau appartient à toute cette génération de penseurs juifs politiquement incorrects qui défièrent à Vienne le monde moderne dans le sillon de Nietzsche, et auxquels j’ai rendu hommage dans mon livre sur Kubrick. Schnitzler, le jeune Weininger, l’extraordinaire et éternellement méconnu Karl Kraus et même Freud dans son genre furent, entre beaucoup d’autres, ces êtres qui foraient, sapaient et minaient le monde moderne qui s’était construit depuis beaucoup plus longtemps que ne le pensaient les chrétiens peu éclairés et les traditionalistes de l’époque. Un rappel : Jonathan Swift se demandait déjà par quoi on remplacerait le christianisme au début du dix-huitième siècle. Eh bien on le remplaça par quelque chose qui prit son nom mais qui n’était plus du christianisme (voyez Feuerbach à ce propos). On passait du croisé, du bâtisseur de cathédrale au bourgeois victorien, au possédant trouillard, au pèlerin ferroviaire, au touriste religieux…

Nordau dénonce donc la culture moderne du dix-neuvième, culture de philistin comme dirait Nietzsche. Les symbolistes, y passent, les parnassiens, les Tolstoï, les préraphaélites. Nordau voit aussi le mauvais usage que l’on fait de Wagner… et de Nietzsche ! Pour lui la culture moderne est une pathologie. Comme nous sommes d’accord ! Et cette pathologie tourne en rond comme la modernité depuis des siècles (plus elle prétend progresser, plus elle patauge et tourne en rond mécaniquement, comme ces épisodes de la quête du Graal où l’on voit des chevaliers pris dans des rondes).

Il me parait important de le rappeler. Les nazis ont dénoncé l’art dégénéré lié aux juifs, eh bien un intellectuel juif l’a fait avant eux, tapant sur l’art dégénérant du goy, et qui avait compris la toxicité de la culture wagnérienne qui donnerait Hitler.Il faut renvoyer dos à dos ici antisémites et progressistes libérateurs. Car le problème est bien plus spirituel que politique.

Je donnerai des extraits du texte que Nordau écrit au célèbre César Lombroso :

« La notion de dégénérescence, d'abord introduite dans la science par Morel et développée avec tant de génie par vous-même, s'est déjà montrée extrêmement fertile dans les directions les plus diverses. Sur de nombreux points obscurs de la psychiatrie, du droit pénal, de la politique et de la sociologie, vous avez déversé un véritable flot de lumière, que seuls n'ont pas perçu ceux qui ferment obstinément les yeux ou qui sont trop myopes pour tirer profit de quelque illumination que ce soit. »

Et là, la cible qui fâche, l’art et la littérature dégénérée :

« Mais il existe un domaine vaste et important dans lequel ni vous ni vos disciples n’avez jusqu’à présent porté le flambeau de votre méthode : le domaine de l’art et de la littérature. »

deg.jpgEn effet, ajoute Nordau :

« Les dégénérés ne sont pas toujours des criminels, des prostituées, des anarchistes et des fous déclarés ; ce sont souvent des auteurs et des artistes. Ceux-ci, cependant, présentent les mêmes caractéristiques mentales, et pour la plupart, les mêmes caractéristiques somatiques que les membres de la famille anthropologique susmentionnée qui satisfont leurs pulsions malsaines avec le couteau de l'assassin ou la bombe du dynamiteur, et eux avec stylo et crayon. »

On parle de films-culte depuis que le cinéma est crevé comme tel. Mais le culte artistique est énorme à l’époque de Lombroso (Tolstoï attaque aussi Wagner et le symbolisme dans son livre sur l’art que j’ai recensé) :

« Certains parmi ceux-ci dégénérés en littérature, musique et peinture ont pris une importance extraordinaire ces dernières années et sont vénérés par de nombreux admirateurs en tant que créateurs d'un nouvel art et hérauts des siècles à venir. »

Conformément à son époque et à son propos, Nordau certes use et abuse du lexique médical. Il est bien sûr de son temps comme nous sommes du nôtre. Il dénonce aussi l’hypnose massifiée de ce culte artistique, et donc son danger (Tolstoï voit même la dimension hitlérienne  de l’art wagnérien) :

