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mercredi, 15 octobre 2025

Polarisation politique au Brésil

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Polarisation politique au Brésil

Leonid Savin

La confrontation entre les États-Unis et le Brésil dure déjà depuis plusieurs mois, alors que ce dernier pays traverse également une polarisation politique, qui a des causes tant internes qu’externes.

Les deux principales raisons de la pression américaine sur le Brésil sont la demande de concessions sur les nouveaux tarifs douaniers et le procès de l’ancien président Jair Bolsonaro, allié idéologique de Donald Trump. Trump lui-même a menacé d’imposer des droits de douane de 50% dans une lettre adressée au président brésilien Lula da Silva le 7 juillet. Lula a ignoré cette lettre. Après l’annonce du verdict, le 12 septembre, qui a condamné Bolsonaro à 27 ans et 3 mois de prison pour complot en vue d’un coup d’État, la rhétorique agressive de la Maison-Blanche à l’égard du gouvernement de Lula da Silva s’est intensifiée.

L’ancien président n’a cependant pas été incarcéré, et ses avocats ont déclaré qu’il avait été diagnostiqué d’un cancer de la peau et avait besoin d’un traitement urgent. Beaucoup ont perçu cet état de flottement comme le fait que les autorités utilisaient Bolsonaro comme otage politique.

Les États-Unis ont imposé des sanctions, dans le cadre du Global Magnitsky Act, contre le juge de la Cour suprême brésilienne Alexandre de Moraes. Son épouse, Viviane Barci de Moraes, directrice de l’Institut Lex, a également été sanctionnée. Les sanctions s’appliquent également à toutes les mesures juridiques prises par Alexandre de Moraes. D’autres juges en exercice et leurs assistants figurent aussi sur la liste des sanctions.

De plus, de nombreux hommes politiques brésiliens ont vu leur visa pour les États-Unis annulé avant et pendant l’Assemblée générale de l’ONU. Paula Coradi, dirigeante du Parti socialisme et liberté (Partido do Socialismo e Liberdade, PSOL), a été la dernière à subir de telles mesures.

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Le président brésilien Lula da Silva, présent à New York pour un discours à l’Assemblée générale des Nations unies, a refusé une rencontre personnelle avec Donald Trump. Le ministre brésilien des Affaires étrangères a toutefois indiqué qu’un échange téléphonique était encore possible. D’une manière générale, dans son discours devant les Nations unies, Lula a ouvertement critiqué les actions des États-Unis contre son pays, affirmant qu’« une attaque contre l’indépendance du système judiciaire est inacceptable ». Il a également défendu Cuba, exigeant que les États-Unis le retirent de la liste des « États soutenant le terrorisme », et a plaidé pour la création de l’État de Palestine.

Il est significatif que, dans le contexte de la confrontation avec les États-Unis, les relations du Brésil avec le Venezuela se soient améliorées (il convient de rappeler qu’auparavant, c’est le Brésil qui avait empêché le Venezuela de rejoindre les BRICS+) et que le trafic aérien entre les deux pays ait été rétabli.

Dans l’ensemble, les processus politiques au Brésil se déroulent sur fond de spéculations et de désinformation. Ainsi, il y a quelque temps, une rumeur a circulé selon laquelle le gouverneur de l’État de São Paulo, Tarcisio de Freitas, se présenterait à la présidentielle l’an prochain. Cela a entraîné une hausse de l’indice boursier brésilien. Mais après que le gouverneur a démenti cette intention et annoncé qu’il briguerait un nouveau mandat à l’échelle de l’État, l’indice s’est effondré.

Les partisans de Bolsonaro organisent des manifestations de masse. Récemment, de tels événements ont été organisés sous prétexte d’une amnistie nécessaire. De leur côté, les partis de gauche de la coalition au pouvoir organisent des rassemblements tout aussi importants.

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Pendant ce temps, les parlementaires travaillent à des mesures pour empêcher l’ingérence dans les affaires intérieures du pays. Le député fédéral Filipe Barros (photo) a notamment déclaré qu’une loi interdisant la réception de fonds étrangers par les ONG opérant au Brésil serait adoptée dans les prochaines semaines.

Paradoxalement, une telle loi pourrait également affecter les intérêts de la coalition de Lula da Silva. En effet, plusieurs personnalités de la gauche brésilienne, y compris le président lui-même, sont en contact avec Alexander Soros, fils de George Soros, qui préside le conseil d’administration de l’Open Society Foundation et possède ses propres actifs et intérêts à long terme au Brésil.

Les paradoxes de la confrontation américano-brésilienne ne s’arrêtent pas là. Les industriels de l’État de São Paulo, dont les autorités s’opposent à Lula et soutiennent Bolsonaro, sont les plus vulnérables aux nouveaux tarifs américains. Bien sûr, le secteur agricole, très important, sera également touché de manière indirecte, mais il est depuis longtemps réorienté vers la Chine.

Il convient de noter que parmi les produits exclus des nouveaux tarifs figurent les avions et pièces d’avion, qui constituent l’un des principaux postes d’exportation à forte valeur ajoutée du Brésil, ainsi que la cellulose, le minerai de fer, le pétrole et les produits pétroliers. Mais de nombreux produits, difficiles voire impossibles à remplacer sur le marché américain, tels que le café, le bœuf et le bois, n’ont pas été exemptés des droits de douane.

