vendredi, 19 janvier 2007
M. Pizani: Le Goff et les usuriers
Aux origines de la pieuvre capitaliste
Le Professeur Le Goff nous décrit la pratique des usuriers au Moyen Age
par Mario PIZANI
Nous ne disons rien de neuf en affirmant que l'usure est l'un des principaux instru-ments du pouvoir mondialiste, avec l'arme nucléaire et les mass-media. Presque tous les pays du tiers-mon-de gémissent sous le poids des intérêts exorbi-tants que leur im-posent le capitalisme financier et ses ten-tacules, parmi lesquelles le Fonds Mo-né-taire International (FMI). Les pays dits "en voie de développement" sont en réalité des pays main--tenus dans le sous-développement à cause de l'obligation qu'ils ont contractée de payer des intérêts sur les "dons" géné-reusement octroyés par le monde "avancé". Nous vivons donc le pa-radoxe suivant: des pays potentiellement très ri-ches sont con-damnés à trimer sans relâche dans le seul but d'enrichir l'oligarchie financière de l'Oc-cident capitaliste. Dans la plupart des cas, les pays endettés sont obligés de faire des conces-sions politiques pour obtenir simplement que soient prolongées les échéan-ces dans le paie-ment de leurs in-térêts. Ils vivent dans la spirale per-verse d'un asservissement constant: écono-mique, poli-tique et culturel. Dans un pays comme la Bo-livie, qui recèle d'immenses richesses mi--nières, les paysans sont obligés de cul-tiver et de vendre de la cocaïne pour le bé-néfice des narco-trafiquants afin de ne pas crever de faim. Au Bré-sil, le peuple doit "manger" la forêt amazonienne pour pou-voir payer les intérêts de ses emprunts.Le responsable de ces tragédies ou des consé-quen-ces écologiques qu'aura le déboi-se-ment de la forêt amazonienne, c'est le sys-tème démo-capi-taliste, reflet de l'usuro-cratie mondiale. En effet, si la haute finance internationale (avec ses multi-na-tionales, le FMI, etc.) représente la forme ulti-me de l'é-volution capitaliste, la démocratie libé-rale en représente la facette politique. La dé-mo-cratie moderne (qui n'a plus rien à voir avec la véritable démocratie des cités grecques ou des tribus celtiques et germaniques) est aux mains des manipulateurs de la pensée qui contrôlent les masses grâce aux moyens d'informations (et, en effet, leur contrôle exi-ge des investissements im-menses).
Les partisans doivent savoir comment est né le capitalisme
Historiquement toutefois, ce mécanisme de con-trôle n'est pas né avec les révolutions amé-ri-caines et françaises de la fin du 18ième siècle, avec leurs idées laïques, progressistes et ma-té-ria-listes. Le terrain avait été préparé depuis long-temps: une tendance mercanti-liste et bourgeoise s'était incrustée dans le mental des peuples eu-ropéens, creusant ainsi le sillon dans lequel allait éclore le ca-pitalisme.
Pour nous, partisans, il est donc absolument es-sentiel de savoir comment est né le capi-talisme, non pas sur le plan technique ou idéologique, mais sur le plan spirituel. S'il n'y avait pas eu une volonté d'ordre psy-cho-logique à s'enrichir, à faire de l'argent pour le plaisir de faire de l'ar-gent, à valoriser l'avaritia condamnée par toute la so-ciété médiévale, jamais on n'aurait pu justi-fier les principes du capitalisme et jamais on n'aurait utilisé les nouvelles découvertes et inventions dans un sens utilitaire, écono-mis-te et indivi-dua-liste.
Pour étayer toute recherche sur la psy-chologie de la mentalité capitaliste, le petit livre du grand historien et médiéviste fran-çais Jacques Le Goff est véritablement fon-damental. Références:
Jacques Le Goff,
La bourse ou la vie. Economie et religion au Moyen Age,
Hachette (Coll. "Textes du XX° siècle"), Paris, 1986, 126 pages, 52 FF.
Le Goff explique comment a surgi le chan-cre de l'usure au Moyen Age. En page 10 de La bourse ou la vie, on peut lire: "L'usure est l'un des grands problèmes du XIII° siècle... Un nouveau système économique est prêt à se former, le capitalisme, qui né-cessite sinon de nouvelles techniques, du moins, pour démarrer, l'usage mas-sif de pratiques condamnées depuis toujours par l'Eglise". Les règles religieuses et la culture européenne de l'époque permettent le prêt (à condition qu'il soit à bas intérêt) mais condam-nent simultanément l'usure pro-pre-ment dite par-ce qu'elle favorise un enrichissement illicite de l'individu qui ne produit rien directement pour la com-mu-nauté. Par ailleurs, elle cause la ruine de ceux qui ont un besoin urgent d'argent liquide. L'usure, pour l'esprit médiéval, n'est donc pas un péché comparable aux autres. Son installation dans la société, sa banalisation, créera les conditions d'éclosion du capita-lisme.
Parlant de l'usurier, Le Goff nous explique qu'il est difficile de comprendre aujourd'hui les en-jeux sociaux et idéologiques qui se sont noués au-tour de ce Nosferatu du précapita-lisme. Il était considéré par nos ancêtres comme "un vampire doublement effrayant de la société chrétienne, car ce suceur d'ar-gent est souvent assimilé au Juif déicide, in-fanticide et profanateur d'hostie" (p. 10). En effet, la pratique de l'usure, prohibée pour les chrétiens, a été, pour les Juifs, l'unique mode de pouvoir social réel qui leur a été permis d'exercer. Bien sûr, il y avait beau-coup de non-Juifs qui vivaient également de l'usure, refusant de prendre en compte les interdits religieux et politiques. Face au dan-ger du capitalisme sous sa forme usuraire, la société médiévale réagissait vigoureusement tant sur le plan doctrinal et re-ligieux que sur le plan culturel et politique. L'Egli-se a tou-jours condamné l'usure sur base de mul-ti-ples décisions conciliaires et des écrits des Pè-res de l'Eglise.
Devant l'augmentation du danger, les inter-dits se firent plus fréquents et pressants. On constatait que l'usure jetait sur la paille un grand nombre de paysans, ce qui favorisait un dépeuplement des campagnes et fragi-lisait tout le système écono-mique de l'é-po-que. Le Goff poursuit sa démons-tra-tion: "L'an-tijudaïsme de l'Eglise se durcit et, dans la société chrétienne, du peuple aux prin-ces, l'antisémitisme ‹avant la lettre‹ ap-paraît au XII° et surtout au XIII° siècle" (p. 39). Les peuples se mettent à confondre Juifs et usuriers. La gravité et l'urgence du problème apparaît clairement dans un décret du IV° Concile du La-tran de 1215: "Voulant en cette matière empê-cher les Chrétiens d'être traités inhumainement par les Juifs nous décidons [Š] que, si, sous un prétexte quelconque des Juifs ont exigés des Chré-tiens des intérêts lourds et excessifs, tout commerce des Chrétiens avec eux sera interdit jusqu'à ce qu'ils aient donné satis-fac-tion" (cité par Le Goff, p. 39).
L'usurier ne preste aucun travail utile à la communauté
Pour illustrer les condamnations successives de l'usure sur le plan religieux, nous avons l'em-bar-ras du choix. Avant toute chose, l'usurier est con-sidéré comme un voleur qui vit du turpe lu-crum (vice du lucre). L'usure est perçue comme un péché "contre na-ture": l'argent doit servir de moyen d'é-chan-ge. Un point c'est tout. S'il est prêté et génère de la sorte un surplus d'argent, c'est contraire à l'ordre naturel, donc à Dieu (se-lon le principe Natura, id est Deus). Tous les théologiens de l'époque sont d'accord: "Que vend-il [l'usurier], en effet, sinon le temps qui s'écoule entre le moment où il prête et celui où il est remboursé avec in-térêt?" (p. 42).
Le résultat, c'est que l'individu qui ne preste au-cune activité utile à la communauté vit de la sueur de ses victimes. Aujourd'hui, c'est chose ordinaire pour toutes les grandes ban-ques du monde capitaliste. Dans l'Eu-ro-pe médiévale tradition-nel-le, c'était un crime contre la nature, un "mi-racle diabolique". Dante a condamné les usuriers parce qu'il pé-chaient contre la nature, tandis que Tho-mas d'Aquin abordait le problème du point de vue social: "Recevoir une usure pour de l'ar-gent prêté est en soi injuste: car on vend ce qui n'existe pas, instaurant par là mani-festement une inégalité contraire à la justice" (cité par Le Goff, p. 29). La théologie (qui, au Moyen Age, constitue l'idéologie de l'Euro-pe féodale) n'accorde aucu-ne circonstance atténuante. S'alignant sur la tri-partition pro-pre à la société indo-européenne tradition-nelle, Jacques de Vitry affirmait que "Dieu a ordonné trois genres d'hommes", les pay-sans/travailleurs, les chevaliers et les clercs "mais le diable en a ordonné une quatrième, les usuriers. Ils ne participent pas au travail des hommes et ils ne seront pas châtiés avec les hommes, mais avec les démons" (cité par Le Goff, pp. 60/61). Traduit en langage contem-po-rain, cela signifie que l'usure n'est pas une simple "déviation" sociale mais est, par sa nature même, un crime contre toute la communauté.
Le Goff ne se contente pas de consacrer de nombreuses pages de son livre aux polémi-ques des théologiens et des docteurs contre l'usure; il nous rappelle aussi que les sou-verains et les hommes du peuple les détes-taient. Déjà les lois romaines et byzantines, de même que les lois germaniques, avaient fixé des limites aux intérêts. Charlemagne prohiba l'usure par son Admones-tio gene-ralis tandis que "Philippe Auguste, Louis VIII et surtout Saint Louis (IX) édictèrent une législation très sévère à l'égard des usuriers juifs. Ainsi la répression parallèle du judaïsme et de l'usure contribua-t-elle à alimenter l'antisémitis-me naissant et à noir-cir encore l'image de l'usu-rier plus ou moins assimilé au Juif" (p. 40). Au niveau du menu peuple, l'usurier devient l'objet de l'hostilité et du mépris de toute la société: "L'historien d'aujourd'hui lui reconnaît la qua-lité de précurseur d'un système écono-mique qui, malgré ses injustices et ses tares, s'inscrit, en Oc-cident, dans la trajectoire d'un progrès: le capi-ta-lisme. Alors qu'en son temps cet homme fut honni, selon tous les points de vue de l'époque" (p. 45).
Dans une société qui n'admet la richesse indi-viduelle que si elle est obtenue par un labeur hon-nête ‹d'ordre spirituel, intel-lec-tuel ou phy-si-que‹ l'usurier sera souvent comparé aux bêtes féroces et aux animaux sordides, symbolisant sa voracité et le dés-honneur dans lequel il se vautre. Les légen-des populaires abondent, qui racontent l'hor-reur de la mort de l'usurier et sa dam-nation éternelle; le symbolisme de ces his-toires horri-bles, colportées au cours des siè-cles, est très évocateur.
Malgré l'opprobre qui le couvre, l'usurier prend le pouvoir
en Occident
Mais, malgré tout, l'usurier réussira à se défaire de son image de marque pour le moins négative. L'Europe féodale avait deux ennemis: a) le com-munisme avant la lettre, porté par certaines sec-tes hérétiques et b) le capitalisme dont l'usurier fut le premier impulseur. Le premier fut éliminé relative-ment facilement tant sur le plan militaire que sur le plan social. Le second, en revan-che, évoluant sur des chemins plus subtils, parvient à survivre et à lancer un processus historique qui, aujourd'hui, vient d'atteindre son point culmi-nant avec la domination idéologique du mon-dia-lisme. Petit à petit, en effet, l'usurier est parvenu à tirer son épin-gle du jeu parce que des souverains et des hommes d'Eglise ont cru pouvoir ins-tru-mentaliser sa personne, à un moment de l'histoire où les tensions religieuses s'es-tom-pent. Ce qui a permis à l'usurier de sor-tir de son iso-lement. Le résultat actuel de cette mutation: un système capitaliste qui généralise l'usure à l'é-chelle de la planète; de ce fait, l'usure n'est plus l'¦uvre d'indi-vidus mais de ces pieuvres finan-cières mons-trueuses que sont les banques. Leurs tentacules enserrent tout: les petites et les mo-yennes entreprises en difficulté comme les gou-vernements et les Etats. Les victimes de l'usure sont désormais des peuples entiers. Le Goff si-gnale toutefois que l'aver-sion à l'endroit de l'u-sure, dans ses formes les plus intransigeantes, n'est pas morte au Moyen Age. Elle s'est re-vi-vifiée dans l'esprit du grand poète américain Ezra Pound, digne héritier de Dante et des po-lémistes médié-vaux (Le Goff reproduit deux de ses poèmes contre l'usure en annexe de son li-vre). Le Goff, parce que ce n'est pas directement son sujet, passe sous silence l'engagement po-litique de Pound pour le fascisme, son action à la radio, ses discours de propa-gan-de prononcés pendant la guerre, ses poé-sies politiques, la lon-gue persécution qu'il a endurée, son internement dans un asyle psy-chiatrique aux Etats-Unis, etc.
Tout cela concerne pourtant directement le pro-blème de l'usure. Pound a précisément ad-héré au fascisme parce qu'il voyait dans ce mou-vement une révolte résolument anti-usuro-cra-tique et considérait que les révolu-tions nationales-po-pulaires d'Europe cons-ti--tuaient les premiers re-vers réels infligés à l'usure internationale au cours de ces der-niers siècles.
Tirer les conclusions qui
s'imposent de l'histoire de l'usure
De tout cela, il convient de tirer quelques con-clusions utiles, afin de forger une stra-tégie révo-lutionnaire. D'abord, prenons ac-te du fait que l'u-sure est l'un des instruments essentiels qui ca-ractérisent l'impérialisme capitaliste. Ensuite, re-connaissons la nature éminement subversive, le caractère résolu-ment anti-naturel de l'usure à tou-tes les époques et en tous lieux. Enfin, dési-gnons l'usurocratie mondialiste comme notre en-nemi principal, comme un ennemi avec lequel aucun compromis n'est possible. En adoptant une telle ligne stratégique, nous reprenons deux flambeaux: celui de l'Eu-rope traditionnelle et ce-lui de l'Europe na-tionale-révolutionnaire.
Combattre l'usurocratie moderne, c'est se poser comme une double avant-garde: a) l'avant-garde de la sacralité (qui devrait sous-tendre la totalité du monde) et de la tra-di-tion contre le maté-rialis-me et le laïcisme et b) l'avant-garde des peuples oppressés du monde entier contre l'impéria-lis-me de la haute finance mondialiste. Les érudits mé-diévaux disaient de l'usure, parce qu'elle s'ali--mentait sans cesse, qu'elle était un crime qui ne s'interrompait jamais mais au con-traire se per-pé-tuait et s'aggravait chaque heu-re de la journée, chaque jour de l'année. L'usure "travaille" quand hommes et bêtes dorment, quand les champs s'épuisent. L'usure exige son tribut sans être sou-mise aux morsures du temps. L'usure gagne en dormant, aiguillonée par Satan: c'est son "mi-racle diabolique". Conclusion des auteurs mé-dié-vaux: "A péché sans arrêt et sans fin, châtiment sans trêve et sans fin" (cité par Le Goff, p. 32/33). Paraphrasons cet auteur anonyme du Moyen-Age à quelques siècle de distance, actualisons sa pa-role: "A crime sans repos et sans fin, guerre sans trêve et sans fin".
Marzio PISANI.
(texte tiré d'Avanguardia, n°51, septembre 1989; Adresse: Avanguardia, c/o Leonardo Fonte, Via Franchetti 61, I-91.100 Trapani, Italie).
13:01 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Jakob Wilhelm Hauer
Jakob Wilhelm Hauer (1881-1962): le philosophe de la rénovation religieuse
L'Allemagne, patrie des grands mouve-ments de la philologie, de la philosophie et de la théologie, a cherché, entre le romantisme et le biologisme du IIIième Reich, une voie alternative en matières religieuses: de Schel-ling à Daumer, de Paul de Lagarde à Hauer, en n'oubliant pas les apports magis-traux de Nietzsche, le christianisme a été in-terrogé, mis au banc des accusés et rendu responsable des aliénations multiples qui af-fectent le continent européen. La vraie reli-gion de l'Europe, une religion de la vie, une religion qui chante la prolixité du réel, qui prononce un grand oui devant la création, une religion de l'affirmation absolue, a été oblitérée pendant dix à quinze siècles par une religion abstraite, qui nie le sacré inscrit dans toutes choses, qui dit non à la vie, qui est négation constante de la beauté et des vir-tualités de chaque chose. Mais cette oblitéra-tion a souvent été une pseudo-morphose, pour reprendre le vocabulaire de Spengler. C'est-à-dire que le passage de l'Europe au christianisme n'a pas été total. Que des pans entiers de la pensée européenne ont simple-ment accepté un travestissement chrétien, sans renoncer à l'essentiel. Dans cet espace de pensées travesties, de pensées qui n'a-vaient pas changé fondamentalement, les phi-losophes allemands ont puisé les élé-ments de leur rénovation religieuse, de leur quête pour retrouver les valeurs cardinales de la Grande Affirmation.
Parmi ces philosophes: Jakob Wilhelm Hauer. Né dans un milieu piétiste de Souabe, il choisira, à l'âge adulte, de devenir mis-sionnaire aux Indes. Mais, arrivé là-bas, il aura des scrupules: on n'efface pas l'âme d'un peuple en lui imposant des critères re-ligieux qui lui sont étrangers. Et ce qui est vrai pour les Indiens, doit être vrai pour les Allemands et tous les Européens. La con-frontation avec l'identité indo-dravi-dienne et indo-brahmanique a provoqué un déclic in-tellectuel chez Hauer. Désormais, il pense que les Germains, eux aussi, doivent re-trouver leur être le plus intime. Dans quel espace social va-t-il pouvoir commencer cette quête du Graal? Ce sera dans le mouvement de jeunesse, espace social qui refuse radica-lement la vieille société wilhelminienne et victorienne, l'hypocrisie du catholicisme ou du protestantisme bourgeois, le façadisme sans sentiments féconds, les idéologies bas-sement matérialistes, etc. Rapidement, Hauer devient le chef d'un mouvement de jeunesse soucieux d'impulser de nouveaux sentiments religieux aux Allemands, senti-ments issus de la mémoire la plus profonde. Ce mouvement sera le Bund der Köngener, qui existe encore aujourd'hui.