« Ce phénomène ne doit pas être négligé. Les livres et les œuvres d'art exercent une puissante suggestion sur les masses. C'est de ces productions qu'une époque tire ses idéaux de moralité et de beauté. S'ils sont absurdes et antisociaux, ils exercent une influence perturbante et corruptrice sur les vues de toute une génération. Par conséquent, ces derniers, en particulier les jeunes impressionnables, facilement excités par un enthousiasme pour tout ce qui est étrange et apparemment nouveau, doivent être avertis et éclairés quant à la nature réelle des créations si aveuglément admirées. »

Nota : le mot impressionnisme était en ce sens tout un programme…

Mais Nordau ajoute :

« Cet avertissement que le critique ordinaire ne donne pas. La culture exclusivement littéraire et esthétique constitue, par ailleurs, la pire préparation concevable pour une véritable connaissance du caractère pathologique des œuvres de dégénérés. Le rhétoricien verbeux expose avec plus ou moins de grâce ou d'intelligence les impressions subjectives reçues des œuvres qu'il critique, mais est incapable de juger si ces œuvres sont les productions d'un cerveau brisé, mais aussi la nature du trouble mental qui s'exprime par leurs écrits. »

Plus loin :

« Maintenant, j'ai entrepris le travail d'investigation (autant que possible d’après votre méthode) des tendances de la mode dans l'art et la littérature ; de prouver qu'ils ont leur source dans la dégénérescence de leurs auteurs et que l'enthousiasme de leurs admirateurs est pour les manifestations de folie morale, d'imbécillité et de démence plus ou moins prononcées. »

Il ajoute avec humour et humeur qu’il est déjà trop facile de taper sur l’Eglise ou les gouvernements :

« Je ne doute pas des conséquences pour moi de mon initiative. Il n’y a actuellement aucun danger à attaquer l’Église, car elle n’a plus de bûcher à sa disposition. De même, écrire contre les gouvernants et les gouvernements n'a rien d'inquiétant, car au pire, il ne pourrait s'ensuivre une incarcération assortie de la gloire compensatrice du martyre. »

Par contre Nordau rappelle avec raison qu’il est plus grave de traiter de l’art et les artistes « dégénérés », et ce bien avant donc que les nazis n’antisémitisent la critique dudit art par leur comportement de « barbares préhistoriques » (Freud) !

« Mais le destin de celui qui a l'audace de qualifier les modes esthétiques de décadence mentale est menaçant. L’auteur ou l’artiste attaqué ne pardonne jamais à un homme de reconnaître en lui un fou ou un charlatan ; les critiques subjectivement ridicules sont furieux lorsqu'il est souligné à quel point ils sont superficiels et incompétents ou à quel point ils sont lâches en nageant avec le courant ; et même le public est en colère lorsqu'il est forcé de voir qu'il a couru après des imbéciles, des dentistes et des charlatans. »

Enfin Nordau dénonçait même le rôle toxique de la presse :

« Maintenant, les graphomanes et leurs gardes du corps critiques dominent la quasi-totalité de la presse et possèdent dans celle-ci un instrument de torture par lequel, à la mode indienne, ils peuvent dégager le dérangeur gênant de la partie jusqu’à la fin de ses jours. »

Notre intellectuel juif antisystème faisait déjà partie de ces nombreux esprits juifs (voyez Cohen, Klein, Kunstler, Zemmour, Finkielkraut et autres) qui envoient promener tous les partis pris et guident la marche des antisystèmes…

Et je rajouterai comme ça en passant cette phrase de Julien Benda qui montre que bien avant Léo Strauss et les néocons les penseurs allemands avaient remis Machiavel au goût du jour… C’est dans la Trahison des clercs :

« On sait que cette apologie du machiavélisme inspire tous les historiens allemands depuis cinquante ans, qu’elle est professée chez nous par des docteurs fort écoutés, qui invitent la France à vénérer ses rois parce qu’ils auraient été des modèles d’esprit purement pratique, des espèces de paysans madrés (voir J. Bainville), exempts de tout respect d’on ne sait quelle sotte justice dans leurs rapports avec leurs voisins… »

Sources

Max Nordau – Dégénérescence (Gutenberg.org, en anglais)

Tolstoï – Qu’est-ce que l’art ? Bibliothèque russe et slave.

