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dimanche, 22 décembre 2024

La défense de la dialectique hégélienne par Bataille

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La défense de la dialectique hégélienne par Bataille

Troy Southgate

Source: https://troysouthgate.substack.com/p/batailles-defence-of...

Les premiers écrits de Georges Bataille révèlent, en particulier, une profonde aversion pour la manière dont la dialectique hégélienne s’était de plus en plus imbriquée dans l’idéologie marxiste. Du moins en ce qui concerne l’interprétation ordinaire de Hegel, car pour Bataille, la réconciliation des contraires aboutit à quelque chose de progressiste et est donc en contradiction flagrante avec sa propre glorification de la matière vile.

Prenant la matière comme point de départ, Bataille rejette le matérialisme plus pragmatique qui s’était infiltré dans la théorie marxiste, en raison de sa tendance à construire un édifice scientifique. Le matérialisme bas de Bataille, en revanche, ne peut être réduit à des systèmes scientifiques ou politiques parce que, selon lui, ces techniques structurelles trouvent profondément inconfortables les questions relatives à la saleté, à la dégénérescence et à la décomposition. Marx, malgré la transformation ultérieure de ses idées en stalinisme et en maoïsme, entretenait une vision distinctement utopique et peut-être même idéaliste de l’avenir, vision qui a peu de points communs avec la fascination étrange de Bataille pour la fange, les excréments et la putréfaction.

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Pour revenir à la question de la dialectique hégélienne, si le couplage d’un négatif (thèse) avec un positif (antithèse) mène simplement à quelque chose de progressiste (synthèse), la notion batailleenne de matière vile est complètement perdue. En d’autres termes, bien que le marxisme insiste sur l’importance du matérialisme et le revendique comme sien, sa forte dépendance à Hegel conduit inévitablement, selon Bataille, à une dilution de ce qui est négatif. Cela se traduit par une pâle imitation du matérialisme lui-même. Bataille soutient que le marxisme, sans les réalités brutales des mouches, des excréments et des fornications, déraille du processus d’hétérodoxie et échoue ainsi à débarrasser la société capitaliste de ses valeurs bourgeoises.

C’est peut-être ici que la philosophie de Bataille commence à s’approcher de l’extrémité plus « radicale » du primitivisme. Bien qu’il semble logique de suggérer que l’effondrement de la civilisation moderne entraînerait une régression technologique, Bataille aurait sans doute considéré les tentatives de conserver un semblant de mécanisation dans un contexte primitiviste de la même manière qu’il voyait la dialectique communiste: comme une trahison du matérialisme, forçant un pacte impardonnable avec le diable hégélien. Même l’interprétation matérialiste de l’histoire, aurait-il soutenu, échoue en fin de compte à surmonter l’idée même d’histoire.

On peut détecter une perspective similaire dans la proposition économique de Bataille, selon laquelle l’idée marxiste absurde de « libération » par le travail devrait être remplacée par l’événement « orgiaque » du potlatch tribal et, par conséquent, par la destruction de la richesse en tant que telle. En même temps, on peut se demander si la réalisation d’un négatif batailleen réussi ne finit pas par se contredire en devenant un positif aux yeux de ses protagonistes.

Le Grand Israël et le Machia'h victorieux

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Le Grand Israël et le Machia'h victorieux

Alexandre Douguine

Un changement fondamental est en train de s'opérer dans le monde entier en ce qui concerne l'image d'Israël et peut-être aussi parmi les Juifs eux-mêmes. Les Juifs d'Europe ont suscité la pitié, la sympathie et la compassion après la catastrophe qu'ils ont vécue sous Hitler et pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est ce qui a rendu possible la création de l'État d'Israël. L'holocauste ou la shoah, c'est-à-dire les horreurs et les persécutions subies par les Juifs, sont devenus la base d'un accord unanime: après tant de souffrances, les Juifs avaient tout simplement le droit de créer leur propre État. Celui-ci est devenu le capital moral des Juifs et a défini une attitude sacrée à l'égard de l'Holocauste.

Les philosophes de l'école de Francfort ont proclamé qu'il fallait désormais penser à partir d'Auschwitz. Cela signifie que la philosophie, la politique et la morale doivent désormais prendre en compte l'ampleur des crimes commis par les Européens (principalement les Allemands) à l'encontre des Juifs et que l'Occident, et donc l'humanité tout entière, doit se repentir.

L'image des Juifs en tant que victimes en est la pierre angulaire. Elle élève les Juifs au rang de peuple saint: tous les autres peuples sont invités à se repentir et à ne jamais oublier leur culpabilité. Désormais, toute allusion à l'antisémitisme, sans parler des tentatives directes de révision du statut sacré des Juifs et de la métaphysique de l'Holocauste, est punissable.