Ainsi, le Brésil ne comprend pas la logique de l’administration Trump et tente de faire valoir ces questions auprès du Congrès américain et des entrepreneurs américains, et surtout auprès des oligarques de droite alliés de Bolsonaro.

Néanmoins, dans un contexte global, il est évident que les mesures de Trump ne relèvent pas du protectionnisme, par exemple dans le secteur de l’acier, où l’acier brésilien, moins cher, concurrence l’acier américain. Trump a justifié les nouveaux tarifs par le déficit commercial, mais ce n’est pas suffisant pour déclarer une guerre commerciale. Avec la Chine, les États-Unis ont un déficit bien plus important, mais avec Pékin, Washington tente de trouver des solutions acceptables pour éviter une spirale d’escalade.

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Un facteur d’irritation probable pour l’administration Trump est l’activité du BRICS+ et la présidence brésilienne de cette association cette année. Il n’est pas étonnant que Trump ait auparavant menacé de punir quiconque prônerait la dédollarisation, et Lula da Silva lui-même a publiquement soutenu l’idée de s’éloigner du dollar. Il faut ajouter que le Brésil dispose de son propre système de paiement Pix, à cause duquel les États-Unis ont déjà tenté de « mettre la pression » sur le Brésil. Brasilia a répondu que le système était très apprécié par des organisations telles que le FMI et l’OCDE, et qu’en outre, Pix facilitait la concurrence sur le marché des paiements électroniques, ce qui a conduit à une plus grande implication des entreprises privées, y compris américaines.

Mais, apparemment, Trump ne veut pas de concurrence saine, mais seulement de la dépendance. À cet égard, le Brésil a réduit sa dépendance vis-à-vis des États-Unis d’environ moitié au cours des 20 dernières années, pour atteindre environ 10%. Les exportations sont dirigées vers divers pays du Sud global, et cette tendance s’accentue. Enfin, au niveau international, le Brésil a acquis le rôle et le statut de partisan d’un monde multipolaire. C’est probablement la véritable raison de l’hystérie de Donald Trump, qui voit le crépuscule de la Pax Americana se dérouler sous ses yeux.

Pour la direction brésilienne, il est important de déterminer ses alliés stratégiques, parmi lesquels les « sorosiens » n’augurent rien de bon. De même, les rencontres avec le dictateur Zelensky (la dernière ayant eu lieu lors de l’Assemblée générale de l’ONU) ne donneront pas de poids politique à Lula da Silva. À l’approche des élections générales de l’année prochaine au Brésil, il est nécessaire d’avancer avec un programme d’action clair, à orientation sociale, sans flirt avec les forces néolibérales.

Raphaël Glucksmann, le candidat de l’OTAN et de l’Union européenne aux prochaines présidentielles françaises

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Raphaël Glucksmann, le candidat de l’OTAN et de l’Union européenne aux prochaines présidentielles françaises

Davide Rossi

Source: https://telegra.ph/Rapha%C3%ABl-Glucksmann-il-candidato-d...

Qui sera le nouveau candidat à la présidence française pour remplacer Macron, désormais sur le déclin ?

Alors que le président Macron tente de survivre politiquement avec des tentatives charlatanesques de gouvernements au service de la finance et de la guerre, sans aucun soutien ni au parlement ni parmi les citoyens, la campagne électorale pour les présidentielles françaises a débuté. Certes, elles sont prévues pour le printemps 2027, il reste encore dix-huit mois, cependant les médias liés à l’OTAN travaillent déjà à multiplier les interviews dans tous les quotidiens et télévisions européennes avec Raphaël Glucksmann, pour le présenter comme un homme de la gauche social-démocrate, raisonnable, modéré, réfléchi et intelligent. En résumé, la finance et les canons occidentaux l’ont choisi pour remplacer Emmanuel Macron et surtout pour empêcher Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon d’entrer à l’Élysée et de changer la politique libérale et belliciste dévastatrice de la France, en apportant un souffle de paix et d’initiatives sociales visant à améliorer les conditions de vie des citoyens.

Parcourir la biographie de Raphaël Glucksmann aide à comprendre à quel point son éventuelle arrivée à la présidence de la République française risque d’être une véritable catastrophe et une étape supplémentaire vers cette guerre mondiale contre la Russie et la Chine que l’humanité devrait pourtant éviter.

Fils du philosophe André Glucksmann, atlantiste et sioniste, soutien de tous les coups d’État, de la Libye à la Côte d’Ivoire réalisés par son ami Sarkozy, il partage autant le sionisme que l’atlantisme de son père, se distinguant dès son jeune âge par sa haine antirusse, au point de fonder l’association « Études sans frontières » pour faire fuir en Occident certains Tchétchènes hostiles au président Vladimir Poutine.

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Avec son père, il fonde en 2006 la revue néoconservatrice « Le Meilleur des Mondes », dont le financement est entièrement assuré par un think tank ouvertement pro-américain ; cette revue lui sert de tremplin pour devenir éditorialiste dans les journaux, radios et télévisions françaises. Globaliste et cosmopolite, il a déclaré se sentir mieux à New York et à Berlin que dans la province française, même s’il feint souvent de le regretter ; en réalité, il accuse le reste de ses concitoyens d’être arriérés, répétant ainsi une attitude typique d’hostilité envers la culture et les traditions de son propre peuple, perpétrée partout par les élites mondiales.

Européiste extrême, il porte un intérêt particulier pour les révolutions de couleur, au point de se retrouver en 2009 en Géorgie, devenant conseiller de Mikheil Saakachvili, et se liant d’amitié avec Giorgi Arveladze, puissant collaborateur du président, ayant étudié entre les États-Unis et Tel Aviv, qui lui aussi passera plus tard par l’Ukraine.