Julien Benda – La trahison des clercs (classiques.uqac.ca)

Bonnal – Kubrick et le génie du cinéma (Dualpha, Amazon.fr)

Philippe Granarolo présente son dernier livre « En chemin avec Nietzsche »

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Philippe Granarolo présente

son dernier livre

« En chemin avec Nietzsche »

Ajoutée le 28 oct. 2018
Dans ce nouveau livre paru chez l'Harmattan,
Philippe Granarolo rassemble ses principaux
articles dans son exploration de l’œuvre de
Friedrich Nietzsche, auquel il a consacré toute
son existence : du plus ancien, Le rêve dans
la pensée de Nietzsche (1978) au plus récent,
Le Surhomme : mythe nazi ou image
libertaire ? (2016). Ces articles constituent les
étapes d'une lecture originale et cohérente.
Regroupés en cinq chapitres, « L'Imaginaire »,
« Le Corps », « Le Temps », « Le Futur » et
« Le Retour Éternel », ces articles constituent
une introduction à l'étude de l’œuvre
nietzschéenne.
 

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Broché - format : 15,5 x 24 cm - 26 euros
ISBN : 978-2-343-15570-8 • 5 octobre 2018 •
254 pages EAN13 : 9782343155708
+ d'infos
 
 
 

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La Chine et les Ouïghours

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La Chine et les Ouïghours

Les médias occidentaux se taisent : dans l’Empire du Milieu, on combat fermement l’islamisme

Par Georg Immanuel Nagel

En Chine, l’immense majorité de la population est d’ethnie han mais il y a tout de même beaucoup de minorités. La seule qui, aux yeux du gouvernement chinois actuel, pose problème est une ethnie turque (turcophone), celle des Ouïghours, qui vit dans la région du Sin Kiang. Les neuf millions d’Ouïghours se sentent proches des autres peuples turcophones, ont adopté les mêmes symboles nationaux et, surtout, partagent avec eux la même foi islamique. Le mouvement islamiste global intervient également dans le Sin Kiang, si bien que cette province est, depuis un certain temps déjà, la proie du terrorisme et d’une violence au quotidien.

La situation est d’autant plus tendue que le Sin Kiang, sur son flanc occidental, a des frontières avec le Pakistan et l’Afghanistan, ce qui a pour conséquence que les réseaux terroristes ne manquent jamais de logistique et d’approvisionnements. L’objectif politique des Ouïghours est d’obtenir l’indépendance du « Turkestan oriental », comme ils appellent leur zone de peuplement, et d’en faire une théocratie islamique. Ils espèrent avoir gain de cause en utilisant des méthodes sanglantes. Outre les assassinats ciblés, les musulmans du Sin Kiang envisagent d’autres modes d’agression, comme les viols collectifs. A plusieurs reprises des désordres de grande ampleur et des émeutes ont eu lieu. Ensuite, les autorités chinoises reprochent aux Musulmans de ne participer que très modérément à la vie économique et d’avoir une tendance très généralisée à carotter, à éviter toute profession constructive.

En superficie, le Sin Kiang est la plus grande des régions de Chine mais elle est peu peuplée. Tout comme au Tibet, Beijing pratique une politique de « grand remplacement » de la population pour contraindre les petits peuples récalcitrants à s’étioler, à abandonner le terrain. Contrairement aux esprits confus des gauches européennes, les Chinois savent pertinemment bien que les immigrations massives et les mixages, qui en résultent, ne produisent pas un « paradis multiculturel » mais détruisent la population qui subit cette immigration. En 1955, les Ouïghours représentaient encore 73% de la population du Sin Kiang ; en 2010, ils n’étaient plus que 45%.

La première mesure prise contre les djihadistes a été d’interner de nombreux agitateurs et prédicateurs haineux. Par l’introduction de lois sévères, on a plus ou moins interdit l’islamisme. Les écoles coraniques au statut douteux et les mosquées qui prêchaient la terreur ont dû fermer leurs portes. Il est désormais illégal de donner aux enfants des prénoms à connotation religieuse. Les Ouïghours deviendront-ils dès lors le premier peuple musulman, où un homme sur deux ne se prénommera pas Mohammed ? En plus, le port de la barbe chez les hommes et du voile chez les femmes a été mis à l’index. L’oisiveté, l’absence de métier ou d’emploi, très répandue, va être combattue par les autorités chinoises, par la rééducation dans des centres de formation professionnelle. De très nombreux extrémistes sont désormais obligés de se rendre dans ces centres pour y apprendre à devenir de braves citoyens chinois, travailleurs et consciencieux. Des programmes obligatoires ont été établis, non seulement pour offrir aux islamistes oisifs des perspectives d’emploi, mais aussi pour les resocialiser et pour corriger leurs comportements, jugés aberrants par les autorités chinoises, au point de les soumettre, le cas échéant, à des traitements psychiatriques. L’objectif de ces programmes drastiques est d’éviter la constitution de sociétés parallèles animées par le radicalisme islamiste.