Quand les nationaux-socialistes dissolvent les ligues de jeunesse non inféodées à leur parti, Hauer ne choisit pas l'exil mais, de-venu trop âgé pour limiter son action aux seuls camps et veillées et trop connu dans les milieux universitaires, il fonde la Deutsche Glaubensbewegung (DGB; "Mouvement de la foi allemande"). Il croit que le nouveau ré-gime fera table rase des institutions vermou-lues du passé et favori-sera l'édification de nouvelles structures re-ligieuses basées sur les acquis des re-cherches philologiques et religieuses, com-mencées au XIXième siècle. Mais le régime doit parier sur la stabilité et ne peut offenser les églises établies. Les rap-ports de Hauer avec le national-socialisme ont donc été doubles, à la fois coopératifs et conflictuels. En 1936, il se retire de la di-rection de la DGB.
Après la guerre, Martin Buber, le grand ré-novateur de la foi juive, défendra Hauer contre ses détracteurs et contre ceux qui vou-laient prendre prétexte de sa coopération avec le régime de Hitler pour esquiver les questions pertinentes qu'il adressait à notre siècle. Et ces questions pertinentes étaient lé-gion. Impossible donc de toutes les esquisser ici. Spécialiste de l'Inde, Hauer amorcera sa démarche par une étude approfondie de la mythologie indienne et démontrera que celle-ci est entièrement axée sur le "soi", c'est-à-dire sur l'identité individuelle et, partant, sur l'identité de chaque chose et sur l'identité fondamentale du monde, laquelle est la "réa-lité de la réalité". Aucune image, aucun concept, ne peut saisir cette "réalité de la réalité" qui est source d'un mouvement vital extraordinairement fécond. Au départ, le yoga consistait en une discipline pour at-teindre ce "soi", cette "réalité de la réalité", mais, en Inde, sa systématisation a conduit à isoler le yogi de la vie. La technique du yoga peut donner accès au rythme primordial mais, trop souvent, elle provoque une auto-exclusion du monde, parce que le yogi échappe par son ascèse à toute responsabilité et donc aussi à tout risque de commettre une faute.
Or la faute est attaché à l'existence humaine comme la fumée au feu. La tâche de l'homme n'est pas de retourner à son "soi" avant d'avoir créé des formes, d'avoir agi et lutté. Mais cette action et cette lutte doivent se déployer dans l'HONNEUR, avec mesure et sans hybris, comme l'explique le personnage du Prince Aryuna dans la Bhagavadgîta. Ce sens de l'honneur, de l'agir permanent et de la mesure sont des constantes de la Weltan-schauung de tous les peuples indo-euro-péens. Comme Hans F.K. Günther et Lud-wig Ferdinand Clauss, Hauer participera dès 1923 (donc dix ans avant l'arrivée de Hit-ler au pouvoir) aux recherches pluridiscipli-naires et inductives qui tenteront de dégager clairement ce noyau commun de la religio-sité indo-européenne. La tâche est ardue. En effet, les Indo-Européens ont occupé par vagues successives de très grands espaces en Eurasie (puis en Amérique du Nord) et leurs ressortissants ont mêlé leur sang et leur psy-ché au sang et à la psyché de très nom-breux peuples différents d'eux. Des syn-thèses tantôt réussies tantôt bancales en ont résulté. Chaque mythologie indo-européenne est mixée à des résidus pré-indo-européens et, dans certaines régions, les mythologies non indo-européennes sont parfois partiel-lement matinées d'éléments indo-européens. La recherche comparative doit donc sans cesse décrypter ce magma: la tâche est donc non seulement ardue mais de longue ha-leine. L'objet de notre combat est d'inviter nos contemporains à s'y plonger et à vulgari-ser adéquatement les résultats de ces sciences humaines de façon à provoquer une mutation positive des consciences. De plus, sachons que la matière est si vaste et iné-puisable que jamais nous ne nous répéterons à l'instar des adeptes fanatiques des formu-les idéologiques toutes faites.
Parmi les travaux de Hauer, il y a des textes fondamentaux à relire comme son essai sur l'origine des runes et des alphabets euro-péens (sur lequel nous reviendrons) et sur la domestication du cheval chez les Indo-Euro-péens. Après la guerre, et grâce à l'inter-ces-sion en sa faveur de Martin Buber, Hauer a pu poursuivre ses recherches. Mal-gré les hécatombes des deux guerres mondiales, où des millions d'hommes sains, va-lides et intelligents sont tombés et n'ont pu réaliser leurs possibilités, malgré le recul de l'é-thi-que de l'honneur et de la mesure qui en a dé-coulé, le facteur X que constitue la "réalité intérieure" finira, après un long pro-cessus de guérison, par triompher. Les Eu-ropéens, après la parenthèse de notre après-guerre inquisitorial et araseur où les racines n'ont plus été honorées, finiront par les re-trouver et les remettre à la place d'honneur qu'elles n'auraient jamais dû quitter. Les idéologies matérialistes, basées sur le thème de la "table rase", posant comme axiome l'oubli de tout passé, ont suscité des dés-ordres au sein des sociétés européennes. Hauer croit pour sa part que derrière le fatras des prétentions modernes, se profile un noyau commun qu'il appelle das Gemein-same. Tous les ressor-tis--sants d'un peuple partagent inconsciem-ment ce noyau com-mun. Le dégager de sa cangue n'est possible que par la tolérance, une tolérance qui, du point de vue éthique, transcende large-ment les opinions idéologi-ques mesquines. La tolérance selon Hauer n'est pas un prin-cipe dissolvant, pour lequel tout vaudrait tout, mais un principe qui permet de dégager l'essentiel et d'unir les hommes sur la base de cet essentiel et, ainsi, de mettre un terme à des querelles stériles. Cette tolérance-là, nous la faisons nôtre, et nous tâcherons de rester de fidèles disciples de Hauer.
Source: Margarete DIERKS, Jakob Wilhelm Hauer (1881-1962), Leben - Werk - Wirkung, Verlag Lambert Schneider, Heidelberg, 1986.
13:00 Publié dans Biographie | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
A. Sampieru: le principe de souveraineté
Le principe de souveraineté
par Ange SAMPIERU
L'une des premières définitions modernes de cette no-tion nous est donnée par Burlamaqui (1694-1748) dans ses Principes de droit poli-tique. Celui-ci retient trois éléments essentiels:
1° un DROIT de direction,
2° assorti d'un POUVOIR de commandement, de contrainte,
3° ayant une valeur UNIVERSELLE, c'est-à-dire que cette combinaison juridico-politique s'applique à tous les membres d'une collectivité politique donnée (cité, nation, monarchie, empi-re, etc.).
La notion est définie par conséquent indépen-damment du type de régime dans lequel elle s'applique.
Cette définition retient notre attention essen-tiellement par son aspect moderne: c'est qu'elle utilise deux concepts tirés du discours contem-porains, à savoir le droit et le pouvoir politique. Il est à souligner cepen-dant que la position ori-ginale de Burlamaqui constitue une rupture qui est à la fois historique et idéologique.
Le droit médiéval, fortement soumis aux règles du dis-cours scolastique, ne pouvait concevoir une théorie de la souveraineté qui ne fut prin-cipalement théocratique et déiste. Or, alors que les légistes catholiques s'ap-pliquaient à dégager une conception métaphysique, Bur--lamaqui propose une définition politique et juri-di-que, renouant ainsi avec la tradition publiciste ro-maine. En introduisant dans sa recherche des principes et critères non-religieux (pour simpli-fier, disons "laïcisé", bien que le terme soit im-propre de notre point de vue), ce penseur gene-vois revendique un acte contestataire.
L'originalité de cet "esprit contestataire" ‹qui va se développer au fil des siècles‹ peut être étudiée à tra-vers deux exemples:
- d'une part, la théorie du mandat.
Si l'on reconnaît la dichotomie souveraineté/ pouvoir divin, à qui peut-on alors attribuer cette souveraineté étant bien entendu que celle-ci n'est concédée qu'à titre relatif et provisoire
au souverain? Et, par ailleurs, qui est à l'origine de cette attribution?
- d'autre part, le développement de l'idéologie démo-cratique de la souveraineté populaire.
Cette idéologie, caractérisée par la notion de "contrat social", présente deux versions: l'une post-scolastique (la doctrine des jésuites en est la plus brillante des re-présentations), l'autre républicaine (Hobbes, Rous-seau).
La théorie du mandat
De la théorie du mandat peuvent être dégagées les es-quisses idéologiques de ce qui était appelé à engendrer les grands principes de la pensée politique contempo-raine.
On y reconnaîtra, entre autres choses, les valeurs sous-jacentes aux idéologies égalitaires: dualisme, mécani-cisme inorganique, attache-ment aux cadres logiques du droit privé.
Cette théorie présente une structure trinaire évidente. Trois facteurs, trois niveaux, intervien-nent en effet: le mandataire, le mandaté et l'at-tribut du mandat.
Le mandataire est Dieu, ou la puissance divine dans le langage des légistes de l'époque; le mandaté, celui qui exerce le pouvoir en vertu d'un mandat explicite dé-coulant d'une procé-dure historique (le pacte de Dieu et du roi prend la forme du baptême ‹Clovis‹ ou du sacre ‹les Bourbons); enfin, l'attribut même du man-dat est représenté par la souveraineté, qui est à la fois droit et pouvoir.
Cette dialectique trinaire s'inspire d'une idéo-logie dua-liste, essentialiste, qui apparaît claire-ment dans le sché-ma suivant:
Elément originel:
Le mandataire = Dieu (A)
Eléments dérivés:
Le mandaté = Roi (B)
L'attribut = Souveraineté (C)
La relation causale, telle qu'elle transparaît dans ce des-sin, entre celui qui est la source de tout pouvoir (Dieu) et ce que nous avons appelé les "éléments déri-vés" de la structure (le souverain et son attribut), est frappante.
Ainsi, il n'existe qu'un rapport unilatéral entre l'é-lément originel et les éléments dérivés. Qu'est-ce à di-re? C'est que le souverain (l'Etat) n'est considéré que comme une instance sou-mise, déterminée. Simple su-per-structure dans le rapport trinaire que nous avons dé--fini, il ne peut être une instance suprême. Au même titre, la souveraineté est conçue ici comme un pur "ob-jet". Il n'est pas question de la valoriser, dans la me-sure où elle participera de Dieu et du pouvoir poli-tique temporel.
Au fond, l'Etat est un "objet" divisé, la sou-veraineté politique une instance médiatrice; seule la puissance di-vine est présentée comme "sujet" total, instance su-prême parce qu'en-glo-bante. C'est ainsi qu'un légiste de l'époque médiévale a pu écrire que l'Etat n'était en tout et pour tout qu'un fidei commis...
Une logique essentialiste,
inorganique et déterministe
Cette logique "essentialiste", selon laquelle Dieu serait l'essence de toute chose (cf. Saint Augustin, Thomas d'Aquin) conduit à déva-loriser le pouvoir politique, opération carac-té-ristique du manichéisme chrétien. Non seule-ment l'Etat n'est qu'une structure objective, mais il représente chez les doctrinaires chré-tiens, une anti-thèse, un mal nécessaire.
Bien évidemment, la coloration donnée au pouvoir po-litique est négative. Si l'Etat est en possession de la souveraineté, il n'en a pas la propriété pleine et entière. Il n'est pouvoir que par accident et non par essence. En termes civilistes, il n'exerce pas un droit réel parfait de propriété.
Qu'est-ce que cette souveraineté, émanée de Dieu et qu'il peut reprendre à tout instant?
Philologiquement, elle est superanum, c'est-à-dire su-périorité. Pétris de droit romain et de droit canonique, les légistes de l'âge d'or du catholicisme sont les ar-dents défenseurs d'un ordre théocratique. Leur dis-cours est moins idéologique que politique. Au service du pou-voir ecclésiastique, ils donnent à ce dernier un alibi intellectuel (1). Soulignons que cette dia-lectique n'est nullement organique. Elle relève au contraire d'une pure mécanique déterministe, dans laquelle l'homme n'a aucun droit.
Logiquement, les rapports qu'entretient cette puissance divine avec le souverain sont pure-ment hiérarchiques. L'influence platoni-cien-ne apparaît ici considérable. Si rien ne se conçoit hors de Dieu, le pouvoir politique n'est que titularisation et jamais propriété ab origine. C'est ainsi que l'écrivaient les frères Carlyle dans un essai intitulé A History of Political Medieval Theory in the West (1903-1936) en rappelant le vieil adage des barons anglais et saxons: Nolimus leges anglicae mu-tare.
La souveraineté du peuple
Il est inévitable que cette seconde partie apparaisse comme un raccourci par trop fulgu-rant d'une évolution qui, bien que sensible, fut lente. Cette dernière est typique des mouve-ments observables dans la vie des idées, qui passent successivement par des phases de con-traction puis de décontraction. Rythme biolo-gique que nous retrouvons dans notre analyse. A l'époque où nous reprenons notre étude, les discours touchant à la notion de souveraineté populaire se sont multipliés. L'émergence d'un Etat puissant, centralisateur et volontaire a fa-vorisé une telle poussée. La théorie du droit divin est une expression de notre époque de changements. Elle fournit une base idéologique à l'absolutisme du XVIIème siècle.
Deux inspirations sont à distinguer: l'une est d'origine chrétienne et représentée par les Mo-nar-chomaques et certains intellectuels jésuites (dont Francisco Suarez).
L'autre est plus franchement laïque, entendons par là non directement attachée aux intérêts ecclésiastiques (Hobbes et le Léviathan, Rous-seau et le Contrat Social).
Penchons-nous tout d'abord sur la doctrine jé-suite à travers les idées développées par Francisco Suarez (1548-1617).
Des jésuites aux doctrines
du contrat social
Fidèles aux tendances égalitaires de leur doctrine dualiste ‹et de la théorie du mandat qui en est une expression particulière‹ ce sont des penseurs jésuites qui vont enclencher le mouvement qui débouchera sur la théorie du contrat social. Ce n'est là qu'un des multiples paradoxes apparents de l'histoire des idées. Certains auteurs ont voulu voir dans cette évolution une "laïcisation" de la théorie du mandat et il est évident qu'une tentative de dé-gagement du discours théocratique se manifeste timidement. Lato sensu, ils demeurent tout de même dans la ligne des héritiers de la pensée augustinienne et thomiste. Si les scolastiques perdent du terrain, la conception du monde dominante chrétienne se maintient. Les valeurs restent identiques.
Quelles sont-elles?
Première idée: L'homme est un être social. L'ontologie sociale de la doctrine aristo-téli-cienne est reprise dans l'augustinisme, par la re-connaissance de l'individu comme réalité poli-tique. Comme valeur, l'homme est un absolu dans l'histoire et la Cité de Dieu est reliée à la Cité Terrstre par une "sphère de conciliation" qui n'est pas sans rappeler Socrate ou Chry-sippe.
Deuxième idée: Le mandataire n'est plus Dieu. Les monarchomaques sont les premiers à opé-rer cette substitution: la source du pouvoir n'est plus divine mais réside dans le peuple.
Les intellectuels jésuites vont introduire une révolution dans les idées. Au vieux principes tho-miste "nulla potestas nisi a Deo" est substi-tué l'idée selon laquelle "nulla potestas nisi a Deo per populum"... Il s'agit là de quelque chose de révolutionnaire puisque c'est recon-naître au peuple au moins un rôle égal à celui de Dieu. Le "grand absent" (entendons le peu-ple) est désormais placé au premier rang. Ainsi pour le Cardinal Bellarmin (1542-1621), "tous les citoyens sont civilement égaux", ajoutant dans De Membris Ecclesiae, "le pouvoir a été donné au peuple et les hommes y sont égaux".
Il est d'ailleurs suivi dans cette voie par Suarez, un autre père des jésuites: "la sphère de con-ciliation" est facteur de synthèse, synthèse de Dieu et du peuple. La souveraineté populaire est donc dans le cadre de cette "sphère" con-crétisée par un contrat de tous entre tous. La fi-liation est incontestable (cf. J. Rouvier, Les grandes idées politiques, tome 1, Ed. Bordas).
Deux aspects sont à distinguer:
- La société, d'une part, fondée sur un rapport de droit privé, de nature synallagmatique. Cette influence du droit privé rejoint celle aperçue dans la théorie du mandat. Dans cette société, les hommes sont égaux, comme créatures de Dieu. Celle-ci est une exigence de la nature, devant être régie par une autorité, nécessité par le bien commun. Ce syllogisme thomiste réduit le pouvoir à un mal nécessaire et sa souve-raineté à une simple délégation du souverain suprême (Dieu; puis Dieu et le peuple; le peu-ple enfin). Ce rapport autrefois nommé "pac-tum" induit une délégation de pouvoir.
- En effet, le pouvoir résulte de ce "pactum subjectionnis". Il est mal tempéré en vue du bien commun! Définir ce dernier est une tâche ardue mais il existe comme objectif.
Le dualisme manichéen
est conservé...
Le dualisme manichéen est cependant conser-vé: le pouvoir demeure ce mal nécessaire. La cité des hommes, reflet dégénéré de la Cité de Dieu, réclame une caricature de pouvoir. L'exé-cutif, l'Etat, quelle que soit son appellation, est cette dernière. Le pacte est limité et partiel. Face à la société des hommes (valeur du bien), fondée sur un accord consensuel naturel (in-fluen-ce du jusnaturalisme), le pouvoir repré-sente le pôle négatif.
C'est ainsi que nous arrivons à la théorie du contrat social, dont les principaux théoriciens furent Thomas Hobbes et J.J. Rousseau.
Dans son ouvrage principal, le Leviathan (1651), Hobbes (1588-1679) nous expose les principes qui l'ont inspirés. C'est surtout chez Spinoza qu'il a puisé son inspiration.
Ce dernier, dans son Traité théologico-politique déve-loppe l'idée selon laquelle l'état originel de l'homme est celui de nature. L'état de nature se définit comme "la possession d'un droit qui s'étend jusqu'où s'étend la puissance déterminée qui lui appartient" et présente donc un caractère actif d'une pluralité de rapports de puissance (cette idée s'oppose en fait à l'idéa-lisme pacifiste et plat des intellectuels contem-porains). La fin d'un tel état est la conséquence de l'apparition de ce que Spinoza appelle la "multitude", connaissant deux formes princi-pales: la cité et la république.
A ce propos, Rousseau considérait que l'ac-croissement du nombre des individus est inver-sément proportionnel au degré de liberté dont ils jouissent.
Cette conséquence du nombre en expansion (cf. Chap. XVII du Leviathan), comme pure quan-tité arithmétique, produit inéluctablement une société de discipline qui trouve sa justification dans sa fonction d'assurance. Hobbes définit cette fonction comme celle consistant à "don-ner la pais et la sûreté".
