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samedi, 10 novembre 2018

Conférence et séance de dédicaces à Clermont-Ferrand (3 novembre 2018)

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Conférence et séance de dédicaces à Clermont-Ferrand (3 novembre 2018)

Je remercie tous les amis qui se sont décarcassés pour réussir cette charmante journée, placée sous le signe de la camaraderie et de la convivialité !

Je remercie aussi tous les amis de très longue date qui ont fait le déplacement pour de joyeuses retrouvailles !

 

La guerre des Six Jours : un tournant militaire, politique et sémantique

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La guerre des Six Jours : un tournant militaire, politique et sémantique

Article publié le 5 juin 2017, à l’occasion des cinquante ans du conflit, sur le site Philitt.

C’était il y a cinquante ans. Le lundi 5 juin 1967, Israël lançait une gigantesque offensive militaire contre trois armées arabes : l’Égypte de Nasser, la Syrie du parti Baath (dirigée alors par Noureddine al-Atassi) et la Jordanie du roi hachémite Hussein. Ce troisième conflit israélo-arabe, court et intense, constitue un tournant certain pour le monde arabe et, à certains égards, dans les relations internationales.

Après la Nakba (le désastre) de 1948, soit l’exode de plus de 700 000 Palestiniens après la première guerre, et la campagne de Suez en 1956 contre l’Égypte de Nasser, menée par la France, le Royaume-Uni et Israël, la guerre des Six Jours est le troisième conflit israélo-arabe en moins de vingt ans. Et il y en aura bien d’autres. Chacun de ces conflits peut être considéré comme un tournant : celui de 1948  installe Israël dans la région et provoque des départs palestiniens massifs (notamment dans les pays arabes voisins) et celui de 1956 fait du zaïm égyptien Nasser une figure tutélaire du nationalisme arabe, un véritable héros. La guerre de 1967, notamment à cause de l’occupation et de l’annexion de territoires arabes qui s’ensuivent, contribue à plonger le monde arabe dans des impasses politiques et intellectuelles.

Inutile de revenir sur les détails militaires du conflit. Si l’enchaînement des événements est connu et admis, leur interprétation est loin de faire l’unanimité. Le conflit a commencé par une attaque de l’aviation israélienne, tandis que les aviations arabes étaient encore au sol. Les Mirage III français achetés par Israël ont pu ainsi prouver leur efficacité. Le casus belli fut le blocus du détroit de Tiran imposé par l’Égypte aux navires israéliens dès le 23 mai, action qui s’ajoute au départ des troupes onusiennes exigé par Nasser. Seulement, il est difficile de considérer honnêtement qu’il s’agissait d’une réponse israélienne à des velléités belliqueuses de la part de l’Egypte : la guerre des Six Jours s’apparente davantage à une agression israélienne préméditée, dont les motivations dépassent largement les actes et les discours du mois précédant le conflit.

Cette guerre est souvent décrite comme la première guerre de l’eau. De ce point de vue, c’est davantage le front syrien que le front égyptien qu’il convient d’observer. Dans ses mémoires, l’ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon (qui commandait une division au moment des faits) le reconnaît volontiers : deux ans et demi avant le début du conflit, Israël avait déjà prévu d’intervenir en réponse au projet syrien de détournement des eaux du Jourdain dans le Golan. Ce détournement faisait lui-même suite à la construction d’un canal israélien destiné à détourner ces eaux depuis le lac Tibériade. L’occupation du Golan à l’issue du conflit apparaît ainsi comme un but de guerre et non comme un butin accidentel.

La guerre des Six Jours constitue une rupture militaire, politique et sémantique à trois niveaux. A l’échelle mondiale, notamment dans le cadre de la guerre froide et de la politique étrangère de la France dans la région ; à l’échelle du monde arabe, y compris d’un point de vue idéologique ; enfin, à l’échelle de la question palestinienne.

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Un tournant politique et militaire

En 1967, les relations américano-soviétiques se caractérisent par une relative « détente » et les États-Unis du président Lyndon Johnson commencent à afficher une véritable proximité avec Israël, certes encore éloignée du soutien inconditionnel que nous connaîtrons plus tard, mais contrastant avec les pressions américano-soviétiques contre l’expédition de Suez en 1956. La position américaine est alors délicate : le soutien apporté à Israël est atténué par la crainte d’une déstabilisation du régime jordanien et d’une défaite arabe telle qu’elle rendrait l’intervention militaire des Soviétiques possible. Pour ce qui est de ces derniers, leur véritable rôle n’est pas tout à fait clair. Ont-ils encouragé les armées arabes à provoquer un conflit et à se préparer à celui-ci ? Ou ont-ils plutôt voulu l’éviter ? Des archives polonaises portant sur la session plénière du Comité central du Parti communiste du 20 juin 1967 semblent révéler que Léonid Brejnev n’avait aucune intention de déclencher ce conflit et que son influence sur les armées arabes (syrienne et égyptienne) était limitée.