Tous ceux qui ont un comportement « séparatiste », selon les autorités chinoises, sont visés, par exemple, ceux qui n’envoient pas leurs enfants dans les écoles officielles, qui prêchent des doctrines extrêmes ou tentent de forcer d’autres à des pratiques religieuses, risquent bien, à court terme, de gagner un séjour gratuit dans une institution contrôlée par l’Etat.

Dans ce cadre, il est curieux de constater que les Ouïghours reçoivent le soutien de l’Occident (censé combattre le radicalisme islamiste). Les médias mainstream ne présentent l’affaire que dans une seule optique : ils déplorent les mesures prises par les Chinois contre les extrémistes ouïghours mais n’évoquent jamais le terrorisme qui les a provoquées. Les médias occidentaux présentent les Ouïghours comme de pauvres agneaux innocents, méchamment discriminés pour leur foi inoffensive. En Europe centrale, nous avons reçu, récemment, un enrichissement ouïghour car, à Munich, s’est établi le siège du « Congrès mondial des Ouïghours » ; auparavant, les animateurs de cette association pouvaient en toute légalité circuler en Turquie. Le mouvement ouïghour en exil a la réputation d’être soutenu par la CIA.

L’association, établie à Munich, est toutefois beaucoup plus influente aux Etats-Unis. L’Oncle Sam s’engage à chaque occasion en faveur des Ouïghours. Ainsi, la diplomate américaine Kelley Currie a prononcé un discours particulièrement agressif contre la Chine lors d’une assemblée de l’ONU, portant contre elle de nombreuses accusations. D’après Currie, les mesures que prennent les Chinois sont contraires aux droits de l’homme et les Ouïghours sont injustement placés sous le joug de Beijing et discriminés.

Ce discours tonitruant de Madame Currie laisse sous-entendre que ces islamistes ouïghours, comme d’autres groupes fondamentalistes auparavant, sont sciemment promus par Washington pour faire avancer les stratégies géopolitiques du Pentagone. Créer des conflits intérieurs en Chine puis stigmatiser les Chinois en les posant comme des oppresseurs brutaux constitue une stratégie qui entre bien dans l’ordre du jour des stratèges américains, qui, depuis longtemps déjà, cherchent à freiner l’expansion du dragon chinois dans le monde.

Georg Immanuel Nagel.

(article paru dans « Zur Zeit », Vienne, n°42/2018 – http://www.zurzeit.at ).

 

Le Brésil de Bolsonaro et les relations internationales

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Le Brésil de Bolsonaro et les relations internationales

par Romain Migus 

Ex: http://www.zejournal.mobi

Ca y est. «Ele foi eleito presidente». Il est élu. Lui, c’est Jair Messias Bolsonaro, le nouveau président du Brésil. Ces derniers jours, impossible d’échapper aux différents commentaires – généralement d’indignation – qui accompagnent le résultat des élections présidentielles dans la 8e puissance mondiale.

Cette effervescence médiatique autour du nouveau président brésilien s’explique par deux phénomènes. D’une part, elle est en partie motivée par la déferlante actuelle de nouveaux acteurs populistes conservateurs sur la scène politique occidentale. Jair Bolsonaro viendrait en effet confirmer une tendance actuelle à la contestation apparente d’un ordre politique qui allait de soi, il y a encore quelques années.

D’autre part, le retentissement de l’élection de cet homme politique, aux déclarations aussi violentes que controversées, est aussi dû au poids que représente ce pays-continent au niveau international. Or qu’en est-il vraiment ? La marche du monde va-t-elle être bouleversée par l’accession au pouvoir de Jair Bolsonaro ?

Que change l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir ?