La naissance de l'Etat totalitaire
Le problème qui se pose n'est plus alors de limiter ce pouvoir mais de l'organiser au mieux des intérêts collectifs. Le philosophe investit celui-ci d'un droit illimité d'action justifié par sa fonction. Chaque acte souverain a pour auteur l'ensemble des sujets. D'où l'apparition du Leviathan, "le plus grand des monstres froids" dont parle Nietzsche. En termes de so-ciologie politique, c'est l'acte de naissance in-tellectuelle de l'Etat totalitaire, de la dictature moderne, qu'elle soit nazie ou stalinienne.
On peut dégager chez Hobbes deux idées dominantes, d'une part une méfiance a priori du pouvoir réhabilité mais condamnable tout à la fois, d'autre part une vue prospective quant à l'apparition de l'Etat moderne et de sa rhé-to-rique égalitaire (cf. l'analyse brillante de B. de Jouvenel, Du pouvoir).
Deux acteurs entrent en jeu: le pouvoir exécutif et l'individu, liés par un contrat en vertu duquel toute personne aliène, en toute connaissance de cause, la totalité de ses doits au profit d'avan-tages à terme. Dans ce jeu d'un genre nouveau, le providentialisme explicatif de la période médiévale disparaît au profit d'un style que nous qualifions de réalitaire. Le jeu n'est plus troublé par un tiers divin, il est immanent au monde d'ici-bas. L'émancipation est de ce point de vue radicale. Le rapport politique Pouvoir/ Peuple est valorisé, maladroitement. Il est en-co-re contractuel, toujours marqué de la mauvaise conscience d'un péché originel, traduit par l'aliénation de l'individu. Notons pour finir que Hobbes insiste avec bonheur sur la dialectique du politique excluant toute métaphysique détemrinante.
La logique de Rousseau
Le second théoricien qui nous intéresse ici est J.J. Rousseau (1712-1778) et son Contrat Social (1762). L'idée de base du rousseauisme est le mythe du Contrat social, événement "historial" au sens de Martin Heidegger, mar-quant la naissance de l'humanité historique; la logique de Rousseau présente deux aspects es-sentiels:
- une chronologie marquée par l'idée de rupture (historicisme). Le contrat social est un acte uni-que dans le temps, qui constitue la consom-mation première de l'aliénation. Telle est l'idée traditionnelle. Mais Rousseau est aussi le fondateur d'une doctrine historique. Il divise la genèse du contrat en deux étapes: le surgisse-ment, sous la nécessité démographique (cf. Hobbes) puis la désignation des dirigeants par les cocontractants. Par là est introduit le mythe fondateur historique d'une société décomposée en époques significatives et distinctes. Au pro-vi-dentialisme déterminant des jésuites, Rous-seau substitue l'homme-sujet de l'histoire. Le destin n'est plus le résultat d'une volonté divine, transcendante à la terrestre humanité. Il est volonté humaine. Nous avons affaire là à une doctrine du volontarisme historique et sub-jectiviste.
- La question soulevée par la notion de souve-raineté populaire est la suivante: quel peut être le degré d'aliénation des droits individuels?
Ecole anglo-saxonne et
école continentale
On trouve au XVIIIième siècle deux réponses, deux sensibilités. Pour l'école anglo-saxonne (Locke et Hobbes), cette aliénation ne devait être que partielle, les individus conservant un "droit de réserve". Pour l'école continentale, il ne peut y avoir de demi-mesure: l'aliénation est totale. Le souverain étant le peuple, "les hommes ne peuvent s'engager qu'à obéir à leur totalité". Cette dernière constitue une entité es-sen-tiellement différente d'une somme arithmé-tique: il s'agit de la Nation qui bénéficie d'un transfert de l'ensemble des droits des parti-culiers. La modération graduée d'un Hobbes ou d'un Bossuet (cf. le Cin-quième avertissement aux protestants) est étrangère à la pensée rous-seauiste pour laquelle le droit de souveraineté s'avère absolu.
Voilà pourquoi Rousseau est généralement pré-senté comme le précurseur de tous les régimes totalitaires modernes. Mais on trouve égale-ment chez Rousseau une distinction fonda-mentale: gouvernement et souveraineté ne sont point identiques. La souveraineté populaire at-tri-bue l'"imperium" aux dirigeants, c'est un fait, mais elle demeure spécifique "chose-en-soi" qui ne peut être confondue avec la fonction exécutive. Cette dichotomie est un des points remarquables de la science politique moderne (cf. Du contrat social, Livre III, chap. II).
Le danger provient alors de la dynamique du pouvoir, tendance propre à tout pouvoir politi-que à envahir la dimension souveraine, brisant ainsi les temres du contrat social. Selon Rous-seau, "ce vice inhérent et inévitable" est lié à toute société humaine. Ce qui donne à Bertrand de Jouvenel l'occasion de qualifier cette idéo-logie d'"évolutionnisme pessimiste" (in Du Principat, éd. Hachette).
La souveraineté populaire rousseauiste est un des concepts les plus ambigus que l'on puisse trouver. A priori démocratique et égalitaire, elle est à l'origine des systèmes idéologiques natio-naux des XIXième et XXième siècles. Le style impérial de cette souveraineté essentiellement im-manente, son caractère commu-nau-taire et poli-tico-historique, joint à une philosophie pes-simiste, font de Jean-Jacques Rousseau un des prin-cipaux fondateurs de la doctrine de la souveraineté post-chrétienne.
L'idée de souveraineté, de par ses origines, constitue un des concepts-clés de l'histoire poli-tique européenne. Fortement marquée par l'in-fluence du droit privé romain, elle fut durant toute l'époque d'expansion chrétienne, un concept directement rattaché au pouvoir divin.
Cette idée connut, au gré des fluctuations idéo-logiques et politiques, des interprétations sen-siblement divergentes. N'est-ce pas, d'ail-leurs, le sort réservé à toute tentative de systéma-ti-sation politique?
Ange SAMPIERU.
Note
(1) L'antiquité considérait la première fonction, dite souveraine, comme religieuse ET politico-juridique ainsi que Georges Dumézil l'a démontré dans maints ouvrages.
12:58 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
La genèse de la civilisation chez A. Toynbee
La genèse de la civilisation chez Arnold Toynbee
par Ange Sampieru
On est en droit de considérer l'historien britannique Arnold Toynbee comme l'un des plus féconds pen-seurs contemporains qui ont fait de l'histoire l'objet de leurs profondes spéculations. Loin de se conten-ter d'une approche quantitative de l'histoire, appro-che qu'il récuse et critique par ailleurs dans son ¦u-vre-maîtresse (cf. les chapitres 1 et 2 de l'anthologie publiée récemment chez Bordas sous le titre L'His-toire), Toynbee nous propose a contrario une appro-che originale et, par certains côtés, "traditionnelle" de la genèse de la civilisation. C'est cette approche ori-ginale que nous voulons analyser ici. Mais avant d'aborder la problématique que pose cette genèse, il nous semble indispensable de résumer en quelques li-gnes le concept de civilisation chez Toynbee.
Maîtriser le vocabulaire
de Toynbee
Il est en effet important de s'initier, même superfi-ciellement, aux notions-clefs qui structurent et la pen-sée et le langage de l'auteur. Tout d'abord, pour Toynbee, la science de l'histoire (le mot "science" étant pris dans une acception non mécanique/empiri-que mais plutôt "réflexive") doit s'appuyer sur une délimitation de "champs intelligibles d'étude". En d'autres termes, et pour parler simplement, tous les faits, particuliers ou globaux, ne sont pas "signifi-ca-tifs" en histoire. Par exemple, Toynbee considère comme très moyennement significatifs ces unités his-to-riques que sont les nations (au sens moderne du terme, comme la France ou la Belgique) ou les Ci-tés-Etats (au sens où l'époque de la civilisation hellé-nique les entendait). Cette puissance historique de fai-ble ampleur aux yeux de l'historien des civili-sations tient non seulement à leur étendue spatiale li-mitée, à leur courte durée temporelle au regard de l'histoire des communautés humaines, mais aussi à leur appartenance à des ensembles plus vastes et in-di-visibles.
Pour Toynbee, une nation n'est pas une unité indé-pendante mais une simple "articulation" d'un groupe plus large. Comme atome social, elle sera inscrite dans une perspective plus large, une perspective "en-globée". Le premier "champ intelligible d'étude" a pour nom "société". Cette notion est signifiante du point de vue historique et peut être le point de départ d'une vraie analyse historique. Il s'agit là pourtant non pas des sociétés particulières, elles aussi limi-tées du point de vue spatio-temporel, mais d'un gen-re historique que Toynbee nomme comme tel, "so-cié-té". Ce choix arbitraire de l'auteur est investi d'une justification herméneutique. Il constitue un ou-til privilégié d'explication de l'histoire de l'huma-ni-té. Les sociétés sont en fait les représentantes d'un genre appelé "société" dans le champ de la recherche historique. Le société hellénique est une représentan-te originale du genre "société". Elle ne résume pas, el-le n'épuise pas non plus, le genre en soi.
Enfin, cette soumission opératoire au genre "socié-té" n'empêche pas le chercheur de dégager des "af-filiations" entre différentes sociétés particulières. Ain-si, entre la société hellénique et la société dite "oc-cidentale".
Une famille de concepts
Toute l'¦uvre de Toynbee tourne autour d'une fa-mille de concepts, essentiels pour comprendre sa con-ception de l'histoire. Les principaux sont: socié-té, culture, civilisation, sociétés, civilisations (ces deux derniers au pluriel). Chacun de ces concepts iden-tifie une part de cette problématique qu'est la phi-losophie de l'histoire chez Toynbee. Notre sujet, ici, portant sur cette dynamique qu'est la genèse de la civilisation, nous nous contenterons de résumer très birèvement les différents concepts cités ci-des-sus, avant de nous permettre quelques développe-ments sur celui de civilisation (au singulier) et de ci-vi-lisations (au pluriel).
La SOCIETE: elle se définit comme le réseau com-plet des relations entre les êtres humains. Une so-cié-té se compose donc non pas de n individus vivant dans un même espace politico-culturel, mais comme un enchevêtrement de réseaux de relations. Les indi-vi-dus sont les foci (foyers) d'une société. Ils ne sont pas cette société.
La CULTURE: Toynbee adhère ici à la définition de P. Bagby: "une régularité dans le comportement, in-ter-ne et externe, des membres d'une société". Les com-portements retenus étant des comportements dits acquis, et non les comportements innés ou hérédi-taires. De ce point de vue, la culture est, selon les ter-mes repris de Bagby, "l'aspect intelligible de l'his--toire".
Les SOCIETES: ce sont les manifestations histori-ques concrètes de l'idée abstraite de "société". Les so-ciétés sont les réseaux particuliers entre les mem-bres d'un même groupe sociétaire. Par exemple, les so-ciétés primitives. Toynbee ajoute que les sociétés ne sont pas comparables aux célèbres "monades leib-niziennes", puisqu'elles sont en constante in-terac-tion. Enfin, il pose la théorie de ne pas étudier une "société" sans examiner la culture dont elle est porteuse.
Les CIVILISATIONS: même schéma que pour la "société" et les "sociétés". Les civilisations sont les multiples représentantes d'une classe abstraite appelée la "civilisation".
La "civilisation" chez Toynbee
Enfin, la CIVILISATION: la civilisation désigne dans le langage de Toynbee un phénomène théorique et historique. Le civilisation est née il y a appro-xi-mativement cinq mille ans. Pour définir ce concept théo-rique, l'auteur part de la définition donnée par Bagby: "un type de culture que l'on trouve dans les villesŠ". Les villes étant elles-mêmes désignées chez ce dernier comme "des agglomérations d'habi-tations dont beaucoup (ou, pour être plus précis, une majorité) d'habitants ne se livrent pas à la production de vivres". La civilisation représenterait alors le creu-set socio-urbain où la culture se transformerait en civilisation. V.G. Childe parle en la circonstance de "révolution urbaine", par analogie avec la "ré-vo-lution industrielle".
Cette définition rejoint formellement celle d'O. Spengler, lequel écrivait que la civilisation était, du point de vue "cyclique", typique des conceptions tra-ditionnelles, le dernier stade de la culture par-ve-nue à maturité et même déjà engagée sur la pente de la "décadence". Mais cette définition ne suffit pas à Toynbee. Il écrit: "Il a existé des sociétés sans ville qui ont pourtant connu un phénomène de civili-sa-tion". Ce qui retient plus l'adhésion de Toynbee, c'est le critère sociogénique d'une "minorité créa-trice". Son rôle moteur dans la civilisation provient de son indépendance de tout déterminisme écono-mique productiviste. En d'autres termes, une véri-ta-ble "classe des loisirs". Leur indépendance vis-à-vis de toutes les formes d'activités économiques (indus-trie, commerce) les amènent ipso facto à une spécialisation dans les activités non économiques! Toyn-bee cite les soldats (fonction guerrière), les admi-nistra-teurs (fonction gestionnaire et politique) et, par-des-sus tout, les prêtres (fonction religieuse).
Minorité créatrice, cosmogonie
et harmonie
Cette minorité créatrice s'appuierait (selon A.N. White-head) sur "une conception cosmologique ap-profondie", celle-ci imposant "son propre caractère aux sources courantes de l'action". Toynbee, par-de-là la définition assez rudimentaire de Bagby et de Childe, rejoint une analyse plus socio-culturelle, pro-prement parétienne, où la notion d'élite joue un rô-le déterminant, en étroite liaison avec l'expression idéologique d'une "conception du monde" domi-nan-te et culturellement fondée sur des valeurs cosmogo-niques. Cette double structure classe/idéologie dé-bou-chant sur une civilisation en mouvement, sur une dynamique historique destinée à la naissance, puis à la croissance, de cette civilisation. La civilisation, con-clut enfin Toynbee, est beaucoup moins définis-sable en termes structurels (ces structures étant, se-lon ses propres termes, des "estampilles") qu'en termes "spirituels". Toynbee récupère ici une notion propre aux philosophes de l'antiquité indo-euro-péenne, grecque en particulier, puisqu'il affirme que le but de toute civilisation est alors la création d'une HARMONIE.
La civilisation, ainsi définie comme spiritualité ac-ti-ve, née d'une cosmogonie explicitée par une mino-ri-té dite créatrice, il reste à Toynbee le soin de décou-vrir les valeurs et les actes fondateurs d'une telle har-monie.
Défi et réponse
La théorie de base qui permet, selon Toynbee, une ex-plication historique de la naissance d'une civilisa-tion est la théorie du "défi-et-réponse" ("challenge-and-response"). Après avoir rejeté définitivement les autres hypothèses explicatives, en particulier cel-les faisant appel à la race et au milieu (qu'il qualifie de "forces inanimées"), Toynbee change radicale-ment de méthode. A la méthode déterministe origi-nelle, il substitue une méthode plus proche de la na-ture humaine.
Face à un schéma "scientifique" qui reconnaît la valeur du principe de la cause et de l'effet, Toynbee oppose une logique de l'aléatoire et de l'imprévi-si-ble. A toute action de son environnement, propre-ment dit, à tout défi qui s'oppose à son chemi-ne-ment, l'homme se voit contraint de réagir, autrement dit d'apporter une réponse. La différence essentielle avec la méthode déterministe est que, dans le cadre du défi-et-réponse, la réponse est totalement aléa-toire, elle n'est pas, écrit Toynbee, "uniforme", ni "prédéterminée". Elle est, ajoute-t-il, "imprévi-si-ble". Toynbee devient alors élève de Platon et cher-che des référents dans les diverses mythologies con-nues de lui, afin de mieux illustrer son postulat. Dé-niant toute supériorité du champ scientifique, il règle sa réflexion sur l'esprit des philosophes antiques. Il écrit: "Je fermerais les yeux aux formules de la scien-ce pour prêter l'oreille au langage de la mytho-logie".
Job, Faust, la Völuspâ et l'Hippolyte d'Euripide
A la suite de quoi, l'auteur nous propose deux pos-tu-lats: d'une part, celui qui dit que la genèse d'une civilisation est une multiplicité; d'autre part, celui qui dit qu'elle n'est pas une entité mais une relation. Mais cette relation est-elle un rapport (une interac-tion) entre deux forces matérielles non humaines, ou est-elle une rencontre entre deux personnalités?
Toynbee va dorénavant se référer à quatre mytho-lo-gies pour lesquelles la notion de "rencontre" fut essentielle: le Livre de Job (la rencontre entre Yahvé -le "Seigneur"- et Satan), le Faust de Goethe (la ren-contre entre le "Seigneur" et Méphistophélès), la Völuspâ scandinave (la rencontre des dieux et des dé-mons) et, enfin, l'Hippolyte d'Euripide (la ren-contre entre Artémis et Aphrodite). Dans toutes ces rencontres, que Toynbee nomme des "images pri-mor-diales", plusieurs points communs: la rencontre est un événement rare et unique, et provoque une rup-ture dans le cours "naturel" de l'histoire, donc in-duit d'immenses conséquences dans le monde ma-tériel.
Le Yin et le Yang
Pour compléter ce langage analytique commun, Toyn--bee inscrit comme cadre collectif méthodolo-gi-que la théorie chinoise du Yin et du Yang. Tout mouvement est par essence le résultat d'un rapport contradictoire entre des forces opposées et leur con-flit éternel connaît des phases alternées de périodes statiques et de périodes dynamiques. Quand le Yin triomphe, le monde est prêt à passer au Yang; et vi-ce-versa. L'un, le Yin, est synonyme de perfection et de stabilité; l'autre, le Yang, de mouvement et de dy-namisme. Le défi (l'état actuel du monde contra-rié) exige de la part de l'homme une réponse (le Yang comme force d'intrusion et de déstabilisation po-sitives). Or le Yang est par essence démoniaque. Le démon n'étant pas ici pris comme "force mau-vai-se": il n'y a pas chez Toynbee de soumission au dis-cours judéo-chrétien, avec la reconnaissance de la di-vision du monde matériel et spirituel entre un sou-verain Bien et un Mal pernicieux. Le démon est plu-tôt perçu comme force nécessaire. Il n'y a pas non plus lutte morale entre les deux pôles mais complé-mentarité éternelle.
Ainsi dans le Faust, Goethe fait dire à Méphisto-phé-lès: "Je suis l'esprit qui toujours nie! Et ce, à bon droit..." (Ich bin der Geist der stets verneint! Und das mit Recht...)! En effet, Dieu (ou le Yin) est par nature limité dans son pouvoir. Image et garant de la perfection, rien ne le pousse à une activité créatrice. Il ne peut pas détruire ce qu'il a créé comme parfait. Modifier l'ordre des choses revient à nier sa propre nature! Le Démon est alors l'opportunité de cette mo-dification de l'ordre du cosmos. Quand se présen-te cette occasion, Dieu doit la saisir. Nietzsche a parfaitement défini cette obligation que Dieu s'im-po-se dans sa règle de vie: "vivre dangereusement". Ain-si Dieu accepte de parier avec Méphistophélès. Dans le Prologue au Ciel, Dieu dit au Démon, par-lant de Faust: "Il t'est permis de l'induire en tenta-tion".