Peu à peu, cependant, la politique de plus en plus dure d'Israël à l'égard des Palestiniens et des pays musulmans environnants a commencé à brouiller cette image, du moins aux yeux des populations du Proche-Orient qui, rappelons-le, n'ont rien à voir avec les crimes des nazis européens. De plus, l'attitude violente des sionistes à l'égard de la population locale a conduit à des protestations directes et, dans sa forme la plus extrême, à l'Intifada antisioniste.

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L'identité des Israéliens et des Juifs restés dans la diaspora s'est progressivement modifiée. L'accent est mis de plus en plus sur leur démonstration de force et de puissance, ainsi que sur l'aspiration à créer un Grand Israël. Dans le même temps, les idées messianiques se sont intensifiées: attente de l'arrivée imminente du Machia'h, début de la construction du troisième temple (qui nécessiterait le dynamitage du sanctuaire islamique de la mosquée al-Aqsa), forte augmentation des zones sous contrôle israélien (d'un océan à l'autre) et résolution définitive de la question palestinienne (appels directs à la déportation et au génocide des Palestiniens).

Ces idées sont soutenues par Benjamin Netanyahu et plusieurs de ses collaborateurs, les ministres Ben Gvir, Bezalel Smotrich, etc. Ce programme est ouvertement reflété dans la « Torah royale » d'Yitzhak Shapira, dans les sermons des rabbins Kook, Meyer Kahane et Dov Lior. D'un point de vue stratégique, il a été décrit en 1980 dans un article du conseiller de Sharon, le général Oded Yinon. Le plan de Yinon était de renverser tous les régimes arabes appuyés sur l'idéologie nationaliste baasiste afin de plonger le monde arabe dans un chaos sanglant et de créer un Grand Israël.

Aujourd'hui, dix ans après le printemps arabe, et surtout après l'attaque terroriste du Hamas contre Israël en octobre 2023, nous voyons ces plans se réaliser à un rythme accéléré. Netanyahou a détruit Gaza, massacrant sans pitié des centaines de milliers de civils. Il a ensuite attaqué le Liban, tuant tous les dirigeants du Hezbollah. S'en est suivi un échange de tirs de roquettes avec l'Iran et des préparatifs actifs de guerre contre ce pays, y compris des attaques contre des installations nucléaires. Tout cela a été suivi par l'invasion de ce qui restait du plateau du Golan et par des attaques contre la Syrie. Un mois plus tôt, Bezalel Smotrich avait proclamé que Damas ferait partie d'Israël et Ben Gvir avait directement fait allusion à la destruction d'al-Aqsa. La chute de Bachar el-Assad marque la fin du dernier régime baasiste. Le monde arabe est en effet plongé dans le chaos. Le Grand Israël et l'extermination des Palestiniens deviennent une réalité sous nos yeux.

Ce dernier point est important : les politiciens sionistes de droite abandonnent le référent à l'Holocauste. Le capital moral des victimes de celui-ci est maintenant complètement épuisé. Israël affiche sa puissance, sa grandeur et sa cruauté actuelles, presque comme si nous étions revenus à l'Ancien Testament. Aujourd'hui, les Juifs ne sont plus pris en pitié, mais craints, haïs, détestés ou admirés et, dans tous les cas, considérés comme une force puissante et impitoyable.

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L'identité juive a changé. Elle n'est plus symbole d'humiliation et de souffrance, mais synonyme de domination et de triomphe. Il n'est plus nécessaire de penser depuis Auschwitz. Il faut maintenant penser à partir de Gaza. La tradition juive elle-même parle de deux Machia'h, celui qui souffre (Ben Yusef) et celui qui est victorieux (Ben David). Après l'holocauste européen, l'accent a été mis sur le Machia'h souffrant, la victime. Aujourd'hui, cette Gestalt est remplacée par le Machia'h victorieux, celui qui attaque, celui qui triomphe. C'est particulièrement évident en Israël même. Mais il est clair que cela ne s'arrêtera pas là. Il y a un changement d'archétype messianique parmi tous les Juifs du monde.

C'est précisément dans ce contexte que Donald Trump, un fervent partisan du sionisme de droite et de Netanyahou, arrive au pouvoir aux États-Unis. Une partie importante de l'entourage de Trump est constituée de sionistes chrétiens, qui sont prêts à apporter tout leur soutien à Israël. Une fois de plus, le capital de compassion devient capital d'agression. C'est très, très grave et cela ne tardera pas à s'aggraver. D'un autre côté, nous ne devons pas tirer de conclusions, de jugements ou d'évaluations hâtives. Il faut d'abord bien analyser la situation et rassembler de nombreux faits, événements et incidents pour avoir une image cohérente des événements.