Durant la première décennie du XXIe siècle, l’Amérique Latine s’était dotée d’organismes supranationaux dont le but était de renforcer l’intégration et la coopération entre les pays latino-américains. Une vision indépendante qui permettait de bâtir des solutions communes hors de l’ingérence de Washington. La construction d’un monde multipolaire, et l’édification d’une diplomatie Sud-Sud visant à l’élaboration de politiques conjointes en matière de finances, de développement, d’agriculture, d’énergie et de commerce, ont été l’horizon commun de la plupart des pays latino-américains durant la décennie précédente. Durant cette période, le Brésil de Lula a joué un rôle prépondérant dans la construction de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), de la  Communauté d’Etats latino-américains et caribéens (Celac), ou encore du forum bi-régional Amérique du Sud-Afrique (ASA), qui regroupait 55 pays d’Afrique et 12 d’Amérique du Sud.

Ce panorama régional était déjà largement écorné avant l’élection de Jair Bolsonaro. Sous les coups de butoir d’une droite décomplexée, qui a rongé son frein pendant une décennie, l’Unasur traverse une crise sans précédent. Six pays sur les douze qui la composent (dont le Brésil) ont fait connaître leur souhait de suspendre leur participation à cet organisme (1). Quand au Forum ASA, il est au point mort et n’a plus tenu de réunion plénière depuis 2013.

Comment en est-on arrivé là ? Les raisons sont avant tout politiques. L’arrivée au pouvoir de plusieurs gouvernements de droite a changé la donne. Ces gouvernements, dont la ligne politico-économique renoue avec le néolibéralisme, préfèrent établir des traités économiques bilatéraux ou des accords commerciaux régionaux – comme l’Alliance du Pacifique rassemblant le Chili, le Pérou, la Colombie et le Mexique – plutôt que de parier sur la coopération comme moteur du développement régional. Jair Bolsonaro s’insère dans cette dynamique et il y a fort à parier que son élection mettra un coup d’arrêt aux organismes de coopération régionale, ainsi qu’à la dynamique des relations Sud-Sud.

Même s’il existe, pour l’instant, plus d’indices que de propositions programmatiques chez le nouveau président brésilien, on peut d’ores et déjà déceler une certaine cohérence entre son programme économique ultra-libéral et sa vision internationale. Tout comme il rejette toute régulation de l’économie par les secteurs étatiques, il n’acceptera aucune contrainte internationale qui pourrait aller à l’encontre de la réalisation de son projet politique.

Ce qui est choquant n’est pas tant la réaffirmation de la souveraineté brésilienne sur les 3/5e de la forêt amazonienne, que son projet politique et économique aux antipodes des préoccupations écologiques internationales

C’est dans cette optique qu’il faut comprendre sa position par rapport à l’Accord de Paris. Jair Bolsonaro a réaffirmé qu’il n’en sortirait pas à la condition qu’aucune contrainte écologique extérieure n’entrave son projet de développement de l’agro-industrie, de l’élevage intensif et de l’industrie minière dans la région amazonienne.

Ce qui est choquant n’est pas tant la réaffirmation de la souveraineté brésilienne sur les 3/5e de la forêt amazonienne, que son projet politique et économique aux antipodes des préoccupations écologiques internationales (2). Le futur nous dira qui gagnera ce bras de fer. L’Accord de Paris résistera-t-il à la sortie du Brésil après celle des Etats-Unis ? Ou tout sera-t-il fait pour éviter une sortie du géant sud-américain ? La réponse semble déjà faire partie de la question.

Les positions de Jair Bolsonaro nous rappellent surtout qu’aucun traité ou organisme international ne réussit à s’imposer aux choix politiques et économiques d’une nation souveraine, si détestables qu’ils puissent nous paraître.

Il en a été de même par le passé lorsque les gouvernements de gauche d’Amérique latine ont fait capoter l’Accord de libre-échange pour les Amériques (3) ou lorsque le Venezuela décida de se retirer de la Communauté andine des nations, sans que le ciel ne lui tombe sur la tête. En dernier lieu, le dépositaire de la souveraineté reste le peuple et son expression électorale. A moins de remettre en cause le principe de démocratie représentative, mais ceci est un autre sujet.