Cela étant, on remarque que, à chaque défi, les tra-ditions mythologiques apportent une réponse dif-fé-rente. Dans la version euripidienne, l'aboutissement est la victoire du Démon, victoire qui est destruction et non création. A contrario, dans la Völuspâ scan-dinave, l'aboutissement qui est destruction (le Ragnarök) est aussi espoir d'une aube nouvelle. Comme Faust, Loki éveille le Démon. Mais le Dé-mon perdra en fin de compte son pari, parce que Dieu manipule le Démon et lui fait jouer un rôle créateur malgré lui. Ce rapport est une première éta-pe; la transition du Yin vers le Yang, accomplie par un acte dynamique, permet à Dieu de reprendre son activité créatrice.
La "crise"
Une seconde étape du drame cosmique qui se joue est celle de la "crise". L'homme, protagoniste se-con-daire, comprend qu'il a été ainsi joué par Dieu. La crise ne peut alors se résoudre que par une pas-sivité consciente de l'homme lui-même. Cet "acte de ré-signation" de la créature rétablit alors une nouvelle période de Yin. Le mouvement fait à nouveau place au repos. L'orage au calme. Dans les textes des sa-gas, Odin veut arracher le secret du Destin aux puis-sances divines, mais cet acte s'appuie moins sur le dé-sir d'une économie pesonnelle que sur l'amour des Dieux et de l'Ordre cosmique qu'il faut rétablir.
Enfin, à la troisième étape, c'est l'accomplissement de la seconde étape qui se réalise. Le rétablissement du Yin est arrivé à terme. L'homme (Odin et Thor à la fin du Ragnarök) retourne à un état d'harmonie et de félicité. Cet état durera évidemment ce que Dieu a décidé qu'il dure. La victime triomphante (Faust, Odin, etc.) servant de pionnier, à la fois créature et créateur d'une nouvelle étape de l'humanité.
A partir de cette analyse comparative des mytho-lo-gies, Toynbee nous précise les grands traits de sa théorie. La création est le résultat d'un "duel". Toute genèse est la résultante d'une "interaction des for-ces". Ce postulat théorique établi, les causes maté-rielles rejettées dans la première partie, la race et le mi-lieu essentiellement, peuvent être à nouveau réin-tro-duites dans notre problématique. Les éléments ma--tériels sont de simples indices. Ils ne permettent pas une prévision exacte de l'histoire; l'inconnue que la méthode déterministe ne prend pas en cause, dans la mesure où elle est qualitative et aléatoire, est précisément la réaction des acteurs aux défis qui leur sont lancés. Cette "inconnue" chez Toynbee rejoint les analyses du philosophe/sociologue allemand Georg Simmel, pour qui les variables de l'histoire étant en quantité infinie, elles obligeaient les histo-riens à retenir dans leur équation de recherche une inconnue, clef de toute explication "objective".
Toynbee, Spengler, Evola
Concluons. L'¦uvre de réflexion de Toynbee sur la genèse des civilisations est inclassable. Si on voulait établir des analogies avec d'autres puissants esprits de notre siècle, deux noms nous viendraient à l'es-prit: celui de l'Allemand Oswald Spengler et celui du Romain Julius Evola. Comme ces derniers, Toynbee réussit ce tour de force d'embrasser l'histoire de l'humanité dans une vision cohérente et spirituelle de son destin. A la différence de Spengler, Toynbee re-fuse a priori toute analogie entre les civilisations et les organismes biologiques. La théorie des cycles, point commun entre Spengler et les auteurs tradi-tio-nalistes comme Evola, est formellement critiquée par Toynbee, qui lui reproche son aspect mécanique et néo-déterministe. Pourtant, "ruse de la raison" dans le langage de Kant, il apparaît que la théorie des cy-cles resurgit dans la réflexion mythologisante et spi-ritualiste de Toynbee, en particulier par son adhésion à une vision platonicienne de cette genèse. La pré-sen-ce englobante de la théorie traditionnelle du Yin et du Yang renforce cette ruse de l'esprit. Toynbee se refusant de la même façon à un chiffrage chro-no-logique des trois périodes de la genèse d'une civi-li-sation rejoint, inconsciemment (?), les théories speng-lerienne et évolienne.
Pour notre part, nous retiendrons dans cette théorie du "défi-et-réponse" une approche dynamique de l'histoire des peuples et des civilisations qui les "informent". Toute civilisation exige pour survivre que cha-que défi qui lui est opposé trouve une réponse intérieure. Même une civilisation en désagrégation (comme celle de l'Empire romain et, plus géné-ra-le-ment, des "états universels") doit pouvoir survivre si elle est en mesure de surmonter les obstacles qui lui barrent le chemin de son destin. L'Europe des an-nées 80 est-elle encore capable de repérer les défis de son environnement et, dans une seconde étape, de les surmonter? Notre réponse est oui. C'est au prix de cet effort constant, de cette tension perma-nente, de ce risque renouvelé, que l'Europe repartira pour un nouveau cycle de son destin.
Ange SAMPIERU.
12:56 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
R. Steuckers: Regards nouveaux sur Nietzsche
Regards nouveaux sur Nietzsche
par Robert Steuckers
Il y a cent ans paraissait l'ouvrage le plus célèbre de Nietzsche, celui qui sera le plus lu et que toute per-sonne moyen--nement cultivée citera ou évoquera spontanément: Ainsi parlait Zarathustra. On sait d'em-blée que le philo-sophe alle-mand a une réputation qui sent le soufre, que ses vigoureuses tirades an-ti-chrétiennes risquent de faire cha-virer toutes les certitudes, que son rejet, qualifié d'aristocra-tique, de toute espèce de moralisme, fait de sa pensée une gâterie, une ivres-se, une drogue pour un très petit nombre. Tous les fantasmes sont permis quand il est question de Nietzsche; cha-cun sem-ble avoir son petit Nietzsche-à-soi, chacun tire de l'itinéraire du philosophe de Sils-Maria une opinion ché-rie qu'il ex-hibera comme un badge coloré, avec la certitude coquine de choquer quelques bien-pen-sants. Et, en effet, en cent ans, on a dit tout et n'importe quoi à propos de Nietzsche, tout et le con-traire de tout.
Cet amateurisme et ce désordre, cette absence de professionnalisme et ce subjectivisme facile, qu'a su-bis l'¦uvre de Nietz---sche au cours du siècle écoulé, ont été désastreux: rien n'a pu être construit au dé-part de Nietzsche; il reste de son tra--vail pionnier que des critiques fulgurantes et féroces, des dé-constructions et des destructions; il reste l'âcre fu-mée qu'une horde de pillards laisse derrière elle. Cent après la parution du Zarathoustra, il est donc temps de dres-ser un bilan phi--lo-sophique du nietzschéisme, de désigner, dans l'¦uvre qu'il nous laisse, les matériaux d'une re-construction, les ma-té-riaux qui serviront à construire un nouveau temple pour la pensée voire qui inspireront les bâ-tisseurs de cités nouvelles, puisque la faillite des idéologies dominantes, assises sur les "anciennes tables de la loi" postule de repenser et de re-construire le politique sur d'autres fondements.
Ici, il ne sera pas question de dire définitivement ce qu'il convient de penser à la suite de Nietzsche, ni de donner une fois pour toutes la clef de l'énigme nietzschéenne. Modestement, il s'agira de don-ner un fil conducteur pour com-prendre glo-balement la signification du message nietzschéen et de voir clair dans le réseau des interprétations phi-losophiques con-temporaines de ce même message. Dans ce ré-seau, il s'agira de débusquer les interprétations abu-sives, stérilement sub-jectivistes bien qu'intellectuellement séduisantes, et de mettre en évidence celles qui re-cèlent des potentialités pour de-main. Cet indispensable tra-vail de tri doit se faire au départ d'une documentation existante, à partir de ce qu'une poi-gnée de chercheurs patients ont découvert. Vu le regain d'intérêt pour l'¦uvre de Nietz--sche, vu l'accumulation des tra-vaux universitaires consacrés à sa philosophie, l'on devra, pour cette dé-marche, po-ser un choix dans l'abondante littéra-ture qui est à notre disposition. Notre étude sera donc partielle, non ex-haustive; son ambition est d'amorcer une classifi-cation des nietzschéismes dans le but précis de rendre la philo-sophie nietzschéenne constructive. De ne pas l'abandonner à son stade pre-mier, celui de l'hyper-criticisme, dont nous ne nierons pas, pourtant, l'impérieuse nécessité.
un soupçon idéologique
Le premier écueil que rencontre actuellement le nietzschéisme, dans le "grand public" (pour autant que cette expres-sion ait un sens dans le domaine de la philosophie), c'est un soupçon d'ordre politi-co-idéologique. En effet, le nietz-schéisme, pour l'intelligence qui se qualifie de "progressiste", est un système de pensée qui conduit à l'avè-nement du fascisme ou du national-socialisme. Très récem-ment encore (en juin 1981), Rudolf Augstein, l'éditeur de l'hebdomadaire ouest-alle-mand Der Spiegel, dans un article à sa mode, c'est-à-dire à l'emporte-pièce, déclarait sans ambages que si Nietz-sche était le penseur, alors Hitler était l'homme d'action qui mettait cette pensée en prati-que (Denker Nietzsche- Täter Hit-ler). Le journaliste en voulait pour preuve les falsifications de certains des ma-nuscrits de Nietzsche par sa s¦ur, Elisa-beth Förster-Nietzsche qui, un jour, au soir de sa vie, avait été serré la pin-ce du Führer! On avouera qu'au regard de la mas-se de manuscrits laissés par Nietzsche et de la quantité de livres pu-bliés avant sa folie et que la s¦ur zélée n'a ja-mais pu modifier, l'ar-gument est un peu mince. Augstein s'inquiétait tout simplement du retour à Nietzsche qu'opère une jeune génération de philosophes allemands et de l'abondon pro-gressif mais sensible du corpus doctrinal de l'Ecole de Francfort de Horkheimer et Adorno, dont la faillite se consta-te par le déso-rientement d'Habermas, celui qui gérait l'hé-ritage des "francfortistes". Pour les Allemands édu-qués dans le sillage de la dénazification, les "francfortistes" re-présentent en effet une caste de gourous in-faillibles, in-tangibles, un aréopage de grands prêtres dont il serait impie de met-tre les paroles (sou-vent sybillines) en doute. Pour-tant les faits sont là: le "francfortisme" a lassé; son refus perma-nent de toute affirmation, de toute pensée qui af-fir-me, joyeusement ou puissamment, tel ou tel fait, de toute philo-sophie qui dit le beau et pose la créativité comme hiérarchiquement supérieure à la critique ou à la négation, n'a mené qu'à l'impasse. On est bien forcé d'admettre que la négativité ne saurait être un but en soi, qu'on ne peut régresser à l'in-fini dans le processus permanent de négation. Pour Ha-bermas, bien situé dans l'aire philosophique du francfortisme, le "réel", tel qu'il est, est mau-vais, dans le sens où il ne contient pas d'emblée tout le "bon" ou tout le "bien" existant dans l'i-dée. De-vant ce réel imparfait, il convient de maximiser le bon, de moraliser à outrance afin de mini-miser les char--ges de mal incrustées dans ce réel marqué d'incomplétude. Ainsi, la réalité imparfaite appelle la révo-lution salva-trice; mais cette révolution risque d'affirmer un autre réel, de déterminer un réel éga-lement imparfait (tantôt moins im-par-fait tantôt plus imparfait). Donc Habermas rejette les grandes ré-volutions globales, initiatrices d'ères nouvelles affir-matives, pour leur préférer les micro-révo-lutions parcellaires et sectorielles qui inaugurent ipso facto un âge de cor-rections permamentes, d'in-jections à petites doses de "bien" dans le tissu socio-politique inévitablement marqué du sceau du "mal". Mais le monde de la philosophie ne pouvait indéfiniment se contenter de ce bricolage constant, de cette mor-ne réduction à un réformisme sans envergure, à cette socio-technologie (social enge-neering) sans épaisseur.
Devant le soupçon de nazisme qui pèse en permanence sur le nietzschéisme, devant l'impossibilité de maintenir la phi-lo-sophie au niveau d'une négation permanente et de maintenir la mouvance kaléi-doscopique du réel sous la férule de ces mi-cro-révolutions qui, finalement, ne résolvent rien, il faut renvoyer dos à dos les thèses qui posent comme incon-tour-nable le "pré-nazisme" du nietzschéisme, re-jetter le mirage de la négativité permanente et s'interroger sur l'avè-nement d'un ordre global, d'un con-sensus généralisé, qui puisse englober et sublimer les multiples et diverses affirma-tions qui fu--sent en permanence depuis le tissu épais du social et du politique, tissu déposé par les vicissitudes histo-ri-ques.
Nietzsche et la pensée de gauche en Allemagne, au début du siècle
Le nietzschéisme a certes connu des interprétations nazies; des philosophes plus ou moins impliqués dans l'aventure na-zie ont fait référence à Nietzsche. Inutile de nier ou de minimiser ces faits, surtout pour prendre expressément le con-tre-pied de la démonstration d'Augstein. Mais, en dépit d'Aug-stein et de ses bricolages idéo-logiques favoris, en dépit de la bigoterie francfortiste qui afflige l'Allemagne de ces deux ou trois dernières décennies, en dépit de l'hiérocratie fondée en RFA par le Saint-Pierre du francfortisme, Horkheimer, Nietzsche, nous le savons désormais grâce à de nouvelles re-cherches historiques, n'a pas seulement préparé les munitions idéologiques de l'hitlérisme, il a aussi influencé consi-dérablement le socialisme de son époque. Une étude du Pro-fesseur britan-nique R. Hinton Thomas, de l'Université de War-wick, nous illustre avec brio ce té-lescopage, cette cross-fertili-zation en-tre nietzschéisme et socialisme, entre le nietz-schéisme et une pen-sée contestatrice classée à "gauche". Son livre
Nietzsche in German politics and society, 1890-1918,
by R. Hinton Thomas,
Manchester University Press, Manchester, 1983, 146 p., £ 22.50.
nous informe de l'impact de Nietzsche dans la pensée qui animait les cercles sociaux-démocrates de l'Al-lemagne im-pé-riale à la Belle Epoque, de même que dans les milieux anarchistes et féministes et dans le mouvement de jeunesse qui a produit, en fin de compte, davantage d'ennemis résolus du Troi-sième Reich que de cadres de la NSDAP. Contrai-rement aux affirmations désormais "classi-ques" des progressistes, R. Hinton Thomas démontre que l'influence de Nietz-sche ne s'est pas du tout limitée aux cercles de droite, aux cénacles conservateurs ou militaristes mais que toute une idéo--logie libertaire, dans le sillage de la social-démocratie allemande, s'est mise à l'école de sa pensée. Le professeur bri-tan-nique nous rappelle les grandes étapes de l'histoire du socialisme allemand: en 1875, sous l'impulsion d'August Be-bel, les socialistes adoptent le programme dit de Gotha, qui prétendait réaliser ses objectifs dans le cadre strict de la lé-galité. En 1878, le pouvoir impose les lois an-ti-socialistes qui freinent les activités du mouvement. En 1890, avec le pro-gramme d'Erfurt, les so--cialistes choisissent un ton plus dur, conforme à l'idéologie marxiste. Par la suite, la socia-le-dé-mo-cratie oscillera entre le légalisme strict, devenu "révisionnisme" ou "réformisme" parce qu'il ac-cep-tait la société capitaliste/libérale, ne souhaitait que la modifier sans bouleversement majeur, et le révolutionnisme, partisan d'un cham-bardement généralisé par le biais de la violence révolutionnaire. Cet-te seconde tendance demeurera minoritaire. Mais c'est elle, rappelle R. Hinton Thomas, qui pui-se-ra dans le message nietzschéen. Une fraction du parti, sous la di-rection de Bruno Wille, critiquera avec véhémence l'impuissance du réformisme social-démocrate et se donnera le nom de Die Jungen (Les Jeunes). Ce groupe évoquera la démocratie de base, parlera de consultation générale au sein du parti et, vu l'échec de sa démarche, finira par rejeter la forme d'organisation rigide que connaissait la social-démocratie. Wille et ses amis brocarderont le conformisme stérile des fonctionnaires du parti, petits et grands, et désigneront à la mo-querie du public la "cage" que constitue la SPD. Le corset étouf-fant du parti dompte les volontés, disent-ils, et empêche toute manifestation créatrice de celles-ci. L'accent est mis sur le volontarisme, sur les aspects volontaristes que devrait re-vêtir le socialisme. Ipso facto, cette insistance sur la volonté entre en contradiction avec le déterminisme maté-rialiste du marxisme, considéré désormais comme un système "esclavagiste" (Knechtschaft).
Kurt Eisner, écrivain et futur Président de la République rouge de Bavière (1919), consacrera son pre-mier livre à la phi-lo-sophie de Nietzsche (1). Il critiquera la "mégalomanie et l'égocentrisme" de l'au-teur d'Ainsi parlait Zarathoustra mais re-tiendra son idéal aristocratique. L'aristocratisme qu'en-seigne Nietzsche, dit Eisner, doit être mis au service du peuple et ne pas être simplement un but en soi. Cet aristocratisme des chefs ouvriers, combiné à une conscience socialiste, per-mettra "d'a-risto-cra-ti-ser" les masses. Gustav Landauer (1870-1919), créateur d'un anarchisme nietzschéen avant de de-ve-nir, lui aus-si, l'un des animateurs principaux de la République Rouge de Bavière en 1919, in-sistera sur le volonta-risme de Nietzsche comme source d'inspiration fructueuse pour les militants politiques. Son individualisme anarchiste ini-tial deviendra, au cours de son itinéraire politique, un per--sonnalisme communautaire populiste, curieusement proche, du moins dans le vocabulaire, des théo-ries völkisch -nationalistes de ses ennemis politiques. Pour ce mélange de socia-lisme très vague-ment mar-xisant, d'idéologie völkisch -communautaire et de thèmes anarchisants et personnalistes (où le peuple est vu comme une per-sonne), Landauer mourera, les armes à la main, dans les rues de Munich qu'enlevaient, une à une, les soldats des Corps Francs, classés à "l'extrême-droite".