Ces mêmes archives révèlent que Moscou avait prévenu Nasser des intentions israéliennes d’attaquer la Syrie dès avril-mai 1967 afin qu’il mobilise ses troupes pour aider ses alliés syriens, pensant qu’Israël ne pouvait tenir sur deux fronts[1]. Une erreur de calcul manifeste. Notons que l’historiographie soviétique associe, de son côté, cette défaite arabe au manque de préparation des militaires arabes, à une manipulation américaine des moyens de liaison ou à des manipulations internes à l’appareil militaire égyptien : des généraux égyptiens formés en « Occident » auraient voulu faire échouer Nasser afin de susciter un rapprochement avec les États-Unis. L’ironie voudra que ce rapprochement (et incidemment l’éloignement égypto-soviétique) se fasse après le relatif succès du conflit suivant en 1973 (toujours avec des armes soviétiques).

En France, cette guerre révèle une autre rupture vis-à-vis d’Israël. La France, sous le général de Gaulle, n’est plus ce fidèle allié qu’elle a été depuis 1945 (y compris pour les groupes armés précédant l’État, décrits comme terroristes par les forces britanniques). Avec l’indépendance de l’Algérie en 1962 et la volonté de mener une politique étrangère indépendante et équilibrée, il n’est plus question de poursuivre le soutien inconditionnel offert par la IVe  République. Dès 1958, le général de Gaulle remet en cause la coopération nucléaire entre les deux pays. En novembre 1967, dans une conférence de presse restée célèbre (pour de mauvaises raisons), il fait du conflit un diagnostic implacable et sans concession : « […] A la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez, on avait vu apparaître en effet un État d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir […] C’est pourquoi, d’ailleurs, la Ve République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet État […] Hélas, le drame est venu. Il avait été préparé par une tension très grave et constante qui résultait du sort scandaleux des réfugiés en Jordanie et aussi des menaces de destruction prodiguées contre Israël […] Le 2 juin, le gouvernement français avait officiellement déclaré qu’éventuellement il donnerait tort à quiconque entamerait le premier l’action des armes […] On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël ayant attaqué, s’est emparé en six jours de combats des objectifs qu’il voulait atteindre, maintenant, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression et expulsions. Et il s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme […] » Ces mots forts, prononcés par un homme qui en connaît la teneur mieux que quiconque, révèlent une lucidité et une clairvoyance aussi inaudibles en 1967 qu’elles peuvent encore l’être aujourd’hui. Un discours singulier, bien différent des douces mélodies pro-israéliennes de Serge Gainsbourg (Le sable et le soldat) et d’Adamo (Inch’Allah).

images.jpgDans le monde arabe, à la défaite militaire s’ajoute la défaite symbolique. Il y a bien évidemment l’humiliation de l’occupation : le Sinaï égyptien (qui sera récupéré par le président Sadate), le Golan syrien (annexé en 1981), les fermes libanaises de Chebaa et les territoires palestiniens de Gaza et de Cisjordanie (dont Jérusalem-Est), administrés auparavant par l’Égypte et la Jordanie. Il y a aussi la spoliation du peuple palestinien, qui se retrouve occupé et malmené pendant des décennies par une puissance étrangère. Mais il y a aussi l’échec du nationalisme arabe qui en annoncera bien d’autres. Cet échec de trois grandes armées arabes encouragera le réveil de la résistance palestinienne. Dans les années 1970, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) jouera un rôle analogue à celui de Nasser, décédé en 1970. En Jordanie comme au Liban, Yasser Arafat apparaîtra comme une figure tutélaire à son tour, stimulé par quelques succès militaires dont les grandes armées arabes ont été incapables. On retrouvera ce phénomène avec le Hezbollah libanais. Un peu plus de dix ans après cette guerre, à la cause arabe contre Israël se substituera une cause nouvelle, nourrie par la montée du wahhabisme à la faveur des pétrodollars, celle de la guerre d’Afghanistan (1979). Tandis que l’Égypte vient de signer un traité de paix avec Israël (ce que la Jordanie fera en 1994), des milliers de combattants venus du monde arabe se retrouveront ainsi plongés dans un conflit lointain au nom d’une appartenance religieuse, encouragés par les Américains et contre l’ennemi « impie » tout désigné : l’Union soviétique.

Un tournant sémantique

La guerre des mots se joue d’abord aux Nations unies. Quelle résolution adopter au Conseil de sécurité des Nations unies ? Moscou, qui condamne « l’agression israélienne », souhaite un « retrait de tous les territoires occupés ». La France du général de Gaulle va dans le même sens en se montrant plus modérée : il faut condamner Israël pour avoir déclenché les hostilités, lui demander d’évacuer les territoires occupés et demander aux États arabes de reconnaître à Israël le droit d’exister. Sur la question de l’occupation, Moscou et Paris se heurtent à Washington. Les Américains rejettent la formulation toute simple « retrait des territoires occupés ». Les Britanniques réussissent alors à imposer une version consensuelle : « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ». La résolution 242 est adoptée par le Conseil de sécurité le 22 novembre 1967, quelques jours avant la fameuse conférence de presse du général de Gaulle. Une résolution jamais appliquée qui fera couler beaucoup d’encre. Entre autres raisons, parce que la version anglaise est moins précise que la version française. La version anglaise évoque un retrait « from territories occupied in the recent conflict » (l’absence d’article permettant de traduire par « de certains territoires »), tandis que la version française, plus précise, évoque le retrait « des territoires occupés » (donc de la totalité d’entre eux).