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L’assassinat de Kirillov et la double morale occidentale

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L’assassinat de Kirillov et la double morale occidentale

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/lassassinio-di-kirillov-e-la-doppia-morale-occidentale/

Igor Kirillov a été assassiné. Un attentat, déclenché par un explosif à distance, a tué à Moscou le général et son adjoint. L’attaque a été officiellement revendiquée par le SBU, les services secrets ukrainiens, qui se félicitent d’avoir exécuté celui qu’ils considéraient comme responsable des attaques aux armes chimiques contre leur pays.

En effet, Kirillov était le commandant des forces chimiques, radiologiques et biologiques de l’armée russe. À ce titre, il avait dénoncé à plusieurs reprises la présence en Ukraine de centres produisant des armes chimiques, prétendument gérés par du personnel "étranger", à savoir américain et britannique.

En guise de représailles logiques, les services britanniques l’avaient accusé à plusieurs reprises d’avoir utilisé des armes chimiques, interdites par les conventions internationales, contre les forces ukrainiennes. Une accusation que Moscou a toujours rejetée avec indignation.

Ceci pour les faits.

Il reste néanmoins indéniable que le général Kirillov a été assassiné dans un attentat revendiqué par les services ukrainiens, avec au moins le soutien moral des services britanniques.

Un fait incontestable qui corrobore les accusations du Kremlin envers le SBU, qualifié d’organisation terroriste, dirigée par un gouvernement illégitime utilisant de tels moyens pour semer la panique, cherchant ainsi à maintenir un pouvoir désormais vacillant.

Au-delà de toute autre considération, il apparaît évident qu’un régime, celui de Kiev, en déroute sur le champ de bataille, ne trouve rien de mieux à faire que de recourir à des attentats – celui-ci n’étant que le dernier d’une longue série – contre la Russie.

Des attentats qui, par ailleurs, sont totalement inefficaces sur le plan militaire. Il est établi que le terrorisme n’a que peu d’impact militaire, étant généralement le fait d’organisations dépourvues d’assise étatique.

Le fait que, dans ce cas précis, un État et son gouvernement revendiquent un acte terroriste doit donc nous amener à réfléchir. Ou plutôt, à considérer deux points.

Premièrement, et c’est finalement le moins important, les dirigeants de Kiev ont désormais perdu tout sens des limites. Ils estiment pouvoir utiliser n’importe quel moyen pour retarder autant que possible ce qui semble être l’issue inéluctable du conflit: une victoire russe, avec l’annexion du Donbass et l’éviction de Zelensky et de son entourage, remplacés par un gouvernement à Kiev favorable à Moscou.

Deuxièmement, et c’est plus intéressant, on constate que certains pays occidentaux tendent à justifier l’usage du terrorisme et de l’assassinat politique, en totale violation des "règles de guerre" qu’ils avaient pourtant eux-mêmes établies.

Des règles qui, apparemment, ne devraient s’appliquer qu’aux autres.

Américains et Européens se réservent le droit de s’en affranchir lorsque cela sert leurs intérêts.

Une application intéressante du double standard moral : les autres, tous les autres, doivent respecter les règles. Et s’ils ne le font pas, ils sont bannis, hors-la-loi, criminels.

Mais nous, l’Occident, pouvons faire ce que nous voulons. Car nous, et nos alliés – en l’occurrence l’Ukraine – sommes les "gentils".

A priori.

C’est intéressant… mais il est regrettable que cette méthode ait cessé de fonctionner.

Et, bientôt, nous devrons malheureusement en prendre conscience.

De la manière la plus traumatisante qui soit.

Les gouvernements démocratiques se moquent de leurs propres peuples

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Les gouvernements démocratiques se moquent de leurs propres peuples

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/i-governi-democratici-se-ne-fre...

L'Institut de sondage Censis certifie que deux tiers des Italiens sont opposés à la guerre de Zelensky et au soutien qui lui est offert par le gouvernement de Rome et quiest financé aux frais des contribuables italiens. Pourtant, le ministre de la Défense, Guido Crosetto, envisage une augmentation des dépenses publiques en armement, jusqu’à atteindre 2,5% du PIB. Plus de la moitié des Polonais pensent qu’il faudrait mettre fin à la guerre en restituant à la Russie les régions russophones et russophiles mais le gouvernement de Varsovie veut poursuivre la guerre jusqu’au dernier Ukrainien et jusqu’à l’appauvrissement général des Polonais.

En Roumanie, les élections présidentielles sont annulées parce que le peuple a osé voter pour le candidat qui ne plaît pas à Bruxelles. En Géorgie, la présidente, de nationalité française, refuse de céder son siège parce que les Géorgiens ont voté pour le mauvais candidat. En Moldavie, pour renverser le vote populaire, on a fait appel au vote des Moldaves à l’étranger, mais uniquement de ceux qui ont émigré vers des « pays amis ». En France, le président Macron s’appuie sur un gouvernement minoritaire pour éviter d’accepter le verdict populaire qui l’a spectaculairement désavoué.