L’arrivée de Raphaël Glucksmann à Tbilissi est facilitée par Bernard-Henri Lévy, intellectuel hyperlibéral, atlantiste et russophobe notoire depuis l’intervention soviétique en Afghanistan, et, fait du hasard, ami du père du jeune Raphaël Glucksmann. À Kiev, lors de la tentative de coup d’État de 2004, grâce à Lévy, il rencontre le Géorgien Saakachvili, lui aussi attiré par l’atmosphère de coup d’État antirusse.

Raphaël Glucksmann, justement, est en Ukraine entre novembre 2004 et janvier 2005 avec le documentariste David Hazan pour soutenir la putschiste Ioulia Tymochenko, organisatrice d’une révolution colorée antirusse, et revient donc chez lui avec des idées et des références très claires.

En 2008, Lévy encourage le jeune homme avec des paroles qui méritent d’être rappelées pour leur gravité, véritable hymne au cosmopolitisme antirusse et en fin de compte profondément antgéorgien : « Le gouvernement Saakachvili est composé de jeunes dont la double nationalité américaine, anglaise ou israélienne fait ressembler la Géorgie à une Babel occidentale plantée au cœur du Caucase. »

Lorsque Saakachvili perd les élections en 2012, il s’enfuit avec lui en Ukraine, accompagné de la femme qu’il a épousée entre-temps, Eka Zguladze ; tous trois sous les ordres de Victoria Nuland pour organiser une nouvelle révolution colorée, qui aboutira au tragique Maïdan de 2014. Grâce à l’intervention de Washington, Mikheil Saakachvili et Eka Zguladze obtiennent immédiatement le passeport ukrainien et commencent à faire de la politique dans ce nouveau pays. Lorsque les putschistes et les fascistes prennent le pouvoir, Mme Glucksmann, probablement passionnée par les services de sécurité, après avoir été vice-ministre de l’Intérieur en Géorgie (2005-2012), occupe le même poste en Ukraine sous Petro Porochenko, de 2014 à 2016. Par ailleurs, Eka Zguladze a travaillé de 2004 à 2005 pour l’agence américaine d’aide étrangère Millennium Challenge Corporation, l’une des nombreuses ONG servant les intérêts de Washington et non ceux des populations locales, et aime répéter sa conviction de la supériorité des valeurs, de la démocratie et des aspirations occidentales.

On a découvert qu’au cours de ses années géorgiennes, Raphaël Glucksmann a constamment œuvré pour promouvoir toute forme d’hostilité envers la Russie et favoriser autant que possible l’intégration éventuelle de la Géorgie dans l’Union européenne et dans l’OTAN, devenant selon l’aveu même de Saakachvili, l’auteur de nombreux discours présidentiels sur ces sujets.

Il a fait pire en Ukraine, où il a été ami et conseiller de l’ancien boxeur putschiste et fasciste Vitali Klitschko, devenu maire de Kiev lors de l’Euromaidan de 2014. Il y a organisé des think tanks pour transformer l’Ukraine, selon ses propres mots, « en une vitrine de la démocratie européenne et de l’opposition à Vladimir Poutine ».

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Fort de toute cette « démocratie libérale », de toute cette haine envers la Russie et de tout cet amour pour le bataillon Azov, Raphaël Glucksmann rentre en France avec la conviction d’avoir compris comment contribuer au bien-être de son peuple. Ne pouvant toutefois organiser une révolution colorée dans son propre pays, il se résout, grâce aussi à d’importants financements, à fonder un parti politique « Place publique », composé uniquement de citoyens de la « société civile », bref la rhétorique habituelle contre les partis et une énième « révolte » des citoyens respectables qui, en paroles, « se rebellent », mais qui, en réalité, sont les meilleurs exécutants des intérêts bellicistes et libéraux de la finance spéculative de Wall Street. Bien sûr, le nouveau parti est inclusif en matière de genre et a une co-présidente femme, car la lutte contre le pouvoir excessif des hommes tient beaucoup à cœur à M. Glucksmann.

Pour se faire élire au Parlement européen, il va toutefois chercher des voix dans les anciens partis, en commençant par les socialistes. Une fois arrivé à Bruxelles, il est ravi d’être nommé président de la « Commission spéciale sur les ingérences étrangères dans tous les processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation ». Évidemment, en dehors du nom aussi ridicule que ronflant de cette « commission spéciale », il va de soi qu’elle opère dans la propagande la plus féroce de la haine antirusse et antichinoise. Mais pour ne rien manquer, il demande et obtient également de devenir vice-président de la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen, une autre façon de diffamer toutes les nations du monde hostiles à l’OTAN.

En mars 2022, il déclare : « Si nous n’arrêtons pas Vladimir Poutine en Ukraine, nous ne connaîtrons plus la paix en Europe » et appelle à davantage d’armes pour les Ukrainiens, souhaitant une transition européenne vers une économie de guerre, tragiquement entendue par la baronne von der Leyen, bien sûr sous prétexte d’aider militairement Kiev.

Pour mieux relever ces nouveaux défis, il quitte sa première femme et s’installe avec la journaliste française d’origine libanaise Léa Salamé, catholique, qui, comme ses compatriotes coreligionnaires, déteste tous les musulmans non seulement de son pays d’origine mais du monde entier, et dont la mère, l’Arménienne Maria Boghossian, appartient à l’une des familles de diamantaires les plus connues et influentes du monde.