Contrairement à une croyance tenace, aujourd'hui largement répandue, les droites et le conservatisme se méfiaient for-tement du nietzschéisme à la fin du siècle dernier et au début de ce XXème. R. Hin-ton Thomas s'est montré attentif à ce phénomène. Il a repéré le motif essentiel de cette méfiance: Nietz-sche ne s'affirme pas allemand (ce qui irrite les pan-germanistes), méprise l'action politique, ne s'enthousiasme pas pour le nationalisme et ses mythes et se montre parti-culièrement acerbe à l'égard de Wagner, prophète et idole des nationalistes.
Si, aujourd'hui, l'on classe abruptement Nietzsche parmi les penseurs de l'idéologie de droite ou des fascismes, cela ne cor-respond qu'à un classement hâtif et partiel, négligeant une appréciable quantité de sources.
six stratégies interprétatives de l'¦uvre de Nietzsche
Outre l'aspect politique de Nietzsche, outre les éléments de sa pensée qui peuvent, en bon nombre de circonstances, être po-litisés, le philosophe Reinhard Löw distingue six stratégies interprétatives de l'¦uvre nietzschéenne dans son livre
Reinhard Löw,
Nietzsche, Sophist und Erzieher. Philosophische Untersuchungen zum systematischen Ort von Friedrich Nietzsches Denken,
Acta Humaniora der Verlag Chemie GmbH, Weinheim, 1984, XII+222 S., DM 54.
Pour Löw, la philosophie de Nietzsche présente une masse, assez impressionnante, de contra-dictions (Wiedersprüche). La première stratégie interprétative, écrit Löw, est de dire que les contra-dictions, présentes dans l'¦uvre de Nietzsche, ré-vèlent une pensée inconséquente, sans sérieux, sans concentration, produit d'une folie qui se développe sournoi-sement, dès 1881. La seconde série d'in-terprétations se base sur une philologie exacte du discours nietzschéen. Dire, com-me Ernst Ber-tram, l'un de ses premiers exégètes, que Nietzsche est fondamentalement ambigu, contradictoire, pro-cè-de d'une insuffisante analyse du contenu précis des termes, vocables et expressions utilisées par Nietzsche pour expri-mer sa pensée (Cf. Walter Kaufmann). La troisième batterie d'interpréta-tions affirme que les contradictions de Nietzsche sont dues à leur succession chronologique: trois, qua-tre ou cinq phases se seraient succédé, hermétiques les unes par rap-port aux autres. Pour certains interprètes, les phases premières sont capitales et les phases ultimes sont négli-geables; pour d'autres, c'est l'inverse. Ainsi, Heidegger et Baeumler, dans les années 30 et 40, estimeront que c'est dans la phase dernière, dite de la "volonté de puissance", que se situe in toto le "vrai" Nietzsche. Löw estime que cette ma-nière de procéder est insatisfaisante: trop d'interprètes situent plusieurs phases dans un laps de temps trop court, passent ou-tre le fait que Nietzsche n'a jamais cherché à réfuter la moindre de ses affirmations, le moindre de ses aphorismes, mê-me si, en apparence, sa pensée avait changé. Cet-te méthode est de nature "historique-biographique", pense Löw, et de-meure impropre à cerner la te-neur philosophique globale de l'¦uvre de Nietzsche.
La quatrième stratégie interprétative, elle, prend les contradictions au sérieux. Mais elle les classe en ca-tégories bien sé-parées: on analyse alors séparément les divers thèmes nietzschéens comme la vo-lonté de puissance, l'éternel retour, la Vie, le sur-homme, le perspectivisme, la transvaluation des va-leurs (Umwertung aller Werte), etc. Le "systè-me" nietz-schéen ressemblerait ainsi à un tas de cail-loux empilés le long d'une route. Les liens entre les thèmes sont dès lors per-çus comme fortuits. Nietzsche, dans cette optique, n'aurait pas été capable de construire un "système" comme Hegel. Nietz-sche ne fe-rait que suggérer par répétition; son ¦uvre serait truffée de "manques", d'insuffi-sances philoso-phiques. Pour Landmann et Müller-Lauter, cette absence de système reflète la moder-nité: les frag-ments nietzschéens indiquent que le monde moderne est lui-même fragmenté. Les déchirures de Nietzsche sont ainsi nos propres déchirures. Löw re-jet-te également cette quatrième straté-gie car elle lais-se sup-poser que Nietzsche était incapable de se rendre compte des con-tradictions ap-pa--rentes qu'il énonçait; que Nietzsche, même s'il les avait reconnues, n'a pas été capable de les ré-sou-dre. Enfin, elle ne retient pas l'hypothèse que Nietzsche voulait réellement que son travail soit tel.
La cinquième stratégie consiste, dit Löw, à prendre le taureau par les cornes. Les contradictions indi-queraient la "mé-thode de la pensée de Nietzsche". Quand Nietzsche énonçait successivement ses di-verses "contradictions", il posait con-s-ciemment un "modèle d'antinomie" qui fait que certains énon-cés de Nietz-sche combattent et contredisent d'autres énon-cés de Nietzsche. En conséquence, on peut les examiner de multiples manières, à la mode du psychologue ou de l'histo-rien, du philologue ou du philosophe. Pour Jaspers, ces contradictions mettent tous les systèmes, toutes les métaphy-siques et toutes les mo-rales en pièces: elles ouvrent donc la voie à la "philosophie de l'existence", en touchant indi-recte-ment à tout ce qui se trouverait au-delà des formes, des lois et du disible. Pour Gilles De-leuze, l'un des principaux por-te-paroles de l'école nietzschéenne française contemporaine, Nietzsche est l'anti-dialecticien par excellence. Ses con-tra-dictions ne sont pas l'expression d'un processus ra-tion-nel mais expriment un jeu a-rationnel, anarchique qui réduit en pous-sières toutes les métaphysi-ques et tous les systèmes. Les textes de Nietzsche ne signifieraient rien, si ce n'est qu'il n'y a rien à signi-fier. Cette "psychanalyse sauvage" omet, signale Blondel, que Nietzsche voulait constamment quel-que cho-se: c'est-à-dire créer une nouvelle culture, un homme nouveau. Dans la sphère de l'ac-tuel re-nouveau nietzschéen en Allemagne Fédérale, Friedrich Kaulbach rejoint quelque peu l'école fran-çaise (deleuzienne) contemporaine en disant que Nietzsche est un philosophe "expérimental" qui joue avec les perspectives que l'on peut avoir sur le monde. Ces perspectives sont nombreuses, elles dé-pendent des idiosyncrasies des philosophes. Dès lors, au départ de l'¦uvre de Nietz-sche, on peut abou-tir à des résultats divers, très différents les uns des autres; résultats qui n'apparaîtront con-tra-dictoires qu'au regard d'une logique formelle; en réalité, ces contradictions ne relèvent que de dif-férences de degrés. Le Phi-losophe A aboutit à autre chose que le Philosophe B parce que sa pers-pective varie de x degrés par rapport à l'angle de perception de B. Vu ces différences de pers-pectives, vu ces divers et différents regards portés à partir de lieux divers et dif-férents, l'homme créant (créateur) garde une pleine souveraineté. Il peut adopter aujourd'hui telle perspective et de-main une autre. Son objectif est de construire un monde qui a une signification plus signifiante pour lui. Kaulbach, dans son livre (2),
Friedrich Kaulbach,
Sprachen der ewigen Wiederkunft. Die Denksituation des Philosophen Nietzsche und ihre Sprachstile,
Königshausen + Neumann, Würzburg, 1985, 76 S., 18 DM.
distingue, chez Nietzsche, un langage de la puissance plastique, un langage de la critique dé-masquan-te, un langage expé-ri-mental, une autarcie de la raison perspectiviste, qui, toutes les quatre, doi-vent, en se combinant de toutes les façons pos-sibles, contribuer à forger un instrument pour dé-passer le nihilisme (le fixisme des traditions philosophiques sub-stantialistes) et affirmer le devenir, l'éternel retour du même. Le rôle du maître, dans cette interprétation de Kaulbach, c'est de pouvoir se servir de ce langage nouveau, combinatoire, que l'on peut nommer le langage dyonisiaque.
Mais Löw ne se contente pas de l'interprétation de Kaulbach, même si elle est très séduisante. Et il ne se satisfait pas non plus de la sixième stratégie interprétative: celle qui table sur quelques asser-tions de Nietzsche, où le philosophe af-firme que sa philosophie est une ¦uvre d'art. Pour Nietz-sche, en ef--fet, la beauté était le signe le plus tangible de la puis-sance parce qu'elle indiquait pré-ci-sément un domptage des contradictions, un apaisement des tensions. Quand un systè-me philosophi-que s'effondre, qu'en reste-t-il? Ses dimensions artistiques, répondait Nietzsche. Le penseur le plus fé---cond, dans cette perspective du Nietzsche-artiste, doit agir en créateur, comme le sculpteur qui pro-jette sa vision, sa perspective en ouvrageant une matière, en lui donnant forme.
Nietzsche: sophiste et éducateur
Pour Löw, Nietzsche est sophiste ET éducateur. Sa volonté de devenir un éducateur, comme les so-phistes, est l'élé-ment déterminant de toute sa démarche philosophique. Ses contradictions, problème sur lequel six écoles d'in-ter-pré-ta-tions se sont penchées (comme nous venons de le voir), constituent, aux yeux de Löw, des obstacles à franchir, à sur-monter (überwinden) pour affiner l'instrument édu-cateur que veut être sa philosophie. Une phrase du Nachlaß apparaît par-ticulièrement importante et fé-conde à Löw: "Der große Erzieher wie die Natur: er muß Hindernisse thürmen, damit sie über-wunden werden" (Le grand éducateur [doit être] comme la nature: il doit empiler des obstacles, afin que ceux-ci soient surmontés). Le plus grand obstacle est Nietzsche lui-même, avec son style héra-cli-téien, décrété "obscur" par les pre-miers critiques de l'¦uvre. Pour Nietzsche, le choix d'un style hé---ra-clitéien est au contraire ce qu'il y a de plus transparent dans son travail philosophique: il indique un refus de voir ses aphorismes lus par la populace (Pöbel) et par les "partis de toutes sortes". Nietz--sche souhaitait n'être ni utile ni agréable... Cette attitude témoigne d'un rejet de tous les "caté-chistes", de tous ceux qui veulent penser sans obstacles, de ceux qui veulent cheminer sans aléas, sans im-pondérables sur une allée soigneusement tracée d'avance. Le monde idéal, supra-sensible, de Pla-ton devient, pour Nietz-sche, la caricature de cet univers hypothétique sans obstacles, sans lutte, sans relief. Mais Nietzsche sait que sa critique du platonisme repose sur une caricature, que son ima-ge du plato-nisme n'est sans doute pas tout Platon mais qu'elle vise et cherche à pulvériser les catéchismes platonisants, qui règnent en despotes aux périodes creuses où il n'y a rien de cet-te immatu-rité potentiellement créatrice (le monde homérique, la vieille république romaine, l'épopée napoléo-nien-ne, la li-bération de la Grèce à laquelle participa Lord Byron, etc.) ni de cette force pondérée et virile (l'admiration de Nietzsche pour Adalbert Stifter). L'éducateur Nietzsche crée une paideia pour tous ceux qui viendront et ne voudront jamais imi-ter, répéter comme des perroquets, potasser de fa-çon insipide ce que leurs prédécesseurs ont pensé, écrit, dit ou inventé. L'ob-jectif de Nietzsche est donc précis: il faut forger cette paideia de l'avenir qui nous évitera le nihilisme. Nietzsche, aux yeux de Löw, n'est donc pas le fondateur d'une stratégie philosophique omni-destructrice comme il l'est pour De-leuze ni le maître du nouveau langage dyonisiaque qui permet d'adopter successivement diver-ses perspectives comme pour Kaulbach. Nietzsche est "sophiste" pour Löw, parce qu'il se sert très souvent de la méthode des sophistes, mais il est simultanément un "éducateur", éloigné des pré-oc-cupations stric-te-ment utilitaires des "sophistes", car il veut que les gé-nies puissent s'exprimer sans être encombrés des étouffoirs de ceux, trop nombreux, qui "pensent" sur le mode de l'i-mi-tation. Le gé--nie est créateur: il fait irruption de manière inattendue en dépit des "discours stupides sur le génie". Nietz-sche se donne une responsabilité tout au long de son ¦uvre: il ne se complait pas dans ses con-tradictions mais les per-çoit comme des épreuves, comme des défis aux "répétitifs". Et si aucune phi-losophie ne doit se muer en "isme", ne doit servir de prétexte à des adeptes du "psittacisme" sa-vant, cel-le de Nietzsche, aux yeux mêmes de Nietzsche, ne sau-rait être stupidement imitée. Nietzsche se po-se contre Nietzsche, avertit ses lecteurs contre lui-même (Cf. Ainsi parlait Za-rathoustra). Löw ex-trait ainsi Nietzsche de la sphère d'hyper-criticisme, poussé parfois jusqu'à l'affirmation joyeuse d'un anarchisme omni-dissolvant, où certaines écoles (dont la deleuzienne) voulaient l'enfermer.
Le recours à la "physiologie"
Löw interprète donc Nietzsche comme un philosophe dans la plus pure tradition philosophique, en dé--pit d'un lan-gage aphoristique tout à fait en dehors des conventions. Helmut Pfotenhauer, dans un ou--vra-ge con--cis
Helmut Pfotenhauer
Die Kunst als Physiologie. Nietzsches ästhetische Theorie und literarische Produktion,
J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, Stuttgart, 1985, 312 S., DM 88.
aborde, lui, l'héritage légué par Nietzsche sous l'angle de la physiologie. Ce terme, qui a une con-nota-tion na-turaliste évi-dente, se trouve dans l'expression nietzschéenne "Kunst als Physiologie", l'art com--me physiologie. Il faut dès lors s'in-ter-roger sur le vocable "physiologie", qui revient si sou-vent dans les propos de Nietzsche. Honoré de Balzac, le grand écrivain français du XIXème, à qui l'on doit aussi une Physiologie du mariage, disait à propos de ce néologisme d'a-lors: "La phy-siologie était autrefois la science exclusivement occupée à nous raconter le mécanisme du coccyx, les progrès du foetus ou ceux du ver solitaire [...] Aujourd'hui, la physiologie est l'art de parler et d'écrire in-cor-rectement de n'im-porte quoi [...]". Au XIXème siècle donc, le terme "physiologie" ap-paraît pour désigner une certaine littérature po-pulaire, qui n'est pas sans qualités, ou le style "cau-sant" des feuilletons des grands quotidiens. La "physiologie" sert à décrire, avec goût et esprit, les phénomènes de la vie quotidienne, à les classer, à les typer: on trouve ainsi une phy-siologie du fla-neur, de la grisette, de l'honnête femme ou du touriste anglais qui arpente les boulevards pari-siens. La phy-siologie, dans ce sens, doit beaucoup aux sciences naturelles et aux classifications d'un Bouf-fon ou d'un Linné. Bal-zac, pour sa Comédie humaine, trace un parallèle entre le monde animal et la société des hommes. On parle même de "zoo-logie politique"... Baudelaire, E.T.A. Hoffmann, Poe, Flaubert (qui, selon Sainte-Beuve, maniait la plume comme d'autres manient le scalpel) adop-tent, à des degrés divers, ce style descriptif, qui enregistre les perceptions sensuelles et leur confère une bel-le dimension esthétique. La physiologie offre de nouveaux modèles à la réflexion philosophi-que, per-met de nouvelles spéculations: tous les domaines de la vie sont "historicisés" et relativisés, ce qui jette d'office l'ob-servateur philosophique dans un tourbillon de nouveautés, d'innovations, vé-ri-table dynamique affolante où la vitesse rend ivre et où les points de repères fixes s'évanouissent un à un. Nietzsche ne jetait qu'un regard distrait et distant sur ces entreprises littéraires et scientifi-ques, ainsi que sur toutes ces tentatives de scruter les phénomènes spirituels à la lu-mière des révéla-tions scien-tifiques et de les organiser théoriquement. Il se bornait à constater que le style des "phy-sio-lo-gistes" en-vahissait l'université et que le vocabulaire de son époque se truffait de termes issus des sciences naturelles. De-vant cette distraction, cet intérêt apparamment minime, une question se po-se: pourquoi Nietzsche a-t-il eu recours au vo-cable "physiologie", qui n'avait rien de précis et avait été souvent utilisé à mauvais escient?
l'innocence du devenir
Pour Pfotenhauer, Nietzsche n'avait nullement l'intention de valoriser le discours pseudo-scientifi-que ou pseudo-esthé-tique des "physiologistes" communs, vulgaires. Il ne cherchait nullement à ava-liser leurs contradictions, à accepter leurs incohérences, à partager leurs sensations de plaisir ou de dé--plai-sir. Son intention était, écrit Pfotenhauer, de défier di-rectement l'esthétique établie. L'expres-sion "phy-siologie de l'art" constitue une contre-façon de "philosophie de l'art", dans la mesure où l'art, selon les critères traditionnels, s'évalue philosophiquement et non physiologiquement. Cette pa----rodie se veut un rejet de toutes les conceptions philosophico-esthétiques des décennies précéden-tes. Pour Nietzsche, la pro-ductivité artistique devient production et expression de notre physis. Par l'art, la na---ture devient plus intensément acti-ve en nous. Mais Nietzsche, en utilisant consciemment le terme "physiologie" sait qu'il commet une emphase, une exa-gération didactique; il sait qu'il fête avec ivresse la splendide exubérance des forces vitales, tout en boudant le préten-tion scientifique à vouloir neutraliser les processus vitaux par une stratégie de valorisation des moyennes. En d'autres ter-mes, ce-la signifie que Nietzsche rejette et réfute la prétention des sciences à réduire leurs investigations aux mo-yen-nes, à l'exclusion du Kunstvoll-Singuläres, du singulier-révélant-une-profusion-d'art. Aux yeux de Nietzsche, le darwi-nisme privilégie la moyenne au détriment des exceptions, attitude, stra-té-gie, qu'il ne saurait accepter. Dans cette opti-que non darwiniste, Nietzsche pose la physiologie com-me un moyen de personnaliser les grandes questions vitales par le truchement d'un style de pensée et d'écriture unique.