Un texte peut-il décemment exiger le retrait de certains territoires tout en laissant l’occupant décider desquels ? Ce flou voulu par Israël et installé par les grandes puissances, au premier rang desquelles les États-Unis, sera sans cesse alimenté. C’est ce même flou qui avait caractérisé le début du conflit, lorsque l’agression était présentée comme une guerre défensive. En France, une bonne partie de l’intelligentsia de l’époque veut croire à l’histoire de David contre Goliath – David n’étant pourtant pas connu pour ses « attaques préventives ». Car c’est de cela qu’il s’agit : une agression présentée comme une « attaque préventive », qui conduira à l’occupation, annonçant elle-même l’annexion et la colonisation. Les territoires occupés seront, quant à eux, des territoires « disputés », pour reprendre le discours officiel israélien. Les exemples ne manquent pas de ces audaces sémantiques annoncées par la guerre de 1967 : le nom biblique de Judée-Samarie plutôt que la profane Cisjordanie, la formule générique d’ « Arabes de Palestine » plutôt que l’admission de l’existence d’un « peuple palestinien », etc.

L’agression israélienne de 1967 était la première étape d’une stratégie bien préparée. D’abord, s’étendre et contrôler les ressources hydrauliques. Puis, faire la paix avec les États arabes voisins affaiblis séparément. Notons que si cela a fonctionné avec l’Égypte et la Jordanie, les tentatives avec la Syrie et le Liban ont échoué. Enfin, isoler les Palestiniens et noyer leur cause. De perversion sémantique en perversion juridique, jamais la situation n’aura été aussi déséquilibrée… et jamais les discours n’auront autant feint l’équilibre. Le langage de vérité du général de Gaulle en 1967 apparaîtrait aujourd’hui comme une intolérable provocation. Telle est pourtant la nécessité qu’impose la compréhension des faits : se réapproprier les mots justes.

Adlene Mohammedi

Note : 

[1] Uri Bar-Noi, “The Soviet Union And The Six-Day War: Revelations From The Polish Archives”, Cold War International History Project, Wilson Center, 7 juillet 2011. URL : https://www.wilsoncenter.org/publication/the-soviet-union....

Jan Marejko, le verbe et la liberté

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Jan Marejko, le verbe et la liberté

On assimile généralement notre modernité en crise au rationalisme. L’irrationalisme et autres nouveaux panthéismes apparaissent alors comme des attitudes antimodernes par excellence. Jan Marejko, dans La Cité des morts (1994), montre au contraire que ces deux attitudes, incapables de s’enraciner dans un Autre, sont solidaires d’une même réduction de l’esprit à la nature et à une vie morte, incapable d’une parole qui annonce et qui s’énonce dans son rapport au monde. 

C’est une pensée forte et complète que nous donne à lire le philosophe genevois Jan Marejko (1946-2016), dans son maître ouvrage La Cité des morts. Avènement du technocosme.  Le titre et le projet sont audacieux : le risque du recyclage est élevé tant l’auteur est précédé par de nombreuses et grandes critiques du « monde moderne ». L’opposition de la tradition et de la modernité est toujours menacée de devenir le lieu commun d’une pensée dissidente : mais que serait donc la tradition sans sa respiration fondamentale, celle, spirituelle, qui exige, à l’épreuve des jours nouveaux, le « renouvellement de l’intelligence », selon le mot de saint Paul (Rom. XII, 2) ? 

81AYY0JcR1L.jpgC’est sur cette exigence toujours actuelle du discernement que Jan Marejko exprime ses inquiétudes. A la dyade quelque peu habituelle entre tradition et modernité, le philosophe suisse choisit d’opposer, méthodologiquement, la triade de trois « accents », trois tendances, trois modes de rationalité irréductibles au cours historique : mythocosme / logocosme / technocosme. En effet, la dyade a ceci de dangereux qu’elle peut conduire à une certaine clôture de la pensée sur la distance haineuse de l’exclusion ou de la proximité complice de l’inclusion. La triade, quant à elle, crée un lien vivant entre trois termes dont la tension dialectique déjoue les fixations d’une pensée habituée, sans renoncer à dire le monde. 

De la superstition de la vie ordinaire …

Jan Marejko ne prétend pas substituer son rythme de pensée ternaire au conflit binaire entre tradition et modernité. Lui-même, en effet, ne s’interdit nullement d’envisager le caractère inédit du monde moderne, construit sur la négation de l’esprit traditionnel. La négation de la modernité consiste en effet en le rejet d’une fidélité attachée à une double origine : chronologique (respect du passé et des Anciens) et ontologique (culte du Créateur et vie transcendante). 