Mme Salamé sait bien qu’elle doit aider son mari et, dans ses interviews, elle se montre par exemple chaleureuse avec Carlos Ghosn, multimillionnaire en fuite devant la justice japonaise, et se montre au contraire très hostile envers Philippe Martinez, secrétaire du syndicat CGT, ou pire encore envers Jean-Luc Mélenchon. Une telle violation manifeste de la déontologie professionnelle a été condamnée par le Conseil français de l’éthique et de la médiation journalistique (CDJM), mais bien sûr, Madame est toujours à l’antenne à faire la propagande en faveur de son mari.

Raphaël Glucksmann, quant à lui, est réélu en 2024 au Parlement européen, siège à la Commission des affaires étrangères et à celle du commerce international, où il s’emploie à attaquer la Chine en inventant des mensonges sur les Ouïghours et en se rendant plusieurs fois à Taïwan pour boycotter tout dialogue avec Pékin ; il défend le Green Deal pour nuire aux citoyens européens et s’engage sans relâche pour le réarmement du continent, la livraison d’armes à l’Ukraine et l’intégration éventuelle de Kiev dans l’Union européenne. Puis, pour plaire aux défenseurs des animaux, il se déclare contre les corridas espagnoles.

La République populaire de Chine lui a refusé l’entrée sur son territoire, déclarant disposer de preuves solides qu’il serait un agent de la CIA. Pourtant, la plus grande erreur, commise tant par Jean-Luc Mélenchon que par les socialistes français, a été d’avoir accordé tant d’espace à un personnage qui a fait de la haine et de la provocation antichinoises et antirusses sa marque politique.

L'Europe commence à deviner le rôle que l'Amérique lui a réservé

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L'Europe commence à deviner le rôle que l'Amérique lui a réservé

Elena Fritz

Source: https://t.me/global_affairs_byelena

La Neue Zürcher Zeitung (NZZ) n'est pas un journal à sensation. Lorsque son rédacteur en chef Eric Gujer écrit qu'une guerre nucléaire en Europe n'est plus inimaginable, ce n'est pas de l'alarmisme, mais un symptôme.

Un symptôme du retour de la guerre froide, cette fois sans architecture de sécurité, sans lignes rouges, sans rationalité.

Gujer décrit ce que les gouvernements européens refusent de voir :

- L'arrangement confortable – les Ukrainiens se battent et meurent, les Européens paient et fournissent des armes – est révolu.

- Avec les « drones inconnus » au-dessus des aéroports allemands, danois et polonais, la frontière entre zone de guerre et zone de paix s'estompe. Le conflit, que l'on observait à distance respectable, commence à avoir des retombée tout près de nous.

Ce qui suit est un regard sans concession sur la réalité :

- Si la Russie occupe une bande de terre symbolique dans les pays baltes et menace d'une escalade nucléaire, l'Allemagne se battra-t-elle ?

- Ou capitulera-t-elle pour survivre ?

- Et que feront Paris et Londres si leurs systèmes de dissuasion nucléaire deviennent soudainement la cible d'attaques militaires ?

Gujer reconnaît le dilemme, mais en tire la mauvaise conclusion :

- Au lieu d'arrêter la spirale de l'escalade, il recommande le réarmement comme assurance, comme si l'on n'avait rien appris de 1914 et de 1939.

Ceux qui veulent se prémunir contre le « chantage » en s'armant jusqu'aux dents confondent sécurité et frénésie.

Car en réalité, Gujer décrit – peut-être involontairement – la logique américaine qui sous-tend le rôle de l'Europe:

- Washington a d'abord laissé l'Ukraine se battre pour elle.

- Aujourd'hui, l'ensemble de l'UE est entraînée dans le même mécanisme: livraisons d'armes, programmes d'armement, dogmes de sécurité – tout est financé, mais rien n'est décidé par l'Europe.

L'Europe doit redevenir un État frontalier, pas être un acteur.

Et tandis que les États-Unis se demandent s'ils interviendraient en cas d'urgence, le champ de bataille se rapproche de plus en plus de Berlin, de Varsovie et de Paris.

Le texte de Gujer est moins un avertissement qu'un miroir:

- Il montre à quel point les élites européennes se sont habituées à l'idée que la guerre est à nouveau « gérable » – tant qu'elle n'a pas lieu à Washington.

Telle est la nouvelle « architecture de sécurité » du monde transatlantique:

- L'Europe comme zone tampon, moralement surévaluée, stratégiquement mise sous tutelle – et dangereusement proche du précipice nucléaire.

Poutine et la philosophie de la complexité

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Poutine et la philosophie de la complexité

Alexandre Douguine

Animateur : Il existe des dirigeants mondiaux que tout le monde regarde et écoute. Et il y en a d'autres que l'on ne se contente pas de regarder et d'écouter, mais dont on revoit et réécoute les interventions. Vladimir Poutine est l'un des rares dans ce cas. La semaine dernière a eu lieu l'un de ses discours programmatiques, qui a été activement suivi, écouté, commenté – et, sans crainte de le dire, même redouté en Occident. Cependant, selon vous, quel est l'essentiel à retenir du discours de Valdaï du président russe ?