Relations ambiguës avec la Chine

Quelle peut être la marge de manœuvre du nouveau président brésilien face à la Chine ? Durant sa campagne, Jair Bolsonaro a multiplié les déclarations hostiles et provocantes contre la grande nation asiatique. Sa volonté de s’aligner sur la diplomatie de Washington pourrait laisser penser qu’un virage diplomatique drastique pourrait être opéré.

Les relations de Brasilia avec Beijing devront se faire sous l’angle du pragmatisme économique et non de l’idéologie

Néanmoins, la réalité des liens entre la Chine et le Brésil devrait pousser le nouveau chef d’Etat à une position plus pragmatique, surtout à court et moyen terme, le mandat présidentiel ne durant que quatre ans. En effet, 54 milliards de dollars ont été investis par les Chinois sur une centaine de projets de 2003 à 2018. Le gouvernement non élu de Michel Temer, peu suspect de sympathie pour le communisme ou le monde multipolaire a, sur la seule année 2017, porté les investissements du géant asiatique à 10,8 milliards de dollars. Ni les Etats-Unis, ni l’Europe n’étant en mesure de constituer une alternative crédible à cet investissement massif, les relations de Brasilia avec Beijing devront se faire sous l’angle du pragmatisme économique et non de l’idéologie.

Même si le Brésil pourra restreindre certains investissements chinois, tourner le dos aux Brics (4) ou à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, dont le Brésil fait partie, reste peu probable sinon suicidaire pour son économie. De même, il ne semble pas vraisemblable que le Brésil s’isole du projet de Nouvelle route de la soie en Amérique Latine, négocié au sein du Forum Celac-Chine, laissant ainsi des concurrents régionaux profiter des avantages tirés de tels accords.

Qui plus est, si les exportations brésiliennes vers la Chine représentaient à peine 2% avant l’arrivée de Lula au pouvoir, elles totalisent en 2018, 26% du total des exportations, principalement dans le domaine de l’agro-business, l’un des piliers du soutien au nouveau président brésilien. Si le Brésil est en droit de diversifier les pays où il exporte, via l’accord Union européenne-Mercosur, par exemple, le marché chinois apporte un débouché bien plus sûr et stable pour ses produits que ne pourrait l’être l’Europe ou les Etats-Unis, régions du monde où commence à s’agiter l’étendard du protectionnisme économique.

Le Venezuela

L’un des thèmes récurrents de la campagne de Bolsonaro a été le Venezuela. Rien d’étonnant. Depuis quelques années, le pays bolivarien s’invite en guest-star de nombreux processus électoraux à travers le monde. Du Chili à l’Espagne en passant par l’Argentine, la France et même les Etats-Unis, une campagne électorale ne semble pas être aboutie sans qu’une référence au modèle chaviste soit utilisée par les candidats de droite pour stigmatiser leurs adversaires politiques.

Jair Bolsonaro n’a pas fait exception à cette règle, vociférant tout au long de la campagne qu’il mettrait tout en œuvre pour que «le Brésil ne devienne pas un autre Venezuela». Nul doute que le nouveau président brésilien augmentera la pression politique et diplomatique contre son voisin. L’échange téléphonique entre Mike Pompeo et le nouveau président du Brésil au lendemain de son élection va dans ce sens. Le secrétaire d’Etat étasunien ayant évoqué une nécessaire coordination entre les deux pays sur la question du Venezuela.

Le Venezuela deviendra un argument de change dans les relations qu’entretiendra Jair Bolsonaro et son équipe avec l’administration Trump, fervent opposant au gouvernement de Nicolas Maduro

Dans ce contexte, comment interpréter les déclarations de certains proches du nouveau président ? Son fils Eduardo, ainsi que le général Augusto Heleno y Luiz Philippe de Orleans, pressentis pour occuper respectivement le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères ont laissé entendre qu’une intervention militaire contre le pays bolivarien n’était pas à exclure. Si Jair Bolsonaro s’est lui même défendu de toute aventure guerrière, il paraît évident que le Venezuela deviendra un argument de change dans les relations qu’entretiendront Jair Bolsonaro et son équipe avec l’administration Trump, fervent opposant au gouvernement de Nicolas Maduro.

Il faut aussi se rappeler que l’Etat du Roraima, frontalier avec le Venezuela, est alimenté en électricité par le pays bolivarien. Dans un conflit aggravé, le Venezuela disposerait donc de la possibilité de rationner cet approvisionnement et de générer une situation chaotique dans un Etat désormais gouverné par Antonio Denarium, un partisan du président élu (5).