"Dieu est mort", retient-on de Nietzsche, et, avec Dieu, tous les grands systèmes ontologiques, mé-ta-physiques, toutes les philosophies de l'esprit et de l'histoire. Il ne resterait alors que l'innocence du de---venir, qu'il ne faudra pas figer dans une quelconque "unité supérieure de l'Etre". Mais cette re-connaissance de l'innocence du devenir comporte des risques: dans le fleuve du vivant, dans le flot de mutations qu'il implique, les personnalités, le singulier, l'originalité, les génies créa-teurs courent le danger de se noyer, de n'être plus que des moments fragmentaires, contingents et négli-gea-bles. Com-ment peut-on alors, sans garanties de préservation de sens, en étant livré aux rythmes na-turels du devenir et de l'é-cou-lement perpétuel, s'accepter joyeusement, dire "oui" à la Vie? Ne devrait-on pas admettre le bien-fondé de la ré-ponse de Silène au Roi Midas: cette vie terrestre, éphé-mère, vaut-elle la peine d'être vécue? N'aurait-il pas mieux valu ne ja-mais naître? L'idéal ne serait-il pas de mourir au plus vite? Nous repérons, dans ces questions que Nietzsche a dû se po-ser, l'in-fluen--ce de Schopenhauer. La haine à l'endroit de la vie, qui découle de ce pessimisme fondamental, sera ju-gée très insatisfaisante par Nietzsche. Il en refusera rapidement les conséquences et verra que la nécessité première, à son épo-que de désorientement spirituel, c'est de réévaluer la vie. Tel est, selon Pfotenhauer, le sens de l'Umwerthung. Les écrits de Nietzsche, publiés ou rédigés dans les années 1880, sont le reflet de ce désir. La Volonté de Puissance (Wille zur Macht) accomplit cette transvaluation. Elle est à la fois objet de connaissance et attitude du sujet connais-sant. Les pro-ces-sus vi-taux doivent être perçus sous l'aspect d'une créativité constante. Avec la différentiation, avec l'abon--dance, avec la transgression de toutes les limites, de tous les conditionnements mutilants, on se moule dans les ca-racté-ristiques divines de la Vie et l'on participe immédiatement à leur apothéose. Ce-lui qui nomme, désigne et recon-naît, sans ressentiment d'ordre métaphysique, la créativité du de-ve-nir, se mue lui-mê-me en une incarnation de ce deve-nir, de cet-te profusion de vitalité. Le devenir doit s'exprimer immédiatement dans toute sa mobilité, sa fluctuance: l'im-mo-bili-ser, le figer dans une ontologie constitue une mutilation qui coupe simultanément les ailes de toute créativité. Le deve-nir n'est pas un flot indifférent et improductif: il charrie des étincelles de créativité. Le philosophe de l'é-ternel re-tour, lui, donne la parole à la vie divine-créatrice par l'intermédiaire d'images et de courtes mais fulgurantes ébauches phi-lo-so-phiques. Le philosophe est alors "artiste de grand style": il repré-sente la force organisante qui fait face au chaos et au dé-clin. La physiologie, dans le sens philo-sophique que Nietzsche lui accorde, permet donc de conférer un langage aux pro-cessus vitaux, de don-ner expression aux forces qui agissent en eux. La physiologie permet à Nietzsche d'affron-ter no--tre nature humaine. Elle établit l'équilibre entre la physis et le logos. Elle autorise la découverte d'un langage ex-pri-mant les aléas inhérents aux processus vitaux et maintient, en s'interdisant toute "ethno-logisation du mythe", une "distan--ce intellectuelle" par rapport au fourmillement de faits con-tradictoires qui émanent précisément du devenir. Le my--the, chez Nietzsche, en effet, n'a aucune con-notation d'ordre ethnologique: il est, écrit Pfotenhauer, "science du con-cret" et expression de la tra-gédie qui se joue dans l'homme, être qui, parfois, affronte la tension entre sa fragilité (Hin-fälligkeit) phy-sique et son éventuelle souveraineté héroïque. Ce recours au mythe n'a rien d'irrationnel comme ai-me à l'af----firmer la vulgate philosophante dérivée d'une schématisation de la pensée des Lumières.
affirmer le devenir et créer des valeurs nouvelles
La double stratégie nietzschéenne, celle du recours au mythe, comme science du concret, et celle du re-cours à la phy-sio-logie, comme programme d'investigation du devenir, se situe à l'intersection entre la critique des valeurs, la lutte contre les principes "faux" (c'est-à-dire les principes qui nient la vie et en-gendrent la décadence) et le contre-mouvement que constitue l'art placé sous le signe de la volonté de puissance. Pour critiquer les valeurs usées et pour, en même temps, af-fir-mer une transvaluation créa-trice de valeurs nouvelles, la démarche du physiologiste sera une recherche constante d'indices con-crets, une recherche incessante de l'élémentaire qui sous-tend n'importe quelle démarche philo-sophique. La bio-logie, l'ethnologie, la mythologie, les explorations des mondes religieux, l'histoire, bref, les domaines les plus di-vers peuvent concourir à saisir le flot du devenir sans devoir le figer dans des concepts-corsets, trop étroits pour con-tenir de façon satisfaisante l'ampleur des faits de mon-de. L'abondance des lectures de Nietzsche sert précisément à affiner le regard du philosophe, à le rendre plus attentif au monde, moins stérile, sec et sybillin dans ses discours. Beaucoup re-pro-che-ront à Nietzsche de n'être resté que dilettante en bon nombre de domaines, de ne pas avoir déployé une systématique satisfaisante. Mais Nietzsche amorce une logique nouvelle, plus plastique, plus en pri-se avec la diversité du de-venir. La philosophie nietzschéenne jette les bases d'une saisie moins timide, plus audacieuse des faits de monde. Le phi-lo-sophe peut désormais appréhender des faits de monde contradictoires sans buter stérilement devant ces contra-dictions.
Cette audace de la méthode nietzschéenne a effrayé quelques lecteurs. Parmi eux: l'écrivain Thomas Mann. L'inclusion d'é-lé-ments venus de toutes sortes de disciplines nouvelles dans le discours philo-sophique, notamment issus de la my-tho-logie et de l'ethnologie, a fait croire à une volonté de retour-ner à des origines pré-historiques, non marquées par l'esprit et l'intellect. Pour Thomas Mann, les interprétations de Ludwig Klages, auteur de Der Geist als Widersacher der Seele (= L'esprit comme en-nemi de l'âme), et d'Alfred Baeumler, le spécialiste de Bachofen qui donna corps à la théorie du matriarcat, constituent des reculs inquiétants, des marches arrières vers l'univers trouble des instincts non dominés. L'at-ti-tude de Thomas Mann témoigne de la grande peur des nostalgiques du XVIIIème rationaliste ou des spéculations a-historiques de la scolastique médiévale. La diversité, postulée par l'é-lé-mentaire, ne permet plus les démonstrations pu-res, limpides, proprettes des discours nés sous les Lumières. Elle ne permet plus les raisonnements en circuit fermé, ni les simplifications idéolo-gico-morales, les blue-prints que Burke reprochait à la Révolution française. Les beaux édifices que constituent les systèmes philosophiques, dont l'hégélien, ne résistent pas à l'assaut constant, répété, des faits histo-riques, psychologiques, etc.
Pfotenhauer explore systématiquement le contenu de la bibliothèque de Nietzsche et y repère, dans les livres lus et an-no-tés, les arguments "vitalistes" tirés de livres de vulgarisation scientifique comme ceux de Guyau, Lange, von Nägeli, Rütimeyer, von Baer, Roux, Rolph, Espinas, Galton (l'eu-géniste anglais), Otto Liebmann. Les thèmes qui mobilisent l'at-tention de Nietzsche sont essentiel-lement ceux de l'adaptation aux influences extérieures, l'augmentation des po-ten-tia-lités au sein même des espèces vivantes, l'abondance des forces vitales, la "pléonexie" de la nature, l'eugénisme cor-rec-teur, l'Urzeugung (la génération spontanée). La philosophie de Nietzsche s'élabore ainsi au dé-part de lectures très di-ver-ses, des spéculations scientifiques ou para-scientifiques de son temps aux prises de positions littéraires et aux modes cul--tu--relles et artistiques. Chez les Frères de Goncourt et chez Flaubert, il découvre un engouement décadent pour les pe-tits faits, couplé à un manque de "for-ce" navrant. Il critique l'équilibre jugulant d'un certain classicisme répétitif et imi-tateur et loue la pro-fusion du baroque. Cette exploration tous azimuths a pour objectif de connaître tous les coins et re-coins du monde du devenir. Cette sarabande colossale de faits interdit désormais au philosophe tout quié-tisme. Une telle at--ti-tude quiétiste engendre le déclin par faiblesse à saisir la multiplicité du réel. La créativité constante qui germe et ful-gure à partir de ce flot qu'est le devenir doit acquérir plus de va-leur aux yeux du philosophe que la volonté de con-ser-va-tion. Ipso facto, le goût pour l'incertitude (face aux productions incessantes du devenir) rem-place la recherche de certi-tu-de (qui implique tou-jours une sorte de fixisme): tel est bien le fondement de l'Umwerthung, attitude et processus fon--da--teur d'une "nouvelle hiérarchisation des valeurs". L'homme qui intériorise cette disposition mentale annonce et pré--pa-re le fameux "surhomme", à propos duquel on a dit tant de stupidités, quitte à le fai-re passer pour une sorte de "mu-tant" de mauvais roman de science-fiction. En acceptant les innombrables différences que recèle et produit le de-ve-nir, en mé-pri--sant les limitations stérilisantes et les fi-xismes, l'homme créatif met de son côté les impulsions de la vie, écrit Pfo-ten--hauer. Il ne réagit plus a-vec angoisse devant les rythmes du devenir et des dissolutions multiples.
Le nihilisme européen, c'est précisément le fruit de cette attitude frileuse devant les fulgurances du de-ve-nir. C'est cette vo-lonté de trouver des certitudes consolatrices dans des concepts qui encarcan-nent le réel. L'objectif de Nietzsche n'est donc pas d'inaugurer une ère où l'on pensera sur le mode de l'anarchie, sans souci de rien. Nietzsche veut au contraire, en s'appuyant sur une symptomato-logie du déclin (c'est là que son exploration tous azimuths des domaines scienti-fi-ques, littéraires et ar-ti-stiques se révèle particulièrement nécessaire), développer une critique du monde qui lui est con-tem--porain. Mais cette critique, qui re--fuse le monde tel qu'il est parce qu'il est marqué par la déca-dence, se veut forma-tri-ce et affirmatrice: elle est volonté de forger, de créer de nouvelles formes. A la critique classique, qui oppose à la mul--ti-pli-cité du devenir des concepts fixes, des préceptes moraux rigides sans épaisseur factuelle, se sub-stitue, chez Nietzsche, une critique innovatrice qui dit "oui" aux formes que fait surgir le devenir. Cette critique n'est pas fixiste: el-le est, elle aus-si, un mouvement qui épouse, plastiquement, les fluctua-tions du devenir. La nouvelle critique qu'inau-gure Nietz-sche n'est pas un retour irrationnel à une uni-té première, à un stade primitif a-historique et in-formel, mais une stratégie de la pensée qui se laisse porter par le flot du devenir et affirme son amour, son acceptance joyeuse, pour les jo-yaux puis-sam-ment esthé--tiques ou esthétiquement puissants que produit ce flot. Ainsi au mouve-ment descendant du déclin (et il "des-cend" par--ce qu'il se ferme à la profusion de faits que génère le de--ve-nir, per-dant ain-si sans ces-se de l'épaisseur), Nietz-sche op-po--se un mouvement ascendant qui vise à privilégier les plus belles fulgurances du devenir qui, elles, don-nent sans cesse épais--seur au mon-de et à la pensée.
un retour à Nietzsche est indispensable
Ce tour d'horizon nietzschéen nous a permis de réfuter la thèse facile du "pré-nazisme" de Nietzsche: si Nietzsche peut par-fois être considéré comme un annonciateur du nazisme parce qu'il a eu des exégètes nazis, il doit aussi être perçu com-me le philosophe qui a "épicé" copieusement le corpus doctrinal des adversaires du nazisme. Nietzsche est donc par-tout à la fois: il est simultanément dans deux camps politiques, à une époque cruciale de l'histoire allemande. Ignorer qu'il a inspiré Eisner et Landauer serait aussi idiot que d'ignorer ses exégètes de l'époque nazie, Baeumler et Heidegger. Si les hommes de gauche ont mis l'accent sur son volontarisme pour critiquer le déterminisme de leur cher marxisme ou pour brocarder l'absence de punch du réformisme social-démocrate, les hommes de droite (ou dits de droite) insiste-ront davantage sur son recours (physiologiste?) à l'élémentaire ou sur son perspectivisme, qui, dans un certain sens, per-met de justifier le nationalisme. Une chose est cer-taine, cette omniprésence de Nietzsche dans le champ des argu-mentaires politiques prouve le bien-fon--dé de notre seconde intention, annoncée en ce début d'article: réfuter le fétiche contemporain de la né--ga-tivité permanente, propre tant aux réformismes sociaux-démocrates, qui galvaudent le sens de l'E-tat, qu'aux socio-technologies (social engeneering) du libéralisme avancé ou qu'au reflux vers les "pe-tits faits" que constitue le néo-libéralisme. Nietzsche annonce en fait un humanisme nouveau qui in-siste sur la pluralité des belles ful-gu--rances et ne pourra plus se baser sur des petits concepts étri-qués et proprets, sur des slogans rapides ou des blue-prints hâtives: la démarche éducatrice de la phi-losophie se réfèrera aux fluctuations du devenir, aux grandes gestes histo-riques, aux grandes ¦u-vres d'art, ainsi qu'aux domaines les plus divers du savoir humain. L'intelligence ne sera plus domi-née alors par de timides manipulateurs de concepts ou de principes rigides, chétifs et inopérants devant le rude as--saut des aléas, devant les impondérables. Pour Reinhard Löw comme pour Fried-rich Kaul-bach, Nietzsche est un maî-tre et un éducateur, qui utilise un ou plusieurs langages pour dé-construire les argumentaires usuels des philosophes, opé-rer une monstration didactique des méca-nismes de la décadence, annoncer une ère nouvelle marquée par une "affirma-tivité" créatrice. Löw ré-fu-te l'idée d'un Nietzsche annonciateur de l'insignifiance de tout, du monde, de la philosophie et du devenir: Nietzsche, au contraire crée, fonde, pose des bases nouvelles, se positionne comme trem-plin vers une pen-sée radicalement neuve. Une pensée qui voit les contradictions du devenir com-me des obstacles enrichissants, non com-me des anomalies perverses. Le philosophe, le grand artiste et l'hypothétique "surhomme" participent donc à un agon fructueux, à une émulation perpétuelle.
Les thèses allemandes les plus récentes sur Nietzsche renouent donc avec un Nietzsche affirmateur et créa-teur, qui en-glo-berait sans doute certains simplismes politiques affirmateurs, la naïveté héroïque des premiers enthousiastes de sa pen-sée mais, en même temps, les dépasserait résolument, en les as-sa-gissant, en leur con--férant une solide et inébran-la-ble maturité, grâce à une recherche philologique mi-nutieuse et une nou-velle démarche "physiologiste", patiente et systé-matique comme le travail de l'entomologiste. Nietzsche, dit Löw, doit être joué contre Nietzsche comme les faits doi-vent être joués contre les faits. La logique spontanée de l'humanité et de l'humanisme de demain doit être celle de ce jeu à risque, de ce jeu esthétique et créateur, où l'artiste utilise des matériaux divers.
Il est donc impossible d'enfermer Nietzsche dans une et une seule logique politicienne (celle du nazisme ou du pré-na-zisme). Il est impossible de creuser davantage la veine stérile et épuisée de la négativité méthodologique. Si demain une sé-rénité doit voir le jour, elle devra, comme l'ont démon-tré Löw et Pfotenhauer, se référer à cette agonalité créatrice et af-firmative, ne laissant aucun domaine de l'esprit à l'écart, comme la physiologie pluridisciplinaire de Nietzsche.
Robert STEUCKERS.
notes
(1) Psychopathia spiritualis: Friedrich Nietzsche und die Apostel der Zukunft, Leipzig, s.d. Ce texte était préalablement pa-ru sous forme de "feuilleton" dans la revue Die Gesellschaft en 1891.
(2) F. Kaulbach a également exprimé son point de vue sur Nietzsche dans une série d'articles et d'essais, dont voici les ré-fé-rences:
F.K., Die Tugend der Gerechtigkeit und das philosophische Erkennen, in: R. Berlinger u. W. Schrader (Hrsg.), Nietzsche Kontrovers, Bd. I, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1981.
F.K., Ästhetische und philosophische Erkenntnis beim frühen Nietzsche, in: Mihailo Djuric u. Josef Simon (Hrsg.), Zur Aktualität Nietzsches, Bd. I, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1984.
F.K., Nietzsches Kritik an der Wissensmoral und die Quelle der philosophischen Erkenntnis: die Autarkie der perspektivischen Vernunft in der Philosophie, in: Rudolph Berlinger u. Wiebke Schrader (Hrsg.), Nietzsche Kontrovers, Bd. IV, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1984.
F.K., Autarkie der pespektivischen Vernunft bei Kant und Nietzsche, in: Josef Simon (Hrsg.), Nietzsche und die philosophische Tradition, Bd. II, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1985.
F.K., Das Drama in der Auseinandersetzung zwischen Kunst und Wissensmoral in Nietzsches Geburt der Tragödie, in: Mihailo Djuric u. Josef Simon (Hrsg.), Kunst und Wissenschaft bei Nietzsche, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1986.
12:51 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
L'itinéraire de Knut Hamsun
L'itinéraire de Knut Hamsun
par Robert STEUCKERS
Knut Hamsun: une vie qui traverse presque un sièc-le en-tier, qui s'étend de 1859 à 1952, une vie qui a che-miné entre les premières manifestations des ryth-mes industriels en Norvège et l'ouver-ture macabre de l'ère atomique, la nôtre, celle qui commence à Hi--ro-shima en 1945. Hamsun est donc le témoin d'ex--tra-ordinaires mutations et, surtout, un homme qui s'in-surge contre la dis-parition inéxorable du fond eu-ropéen, du Grund où tous les génies de nos peup-les ont pui-sé: le paysannat, l'humanité qui est ber-cée par les pulsations intactes de la Vie naturelle.
"une fibre nerveuse
qui m'unit à l'univers"
Ce siècle d'activité littéraire, de rébellion constante, a permis à l'écrivain norvégien de briller de toutes les façons: tour à tour, il a été poète idyllique, créa-teur d'é-popées puissantes ou d'un lyrisme de si-tuation, critique audacieux des dysfonctionnements sociaux du "stupide XIXème siècle". Dans son ¦u-vre à fa-cet-tes multiples, on perçoit pourtant d'em-blée quelques constantes majeures: une adhésion à la Nature, une nostalgie de l'homme originel, de l'hom-me face à l'élémentaire, une volonté de se li-bé-rer de la civi-li-sation moderne d'essence mécaniciste. Dans une let-tre qu'il écrivit à l'âge de vingt-neuf ans, on décèle cette phrase si significative: "Mon sang devine que j'ai en moi une fibre nerveuse qui m'unit à l'univers, aux éléments".