Alexandre Douguine : Vous savez, d'un côté, ce qui a été dit ne différait pas fondamentalement de ses précédentes interventions à Valdaï ou à d'autres tribunes. Mais si l'on suit la séquence de ses discours programmatiques, on voit comment notre président développe pas à pas une philosophie complète, alternative au modèle globaliste occidental. Ce ne sont plus de simples remarques ou des déclarations tactiques. Voilà pourquoi les discours de Trump ne nécessitent pas d'être relus, alors que ceux de Poutine, oui, parce que chacun d'eux est comme un épisode de série, d'autant plus compréhensible si l'on se souvient des précédents.

L'intervention de Trump ressemble à un clip, à un meme: on peut la regarder séparément de l'histoire américaine, séparément de Trump lui-même. Il dit quelque chose de drôle, danse, saute, fait un clin d'œil, menace, fait peur, puis se rétracte. C'est un format à court terme – petit, incohérent, frappant, parfois menaçant, mais contradictoire par rapport à ce qui a été dit une seconde auparavant. Poutine, au contraire, est l'opposé: un dirigeant mondial qui déploie progressivement sa philosophie.

Dans ce discours de Valdaï, il a poursuivi son explication de la multipolarité, dont il parle depuis longtemps, mais de plus en plus souvent, de manière plus concrète et plus profonde. Il s'agit du développement d'une compréhension de la multipolarité, qui renaît non seulement dans notre société, mais aussi dans la conscience du président. Pourquoi la multipolarité ? Parce que c'est quelque chose de nouveau. Ce n'est pas un monde bipolaire, ni un monde unipolaire, ni le système westphalien des États-nations, où chacun serait soi-disant souverain, mais où, en réalité, ce n'est pas le cas. Seuls les grands États-civilisations peuvent être véritablement souverains dans notre monde, et cela devient de plus en plus clair.

À l'origine, la multipolarité n'était qu'un slogan, un meme, sans engagement. Mais désormais, tout comme on trace une ligne entre deux points, la conscience géopolitique et le récit du président avancent dans cette direction. Il définit de plus en plus précisément le modèle d'un monde multipolaire, où les pôles sont des États-civilisations. Et il devient de plus en plus évident que le monde multipolaire ne ressemble à rien d'autre. La seule comparaison possible est celle de l’organisation de l’humanité avant l’ère des Grandes découvertes géographiques: des États-civilisations entiers, le califat islamique, la civilisation indienne, l’empire chinois, les sociétés africaines, les empires ouest-européen et russo-byzantin. Avant le colonialisme, il existait une vraie multipolarité, portée par les empires, les États-civilisations ou les macro-États, comme on dit aujourd’hui. Poutine trace cette transition – non seulement en la théorisant, mais aussi en la réalisant.

Lors de ce nouveau forum de Valdaï, il fait le point: ce qui a été accompli, ce qui ne l’a pas été, où se trouvent les obstacles, où ont eu lieu des avancées. Avec Trump, il y a eu une telle avancée, bien que les partisans de l’unipolarité aient immédiatement corrigé le tir. Le slogan du mouvement MAGA reconnaissait, à son origine, la multipolarité, mais les néoconservateurs font pression sur Trump pour le faire dévier de cette position. C’est un processus constant, grandiose, de passage vers la multipolarité, qui touche toutes les régions du monde: l’intérieur de la Russie, les frontières, le Pacifique, le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Amérique latine. Aux États-Unis et en Europe, une véritable guerre civile oppose conservateurs et libéraux-globalistes, fidèles à l’unipolarité — des politiques qui ne représentent rien d’autre que la volonté frénétique et agonisante de préserver le régime et l’idéologie unipolaires. C’est tout cela que Poutine analyse.

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Les gens commencent à comprendre: il ne s’agit pas d’un meme, mais d’une exigence à laquelle il faut adapter l’éducation, la culture, la politique, l’économie. Nous devons participer activement, de manière proactive et non réactive, à la construction d’un monde multipolaire. Pour cela, il faut que chacun prenne conscience de ce que cela représente: une tendance idéologique, de long terme, fondamentale, qui explique tout le reste. Ce n’est plus une nouveauté, mais un approfondissement du sujet. Ce qui est nouveau, à mon avis, c’est l’accent mis sur la philosophie de la complexité d’Edgar Morin (photo), penseur français qui a développé la théorie de la complexité. Poutine a évoqué à plusieurs reprises les processus non linéaires du nouveau monde, les comparant à la mécanique quantique. Les processus non linéaires, la mécanique quantique — c’est l’interconnexion, où le moindre changement au niveau microscopique, qu’il s’agisse d’un blogueur avec son iPhone ou d’un individu, influence les macro-processus mondiaux. Ce n’est pas une mécanique linéaire.

Pour comprendre ce monde, construire une diplomatie, interagir avec les pôles, analyser les contradictions de l’Occident — divisé entre l’Europe et les États-Unis —, il faut une nouvelle façon de penser. La diplomatie exige d’entrer dans la société, la religion, la culture de chaque pays et de chaque civilisation. Cela exige des diplomates du MGIMO (où j’enseigne la théorie du monde multipolaire et des civilisations) une restructuration complète de leur conscience. Cela concerne les affaires, l’économie, l’industrie, la sphère militaire, la guerre — désormais non linéaire, où les drones rendent obsolètes les paramètres classiques de la guerre industrielle. Selon Poutine, la philosophie de la complexité est le fondement de la nouvelle diplomatie. C’est un appel à abandonner une vision simpliste de la réalité.