En Allemagne, le vote dans l’est du pays favorise la droite de l’AfD, mais un blocage se met en place pour exclure ce parti jugé dérangeant. Et peu importe que cela plaise ou non aux électeurs.

Oui, l’avis des électeurs ne compte plus. Le vote ne compte pas. Dans les urnes, un programme précis est approuvé, mais les élus s’en moquent et ne le respectent pas. « Démocratie, démocratie, c’est votre affaire, pas la mienne », chantait quelqu’un dans les années 1970. Mais malheur à celui qui en dit du mal. Car cette oligarchie – composée de politiciens valets au service des marchands de mort, des spéculateurs et des monopoles occidentaux – n’a rien de démocratique. Et encore moins d’aristocratique. Ce ne sont pas des gouvernements tenus par les meilleurs, ce ne sont pas des gouvernements qui dirigent les nations dans l’intérêt de leurs peuples respectifs.

Ce sont des peuples soumis, effrayés. Qui grognent, mais ne réagissent pas.

Sur le chaos syrien

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Sur le chaos syrien

par Georges Feltin-Tracol

Le Système médiatique occidental d’occupation mentale ne surprend jamais ceux qui connaissent son fonctionnement interne, examinent son incessante propagande mortifère et détectent son bourrage de crâne. La chute soudaine de la Syrie néo-baasiste en est une éclatante preuve.

Les plumitifs louent les soi-disant « libérateurs » islamo-terroristes et dénigrent le régime déchu. L’islamisme étant un cosmopolitisme, les journalistes occidentaux ne peuvent que se féliciter de cette sinistre victoire. Les Bisounours barbus paradent dans Damas. Dans leur précipitation, les médiacrates commettent cependant des erreurs factuelles.

C’est le 8 mars 1963 que la branche syrienne du Parti socialiste de la Renaissance arabe (ou Baas) s’empare du pouvoir à Damas, un mois après la révolution des 8–10 février à Bagdad. Or, si le gouvernement baasiste irakien demeure orthodoxe, celui de la Syrie s’allie bientôt aux communistes et impose une planification économique proto-soviétique. Des tensions émergent au sein du Baas syrien entre les partisans socialistes du Premier ministre Salah Jedid et la faction politico-militaire du ministre de la Défense nationale Hafez Al-Assad. Ce dernier provoque en 1970 une « révolution de rectification » et élimine la tendance rivale. Al-Assad père renonce implicitement au projet panarabe et entérine une ambition grande-syrienne naguère défendue par Antoun Saadé. L’épouse du dirigeant syrien et mère de Bachar Al-Assad, Anissa Makhlouf, milita dans sa jeunesse auprès du Parti social-nationaliste syrien (PSNS) de Saadé. Ces corrections idéologiques agacent fortement le fondateur du baasisme, Michel Aflak, qui se réfugie en Irak avant de décéder à Paris en 1989.

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Emblème du parti Ba'ath et portrait d'Antun Saadé.

Déclenchée le 15 mars 2011, le conflit en Syrie reste un exemple de « guerre moléculaire ». Par cette expression, l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger dépasse l’habituelle opposition entre deux ensembles belligérants. On dénombre en effet sept protagonistes en Syrie qui se détestent mutuellement (ou presque).

La rébellion se divise en une trentaine de groupes eux-mêmes rivaux dont les plus importants s’appellent l’Armée syrienne dite libre (ASL), le bras armé régional de la Turquie, et Hayat Tahrir al-Cham (HTC ou Organisation de libération du Levant). Par Levant, il faut comprendre l’espace géographique s’étendant de la Syrie au Sinaï en passant par l’Irak, le Liban, la Jordanie, la Palestine et Israël. Son chef actuel, Abou Mohammed Al-Joulani, pseudonyme d’Ahmed Hussein Al-Chara, serait né en 1982 à Riyad en Arabie Saoudite. Ses parents viendraient du Golan annexé par Tel-Aviv.

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D’abord affilié à Daech, Al-Joulani (photo) s’en détache et se rallie ensuite à Al-Qaïda. Auparavant, parti combattre en Irak les troupes étatsuniennes, il a séjourné une durée indéterminée dans le camp de rééducation psychologique (avec des drogues issues du projet MK–Ultra?) d’Abou Ghraib. Travaillerait-il ou a-t-il travaillé pour la CIA? Des drones d’origine ukrainienne avec un personnel technique compétent semblent avoir contribué à la progression fulgurante des rebelles vers la capitale. Par ailleurs, HTC entretient d’assez bonnes relations avec les forces kurdes, ce qui semble paradoxal quand on sait qu’Ankara cherche à empêcher toute autonomie territoriale kurde. Al-Joulani dirige depuis plusieurs années la région d’Idleb aux portes de la Turquie. Par-delà un rigorisme islamiste avéré, HTC veut montrer aux journalistes occidentaux que son style de gouvernement ne s’inspire ni de Daech ni d’Al-Qaïda ou des Talibans. Ce mouvement doit aussi composer avec l’ASL et d’autres factions islamistes plus radicales encore guère enclines à partager un éventuel pouvoir.