Une intervention du Brésil en terres bolivariennes aurait des répercussions sur tout le continent. Non seulement le Venezuela compte sur des soutiens diplomatiques ou militaires de poids (russes, chinois et cubains) mais la nouvelle doctrine militaire de ce pays, élaborée dès 2005, mise sur une stratégie adaptée aux conflits non conventionnels et à la guerre de quatrième génération.

Agresser le Venezuela reviendrait à créer une poudrière régionale et un bourbier militaire qui s’étendrait sur plusieurs années. Pas sûr que le Brésil sorte vainqueur d’un tel affrontement ni que Bolsonaro y gagne en popularité.

Israël et le Proche Orient

Jair Bolsonaro entretient des liens politiques et religieux très fort avec Israël et s’est même fait baptiser dans les eaux du Jourdain. Il a plusieurs fois rappelé son attachement à la «démocratie israélienne» qu’il considère comme un exemple à suivre. Ce faisant, il se démarque de la politique extérieure du PT qui avait reconnu l’Etat de Palestine et rappelé son ambassadeur en Israël pour protester contre l’opération Bordure Protectrice en 2014.

De la même manière, le gouvernement de Dilma Roussef s’était opposé à la nomination de Dani Dayan comme ambassadeur de Tel Aviv au Brésil. Motif invoqué : alors que le gouvernement brésilien dénonçait l’occupation de la Palestine, Dani Dayan, membre du parti extrémiste Foyer Juif, et ancien président du conseil de Yesha, qui représente les intérêts des colons israéliens, pouvait perturber les relations entre les deux pays. Une campagne de soutien au diplomate israélien avait été orchestré par la députée Geovania da Sé, membre du groupe parlementaire évangéliste à l’assemblée brésilienne, groupe parlementaire qui comptait parmi ses membres un certain Jair Bolsonaro (6).

Le « nationaliste » Bolsonaro au cours d’un discours

Suivant le mouvement initié par Donald Trump, ce dernier a annoncé le transfert de l’ambassade brésilienne à Jérusalem et a promis de fermer l’ambassade de l’Etat Palestinien, ouverte en 2016 en déclarant : «La Palestine est-elle un pays ? La Palestine n’est pas un pays, donc elle ne devrait pas avoir d’ambassade ici».

Le Brésil de Bolsonaro deviendra sans aucun doute l’un des soutiens majeurs de la politique israélienne au Proche-Orient et développera certainement des partenariats rapprochés avec l’Etat d’Israël.

Bolsonaro au-delà des maux

Le tournant géopolitique que représente l’élection de Jair Bolsonaro doit se comprendre dans son contexte régional. La direction géopolitique que prendra la nouvelle équipe dirigeante devrait peu différer de celle déjà en vigueur dans les pays latino-américains dirigés par des gouvernements néo-libéraux. En cela, il renforcera cette tendance, qui s’inscrit désormais comme un virage continental qui balaie les politiques et les avancées réalisées par les gouvernements post-libéraux du début du siècle.

Au-delà des mots et des maux, l’alignement sur les politiques de Washington dans la région, et un certain pragmatisme par rapport à la Chine, caractériseront surement le mandat du nouveau président brésilien, qui, pour mettre en œuvre sa politique autoritaire sur le plan intérieur ne pourra se payer le luxe d’être isolé diplomatiquement.

Notes:

(1) Les pays suivants ont exprimé leur souhait de suspendre leur participation à Unasur: L’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Pérou, et le Paraguay. Notons que le président équatorien a décidé de porter un sérieux coup d’arrêt à l’organisme d’intégration en décidant de récupérer ses installations situées dans la banlieue de Quito.

(2) La France dispose du 2e espace maritime au monde (Zone économique exclusive). L’écosystème dans ce territoire français est aussi d’une richesse inestimable. Doit-on pour autant renoncer à notre souveraineté sur cette zone en raison des intérêts écologiques internationaux qui en découle? 

(3) La Zone de Libre Échange entre les Amériques était un projet de libéralisation des économies et de dollarisation du continent. Principalement porté par les Etats-Unis, il fut mis en déroute grâce à l’action conjointe des gouvernements progressistes dans la région. Voir Telesur, “América Latina, a 12 años de la derrota del Alca”, 05/11/2017, https://www.telesurtv.net/news/10-anos-del-NO-al-ALCA-201...