Seulement, l’exigence d’authenticité interdit l’antimoderne Jan Marejko de se limiter à un simple portrait du visage mort du monde moderne. Il faut d’abord savoir quel regard opposer au crépuscule, quelle autre sorte de joue tendre au soufflet orgueilleux de l’homme Prométhéen. C’est pourquoi la peinture de la Cité des morts, celle de la modernité constituée comme monde, n’intervient vraiment que dans le dernier mouvement de l’essai de Jan Marejko. Le jugement de la tradition précède la condamnation de la modernité. Ce jugement, ici, consiste à opposer deux façons en apparence traditionnelles de se rapporter au monde : l’une, mythique, ou mythocosmique (car elle n’est jamais le fait d’individus isolés), l’autre, logale, ou logocosmique. 

La première est mythologique parce que non métaphysique : elle est incapable de discerner un réel au-delà de la nature (phusis), c’est-à-dire de « voir », par l’œil de l’âme, l’invisible en son lieu transcendant. Elle n’opère pas la dépossession du regard propre à la vie du verbe et regarde toujours l’invisible (qu’elle perçoit néanmoins) à travers le prisme du visible : « le sacré, dans un mythocosme, est moyen du profane et non sa fin ». En effet, « au lieu de permettre aux âmes de s’élever au-dessus de l’obsession de la survie, un tel pouvoir [mythocosmique] les enfonce dans cette obsession tout en les plongeant dans la servitude ». Dans un mythocosme, les hommes ne savent pas voir le visible pour ce qu’il est car ils y discernent sans cesse un ensemble de volontés bienveillantes ou malveillantes : aucune distance véritable ne se crée entre l’ici-bas et l’au-delà. Il s’ensuit que la conscience du plus grand que soi est comme asservie par la superstition de la vie ordinaire : « l’au-delà auquel sont renvoyés les hommes du mythocosme est l’espace imaginaire dans lequel ils projettent leurs terreurs, leurs espoirs, leurs appétits naturels (sexe et nourriture essentiellement). L’espace invisible du mythe n’est pas réellement transcendant parce qu’il n’est qu’une amplification fantasmatique de ce qui existe déjà dans la nature ». Ainsi en est-il par exemple de la vie éternelle, conçue alors comme perpétuelle par l’entendement mythocosmique, c’est-à-dire comme une certaine prolongation de l’état de vie naturel.

41LDrjlNkDL._SX329_BO1,204,203,200_.jpgOr loin de s’opposer au mythocosme, le technocosme, c’est-à-dire le monde régi par l’arraisonnement et la technique, qui valorise exclusivement l’industrie et les préoccupations matérielles et financières, se pose en fait comme son ennemi gémellaire. Comme dans un mythocosme, le pouvoir technocosmique « médiatise des puissances dont on attend qu’elles favorisent la vie, la prolongent ou l’amplifient » : ces puissances, divines qu’elles étaient, sont économiques ou politiques. Elles tirent leur respect de leur règne anonyme, invisible, incontestable. En elles, les Hommes placent leur salut comme ils placent leur argent : ils investissent en elles pour conquérir le repos d’une vie de possédants. En elles, ils ont « réussi leur vie », pensent-ils. Il faut dire que le bonheur dans les deux cas est attaché à la jouissance des biens matériels : que le contrôle de l’environnement soit magique et cérémoniel, ou bien statistique et industriel, la nature reste l’horizon de l’activité humaine immergée dans ses petites préoccupations affairées ou moralistes, engoncée dans la roue des désirs et des souffrances. Que la distance soit minime (mythocosme) ou inexistante (technocosme), l’homme, dans les deux cas, ne s’oriente pas dans la vie logale qui est pourtant sa vocation d’animal sémantique. Ne s’arrachant pas positivement à la nature, immergé en elle, il est incapable de la regarder, de la comprendre, de l’aimer dans sa précarité. 

… à la religion de la Vie 

La tradition animée par la vie du Verbe ne réduit plus le bonheur à l’horizon intéressé de la satisfaction des jouissances matérielles et narcissiques. Chez un Aristote, en effet, elle situe le bonheur dans la vie contemplative, théorétique. Pour pouvoir dire les choses, l’homme doit avoir atteint une certaine distance vis-à-vis d’elles, distance qui reconstitue les phases successives ou les aspects partiels d’un objet dans sa totalité signifiante, le rendant alors manifeste dans ce qu’il est réellement, le plus intimement. L’âme humaine, dit saint Thomas, est suspendue entre le temps et l’éternité : de cette façon, la distance vis-à-vis des choses s’enracine, dans le mouvement logal, dans une distance vis-à-vis de Dieu, dont le lieu se situe dans un Autre, jamais réductible à quelque idole que ce soit. Aussi dans la tradition juive se reconstitue l’altérité divine : les règles de la Torah, note Jan Marejko, n’ont « pas pour objet de protéger ou d’exalter la vie terrestre, mais d’orienter cette vie d’une manière telle qu’elle puisse participer à une autre vie, recevoir une lumière nouvelle et, surtout, accueillir une parole libératrice parce qu’au-dessus de tout pouvoir terrestre ».