Le monde moderne avec sa multipolarité est un système complexe. Rejetons les vieux clichés, cessons de projeter les stéréotypes du passé sur le présent, et intéressons-nous à la mécanique quantique, étudions les civilisations, les religions, les théologies qui redéfinissent aujourd’hui les processus. C’est une invitation à changer de conscience — pour tout l’État, et surtout pour ses élites pensantes. Notre pensée est un mélange de soviétisme, de libéralisme oublié — à la limite de la catastrophe. Si nous ne comprenons pas la complexité de la réalité dans laquelle nous vivons, agissons, prenons des décisions et dont nous dépendons, cela finira mal.

En somme, Poutine a fait appel à la philosophie. Une grande puissance a besoin d’une grande philosophie. Sans elle, elle n’est qu’un golem, un robot technique manipulé par d’autres mains. Le monde est gouverné par ceux qui pensent. Il n’existe pas de dirigeants idiots — s’il y en a, c’est que quelqu’un d’autre tire les ficelles. Le monde est régi par des idées — fausses ou vraies, justes ou cruelles, humaines ou inhumaines. Et cela me semble l’une des principales conclusions du discours de Vladimir Poutine à Valdaï.

Animateur : En quinze minutes, vous avez présenté une analyse circonstanciée, approfondie et globale du discours, de sa signification et de son importance. Mais si l’on regarde les titres de la presse occidentale, il n’y a qu’une seule chose: la Russie a menacé de se livrer à une escalade dans les conflits en cours. En petits caractères, chez les plus responsables, on ajoute: en cas de militarisation de l’Europe, de l’Occident, des États-Unis, en cas d’injection d’armes. Mais dans les titres, partout: la Russie brandit le poing. Votre comparaison est pertinente: d’abord la philosophie, puis les vidéos pour les réseaux sociaux. Mais pour une attention aussi brève de l’Occident, de l’Europe, des États-Unis, où il faut quelque chose de substantiel et de sérieux, que faudrait-il? Ou bien la tactique de Dmitri Anatolievitch Medvedev, qui frappe fort et que le président américain suit volontiers et mord à l’hameçon des provocations, n’est-elle pas plus efficace?

Alexandre Douguine : Je pense que Dmitri Anatolievitch Medvedev s’occupe justement de cela. À chacun son rôle. Vladimir Poutine développe une philosophie sérieuse, réfléchie. L’interprétation occidentale, c’est de la phénoménologie. Un individu, une société, une civilisation voient dans le monde le reflet de leurs propres représentations. En anglais, on parle de « reading », en français de « grille de lecture », c’est-à-dire de schéma d’interprétation. Si un terroriste dit n’importe quoi — « maman » ou « miaou » — on y entendra un message terroriste. L’homme voit ses propres reflets, et il est impossible de le convaincre du contraire — c’est la force de la conscience. L’Europe voit en la Russie un ennemi à travers ce prisme et interprète chaque parole de Poutine en conséquence, ignorant tout le reste.

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Pour être honnête, je n’ai même pas remarqué le thème de l’escalade dans son discours. Poutine a parlé de la défense des intérêts de manière douce et sereine, il a souligné que nous avons plus de points communs avec Trump qu’avec les mondialistes européens. Mais ils retiennent ce qui les arrange: «Poutine menace». Le rapprochement avec l’Amérique, ils ne l’évoquent pas. Ils sont sélectifs: ils veulent voir une menace, se préparent à la guerre contre la Russie, cherchent à la déclencher en nous accusant de provocation, en utilisant n’importe quel prétexte. Si Poutine était resté silencieux, son silence aurait été interprété comme une préparation à l’escalade. C’est incurable.

En ce qui concerne Dmitri Anatolievitch Medvedev, il a parfaitement maîtrisé le style des remarques courtes, percutantes et précises. Cela parle à l’esprit occidental: ils disent « nous allons vous détruire », et lui répond « essayez donc — nous vous frapperons les premiers ». Et cela fonctionne, car à leur niveau de perception, c’est un échange de memes. Un meme contre un meme. Trump: « Le tigre de papier russe ». Medvedev: «Ce tigre remue la queue, et une bombe nucléaire peut tomber sur votre tête». Le dix de cœur bat le neuf — Medvedev a surenchéri. Cela ressemble au jeu du fou, mais selon leurs règles — c’est du poker. Ils ignorent le préférant de Poutine. Dmitri Anatolievitch, à mon avis, prépare l’avenir. Il montre qu'il sera tout aussi patriotique, mais plus dur encore. Si notre tendance se poursuit, il la renforcera.

Medvedev façonne l’image de notre pays — visuellement, brièvement, de façon percutante, mémétique. Le sens de ses messages, c’est la préparation à une ligne assumée. Vladimir Poutine est doux, formule de façon enveloppée, consciemment. Mais il faut le bon et le mauvais policier. Poutine, c’est clairement le bon, Medvedev le mauvais. Ensemble, ils font craquer les criminels, mènent les enquêtes, tracent les lignes, maintiennent l’ordre. Ils se complètent parfaitement — les deux sont nécessaires. Je suis convaincu que Dmitri Anatolievitch sait ce qu’il fait, même si c’est parfois brusque et peu diplomatique. Mais il faut hurler avec les loups quand on vit parmi eux. C’est nécessaire, extérieurement, pour qu’on n’oublie pas à qui on a affaire. C’est l’un de nos blogueurs les plus populaires : les gens lisent, et tout devient clair.