Bien qu’affaibli, l’État islamique conserve toujours des poches territoriales discontinues dans l’Est syrien près de l’Irak. Contrairement aux rebelles victorieux qui comptent des musulmans venus d’Occident, le volontariat étranger en faveur de Daech s’est fortement tari.

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Le troisième groupe en présence est les Kurdes et leur coalition, une vingtaine de mouvements plus ou moins réunis dans les Forces démocratiques syriennes (FDS). Sous l’impulsion de l’antenne locale du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), les contrées kurdes de Syrie – le Rojava – assistent à la formation d’un proto-État pluricommunautaire féministe inclusif écolo-libertaire suivant les indications municipalistes de Murray Bookchin. Maints militants occidentaux d’extrême gauche ont intégré les FDS et souscrivent à cette utopie politique en difficile gestation. L’existence d’un Kurdistan autonome en Syrie irrite un quatrième intervenant, la Turquie, qui, pour la circonstance, retrouve des aspirations néo-ottomanes.

Un cinquième, collectif, aide plus ou moins directement l’action kurde. Il s’agit d’une alliance militaro-diplomatique qui comprend les États-Unis, le Royaume Uni, la France et l’Arabie Saoudite. Surtout orientée contre Daech, cette entente internationale applaudit néanmoins la chute du baasisme syrien. De façon informelle, les troupes étatsuniennes disposent en zone kurde de bases militaires clandestines. Cette présence scandaleuse viole en toute impunité une souveraineté syrienne aujourd’hui bien dissipée. Comment réagirait la Maison Blanche si la Chine installait une base militaire en Irlande ou la Russie au Mexique ?

Le sixième protagoniste est désormais le grand perdant de la période actuelle de cette longue guerre. L’armée loyaliste syrienne n’a pas résisté à la multiplicité des menaces armées. À côté des unités militaires de la République arabe syrienne combattaient diverses milices plus ou moins disciplinées. Outre les sections armées du PSNS probablement passées en clandestinité, le Baas a formé des Forces de défense nationale. Dès 2013 se constitue une Garde nationaliste arabe dont les références politiques divergent du baasisme officiel. Si elle salue le Vénézuélien Hugo Chavez, elle vante aussi l’Égyptien Nasser (guère apprécié d’Al-Assad père) et l’Irakien Saddam Hussein (grand rival de Hafez et de Bachar Al-Assad).

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Le front syrien a vu des nationalistes-révolutionnaires originaires d’Europe venir combattre. Lancé en 2018 par la Ligue scandinave active en Islande, en Norvège et en Suède, Thorbrand aurait réuni une cinquantaine de volontaires. Dans la foulée des événements du Donbass en 2014, des nationaux-bolcheviks limonoviens auraient expédié en Syrie vers 2015 – 2016 jusqu’à deux mille combattants enregistrés dans le Mouvement des volontaires Interbrigade. Ils côtoient les quelques Grecs du Lys Noir fondé en 2013 à partir d’un site éponyme hellène qui se réclame des frères Gregor et Otto Strasser. Enfin, le Polonais Bartosz Bekier (photo, ci-dessus) anime la Falanga (la « Phalange »). Héritier radical du théoricien nationaliste russophile Roman Dmowski, il mêle un nationalisme grand-polonais qui lorgne sur l’Ukraine occidentale et une vision néo-eurasiste encouragée par Alexandre Douguine. Il est presque certain que ces combattants ont été rapatriés sur le front ukrainien.

Le septième intervenant est enfin l’État d’Israël. Il fait dorénavant face à cinq fronts simultanés (Gaza, Sud-Liban, Cisjordanie, Yémen et donc Syrie). Les bombardements massifs des sièges de commandement syriens, des arsenaux, des centres de stockage d’armes chimiques et techniques développées, des aéroports militaires et des installations navales représentent un entraînement grandeur nature dans la préparation de la prochaine attaque aérienne et informatique contre l’Iran. Cette offensive contre les laboratoires de recherche nucléaire iraniens commencera au lendemain de l’investiture de Donald Trump fin janvier 2025. De plus en plus christianophobe (qu’en pensent les idiots utiles d’une supposée droite nationale française servile ?), l’État hébreu prépare la déportation générale des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie occupée vers la Syrie. Le retour de Trump au pouvoir facilitera probablement l’annexion à venir des terres palestiniennes au mépris de toutes les conventions internationales.

L’« Axe de la Résistance » anti-sioniste est brisé. Le jour où l’Arabie Saoudite obtient de la FIFA l’organisation de la Coupe du monde de football 2034, une déflagration géopolitique inouïe bouleverse tout le Proche- et Moyen-Orient. Les nervis occidentaux de la presse de grand chemin n’ont toujours pas compris que la prise de Damas par les islamistes constitue déjà un très rude coup porté contre la civilisation européenne.      

