samedi, 04 juin 2022
Contre l'"optimisme scientifique". De l'"homo sapiens" à l'"homo deus"
Contre l'"optimisme scientifique". De l'"homo sapiens" à l'"homo deus"
Ernesto Mila
Source: http://info-krisis.blogspot.com/2022/05/cronicas-desde-mi-retrete-contra-el.html
L'un des mirages de notre époque est l'"optimisme scientifique" que l'on retrouve dans les médias. "Quoi, il y a un virus qui efface tout ? Relax, il ne se passe rien ici ! Le vaccin qui résoudra le problème sera bientôt prêt. Le VIH, qui était mortel dans les années 1980, n'est-il pas devenu aujourd'hui une maladie chronique ? C'est l'un des derniers arguments que nous entendons partout dans les médias depuis février-mars 2020. La science peut tout faire, elle résout tous les problèmes, ceux qui existent aujourd'hui et ceux qui apparaîtront demain. Quiconque ne fait pas confiance à la science a un problème. La science d'aujourd'hui est la définition la plus courte du "progrès". Puis il s'avère que les choses ne sont pas tout à fait comme ça.
Dans les années 1960, il y a eu un débat épistémologique sur la science et sa neutralité. Certains ont affirmé qu'il existait une "science" au service du capitalisme et que, par conséquent, la science n'était pas neutre, mais une extension du capitalisme pour mieux atteindre ses fins ultimes, plus rapidement et de manière plus rentable. Les autres disaient que la science était neutre car une invention comme la bombe atomique pouvait servir à la fois aux "capitalistes" et aux "communistes". Finalement, la chose la plus raisonnable - après la fièvre de Mai 68 - était que la science était neutre dans ses principes, mais que son application ne l'était pas. La science médico-légale, diffusée avec pédanterie depuis 20 ans par la franchise "CSI", peut être appliquée aussi bien par les enquêteurs de la police pour résoudre des crimes que par les criminels qui ne veulent pas laisser de traces (la série Dexter, par exemple, est basée sur cette idée).
Ainsi, à la conclusion sur la neutralité de la science, mais pas de ses applications, nous pouvons en ajouter une autre : la science peut être utilisée aussi bien dans son aspect "clair", bénéfique à l'humanité, que dans son aspect "sombre". Et, à partir de là, nous avons même une troisième conclusion à portée de main: les "optimistes scientifiques" ne font référence qu'aux aspects positifs des nouvelles découvertes et possibilités qui s'ouvrent dans les différents domaines, mais jamais, absolument jamais, à leur "côté sombre". Car tout progrès scientifique et toute avancée technique comportent inévitablement un aspect problématique.
Bien que nous reconnaissions que l'énergie nucléaire est le moyen le moins cher de garantir l'approvisionnement énergétique, du moins en Europe, et que les centrales nucléaires du 21e siècle n'ont rien à voir avec celles de la seconde moitié du 20e siècle, et sont donc plus sûres, il y aura toujours la possibilité d'une défaillance technique ou humaine ou d'une attaque. Mais toutes les formes de production d'énergie ont leur côté sombre: l'énergie éolienne, par exemple, génère des problèmes acoustiques qui empêchent la vie humaine à proximité des parcs éoliens. Quiconque a visité un parc éolien sait exactement de quoi nous parlons. Et, d'autre part, tout dépend du vent qui souffle, tout comme l'énergie solaire fonctionne tant qu'il n'y a pas de nuages qui s'amoncellent...
Il n'existe pas de solution qui soit sûre à 100 % et qui, en même temps, n'implique pas une forme de dommage, de nuisance, de risque ou de gaspillage.
Passons à un autre domaine. Celui des sciences de la santé. L'important capital excédentaire des entreprises technologiques investit dans ce domaine. Personne ne veut mourir. Personne ne veut être malade. Certains veulent même vivre éternellement. Et la science fait des recherches dans ce sens. Ce n'est pas de la science-fiction, ce sont des réalités qui ont déjà été réalisées: il a été possible de prolonger la vie de rats de laboratoire en multipliant par quatre leur durée de vie normale, en prolongeant les télomères qui garantissent la bonne reproduction de leurs cellules. Cela signifierait, dans la vie humaine, la possibilité d'atteindre 320 ans, sans aller plus loin. De même, ils expérimentent la technologie dite "CRISPR", qui consiste essentiellement à couper et coller les gènes endommagés dans les chaînes d'ADN et à les remplacer par d'autres gènes "sains". En d'autres termes, l'"édition de l'ADN" a été rendue possible. C'est très bien de pouvoir vivre un peu plus de trois siècles... mais le problème n'est pas seulement de vivre, mais quelle sera notre qualité de vie, et comment notre esprit réagira-t-il à un monde qui n'a rien à voir avec celui que nous avons connu dans notre enfance, pas même lorsque nous aurons atteint nos 100 premières années ; nous aurons atteint la "maturité" vers 150 ans... Qu'y a-t-il de mal à prolonger la vie au-delà de trois siècles ? Pouvons-nous imaginer ce que ce serait de naître en Espagne en 1700 et de mourir en 2022 ? Le cerveau pourrait-il stocker et traiter autant de souvenirs ? Pourrait-il résister à autant de changements ? Quelle serait notre qualité de vie ? La question de la "superlongévité" - techniquement possible aujourd'hui encore - génère de nouveaux problèmes très difficiles à résoudre... et aucun des scientifiques travaillant sur ces projets n'en parle.