Loin de Dieu et loin du monde, l’âme lancée dans un mouvement logal trouve sa vérité dans l’exil. Libérée du souci du monde, libérée de la peur et de l’intéressement, sa souveraineté s’établit pour qu’elle puisse prendre la parole. Alors naît la parole des prophètes Juifs comme celle, tout aussi prophétique, d’un Socrate, duquel on apprend, dans l’Apologie de Socrate de Platon, qu’il est « nommé par le dieu pour défendre la vie du verbe dans Athènes, montrer qu’il en est venu à “négliger toutes ses affaires” – qu’il y a dans cette négligence pour sa vie matérielle quelque chose de plus qu’humain ». S’appuyant sur l’historiographie d’Alexandre Koyré, Jan Marejko remarque en effet que « le dépassement du souci de la survie ou de l’utile est la condition d’une science théorétique [ou] logale ». Cette science est une connaissance pure, centrée sur la recherche de la vérité et dépouillée de l’avidité. Elle vise l’accomplissement du sujet et non son opposition exclusive ou duale vis-à-vis des objets qu’il observe. « Mais, ajoute le philosophe genevois, pour regarder l’ici-bas d’une manière désintéressée, comme une science logale l’exige, il faut avoir trouvé un point d’ancrage ailleurs que dans la nature. Sinon, on ne peut s’empêcher d’y chercher les signes d’un salut possible sans jamais voir quiconque ni quoi que ce soit ». Dans un logocosme, l’Homme comprend donc que l’amélioration de sa condition et l’objet de son bonheur ne résident pas dans le réarrangement obsessionnel et superficiel de son environnement mais avant tout dans le réarrangement intérieur de son rapport à soi et au monde : destruction de l’égoïsme, repentance, questionnement, compréhension, dialogue, par l’enracinement ontologique du sujet dans un lieu Autre, étranger aux passions passagères et aux violentes illusions de la vie mondaine. 

51hVLwLuDzL._SX352_BO1,204,203,200_.jpgPrendre la parole

Jan Marejko, au travers des très nombreux sujets qu’il aborde dans son essai, pose donc en creux l’enjeu fondamental de la parole. Il écrit dans un monde où tout le monde parle, mais où rien ne se dit. La massification à tous les niveaux de la vie humaine dans notre modernité (démographie, informations, produits) étouffe dans son flux toute possibilité de prise sur le monde. Un pouvoir inédit s’est ajouté aux pouvoirs traditionnels : le pouvoir médiatique, qui confisque toute possibilité de réponse. Celui, en effet, qui a le monopole de la parole a le monopole du pouvoir ; or le discours médiatique s’impose en tout lieu sans que les millions des téléspectateurs puissent avoir quelque chose à redire. La démocratie moderne se fonde peut-être sur l’isonomie (l’égalité devant la loi), mais dans son droit imaginaire à la liberté d’expression, elle a été incapable d’assumer le premier élément fondamental de la démocratie grecque : l’isegoria, l’équité dans la prise de parole. « Dans les sociétés modernes [démocratiques], l’impossibilité de répondre ne tient pas à la terreur exercée par celui qui détient le pouvoir [tyrannique], mais à la structure même de la communication ».

Le principe d’inertie cher à la science moderne, qui a renversé la conception traditionnelle du mouvement conçu comme désir d’atteindre une fin, est intégré dans l’imaginaire collectif : l’espace démocratique n’est plus un lieu de relations entre des citoyens libres, mais un ensemble de champs de forces (mass media, partis politiques, syndicats…) qui interagissent entre eux sans espace politique réellement partagé. À si grande échelle et au sein d’une masse si grande d’acteurs sociaux, cette absence d’isegoria s’accompagne « d’une prolifération d’échanges aniségoriques ». Il en va, partout, de sa propre indignation, de ses propres intérêts, de ses propres jeux de langage : que les novlangues soient commerciale, inclusive ou autre, le rapport de l’homme moderne au monde est alogal du fait même qu’il a renoncé à l’accord des mots avec les choses.  La parole n’ose plus se référer à un Autre du discours, désigner des objets extérieurs à son énonciation, mais se limite soit à un exclusivisme, soit à un relativisme des points de vue selon lequel, la réalité ne pouvant jamais être saisie, on ne peut rendre compte que de la manière dont on parle de notre propre réalité. Mais quelle rencontre est possible dans cette conception sourde du langage ? Qu’est-ce qui rendrait possible ici un lieu dans lequel pourraient dialoguer différents points de vue s’accordant sur un même objet ? Dans cet éclatement, « une parole qui s’est close sur sa propre opérativité (sciences) ou sa propre répétition (médias) rend absurde la notion de réponse ». 