Vont-ils s’intéresser à la philosophie de la complexité d’Edgar Morin, à l’interprétation de Copenhague de la mécanique quantique, à la multipolarité? Certains écouteront. Mais pour les autres, ceux qui n’ont pas envie de se plonger dans ces sujets, le blog de Dmitri Anatolievitch Medvedev dit la vérité. Pour l’homme simple, tout devient clair: en Russie, nous serons au-dessus de tout, jusqu’au bout: « rends-toi, ennemi, reste immobile et couche-toi ! ».

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Animateur : Les résultats des élections influenceront de toute façon la vie de ces pays et nos relations avec eux. Commençons par la Géorgie, où le parti au pouvoir « Rêve géorgien » a obtenu de bons résultats aux élections municipales, recueillant plus de 80% de soutien selon les statistiques officielles. Peut-être s’agit-il d’une question naïve, extérieure ou même primitive. Dernièrement, surtout après les élections, la situation est marquée par des troubles. Certains parlent de protestations, d’autres de manifestations. Bref, les gens descendent dans la rue avec des drapeaux aux couleurs bleu-jaune, bleu-blanc familières. Ces schémas fonctionnent — ceux qui ont été conçus il y a 20, 30, 40 ans pour déstabiliser les pays au régime indésirable. Des schémas occidentaux, appliqués dans différents pays, mais qui ont récemment perdu en efficacité. Ou bien ai-je tort, et mon regard sur la situation est-il trop naïf ?

Alexandre Douguine: D’abord, vous avez raison: mobiliser la société civile pour prendre le pouvoir ou renverser des gouvernements indésirables est une tactique qui a fonctionné pendant des décennies, avec des succès divers. C’est une arme puissante des nouvelles technologies sociales et politiques. Il ne s’agit pas tant de créer de vraies structures d’opposition que de mobiliser des éléments libres de la population: des marginaux, des prêcheurs de rue, des personnes qui ont changé d’orientation. Ce sont des fragments mercuriels, des atomes disséminés dans la société, inutiles à tout, incapables de représenter une position politique. Ils sont de plus en plus nombreux, car la culture occidentale ébranle les consciences. Ces masses errantes, faibles d’esprit, ces foules chaotiques deviennent un outil sérieux de la grande politique. Elles agitent la situation, déstabilisent la société. Puis, sur leurs épaules, arrivent les véritables forces qui prennent le pouvoir et ne le rendent plus.

Ensuite, le régime change, ces foules se dispersent — elles ne réclament pas de participation au pouvoir, elles ne sont rien. Ce sont les déchets, les rebuts des grandes villes, des libéraux, non pas au sens idéologique, mais au sens où chacun ne pense qu’à soi. Ces atomes chaotiques sont faciles à mobiliser pour détruire. Mais ils ne revendiquent rien. Sur leurs épaules s’élèvent les libéraux-pantins, qui instaurent une dictature. Ce fut le cas du Maïdan, ce fut aussi en grande partie le cas en France. Dès que les libéraux accèdent au pouvoir, ils ne le lâchent plus. Quant aux gens qu’ils mobilisent comme une bélier pour renverser des gouvernements légitimes, plus ou moins souverains, ils les renvoient ensuite chez eux. En Géorgie, cela a fonctionné plusieurs fois — c’est là qu’a eu lieu l’une des premières révolutions de couleur.

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Animateur : Mais il y a plus de vingt ans.

Alexandre Douguine : Oui, il y a vingt ans, cela a fonctionné, portant au pouvoir le véritable dictateur nazifiant Saakachvili. Mais il semble que la Géorgie ait développé une immunité contre ces révolutions de couleur, et qu’elle n’y cède plus. Le gouvernement souverain du « Rêve géorgien », au départ pro-occidental, avec une voie européenne artificielle, faible et factice, mais face à cette frénésie d’éléments incontrôlables — provocateurs, terroristes, nazis, et en grande partie une masse de schizophrènes géorgiens —, il s’est renforcé. Il a accumulé de l’expérience, et ne se laisse plus faire.

C’est une chose dangereuse — la philosophie de la complexité. Des rebuts inutiles peuvent renverser le destin d’un pays ou d’une géopolitique. Les micro-processus sont activement exploités. D’ailleurs, en Amérique, le mouvement Antifa est composé de ces éléments. Récemment interdit aux États-Unis, il se fait passer pour « antifasciste », mais c’est une organisation ultra-terroriste qui qualifie les libéraux indésirables de fascistes, qui attaque physiquement, harcèle, dénonce, modifie Wikipédia et tue, comme ce fut le cas pour Charlie Kirk. C’est dangereux, car ces gens sont mentalement instables, facilement enclins à la violence physique.

Mais la Géorgie a développé une immunité. Des anticorps sont apparus, le «Rêve géorgien» s’est renforcé. Il a compris comment gouverner le pays sans gestes brusques, sans céder aux provocations, en suivant l’idée de préserver la souveraineté géorgienne. Il a trouvé les clés: où s’arrêter, où faire preuve de fermeté, où laisser faire, où déplacer. Ils jouent avec ce phénomène dangereux depuis une position de force et d’efficacité. Ils ont compris l’algorithme, l’ont maîtrisé. Après Zourabichvili et les élections précédentes, tout semblait clair. Mais les libéraux, encouragés par les élections truquées en Moldavie où la dictature de Sandu a interdit tout ce qui remettait en cause le pouvoir — et n’ayant pas rencontré de résistance sérieuse, ils ont décidé de secouer la Géorgie à nouveau. Cette fois, je pense que cela ne marchera pas, mais il ne faut pas sous-estimer cette stratégie. Elle fonctionne étonnamment bien: plus il y a d’éléments faibles dans la société, plus elle est efficace.