(4) Le siège pour les Amériques de la Banque de Développement des Brics a récemment été ouverte à Brasilia par le gouvernement de droite –non élu- de Michel Temer

(5) Une intrusion armée, sous le prétexte d’une guerre humanitaire, pourrait être le prétexte pour prendre le contrôle des centrales hydro-électriques vénézuéliennes, situées juste de l’autre coté de la frontière.

(6) Voir Romain Migus, “La agenda secreta de Israel en América Latina”, Venezuela en Vivo, 30/04/2016,  https://www.romainmigus.info/2017/11/la-agenda-secreta-de...


- Source : RT (Russie)

La trilogie "Europa" de Robert Steuckers

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La trilogie "Europa" de Robert Steuckers

par Georges FELTIN-TRACOL

Europa : c’est sous ce titre que les Éditions Bios ont publié à la fin de l’année 2017 trois volumes de géopolitique écrits par Robert Steuckers, infatigable animateur du site Euro-Synergies et ancienne cheville ouvrière des revues OrientationsVouloir et Nouvelles de Synergies européennes. Le premier tome (338 p., 25 €) aborde les « Valeurs et racines profondes de l’Europe », le deuxième (316 p., 25 €) traite « De l’Eurasie aux périphéries, une géopolitique continentale » et le troisième (342 p., 25 €) s’intéresse à « L’Europe, un balcon sur le monde ».

Il est bien sûr impossible de résumer les quarante-six articles qui portent sur les grands enjeux géopolitiques. Notons cependant que l’Amérique latine, l’Afrique noire et l’Océanie en sont quelque peu écartées. Il faut reconnaître que plusieurs textes évoquent sur la très longue durée les puissantes interactions politico-culturelles entre le continent européen, l’Asie Centrale et le Moyen-Orient. Persophile avoué, Robert Steuckers rappelle que les Perses ont fondé le premier empire indo-européen de l’histoire et que la révolution islamique de 1979 fut à l’origine encouragée par Washington…

Les confrontations entre civilisations, États, peuples et nations ne manquent pas dans ce vaste panorama. Ainsi peut-on lire une étude magistrale de la bataille de Lépante du 7 octobre 1571, cette victoire navale qui préserva la civilisation occidentale européenne de l’invasion ottomane. Polyglotte belge d’esprit européen, Robert Steuckers se sait sujet de l’Empire, résultat géopolitique de la « Grande Alliance » à la fin du Moyen Âge, à savoir la transmission de l’héritage bourguignon à la jeune Maison royale des Espagnes par l’intermédiaire de la dynastie impériale élective des Habsbourg. Malheureusement, l’unité continentale ne put s’opérer autour de cette dynastie en raison du Grand Schisme d’Orient de 1054, des dissensions religieuses récentes (la Réforme de 1517) et des détestables manigances de Henry VIII et François Ier.

En géopolitologue avisé, l’auteur rappelle que l’intention de l’islam demeure la conquête de Constantinople – effective depuis 1453 -, de Rome et de Vienne. Il considère le monde turc comme une vraie menace au même titre d’ailleurs que les États-Unis d’Amérique. Par leur hypertrophie militaire, économique et financière, ceux-ci ne peuvent pas ne pas verser dans un messianisme puéril, abscons et dangereux pour l’équilibre du monde. Il importe donc d’avoir toujours à l’esprit leur habile tactique : susciter partout la révolte des musulmans afin de museler définitivement une civilisation européenne décatie.

Ces trois tomes paraissent ardus; il n’en est rien ! En effet, avec un rare talent narratif exigeant, Robert Steuckers nous plonge dans la longue trame des millénaires pour mieux en discerner les données fondamentales. Il n’oublie jamais l’impératif de notre identité, « l’identité politique européenne, seule identité vraiment concrète […] réside donc, aujourd’hui, en cette époque de calamités, à prendre conscience de nos déboires géopolitiques […] et à agir pour promouvoir une politique spatiale, maritime et militaire claire (t. I, p. 19) ». Ce n’est hélas ! pas gagné pour l’instant.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 97, diffusée sur Radio-Libertés, le 2novembre 2018.