Voici donc venu, contre la vie du verbe qui prend le risque de nommer en assumant sa précarité, le règne du bavardage : « dans le champ d’un discours alogal il n’y a plus ni monde ni sujets : tout y est un état de flux permanent où il est impossible de repérer des substances capables d’être saisies dans une définition ». Il s’ensuit qu’« aussitôt qu’une parole se donne comme une combinatoire auto-suffisante (refus de la référentialité) elle ne peut ni provenir d’une subjectivité [dont la réalité est noyée dans un ensemble de constructions et de ramifications impersonnelles], ni nommer des objets [dissous dans les seules relations] ». Dans la cité des morts, c’est clair : « le verbe dérange ». Face au nihilisme ambiant, Jan Marejko oppose finalement une certaine conception, profonde, de l’annonce évangélique : non pas la défense d’une chapelle, mais la recherche, chez les volontés non encore brisées ou ramollies, d’une (re)conversion à la vie du verbe, c’est-à-dire la capacité de pouvoir répondre à une altérité. Et cela, Robinson sur son île et Narcisse devant son miroir, cohabitant dans une cité de morts, ne le vivront jamais. 

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Quel avenir pour le militantisme blanc?

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Quel avenir pour le militantisme blanc?

par Thierry DUROLLE

Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2018, le local du Bastion social clermontois fut à nouveau la cible des nervis du Système. Les militants antifascistes de la CARA (Cellule antifasciste révolutionnaire d’Auvergne) ont vandalisé une seconde fois l’Oppidum, ce local qui secoue malgré lui la vie de la cité arverne, suivi d’une tentative d’incendie dans la nuit du 3 au 4 octobre.

Une grande campagne fut menée contre l’arrivée des militants en juillet dernier avec l’appui d’Olivier Bianchi, le ventripotent maire de Clermont-Ferrand, qui a visiblement pardonné le casse de sa voiture par les militants de la CARA. Le torchon local, La Montagne, a fait ses choux gras de toutes ses histoires en relatant le moindre fait divers en rapport, de près ou de loin, au Bastion social.

Avant ce nouveau saccage, des militants furent mis en cause dans une rixe suite à une énième provocation. Ces derniers, au nombre de trois, ont été mis en prison en préventive suite à un séjour en Alsace pour deux d’entre-eux. Le troisième qui, d’après nos informations, n’a pas porté de coups fut lui aussi embastillé. Soulignons pour une fois l’efficacité, dans un effort commun, de la police et de la justice française… Des peines de sursis et de prison ferme ont été prononcées à l’encontre des deux militants et du troisième comparse. Finalement, la section clermontoise du Bastion s’est dissoute le 16 octobre dernier.

À l’instar de l’« affaire Méric », la réaction du Système est sans aucune pitié envers ses ennemis. Les militants du Bastion social le savaient. Quoiqu’il en soit, nous nous devons de saluer une initiative courageuse qui, comme a pu faire le MAS, a pour but d’agir dans le réel et pour le pays réel. Cela est aussi le cas pour les actions de la Dissidence Française et de Génération Identitaire.

L’encrage du Bastion social et des mouvements militants en général se situe en ville, grande ou moyenne. Points névralgiques de la société liquide actuelle, ces endroits sont devenus des tumeurs cancéreuses. Il fut un temps où les villes drainaient les campagnes de leurs habitants pour les transformer en ouvriers. Maintenant les villes regroupent d’un côté les adhérents à la mondialisation, les bobos, les hipsters, les cadres dynamiques et l’homo festivus en général; de l’autre, elles concentrent les travailleurs précaires, les chômeurs, les SDF, les clandestins et les pauvres de toutes sortes. Elles offrent sur un plateau d’argent le fameux « jouir sans entraves » de mai 68 aux moutons producteurs-consommateurs. Ces Megalopolis peuvent se résumer de nos jours au triptyque UberTinderBurger.

Lorsque nous observons les photographies postées par des militants de droite radicale, nous constatons que ceux-ci sont de parfaits urbains. Sauf exception, ils n’ont rien à envier à leurs congénères hipsters. Le portrait type du jeune militant est celui d’un Homo festivus dans l’âme, consommateur de vêtements de marque aux prix exorbitants, parfois aussi de junkfood, et surtout d’alcool – quand ce n’est pas tout simplement de la drogue. L’alcoolisation des masses est un fléau, particulièrement dans notre mouvance. Promouvoir un mode de vie sain dans un monde en déréliction totale, voilà un projet subversif et révolutionnaire : boire modérément (et de l’alcool de qualité, pas de la bière pour lycéens) ou pas du tout, manger bio et de façon équilibrée, avoir une ou plusieurs activités physiques, arrêter la cigarette, etc., nous semblent être le b.a – ba. Face aux laxistes soyons ortho-rexistes !

Se croyant révolutionnaire, le militant de la droite radicale fait figure d’adolescent bourgeois face à certains militants d’extrême gauche réellement révolutionnaires dans l’âme et en actes. Il est temps pour les militants soucieux de préserver le meilleur des Albo-Européens de déserter les villes et d’adopter un mode de vie différent.