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 138, mise en ligne le 17 décembre 2024 sur Radio Méridien Zéro.

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De la théologie négative

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De la théologie négative

(Pettersson, Cacciari, Heidegger, Hölderlin, Maître Eckhart, Malévitch)

par Gérard Conio

On a établi un rapport entre la musique et les mathématiques, mais la musique peut aussi exprimer des aspirations théogoniques, comme cela m’est apparu en écoutant la sixième symphonie d’Allan Pettersson, dont j’ai trouvé le commentaire dans les réflexions de Massimo Cacciari sur « Le problème du sacré chez Heidegger ».

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Parmi les symphonies d’Allan Pettersson (photo), la sixième est certainement la plus violente,  la plus survoltée, la plus convulsive, la plus déchirante, la plus spasmodique, la plus tendue vers une harmonie inaccessible. Allan Pettersson a dit qu’elle n’était pas tragique, mais solaire. Le soleil, qui engendra Dionysos peut être, il est vrai, une source du tragique, comme chez les Grecs. Faut-il y voir la source de la force émotionnelle de Pettersson? Le tragique n’est pas incompatible avec l’extase, il en est même la face noire. Cette exaltation insatiable et incompressible concorde avec le Chaos sacré  chanté par Hölderlin dans ses hymnes. Et la symphonie de Pettersson est elle-même un hymne au «  chaos sacré », celui que Bakst a évoqué dans «  Terror antiquus », mais aussi le « Heilig » décanté par Heidegger dans « Comme au jour de fête... » de Hölderlin:

« Quel est le sens de « Heilig », s’interroge Cacciari, comment ce sens revit-il chez Hölderlin ?  Dans « heil » résonne cette idée de vigueur, de vitalité, d’impulsion, qui caractérise le terme védique isirah et le hiéron grec. C’est l’attribut des vents, des chevaux, des hommes et des villes (« Ilion sacrée »), mais aussi des choses saisies à leur acmé, à l’instant culminant de leur puissance. Dans ce sens, en un passage d’une prodigieuse violence, Homère (Illiade, XVI, 407) qualifie de hiéron le poisson qui se débat hors de l’eau, à l’extrémité de la ligne - et cette image lui est suggérée par le spectacle terrible de Thestor harponné à la mâchoire par la lance de Patrocle qui lui transperce la tête de part en part et le soulève ainsi par-dessus la rampe de son char où il avait cherché refuge. Cet éclair de vie (fa-villa !) est si puissant et inoubliable, jusque dans son instantanéité, qu’il semble parfait, accompli, inéluctable. Par ailleurs, la foudre gouverne toutes choses – et Aiôn est pour Plotin esklampon, éclair...

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Heilige conserve intact ce sens chez Hölderlin; il s’oppose donc étymologiquement à toute idée de sacralité (sacer: ce qui est séparé, éloigné, et préservé justement du fait qu’il est séparé: arkeo, arcanum). L’heilig surgit devant nous, vif et « sauf » dans sa présence (gothique: hails, d’où heilen = guérir; et il faut noter la correspondance avec l’anglais holy, équivalent de heilig, et whole = entier, intègre), quand bien même cette présence serait le spasme de Thestor. Hiéron, dirait le chrétien, primordialement, est le cri du Christ sur la croix. »

Ce cri, ce spasme, retentissent dans la sixième symphonie d’Allan Pettersson.

C’est le spasme d’un accouchement, le spasme d’un commencement qui n’aura pas de fin et qui embrasse la terre et les hommes.

« Il ne faut pas croire, a dit Pettersson, que j’ai pitié de moi-même, j’ai voulu exprimer ma compassion pour la souffrance des hommes. »

Les hommes sont les enfants de la terre qu’ils ont sacrifiée et leur souffrance, née du chaos originel, c’est la souffrance de la terre.

Dans les sonorités proprement inouïes qu’il tire de cette souffrance, Pettersson nous fait entendre ce que  Carl Schmitt a appelé « le Nomos de la Terre ». C’est la terre qui se soulève pour prendre la parole, la terre blessée à mort par les hommes.

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Cette énergie tellurique naît du chaos originel, du chaos sacré, du Heilig, elle se fond à ce grondement indistinct avant de prendre forme, avant de « se  nommer », elle se lamente comme la terre humaine, et pourtant s’irradie toujours de plus en plus, monte comme un désir inassouvi et nous transporte dans des gradations qui culminent toujours sur la première note du premier motif et elle ne trouvera jamais sa résolution car elle se tord sur elle-même comme un serpent qui se mord la queue. En dépit du gigantisme d’une polyphonie pléthorique, cet éternel commencement, ce martèlement lancinant  du même motif matriciel, de la même note aiguë, lancée très haut, dans une répétition obsédante, se rapproche davantage des compositeurs minimalistes que de Gustav Mahler auquel on a souvent comparé Pettersson.    