L'ineffable Elon Musk finance le projet "Neurolink", qui consiste à connecter directement cerveau et ordinateur. Malgré le secret qui entoure ce projet, il a été rendu public: à une date indéterminée, en tout cas avant les 25 prochaines années, il sera possible de créer une interface permettant de "télécharger" tout ce que contient notre cerveau dans le "nuage" (le "cloud"). L'idée est que ce projet progresse parallèlement à d'autres nouvelles technologies. La robotique, par exemple. Si nous devons être en Australie, il ne sera pas nécessaire, dit Musk, que nous nous y rendions. Il suffira de charger un robot avec le contenu de notre partition dans le "nuage", pour que "nous" y soyons, sans y être... Science-fiction ? Pour le moment, oui, mais n'oublions pas que des milliards de dollars sont investis dans la recherche dans cette direction.
Beaucoup plus réaliste et à portée de main est l'abandon des transplantations d'organes. L'Espagne est réputée être un leader en matière de "dons" d'organes. Elle ne sera guère utile dans cinq ans, lorsque des organes artificiels pourront être "imprimés" dans des imprimantes 3D, en utilisant des cellules souches comme "encre". Ce sera une percée, car il n'y aura pas de "rejet" et le corps ne sera pas saturé après quelques années par les résidus chimiques des médicaments anti-rejet. La question fondamentale, une fois de plus, n'est pas technique, mais de savoir si la sécurité sociale couvrira les coûts de ce type d'opération ou si la technique ne sera qu'à la seule portée de quelques privilégiés. Les inégalités sociales risquent de se traduire en temps de vie: les plus fortunés pourront se payer un "étirement" des télomères, ils pourront remplacer tout organe qui se dégrade par une réplique imprimée en 3D et, à la limite, si tout échoue et qu'il n'y a pas de remède, ils pourront toujours souscrire une police auprès d'ALCOR, une entreprise qui opère depuis un quart de siècle, avec une succursale en Espagne, qui garantit la conservation cryogénique du corps physique en cas de décès dû à une maladie incurable, et la "dé-cryogénisation" au moment où l'on trouve un remède à cette maladie. L'assurance-vie couvre les frais de conservation. Et si l'on n'a pas une fortune pour payer les frais de cryogénie et de conservation du corps entier, ce qui sera conservé - ce qui est d'ores et déjà conservé aujourd'hui - c'est la tête dont le cerveau sera transplanté dans un robot à la première occasion.
À la limite de cet "optimisme scientifique" se trouvent les gourous du posthumanisme (à ne pas confondre avec le transhumanisme). Alors que le transhumanisme soutient qu'il est possible d'améliorer les capacités humaines grâce aux nouvelles technologies, les posthumanistes affirment qu'une fois le stade transhumaniste dépassé, il faudra atteindre une situation dans laquelle les êtres humains pourront s'émanciper complètement de la biologie qui les limite, se réfugier dans le "nuage", y créer une sorte de "conscience globale", qu'ils considèrent comme la limite de l'évolution darwinienne: nous aurons ainsi parcouru le chemin entre le ver et l'homme, comme disait Nietzsche... pour finalement nous transformer en un seul être global, avec une seule conscience d'espèce, presque comme celle qui gouverne une fourmilière ou une ruche.
Cette dernière perspective, défendue non pas dans le domaine de la science-fiction, mais dans celui des "sciences d'avant-garde", constitue la limite extrême d'une tendance très marquée de notre époque: la considération de la science comme la mère de toutes les solutions et du progrès comme la tendance inéluctable à laquelle elle nous conduit. Pourquoi s'interroger encore ? La science fait progresser l'humanité et il importe peu que nous vivions 320 ans, éternellement, ou que nous dépassions le "stade biologique" et parvenions à nous émanciper de ses limites. Le reste n'a pas d'importance. L'idée de "progrès" l'emporte toujours et nous devons toujours aller plus loin dans la direction qu'elle nous indique.