La culture occidentale favorise leur multiplication, les migrants illégaux — des gens non enracinés dans la société, des atomes libres qui peuvent facilement faire le saut quantique du marginal à la force de destruction. C’est la gestion du chaos — une stratégie utilisée par de grandes puissances mondiales. Je pense que les manifestations en Géorgie ne donneront rien. Mais cette menace permanente resurgira sans cesse dans toute société qui aspire à la souveraineté.

Animateur : À l’horizon, il y a la Tchéquie, où Babiš, ancien leader populaire, revient, et qu’on appelle le messager du changement. Encore une fois, la Tchéquie pourrait rejoindre la Hongrie et la Slovaquie comme un petit bloc de pays sûrs d’eux, qui défendent en priorité leurs propres intérêts, reléguant au second plan les enjeux européens, euro-centristes. Qu’en pensez-vous ? Avec ces élections tchèques, où arrive au pouvoir une personne qui n’est absolument pas prorusse, mais dont la politique diffère de celle menée par une Tchéquie hostile à la Russie depuis ces dernières années.

Alexandre Douguine : La question n’est pas d’être pour ou contre la Russie — c’est un aspect secondaire. Il est remarquable que la Pologne aussi penche de plus en plus vers la souveraineté. La Hongrie et la Slovaquie choisissent en priorité la voie du souverainisme, se libérant de la pression des forces globalistes qui s’efforcent de l’abolir. Leur logique est pragmatique et fondée sur l’intérêt national: ils construisent leur politique étrangère — y compris à l’égard de la Russie — selon le principe: la Hongrie avant tout, la Slovaquie avant tout, et non l’Union européenne.

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Orbán et Fico ne sont pas des hommes politiques prorusses. Ce sont des souverainistes qui défendent avec constance les intérêts nationaux. Un souverainiste similaire est arrivé au pouvoir en Tchéquie. Même la Pologne, hostile à notre égard, évolue dans cette direction.

Je recommande de lire la monographie d’un penseur contemporain très brillant, Alexandre Bovdounov, consacrée au projet de « Grande Europe de l’Est » — sa thèse transformée en ouvrage scientifique. Il y a quelques années, alors que ces processus n’étaient pas encore manifestes, il a démontré que l’Europe de l’Est constitue une entité géopolitique indépendante, différente de l’Europe de l’Ouest. Cela concerne tous les pays de la région: Roumanie, Bulgarie, Pologne, Hongrie, Slovaquie, Tchéquie, et même l’Autriche.

Le projet de la Grande Europe de l’Est, décrit par Alexandre Bovdounov, anticipe une vague de révolutions populistes qui porteront les souverainistes au pouvoir (par des voies démocratiques ou moins démocratiques) — et cela arrivera plus vite en Europe de l’Est qu’en Europe de l’Ouest. Cette région deviendra un pôle autonome: d’un côté, ce pôle sera européen, proche de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Espagne, de l’Italie, et de l’autre, il sera proche de nous. C’est une région intermédiaire, une sorte de pont. La zone de la Grande Europe de l’Est pourrait devenir un levier clé dans la grande géopolitique européenne et eurasiatique.

Les petits pays, ayant adopté cette ligne stratégique qu’Alexandre Bovdounov a théorisée, observent la réalisation de ces scénarios, y compris avec l’arrivée de Babiš. Les souverainistes d’Europe de l’Est transformeront progressivement la région en une entité civilisationnelle autonome.

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Dans mon ouvrage « Noomachie », deux volumes sont consacrés à l’Europe de l’Est — slave et non slave. Même si je n’ai pas abordé directement la géopolitique, j’ai étudié les identités culturelles des peuples. C’est un monde unique. La Serbie est un autre exemple frappant de souverainisme.

Progressivement, si l’on tient compte du fait que les souverainistes peuvent garder une attitude critique à notre égard, ce tableau deviendra dominant. La question n’est pas la relation à la Russie, mais celle des dirigeants polonais envers le peuple polonais, des dirigeants tchèques envers le peuple tchèque, des dirigeants serbes envers le peuple serbe. Il s’agit de souveraineté.

La vague de souverainisme en Europe de l’Est conduira à la formation d’une communauté autonome. Nous avons intérêt à ce que cela se produise. Mais cela ne signifie pas qu’ils travaillent pour nous ou qu’ils doivent être russophiles. Leur logique est différente: ils aspirent à l’indépendance et veulent mener une politique uniquement dans l’intérêt de leur État. Ils ont pour cela de bonnes raisons.

Je pense que les forces populistes et populaires l’emporteront plus rapidement en Europe de l’Est qu’en Europe de l’Ouest. En Allemagne, le parti AfD gagne partout dans l’ex-RDA et en Prusse occidentale (Brandebourg), où le totalitarisme libéral est moins présent et où les forces patriotiques sont plus fortes. Cette partie de l’Allemagne réunifiée fait aussi partie de la frontière de l’Europe de l’Est (on peut rattacher la Prusse à l’Europe de l’Est ou centrale).

Ce projet est très intéressant. Ce qui se passe en Europe de l’Est n’est pas un phénomène ponctuel ou un succès des technologies politiques, c’est une tendance de fond. C’est la logique de la Grande Europe de l’Est, qui prend une forme géopolitique réelle.