Le chaos sacré n’est pas seulement l’attente du Nomos, un appel vers le Nomos, il a besoin du Nomos pour exister, il est déjà le Nomos en puissance: « L’immédiat, écrit Cacciari, ne devient pas médiat, contrairement à ce qu’affirme Heidegger, mais n’est rien d’autre et depuis toujours que le fondement même de la médiation qui, dans la médiation, se révèle et se réalise », sans jamais « vaciller ». »

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C’est ainsi que Pettersson articule le mouvement de sa symphonie dans une simultanéité des contraires, non comme Héraclite dans le changement et dans l’absorption dans le processus,  mais dans l’affirmation du fondement de l’être, comme Malévitch. C’est l’abîme qui nous parle.

« Et il est inévitable que cela soit, poursuit Cacciari, si je pense le Commencement sous la forme grecque du Chaos, de l’Ouvert (et cela seul, je le nomme « das Heilige »): Chaos reste toujours une puissance théo-gonique. Et donc, dans ce cadre, le Commencement n’est pas autrement pensable sinon comme ce qui donne-commencement, ce qui est source et origine, et donc lié en lui-même, dans son être le plus intime, à la physis: commencement-de-la-nature, Ouvert qui est depuis toujours hymne de (génitif absolu) la nature. Ainsi le rapport entre Chaos et Nomos n’est pas problématique, le Chaos étant depuis toujours pré-compris comme origine du Nomos, au sens radical qu’il en est le présupposé. Mais le présupposé est pose, il est une position : la pensée pose le Chaos comme origine essentielle des lois qui ordonnent son propre langage»

Dans une intuition de la pensée sensible, Pettersson nous apporte la même révélation.

Et dans son hymne «  Comme au jour de fête… » Hölderlin ne nous dit rien d’autre :

« Mais voici le jour ! Je l’espérais, je le vis venir

Et ce que je vis, que le Sacré soit ma Parole

Car elle, elle-même, plus ancienne que les temps

Et au-dessus des dieux du soir et de l’orient,

La Nature maintenant s’est éveillée avec tumulte,

et haut de l’Ether jusqu’à l’abîme en-bas

Selon un ferme statut, comme jadis, tiré du Chaos sacré

L’Esprit se sent à nouveau créateur. » 

Cacciari constate le dilemme dans lequel la position de Hölderlin a enfermé Heidegger en le retournant contre lui-même. Et son commentaire pourrait parfaitement s’appliquer à la musique de Pettersson qui suit inexorablement la voie indiquée par Hölderlin en produisant « le tumulte avec lequel la Nature s’est éveillée quand, du haut de l’Ether jusqu’à l’abîme en-bas, tiré du Chaos sacré, l’Esprit se sent à nouveau créateur » : 

« Dans les limites de la compréhension grecque de l’origine, que Heidegger fait sienne, Chaos est fondamentalement et de manière constante disposé au Nomos, et la parole du Nomos disposée à l’écoute du Chaos qui en est à l’origine. Ainsi, le chant commence par le Chaos. Mais le Commencement, ainsi nommé  et posé, n’est autre sinon « quod debet esse » - ce qui doit être – fondement qui ne peut être scindé de l’advenir, immédiat qui n’est autre que le domaine propre des médiations. Que le Commencement devienne, qu’il s’articule et procède, qu’il pâtisse de la « décision » du rayonnement, qu’il soit dit et pris en garde dans l’hymne, est pur destin. Est sacré le destin même de la manifestation du sacré. Mais ne devient sacrée, ainsi, finalement, que la pure dé-latence, dans laquelle se nie toute léthé.

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Précisément la conclusion à laquelle  Heidegger voudrait éviter d’arriver, qu’il croyait même éviter en pensant l’immédiateté de l’Ouvert. Heidegger est mu essentiellement par l’exigence de « sauver » l’immédiate omniprésence de l’Ouvert, du Commencement, de la « voracité » du processus, mais il ne peut satisfaire une telle exigence, justement parce qu’il la conçoit dans les termes théo-goniques de la tradition classique (revécue par Hölderlin) d’une part, et dans les termes idéalistes du rapport (qui reste inexorablement dialectique) entre immédiat et médiat d’autre part. Et cette pensée qu’il voulait montrer « en elle-même intacte et sauve (heilig), das Heilige finit par appartenir, en réalité, à l’horizon historique de la dé-sacralisation (dans tous les sens du terme: non seulement dans celui de l’anéantissement du sacer, processus qui est déjà la quintessence du christianisme, mais dans le sens aussi de l’élimination de toute différence essentielle entre le Sacré et sa parole). La méditation sur « das Heilige » apparaît véritablement décisive pour Heidegger, en tant que d’elle dépend l’instance fondamentalement anti-idéaliste de toute sa pensée et, en même temps, du naufrage qui la menace depuis toujours. »

Si on rapporte cette conclusion à la menace qui hante la pensée musicale de Pettersson, on trouvera la même résistance à « la voracité du processus », puisque le minimalisme latent que nous avons constaté s’inscrit contre le développement qui, dans la symphonie classique, détruit le fondement sur lequel il est posé.