Au début du 20e siècle, les progrès scientifiques et techniques ont suscité un débat sur la science. Je crois me souvenir que c'est Henri Poincaré qui a inventé l'expression "science sans conscience" dans sa critique de la science positiviste. L'idée était que, s'il est vrai que la science peut explorer dans toutes les directions, elle doit le faire avec une éthique, une conscience, des critères moraux et raisonnables de sécurité et de prudence.
L'"ère informatique", créée par des personnes émotionnellement immatures (de Gates à Musk en passant par Jobs) préfigure les échecs titanesques évoqués dans la mythologie et dans la grande littérature : Icare qui voulait atteindre le soleil (très directement lié à Elon Musk avec son SpaceX), Faust qui a vendu son âme au diable en échange de la "connaissance" et, à partir de là, tout a mal tourné pour lui (la "science sans conscience" de Poincaré), Prométhée qui a volé le feu sacré de la connaissance et on sait comment il a fini (périphrase symbolique du transhumanisme), le Dr Frankenstein qui a voulu créer "l'homme parfait" et en est sorti une monstruosité (autre variante symbolique du sort qui attend les délires transhumanistes), le duo Jekyll et Hyde de Stevenson, qui croyait qu'un médicament pouvait améliorer les capacités humaines et a créé un monstre (ce qui renvoie directement aux "produits pharmaceutiques" et à leurs produits "miracles", notamment le vaccin anti-Covid ou le fentanyl, qui a dévasté les États-Unis plus que tout autre fléau biblique), et, comme tous les textes transhumanistes y font généralement référence, Gilgamesh lui-même, qui se plaignait que les dieux s'étaient réservé l'immortalité et voulait être comme les dieux.
Au fond, ce qui se cache derrière tous ces projets immatures et frustrés, c'est la transformation de l'"homo sapiens" en "homo Deus", ou encore le paradoxe selon lequel l'homme, qui a cessé de croire en Dieu, a fini par croire qu'il était un dieu et, par conséquent, ses projets consistent à réaliser les capacités de Dieu à travers la technologie.
C'est peut-être la raison pour laquelle, aujourd'hui plus que jamais, la phrase qui définissait le Diable comme "le singe de Dieu", le grand imitateur, est encore plus d'actualité qu'au Moyen Âge. Son inversion. En effet, nous vivons aujourd'hui une époque radicalement opposée à toute idée de "normalité". Pour "progresser" dans cette direction, la science de pointe, afin d'être acceptée et tolérée, s'abstient de faire allusion aux aspects négatifs qu'elle contient. Elle ne se concentre que sur ses réalisations positives, qui plaisent à tous. Mais toute avancée technique et scientifique comporte un risque. Jamais autant qu'aujourd'hui, les "optimistes technologiques", dans leur irresponsabilité la plus totale, n'ont évité de faire allusion aux risques des nouvelles technologies.
Le plus grave, c'est que nous vivons une époque de perte des identités : tout ce qui implique une référence, c'est-à-dire un système d'identités, est interdit ou tend à être estompé le plus possible : nous vivons une époque de perte des identités nationales, de perte des identités culturelles, voire de perte des identités sexuelles. Ce qui se passe avec les nouvelles technologies et dans leur arrière-plan est quelque chose d'encore plus grave et extrême : la perte de l'identité humaine.
11:16 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ernesto milà, actualité, optimisme, optimisme scientifique, elon musk, transhumanisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Quelques commentaires. 1) Le Post-humanisme n'est qu'un enieme avatar du transhumanisme, lui-meme avatar de l'humanisme des 'lumieres' (obscurantistes) de la 'renaissance' (suicide de l'oxydent). Il s'agit toujours du meme salmigondis de theories egotistes, qui s'auto-attribue une pseudo-difference dans le delire. 2) Il n'y a pas de 'cote positif' des avancees du scientisme chimiotherapique pilote par les Rockefeller (Big Pharma). RIEN ne marche, et ca vaut pour les cochonneries Neurolink de Musk. Je repete : ca ne marche pas, et ca ne marchera jamais. 'Uploader' son esprit ou ses souvenirs sur le 'cloud' d'ici 20 ans ? Hohohoho. Je suis informaticien; tel que les choses evoluent, toute la baraque va se casser la gueule d'ici moins de deux ans, Internet compris. Cette enf.ure d'Harari et ses potes auront bien sur la responsabilite de nous renvoyer a l'age de pierre, car ce sont juste des escrocs, et des incapables.
Gardez bien votre vieux telephone a cadran : ce sera peut-etre la seule chose qui fonctionnera.
Écrit par : Riton_v | dimanche, 05 juin 2022
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