Hamsun nait à Lom-Gudbrandsdalen, dans le Sud de la Norvège mais passe son enfance et son adoles-cen-ce à Hammarøy dans la province du Nordland, au large des Iles Lofoten et au-delà du Cercle Polaire Arc-ti-que, une patrie qu'il n'a jamais reniée et qui se-ra la toile de fond de toute son imagination roma-nesque. C'est une vie rurale, dans un paysage formi-da-ble, impressionnant, unique, avec des falaises gi-gan--tesques, des fjords grandioses et des lumières bo-réa-les; ce sera aussi l'influence négative d'un oncle pié-tiste qui conduira bien vite le jeune Knut à vivre une vie de vagabond sympathique, d'itinérant qui expéri-mente la vie sous toutes ses formes.
Le destin d'un "vagabond"
Knut Pedersen ‹c'est le vrai nom de Knut Ham-sun‹ est le fils d'un paysan, Per Pedersen, qui, à qua-rante ans, décide de quitter la ferme qui appartenait à sa famille depuis plusieurs générations, pour aller se fixer à Hammarøy et y devenir tailleur. Ce chan-gement, cette sortie hors de la tradition familia-le, hors d'un contexte plusieurs fois centenaire, pro-vo-que la disette et la précarité dans cette famille ébran-lée et le jeune Knut, à neuf ans, se voit confié à cet oncle sévère, dont je viens de parler, un oncle dur, puritain, qui hait les jeux, même ceux des en-fants, et frappe dru pour se faire obéir. C'est donc à Vest-fjord, chez cet oncle puritain, prédicateur, ama-teur de théologie moralisante, que Knut Hamsun ren--contrera son destin de vagabond.
Pour échapper à la rudesse et à la brutalité de ce pré-dicateur évangélique qui cogne pour le bien de Dieu, qui brise les rires, lesquels, sans doute, ont à ses yeux l'avant-goût du péché, le jeune Knut se replie sur lui-même et a recours à la forêt du Grand Nord, si chiche, mais entourée de paysages tellement féé-riques... La dialectique hamsunienne du moi et de la nature prend corps aux rares moments où l'oncle ne fait pas trimer le garçonnet pour récupérer la dé-pen-se de quelques ¦ufs et d'une tranche de pain noir.
La première oeuvre: Mystères
Cette vie, entre la Bible et les calottes, Knut l'en-du-rera cinq ans; à quatorze ans en effet il plie bagage et retourne à Lom, dans son Sud natal, où il devient employé de commerce. La vie itinérante commence: Hamsun acquiert son "propre", celui d'être un "va-gabond". De quinze à dix-sept ans, il errera dans le Nord et y vendra aux autochtones toutes sortes de mar-chandises, comme Edevart, personnage de son cé-lèbre roman Les Vagabonds. A dix-sept ans, il ap-prend le métier de cordonnier et écrit son premier ouvrage: Mystères. Il devient une célébrité locale et passe au grade d'employé, puis d'instituteur. Un ri-che marchand le prend sous sa protection et lui pro-cure une somme d'argent afin qu'il puisse continuer à écrire. Ainsi naît en 1879, une deuxième ¦uvre, Frida, que refusent les éditeurs. L'espoir de devenir écrivain s'évanouit, malgré une tentative d'entrer en contact avec Björnson...
Commence alors une nouvelle période de vaga-bon-dage: Hamsun est terrassier, chanteur des rues, con-tre-maître dans une carrière, etc..., et ses seules joies sont celles des bals du samedi soir. En 1882, à 23 ans, il part en Amérique où la vie sera aussi dif-ficile qu'en Norvège et où Hamsun sera tour à tour por-cher, employé de commerce, aide-maçon et mar-chand de bois. A Minneapolis, il vivra des jours meil-leurs dans un foyer de prédicateurs "unita-riens", des Norvégiens, immigrés, comme lui, en Amé-rique. Cette position lui permet de donner régu-liè-rement des conférences sur divers thèmes litté-rai-res: là son style s'affirme et cet homme jeune, de belle allure, énergique et costaud, transforme ses dé-boires et ses ranc¦urs en sarcasmes et en un hu-mour féroce, haut en couleurs, où pointe ce génie, qui ne sera reconnu que quelques années plus tard.
La faim dans une mansarde de Copenhague
Après un bref retour en Norvège, il revient en Amé-rique et vit à Chicago où il est receveur de tramway. Ce deuxième séjour américain ne dure qu'une bonne année et, c'est définitivement désillusionné qu'il rentre en Scandinavie. Il s'installe à Copenhague, dans une triste mansarde, avec la faim qui lui tenaille le ventre. Cette faim, cette misère qui lui collait à la peau, va le rendre célèbre en un tourne-main. Amaigri, à moitié clochardisé, il présente une esquisse de roman, écrit dans sa mansarde danoise, à Edvard Brandes, le frère de Georg Brandes, ami danois et juif de Nietzsche, grand pourfendeur du christianisme paulinien, présenté comme ancêtre du communisme niveleur. Georg Brandes fait paraître cette esquisse anonymement dans la revue "Ny Jord" ("Terre Nouvelle") et le public s'enthousiasme, les journaux réclament des textes de cet auteur inconnu et si fascinant. L'ère des vaches maigres est définitivement terminée pour Hamsun, âgé de 29 ans. "La Faim" décrit les expériences de l'auteur confronté avec la faim, les fantasmes qu'elle fait naître, les nervosités qu'elle suscite... Cet écrit d'introspection bouleverse les techniques littéraires en vogue. Il conjugue romantisme et réalisme. Et Hamsun écrit: "Ce qui m'intéresse, c'est l'infinie variété des mouvements de ma petite âme, l'étrangeté originale de ma vie mentale, le mystère des nerfs dans un corps affamé!...". Quand "La Faim" paraît sous forme de livre en 1890, le public découvre une nouvelle jeunesse de l'écriture, un style tout aussi neuf, impulsif, capricieux, d'une finesse psychologique infinie, transmis par une écriture vive, agrémentée de tournures surprenantes où s'exprime l'humour sarcastique, vital, construit de paradoxes audacieux, qu'Hamsun avait déjà dévoilé dans ses premières conférences américaines. "La Faim" dévoile aussi un individualisme nouveau, juvénile et frais. Hamsun écrit que les livres doivent nous apprendre "les mondes secrets qui se font, hors du regard, dans les replis cachés de l'âme, ... ces méandres de la pensées et du sentiment dans le bleu; ces allées et venues étranges et fugaces du cerveau et du c¦ur, les effets singuliers des nerfs, les morsures du sang, les prières de nos moelles, toute la vie inconsciente de l'âme". La fin du siècle doit laisser la place à l'individualité et à ses originalités, aux cas complexes qui ne correspondent pas aux sentiments et à l'âme de l'homme moderne. Cas complexes qui ne sont pas figés dans des habitudes pesantes, des routines bourgeoises mais vagabondent et voient, grâce à leur sécession complète, les choses dans leur nudité. Ce rapport direct aux choses, ce contournement des conventions et des institutions, permet l'audace et la liberté de s'accrocher à l'essentiel, aux grandes forces telluriques et interdit le recours aux petits plaisirs stéréotypés, au tourisme conventionnel. L'individu vagabondant entre son moi et la Terre omniprésente n'est pas l'individu-numéro, perdu dans une masse amorphe, privée de tous liens charnels avec les éléments.
Dans "La Faim", l'affamé se détache donc totalement de la communauté des hommes; son intériorité se replie sur elle-même comme celle de l'enfant Hamsun qui vagabondait dans la forêt, errait dans le cimetière ou se plantait au sommet d'une colline pour boire les beautés du paysage. L'affamé ne développe aucune ranc¦ur ni revendication contre la communauté des hommes; il ne l'accuse pas. Il se borne à constater que le dialogue entre lui et cette communauté est devenu impossible et que seule l'introspection est enrichissante.
De ces impressions d'affamés, de l'impossibilité du dialogue individu/communauté, découle toute l'anthropologie que nous suggère Hamsun. Car il est sans doute inutile de passer en revue sa biographie, d'ennumérer tous les livres qu'il a écrits, si l'on passe à côté de cette anthropologie implicite, présente partout dans son ¦uvre. Si on néglige d'en donner une esquisse, fût-elle furtive, on ne comprend rien à son message métapolitique ni à son engagement militant ultérieur aux côtés de Quisling.
La société urbaine, industrielle, mécanisée, pense et affirme Hamsun, a détruit l'homme total, l'homme entier, l'odalsbonde (1) de la tradition scandinave. Elle a détruit les liens qui unissent tout homme total aux éléments. Résultat: le paysan, arraché à sa glèbe et jeté dans les villes perd sa dimension cosmique, acquiert des manies stériles, ses nerfs ne sont plus en communion avec l'immanence cosmique et s'agitent stérilement. Si l'on parlait en langage heideggerien, on dirait que la déréliction urbaine, moderniste, culbute l'homme dans l'"inauthenticité". Sur le plan social, la rupture des liens directs et immédiats, que l'homme resté entier entretient avec la nature, conduit à toutes sortes de comportements aberrants ou à l'errance, au vagabondage fébrile de l'affamé.
Les héros hamsuniens, Nagel de "Mystères", surnommé l'"étranger de l'existence", et Glahn de "Pan", sont des comètes, des étoiles arrachées à leur orbite. Glahn vit en communion avec la nature mais des lubies urbaines, incarnées dans l'image d'Edvarda, femme fatale, lui font perdre cette harmonie et le conduise au suicide, après un voyage aux Indes, quête aussi fébrile qu'inutile. Tous deux vivent le destin de ces vagabonds qui n'ont pas la force de retourner définitivement à la terre ou qui, par stupidité, quittent la forêt qui les avait accueillis, comme le fit Hamsun à l'époque de son bref rêve américain.
Le véritable modèle anthropologique de Hamsun, c'est Isak, le héros central de "L'Eveil de la Glèbe": Isak demeure dans ses champs, pousse sa charrue, développe son exploitation, poursuit sa tâche, en dépit des élucubrations de son épouse, des sottises de son fils Eleseus qui végète en ville, se ruine, et disparaît en Amérique, de l'implantation temporaire d'une mine près de son domaine. Le monde des illusions modernes tourbillone autour d'Isak qui demeure imperturbable et gagne. Son imperméabilité naturelle, tellurique, à l'égard des manies modernes lui permet de léguer à son fils Sivert, le seul fils qui lui ressemble, une ferme bien gérée et porteuse d'avenir. Ni Isak ni Sivert ne sont "moraux" au sens puritain et religieux du terme. La nature qui leur donne force et épaisseur n'est pas une nature idéale, construite, à la mode de Rousseau, mais une âpre compagne; elle n'est pas un modèle éthique mais la source première vers laquelle retourne le vagabond que le modernisme a détaché de sa communauté et condamné à la faim dans les déserts urbains.
C'est donc dans le vagabondage, dans les expériences existentielles innombrables que le vagabond Hamsun a vécu entre ses 14 et ses 29 ans, dans la conscience que ce vagabondage a été causé par ces illusions modernistes qui hantent les cerveaux humains de l'âge moderne et les poussent sottement à construire des systèmes sociaux qui excluent sans merci les hommes originaux; c'est dans tout cela que s'est forgée l'anthropologie de Hamsun.
Avant de faire éditer "La Faim", Hamsun avait publié un réquisitoire contre l'Amérique, pays de l'errance infructueuse, pays qui ne recèle aucune terre où retourner lorsque l'errance pèse. Cet anti-américanisme, étendu à une hostilité générale envers le monde anglo-saxon, demeurera une constante dans les sentiments para-politiques de Hamsun. Sa critique ultérieure du tourisme de masse, principalement anglo-américain, est un écho de ce sentiment, couplé à l'humiliation du fier Norvégien qui voit son peuple transformé en une population de femmes de chambre et de garçons de café.
Si ce pamphlet anti-américain, "La Faim", "Pan", "Victoria", "Sous l'étoile d'automne", "Benoni", etc., sont les ¦uvres d'un premier Hamsun, du vagabond rebelle et impétueux, du déraciné malgré lui qui connait sa blessure intime, le roman "Un vagabond joue en sourdine" (1909), qui paraît quand Hamsun atteint l'âge de cinquante ans, marque une transition. La vagabond vieux d'un demi-siècle regarde son passé avec tendresse et résignation; il sait désormais que l'époque des sentiments enflammés est passée et adopte un style moins fulgurant et moins lyrique, plus posé, plus contemplatif. En revanche, le souffle épique et la dimension sociale acquièrent une importance plus grande. L'ambiance trouble de "La Faim", le lyrisme de "Pan" cède la place à une critique sociale pointue, dépourvue de toute concession.
C'est aussi à 50 ans, en 1909, que Hamsun se marie pour la seconde fois ‹un premier mariage avait échoué‹ avec Marie Andersen, de 24 ans sa cadette, qui lui donnera de nombreux enfants et demeurera à ses côtés jusqu'à son dernier souffle. La vagabond devient sédentaire, redevient paysan (Hamsun achète plusieurs fermes, avant de se fixer définitivement à Nörholm), retrouve sa glèbe et s'y raccroche. L'événement biographique se répercute dans l'¦uvre et l'innocence anarchique se dépouille de ses excès et pose son "idéal", celui qu'incarne Isak. La trame de "L'Eveil de la Glèbe", c'est la conjugaison du passé vagabond et de la réimbrication dans un terroir, la dialectique entre l'individualité errante et l'individualité qui fonde une communauté, entre l'individualité qui se laisse séduire par les chimères urbaines et modernes, par les artifices idéologiques et désincarnés, et l'individualité qui accomplit sa tâche, imperturbablement, sans quitter la Terre des yeux. La puissance de ces paradoxes, de ces oppositions, vaut à Hamsun le Prix Nobel de Littérature. "L'Eveil de la Glèbe", avec son personnage central, le paysan Isak, constitue l'apothéose de la prose hamsunienne.
On y retrouve cette volonté de retour à l'élémentaire que partageaient notamment un Friedrich-Georg Jünger et un Jean Giono.
La modèle anthropologique hamsunien correspond aussi à l'idéal paysan du "mouvement nordique" qui agitait l'Allemagne et les pays scandinaves depuis la fin du XIXème siècle et que, plus tard, les nationaux-socialistes Darré et von Leers (2) incarneront dans la sphère politique. Dans les années 20 s'affirment donc trois opinions politisables chez Hamsun: 1) son anti-américanisme et son anglophobie, 2) sa hargne à l'égard des journalistes, propagateurs des illusions modernistes (Cf. "Le Rédacteur Lynge") et 3) son anthropologie implicite, représentée par Isak. A cela s'ajoute une phrase, tirée des vagabonds: "Aucun homme sur cette terre ne vit des banques et de l'industrie. Aucun. Les hommes vivent de trois choses et de rien de plus: du blé qui pousse dans les champs, du poisson qui vit dans la mer et des animaux et oiseaux qui croissent dans la forêt. De ces trois choses". Le parallèle est facile à tracer ici avec Ezra Pound et son maître, l'économiste anarchisant Silvio Gesell (3), en ce qui concerne l'hostilité à l'encontre des banques. La haine à l'endroit du mécanicisme industriel, nous la retrouvons chez Friedrich-Georg Jünger (4). Et Hamsun n'anticipe-t-il pas Baudrillard en stigmatisant les "simulacres", constituant le propre de nos sociétés de consommation?
Devant cette offensive du modernisme, il faut, écrit Hamsun à 77 ans, dans "La boucle se referme" (1936), demeurer en marge, être une énigme constante pour ceux qui adhèrent aux séductions du monde marchand.
Les quatre thèmes récurrents du discours hamsunien et la présence bien ancrée dans la pensée norvégienne des mythes romantiques et nationalistes du paysan et du viking, conduisent Hamsun à adhérer au Nasjonal Sammlung de Vidkun Quisling, le leader populiste norvégien. Celui-ci opte en 1940 pour une alliance avec le Reich qui occupe le pays à la vitesse de l'éclair lors de la campagne d'avril, parce que la France et l'Angleterre étaient sur le point de débarquer à Narvik et de violer simultanément la neutralité norvégienne afin de couper la route du fer suédois. Pendant toute la guerre, Quisling veut former un gouvernement norvégien indépendant, inclus dans une confédération grande-germanique, alliée à une Russie débarrassée du soviétisme, au sein d'une Europe où l'Angleterre et les Etats-Unis n'auront plus aucun droit d'intervention.
La "collaboration" de Hamsun a consisté à défendre par la plume cette politique, cette version-là du nationalisme norvégien, et à expliquer son engagement lors d'un congrès d'écrivains européens à Vienne en 1943. Hamsun sera arrêté en 1945, interné dans un asile d'aliénés, puis dans un hospice de vieillards et enfin traduit en justice. Pendant cette période pénible, Hamsun, nonagénaire, rédigera son dernier ouvrage, "Sur les sentiers où l'herbe repousse" (1946). Une lettre de Hamsun au Procureur Général du Royaume mérite encore notre attention car le ton qu'il y adopte est hautain, moqueur, condescendant: preuve que l'esprit, les lettres, le génie littéraire, transcendent, même dans la pire adversité, le travail méprisable et médiocre de l'inquisiteur. Hamsun le Rebelle, vieux et prisonnier, refusait encore de courber l'échine devant un Bourgeois, fût-il le magistrat suprême du royaume. Un exemple...
12:50 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
G. Faye: l'économie n'est pas le destin!
XIIIième Colloque Fédéral du G.R.E.C.E.
Communication de Guillaume FAYE, Secrétaire "Etudes & Recherches"
L'économie n'est pas le destin
"Les seules réalités qui comptent pour notre avenir sont d'ordre économique", déclarait au cours d'un débat un ministre, qui est aussi, paraît-il, le meilleur économiste de France.
"Je suis bien d'accord avec vous", lui répliquait l'adversaire politique qui lui était opposé, mais vous êtes un piètre gestionnaire et nous sommes plus forts que vous en économie".
Dialogue révélateur.
Comme Nietzsche, sachons débusquer les faux savants sous le vernis des "spécialistes", osons déboulonner les idoles.
Car la fausse science ‹la métaphysique aussi‹ de notre époque, et la première de ses idoles, c'est bien l'économie.