Il fut un temps où l’idée de « retour à la terre » était en vogue. Le terrain fut déblayé par les contestataires de 68 partis s’installer dans le Larzac, en Lozère ou en Ardèche. Ces expériences furent pour la plupart des échecs puisque beaucoup de ces bourgeois étaient en réalité des incapables. Pourtant ces expériences inspirèrent de futures générations de gauchistes qui se débrouillèrent par la suite mieux que leurs aînés.

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Notre idée du « retour à la terre » s’inspire plutôt du courant Völkisch et de son Heimatschutz, de certains mouvements de jeunesse allemands comme le Bünd des Artamanen, de l’idéologie Blut und Boden du Reichsbauernführer Walther Darré. N’oublions pas notre beau pays avec ses écrivains enracinés : Mistral, Giono, Vincenot et aussi Henri Pourrat. Ce dernier magnifia la paysannerie de son terroir du Livradois-Forez dans des ouvrages comme L’Homme à la bêche ou Le paysan français. Robert Dun demeure une source d’inspiration de premier plan du fait de son écologisme, de son racialisme et de son paganisme dionysiaque. Enfin, sur un plan plus politique, remémorons-nous le discours de Barrès sur la terre et les morts ou encore le mouvement paysan des « Chemises vertes » d’Henry Dorgères. Voilà des sources d’inspiration pour un « retour à la terre » bien de chez nous. Mais est-ce suffisant ?

En fait, le concept de « retour à la terre » ne nous convient guère. Nous lui préférons celui d’enracinement ou plutôt de ré-enracinement. Les campagnes françaises se désertifient. Lorsque le géographe Christophe Guilluy évoque une France périphérique, il n’exagère pas. Alors, plutôt que de remplir nos terroirs par des clandestins, pourquoi ne pas les remplir avec d’affreux « suprémacistes blancs » ? Contrairement à ce que pense Arthur Kemp, pas besoin de partir en Russie pour bâtir un foyer blanc ! À ce titre, un exode des Français albo-européens à l’Est engendrerait inévitablement, sur les futures générations, un métissage avec les peuples autochtones. Métissage biologique et culturel : devons-nous rappeler que les colons européens irlandais ou allemands partis en Amérique ne sont plus des Européens d’esprit ?Abandonner la terre de nos pères pour une terre « étrangère » représenterait une terrible défaite et ne doit être envisager uniquement comme ultime recours.

Néanmoins, tout le monde n’est pas apte à aller au bout d’une telle démarche, surtout si elle s’accompagne d’un changement de mode de vie radical. Mais, à l’évidence, nos paroles doivent être authentifiées par des actes comme le rappelait Dominique Venner. Notre ennemi est le Système ? Alors nous devons nous glisser dans ses fissures pour retrouver des espaces de liberté.

Nous avons conscience du parti pris de nos propositions. Cet voie ne plaira pas à tout le monde. Beaucoup préféreront « militer » au chaud au bistrot. Pour les véritables révolutionnaires, le combat continue mais loin des villes. Ce qui fut autrefois symbole de Haute-Culture a été retourné pour devenir un agent dissolvant des peuples blancs. Pour autant, ne nous méprenons pas sur l’état de la ruralité : elle est bien mal en point. Il ne faut pas l’idéaliser mais envisager sa potentialité dans le combat qui est le nôtre. Un chef français prononça un jour ces mots. « La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c’est une portion de France qui meurt. Une jachère de nouveau emblavée, c’est une portion de France qui renaît. »

Oui, la terre ne ment pas… pour autant qu’on la traite avec respect ! Cette glèbe nourrie du sang de nos ancêtres doit être réinvestie sérieusement par la Droite radicale. Le ré-enracinement des hommes différenciés de notre camp relève de l’obligation.

Thierry Durolle

Fascistométrie et rééducation des masses...

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Fascistométrie et rééducation des masses...

par François-Bernard Huyghe

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com 

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux tentatives, grossières, du système politico-médiatique d'assimiler la vague populiste à une résurgence du fascisme... Spécialiste de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe, auteur de nombreux livres, a récemment publié La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018).

Fascistométrie et rééducation des masses

Les années trente reviennent, paraît-il. Certes les esprits tatillons, très « vieux monde », pourraient trouver quelques différences mineures : une guerre mondiale encore fraîche avec ses millions de morts et ses anciens combattants au désespoir, une crise économique pré-keynésienne notamment dans une Allemagne ruinée et saisie par un chute folle de la monnaie, des revendications territoriales (ou des occupations) entre pays européens, le péril bolchévique qui terrifiait sur fond de grèves ou d’émeutes, des gens armés en chemise de couleur se battant partout, les puissances d’une Europe divisée reposant sur leur colonies, guère de concurrence économique d’Asie mais aussi guère d’État providence, réarmement partout, des migrations essentiellement inter-européennes, des sociétés encore largement chrétiennes et rurales, un nationalisme assumé par les classes dirigeante à rebours ce qu’elles professent aujourd’hui, des gouvernements très instables, la montée de partis politiques totalitaires s’assumant comme tels… Passons.