Mais Pettersson est radicalement opposé à toute altération, toute aliénation du Commencement, de l’Ouvert, du «  Heilige », et il reste indéfectiblement arrimé à un embarcadère d’où ne partira aucun « bateau ivre »,  vers aucun naufrage à « l’horizon historique de la dé-sacralisation ».

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Et la déshérence du Sacré séparé de sa parole, du Chaos privé de son Nomos, a été conjurée par les prophètes du « logos apophantique » qui ont prôné  le relâchement de la volonté de puissance, une abstention, un vouloir-non vouloir, un retrait de la décision créatrice, et c’est la Gelassenheit de maître Eckhart, celle des pauvres d’esprit, c’est le zéro des formes et le rien libéré de Malévitch qui apparaissent  comme le seul moyen possible d’empêcher la catastrophe annoncée.

Et même si cet horizon historique constitue notre présent, nous pouvons puiser chez ces grands déconstructeurs du progrès, de la modernité, le courage nécessaire pour nous sauver.

Le salut est dans la superssentialis divinitas, la Gottheit de Maître Eckhart qui, écrit Cacciari, « semble indiquer cet infiniment Ultérieur, cet Ouvert qui donne lieu aux choses, que Heidegger nommait « das Heilige », à la suite de Hölderlin, Gottheit n’est ni terre, ni ciel, ni dieu ni homme. […..] La Gottheit comme «  das Heilige », se montre dans l’instant même de son retrait et, se retirant, en cela se révèle. Le penser -  non pas le calcul proportionné à des fins spécifiques, non le rechnen, mais le denken, - est ouvert à ce jeu originaire de l’Etre, qui ne peut avoir d’explication-détermination théologique, qui doit être médité dans son « ohne Warum ».

Le problème d’une pensée non-représentative-calculante, qui se constitue comme ouverture à une telle écoute, et donc en analogie avec l’Ouvert (responsable, en tant qu’elle « prend soin » de l’Ouvert) domine le Heidegger postérieur au Kant. Cette ouverture de la pensée est, à la fin, nommée Gelassenheit, terme eckhartien. La pensée se relâche, sich-ein-lassen, ne-voulant-rien, n’attendant-rien, se libère, se désenchaîne du sé-duisant des représentations, s’intériorise au fond du Soi, s’abandonne au jeu sans pourquoi de l’Etre, et s’abandonne devant les choses elles-mêmes pour saisir, dans leur réveil, « das Heilige ». Elle s’abandonne pour s’ouvrir au mystère.

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Ce mystère meut  le « vouloir-non vouloir » de la dé-liaison entre les phrases tonales et atonales qui s’interpénètrent chez Pettersson, dans les renversements du même thème où le retrait, le relâchement des îlots lyriques répond aux climax des tutti orchestraux qui sonnent comme des tremblements de terre. La succession des marches et des transes est sans cesse transcendée par la Gottheit, la superssentialis divinitas qui surplombe la souffrance de la terre et des hommes.

« A travers Maître Eckhart, écrit Cacciari, Heidegger tente de désenchaîner l’Ouvert de la nécessité du donner-commencement: au sens de la nécessité de la manifestation. L’abandon est une libération de la représentation vers le mystère d’un tel Commencement; une révocation de la volonté en tant que volonté-à dessein, un vouloir-non vouloir, pour « insister » uniquement dans l’attente de l’abandon. Vouloir le non vouloir est une aporie typique du «  pauvre  eckhartien »: c’est de là aussi qu’elle est reprise par Schopenhauer (et par Michelstaedter bien avant Heidegger). On peut l’imaginer comme un rester dans l’attente sans attendre, sans préfigurer quelque chose d’attendu. Et, en vérité, c’est le rien qui est ici attendu, puisque le rien c’est l’Ouvert. Gelassenheit c’est se re-laisser-aller à l’Ouvert, qui n’est pas. La « quiète » dynamique de l’abandon ferait signe pourtant au néant du Commencement-Ouvert-Heilige et donc, en libérerait l’idée de toute nécessité épiphanique, révélatrice. »

Pettersson nous donne à entendre cet en-soi qui résorbe les tensions d’une âme souffrante et coïncide avec le rien libéré de Malévitch en réalisant la fusion des contraires dans l’attente de la Gottheit, au-dessus de toutes les manifestations pour s’ouvrir à l’Etre pauvre et nu.