Chacun a bien compris qu’Emmanuel Macron jouait sur le point Godwin en nous suggérant un quasi retour du fascisme contre lequel il serait le dernier rempart. Fascisme est pour le moins un terme polysémique et nous nous sommes livrés à un petit test comparatif. En Italie puisque l’épouvantail Salvini est si souvent évoqué.

Prenons d’abord un définition « classique » par Umberto Eco qui, en 1995, énonce quatorze caractéristiques sinon de tous les fascismes, du moins du fascisme comme « ur-fascsimo », archétype (plutôt un schéma d’un fascisme absolu ou poussé à l’extrême, même si chaque fascisme particulier diverge légèrement par rapport à lui) :

- Culte de la tradition
- Refus du monde moderne
- Culte de l’action pour l’action
- Refus de l’esprit critique
- Culte de l’unité du peuple
- Appui sur les classes moyennes 
- Obsession du complot
- Exaltation de la lutte contre un ennemi surpuissant
- Rejet de tout pacifisme comme trahison
- Élitisme de masse (notre communauté est supérieure)
- Culte du héros
- Machisme
- Droits des peuples contre droits des individus
- Recours à un néo-langage porteur de forts contenus idéologiques

Nous pourrions discuter chacun de ces points et nous demander plus en détail lesquels s’appliqueraient au stalinisme ou au maoïsme et lesquels seraient vraiment typiques de Salvini. Mais admettons qu’il s’agit d’un idéal-type, de tendances poussées à l’extrême et reconnaissons qu’Eco propose au moins des catégories significatives.

Petite comparaison avec un texte qui fait grand bruit en Italie vingt-trois ans plus tard L’Espresso publie en ligne un test intitulé « fascistometro » donc destiné à mesurer le degré de fascisme du lecteur suivant son nombre de réponses positives ou d’approbation à 56 affirmations. Ces affirmations que nous n’avons pas la place de reproduire ici peuvent apparaître comme de bon gros lieux communs, mais sont présentés par l’hebdomadaire centriste comme autant d’étapes sur le chemin qui nous mènerait aux années les plus sombres.

Quelques exemples :
- l’Italie est un pays ingouvernable
- Il nous faudrait un régime présidentiel
- Les journalistes sont tous au service du pouvoir
- Je vous rappelle que ces gens-là votent
- Il faudrait les recenser
- Je pense à nos garçons des forces armées
- C’est facile de parler quand on est bien au chaud
- Un pays sans frontière n’est pas un pays.
- Etc.

Le lecteur pourra consulter la liste complète, et, s’il le veut, procéder au test. On lui accordera que les phrases ne sont pas d’une immense finesse (cela dit : essayez d’inverser - un pays sans frontière est un pays, l’Italie est un pays gouvernable, je ne pense pas à nos garçons des forces armées, c’est courageux de parler quand on est bien au chaud- et faites vous des copains…) . Certes, nous ne cherchons pas à démontrer que les rédacteurs de l’Espresso (la romancière M. Murgia qui a rédigé le test) sont légèrement moins fins que l’auteur du « Nom de la rose ». Il y a une terrible différence de registre. Analyser le fascisme pour Eco, c’est penser quelques catégories fondamentales d’où découlent des attitudes. Pour L’Espresso c’est criminaliser des phrases de bistrot, avec une bonne dose de mépris de classe. C’est accessoirement culpabiliser des réactions populaires spontanées pour y dénoncer le germe de la nouvelle lèpre. Le fascisme le produit spontané de la niaiserie des masses : difficile de faire plus contre-productif.
Du reste, Mme Murgia publie en ce moment avec H. Janeczek intitulés « Attention au fascisme qui vit en vous ». L’idée est claire. Nous sommes tous potentiellement fascistes. Racismes et violences sont universels (ce serait donc une pulsion de nature et non une construction de quelques cultures dominantes ?). Il faut donc apprendre à s’autoanalyser et à s’autodiscipliner. Dressage et repentance. Le problème du fascisme n’est pas un problème politique, c’est un problème psychanalytique.Vigilance, camarades, dressons un barrage contre les pulsions des masses.

Proposition de test pour L’Espresso :
« Si vous étiez un fasciste désireux de gagner les prochaines élections que feriez vous aux électeurs ?

A) Je leur enverrais des gens en uniforme leur parler de dieux antiques, de mort au combat, de mobilisation totale du peuple tout entier, de la prochaine guerre à entreprendre contre un adversaire surpuissant...
B) Je leur ferais lire L’Espresso pour les persuader que ceux qui souhaiteraient plus d’emplois pour leurs concitoyens ou qui critiquent les fonctionnaires sont des nôtres : la preuve que le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde
C) je traduis le clip gouvernemental français (évoqué à l’article précédent)
D ) Je reprends les slogans psys de Mai 68 sur la libération de la parole et je crie « à bas le Surmoi ».

François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 3 novembre 2018)