"Nous vivons dans des sociétés, note Louis Pauwels, pour lesquelles l'économie est tout le destin. Nous bornons nos intérêts à l'histoire immédiate, et nous bornons celle-ci aux faits économiques". Notre civilisation, en effet, ‹qui n'est plus une "culture"‹ est fondée sur une conception du monde exclusivment économique. Les idéologies libérales, socialistes, ou marxistes, se rejoignent dans leur interprétation "éco-nomiste" de l'homme et de la société. Elles postulent toutes que l'idéal humain est l'abondance économique individuelle; bien qu'elles divergent sur les moyens de parvenir à cet état, elles admettent unanimement qu'un peuple n'est qu'une "société", elles réduisent son destin à la poursuite exclusive de son bien-être économique, elles n'expliquent son histoire et n'élaborent sa politique que par l'économie.
Et c'est ce qu'au G.R.E.C.E. nous contestons. Nous rejetons cette réduction de l'humain à l'économique, cette unidimensionnalité de l'histoire. Pour nous, les peuples doivent d'abord assurer leur destin: c'est-à-dire leur durée historique et politique, et leur spécificité. L'histoire n'est pas déterminée; et surtout pas par des rapports et des mécanismes économiques. La volonté humaine fait l'histoire. Pas l'économie.
L'économie, pour nous, ne devrait être ni une contrainte, ni une théorie, mais une stratégie, indispensable, mais subordonnée au politique. Gérer les ressources d'une Communauté selon des critères d'abord politiques, telle est la place de l'économie.
Donc, entre les choix libéraux ou socialistes et nous, il n'y a pas d'entente concevable.
Anti-réductionnistes, nous ne croyons pas que le "bonheur" mérite d'être un idéal social exclusif. Avec les éthologues modernes, nous pensons que les Comunnautés humaines ne survivent physiquement que si elles sont porteuses d'un destin spirituel et culturel.
Nous pouvons même démontrer qu'à privilégier l'économie et la seule recherche du bien-être individuel, on aboutit à des systèmes tyranniques, à la déculturation des peuples, et à court terme, àŠ une mauvaise gestion économique. Car l'économie elle-même fonctionne mieux lorsqu'elle ne tient pas la première place, lorsqu'elle n'usurpe pas la fonction politique.
C'est pourquoi il y a une relève intellectuelle à prendre en économie, comme dans d'autres domaines. Une autre vision de l'économie, conforme aux défis contemporains, et non plus fondée sur des axiomes de bourgeois du XIXième siècle, ce sera peut-être L'ECONOMIE ORGANIQUE, objet de nos recherches actuelles.
La révolte ‹au sens que Julius Evola donne à ce terme‹ s'impose contre cette dictature de l'économie, issue d'une domination des idéaux bourgeois et d'une hypertrophie d'une fonction sociale. Pour nous Européens de l'ouest, c'est une révolte contre le libéralisme.
"Notre époque, écrivait déjà Nietzsche dans Aurore, qui parle beaucoup d'économie est bien gaspilleuse; elle gaspille l'esprit". Et il était prophète: aujourd'hui, un Président de la République ose déclarer: "Le problème majeur de notre époque, c'est la consommation". Le même, à ces "citoyens" réduits au rang de consommateurs, affirme qu'il souhaite la "naissance d'une immense classe moyenne, unifiée par le niveau de vie". Le même toujours s'est félicité de la soumission de la culture à l'économie marchande: "La diffusion massive ‹ce mot lui est cher‹ de l'audiovisuel conduit la population à partager les mêmes biens culturels. Bons ou mauvais, c'est une autre affaire (sic) mais en tous cas pour la première fois les mêmes".
Claire apologie de l'abaissement de la culture au trafic, par le chef de file des libéraux. Ainsi, le politique est-il ravalé au rang de la gestion, phénomène bien décrit par le politologue Carl Schmitt. La domination obsessionnelle des préoccupations économiques ne correspond pas, pourtant, à l'ancien psychisme des peuples européens. En effet, les trois fonctions sociales millénaires des Indo-Européens, fonctions de souveraineté politique et religieuse, de guerre, et en troisième lieu de fécondité et de production, supposaient une domination des valeurs des deux premières fonctions; faits mis en lumière par G. Dumézil et E. Benveniste. Or, non seulement la fonction de reproduction se trouve aujourd'hui dominée par une de ses sous-fonctions, l'économie, mais celle-ci à son tour est dominée par la sous-fonction "marchande". De sorte que l'organisme social est, patholo-gi-quement, soumis aux valeurs que secrète la fonction marchande.
Selon les concepts du sociologue F. Tönnies, ce monde à l'envers perd son caractère "organique" et vivant et devient "société mécanique". Il nous faut réinventer une "communauté organique". Ainsi le libéralisme écono-mique et son corrolaire politique prennent-ils leur signification historique: cette idéologie a été l'alibi théorique d'une classe économique et sociale pour se "libérer" de toute tutelle de la fonction souveraine et politique, et imposer ses valeurs ‹ses intérêts matériels‹ en lieu et place de l'"intérêt général" de la Communauté toute entière.
Seule la fonction souveraine et ses valeurs propres peuvent assurer l'intérêt général. La seule révolution a été celle du libéralisme, qui a usurpé la souveraineté pour le compte de la fonction économique, en revendiquant d'abord l'"égalité" avec les autres valeurs, prétexte à les marginaliser par la suite.
Selon un processus voisin du marxisme, le libéralisme a construit un réductionnisme économique. Les hommes ne lui sont significatifs que comme intervenants abstraits sur un marché: clients, consommateurs, unités de main d'¦uvre; les spécificités culturelles, ethniques, politiques, constituent autant d'obstacles, d'"anomalies provisoires" en regard de l'Utopie à réaliser: le marché mondial, sans frontières, sans races, sans singularités; cette utopie est plus dangereuse que celle de l'égalitarisme "com-muniste" car elle est plus extrémiste encore, et plus pragmatique. Le libéralisme américain et son rêve de fin de l'histoire dans le même "way of life" commercial planétaire constitue la principale menace.
Ainsi désignons-nous clairement notre ennemi. Nous avons coutume de désigner par "société marchande" la société réalisée par l'idéologie libérale ‹on peut noter que le marxisme et le socialisme n'ont jamais réussi, eux, à réaliser leur projet égalitaire, la "société communiste", et apparaissent à ce titre moins révolutionnaires que le libéralisme, moins "réels".
Cette "société marchande" nous apparaît-elle donc comme l'objet actuel et concret de critique et de destruction.
Notre société est "marchande", mais pas spécialement mercantile. La République de Venise ou les Cités Hanséatiques vivaient d'un système économique mercantile mais ne constituaient pas des "sociétés mar-chandes". Donc le terme "marchand" ne désigne pas des structures socio-économiques mais une mentalité collective, un état des valeurs qui caractérise non seulement l'économie mais toutes les institutions.
Les valeurs du marchand, indispensables à son seul niveau, déterminent le comportement de toutes les sphères sociales et étatiques, et même la fonction purement productive de l'économie.
On juge ‹et l'Etat au premier chef‹ d'un point de vue marchand de tout. Cela ne veut pas dire que domination marchande signifie "domination par l'argent"; nous ne portons pas condamnation morale de l'argent et du profit d'un entrepreneur. Il faut admettre le comportement mercantile ou profiteur s'il accepte de se subordonner à d'autres valeurs. Il ne faut donc pas voir dans notre position une "haine de l'économie" ou un nouveau réductionnisme opposé au gain et à la fonction marchande en tant que tels. Nous ne sommes pas des moralisateurs chrétiens. Société marchande signifie donc société où les valeurs ne sont que marchandes. On peut les classer en trois figures" majeures: la mentalité déterministe, l'esprit de calcul, et la dictature du bien-être économique individuel.
La mentalité déterministe, utile pour la seule activité marchande, vise à éliminer les risques et à minimiser les aléas. Mais, adoptée par l'ensemble d'une société et en particulier par les décideurs politiques et économiques, la mentalité déterministe devient un alibi intellectuel pour ne pas agir et risquer. Seul le marchand peut à bon droit, pour maximiser ses gains, subordonner ses actes à des déterminismes: lois du marché, conjonctures, courbes de prix, etcŠ
Mais le pouvoir politique, pas plus que l'économie nationale ne devraient, comme un marchand, se soumettre et se "laisser agir" par une rationalité excessive qui dispense de tout "jeu du risque". La société marchande se "gère" à court terme, sous l'hégémonie des "prévisions économiques" pseudo-scientifiques (l'industrialisation "inéluctable" du Tiers Monde, la mondialisation de la concurrence internationale, le taux de croissance des revenus et du P.N.B., etcŠ), mais paradoxalement ne tient pas compte des plus élémentaires des évolutions politiques à moyen terme: par exemple l'oligopole des détenteurs du pétrole.
Rien donc de moins "indépendantes" que les nations marchandes. Les gestionnaires libéraux vont "dans le sens" de ce qu'ils croient mécani-quement déterminé (car rationnellement formulé) en faisant l'économie de l'ima-gination et de la volonté.
Au siècle de la prospective, de la prévision statistique et informatique, on se laisse aller à court terme et l'on prévoit moins que les souverains des siècles passés. Tout se passe comme si les évolutions sociales, démographiques, géopolitiques n'existaient pas et n'allaient pas avoir d'effets majeurs. Toutes choses égales par ailleurs ‹selon la formule stupide des économistes libéraux‹ seules sont prises en compte par les décideurs, les contraintes ou pseu-do-prévisions économiques à court terme.
La société marchande est donc aveugle. Soumise aux évolutions et aux volontés extérieures, parce qu'elle croit au déterminisme historique, elle rend les peuples européens objets de l'histoire.
Deuxième trait de la mentalité marchande: l'esprit de calcul. Adapté au marchand, cet esprit ne convient pas aux comportements collectifs. Hégémo-nie du quantifiable sur le qualifiable, c'est-à-dire sur les valeurs, prépondérance du mécanique sur l'organique, l'esprit de calcul applique à tout la grille unique de la Valeur économique. Nous ne pensons pas que l'"argent" soit devenu la norme générale: mais plutôt que tout ce qui ne peut pas se mesurer ne "compte plus".
On prétend tout calculer, même le non-économique: on "programme" les points de retraite, les heures de travail, les temps de loisirs, les salaires, au même titre ‹mais bien avant‹ les enfants à naître. Il existe même un "coût de la vie humaine", pris en compte pour certains investissements. Mais tout ce qui échappe au calcul des coûts, c'est-à-dire précisément ce qui importe le plus, est négligé. Les aspects in-chiffrables économiquement des faits socio-culturels (comme les coûts sociaux du déracinement résultant de l'immigration) deviennent indéchiffrables et in-signifiants pour les "techno-marchands".
Même en économie, l'excès de calcul nuit: combien d'investissements utiles à long terme, mais qu'un calcul prévisionnel déclare non-rentables à court terme, sont abandonnés?
L'individu, sécurisé, "calcule" son existence, mais n'envisage plus son héri-tage, sa lignée. Les Etats, obsédés par la gestion à court terme, ne prennent en considération que les aspects "calculables" et chiffrables de leur action. Ces "managers" démagogues n'¦uvrent que là où l'on peut "rendre des comp-tes" et surtout dans l'immédiat, au besoin en falsifiant quelques chiffres.
Une région meurt-elle d'anémie culturelle? Qu'importe si par le tourisme de masse, son taux de croissance est probant. Et, entre adversaires politiques, l'argument politique se réduit à des batailles de pourcentages.
Cette superficialité de la "gestion technocratique" (ersatz marchand de la fonction souveraine) peut même déboucher sur le "marketing politique", réduction de la politique au "management" commercial. Aujourd'hui, la France ou l'Allemagne, sont plus ou moins assimilées par leurs gouver-nements à des Sociétés anonymes par action. La Maison France avec ses ci-toyens-salariés. Il va de soi, alors, que la politique extérieure et même la politique de Défense, soient dominées par des soucis de débouchés com-merciaux immédiats. Même l'économie n'y trouve pas son compte puisque ce mercantilisme à court terme s'avère aléatoire et ne remplace pas une politique économique. Quand les Chefs d'Etat en visite deviennent des V.R.P., comme de vrais V.R.P., ils tombent sous la dépendance de leurs clients.
La société marchande peut se décrire enfin comme une "dictature du bien-être individuel" selon le terme d'Arnold Gehlen; dictature, parce que l'individu, contraint d'entrer dans le système providentialiste de l'Etat, voit sa personnalité se désintégrer dans l'environnement consumériste. Pa-ra-doxa-lement, l'Etat-providence libérale essoufle l'initiative productive (charges sociales excessives) et décourage indirectement l'initiative individuelle. Assurés sociaux, salariés, chômeurs rémunérés: ils n'ont plus la maîtrise de leur destin. Immense mépris de son peuple par l'Etat-providence, le "mons-tre froid" de Nietzsche. Tyrannie douce.
Comment s'étonner alors que l'on méprise un Souverain transformé en dispensateur d'aménités? Le Politologue Julien Freund parle à juste titre du dépérissement politique de l'Etat.
Le libéralisme opère un double réductionnisme: d'une part l'Etat et la société ne sont censés répondre qu'aux besoins économiques des peuples; et ces besoins sont eux-mêmes réduits au "niveau de vie" individuel. Le libé-ralisme marchand s'interdit, en partie par intérêt, de juger si ces besoins sont souhaitables ou pas: seul comptent les moyens techniques à mettre en ¦uvre pour y répondre.
D'où la prééminence politique du niveau de vie et par nécessité égalitaire: rêve bourgeois ‹et américain‹ de peuples nivelés et égalisés par le même niveau de vie.
Les peuples et les hommes étant tous semblables pour un libéral, la seule inégalité subsistante est celle du pouvoir d'achat: pour obtenir l'égalité, il suffit donc de diffuser de par le monde le mode de vie marchand. Ainsi, voilà réconciliés miraculeusement (la main invisible d'Adam Smith) l'humanisme universaliste et les "affaires", la justice et les intérêts, comme l'avouait naïvement Jimmy Carter; "Bible and Business".
Les particularismes culturels, ethniques, linguistiques, les "personnalités", sont des obstacles pour la société marchande. Ce qui explique que l'idéologie moralisatrice des libéralismes politiques pousse à l'universalisme, au mi-xage des peuples et des cultures, ou aux diverses formes de centralisme.
La société marchande et le modèle américain menacent toutes les cultures de la terre. En Europe ou au Japon, la culture a été réduite à un "mode de vie" (way of life) qui est l'exact inverse d'un style de vie.
L'homme est ainsi chosifié, c'est-à-dire réduit aux choses économiques qu'il achète, produit, ou reçoit, selon le même processus (mais plus intensément encore) que dans les systèmes communistes. Sa personnalité se résorbe dans les biens économiques qui seuls structurent son individualité. On change de personnage quand on change de mode. Nous ne sommes plus caractérisés par nos origines (réduites au "folklore") ni par nos ¦uvres, mais par nos consommations, notre "standing". Dans le système marchand, les modèles civiques dominants sont le consommateur, l'assuré, l'assisté; et non pas le producteur, l'investisseur, l'entrepreneur. Ne parlons même pas des types non-économiques: le juriste, le médecin, le soldat sont devenus des types sociaux secondaires.
La société marchande diffuse un type de valeurs quotidiennes nuisibles à terme au travail en tant que tel: vendre et consommer le capital semble plus important que de le constituer. Et rien de plus égalisateur que la fonction de consommation. Les producteurs, les entrepreneurs, se différencient par leurs actes; ils mettent en jeu des capacités inégales. Mais consommer, c'est le non-acte auquel tout le monde, quelles que soient ses capacités, son origine, peut accéder. Une économie de consommation s'engage dans une voie inhumaine dans la mesure où l'homme est éthologiquement un être d'action et de construction. Ainsi, paradoxalement la haute productivité des industries européennes subsiste-t-elle malgré la société libérale marchande et non à cause d'elle. Pour combien de temps? Il faut préciser que notre critique de la société marchande n'est pas un refus, bien au contraire de l'indus-trialisation ou de la technologie. La notion de communauté organique, que nous opposons à la société marchande, n'a rien à voir avec la "société conviviale" des néo-rousseauistes (Illich, etcŠ).
La technique est pour nous un acquis culturel européen, mais doit être considérée comme un outil collectif de puissance et de domination du milieu et non plus comme une drogue au service du bien-être. Donc nous ne partageons pas les critiques gauchistes à résonnance biblique, sur la "malédiction de l'argent" et sur la "volonté de puissance" de la société contemporaine. La société marchande n'affirme aucune volonté, ni au niveau d'un destin global, ni mêmeŠ d'une stratégie économique.
La conséquence de cette civilisation de l'économie sont graves pour le destin de notre espèce, et subsidiairement, pour notre avenir politique et économique. Konrad Lorenz voit dans l'"unité des facteurs de sélection", tous de nature économique, une menace d'appauvrissement humain. "Une contre-sélec-tion est à l'¦uvre, révèle Lorenz dans Nouvelle Ecole, qui réduit les diver-sités de l'humanité et lui impose de penser exclusivement en terme de ren-tabilité économique à court terme. Les idéologies économistes, qui sont tech-nomorphiques, font de l'homme une machine manipulable. Les hom-mes, unités économiques, sont de plus en plus égaux, comme des ma-chines pré-cisément".
Pour Lorenz, la subordination des valeurs non économiques est une catastrophe, non pas seulement culturelle mais biologique. Le consumérisme cons-titue une menace physiologique pour les peuples. Lorenz, en médecin, par-le de pathologie collective. Nous mourrons d'artériosclérose. La civilisation du bien-être économique nous pousse lentement, pour Lorenz, vers la mort tiède. Il écrit: "Hypersensibles au déplaisir, nos capacités de jouissance s'émoussent".
La néophilie, ce goût toujours insatisfait de nouvelles consommations, a, pour les anthropologues, des effets biologiques néfastes et mal connus. Mais qu'est-ce que la survie de l'espèce à côté de la hausse du prix des croissants au beurre? Bref, si personne n'envisage ces problèmes, nous, si.
Mort tiède, mais aussi déclin démographique. La dictature de l'économie a fait de nous Européens des peuples court-vivants selon l'analyse de Raymond Ruyer. Affairés à nos préoccupations économiques immédiates, nous sommes devenus objets et victimes de l'histoire biologique.
Nos économistes ne sont sensibles au déclin démographique que parce qu'il compromettra le financement de la retraite. "Notre civilisation économiste, écrit Raymond Ruyer, est par essence anti-nataliste et suicidaire parce qu'elle est, par essence, anti-vitale, anti-instinctive".
Mais la consommation de masse a aussi rendu la culture "primitive". Les marchands de biens de consommation détiennent un pouvoir culturel, qui s'exerce dans le sens d'un déracinement, et d'une massification égalitaire. Ce ne sont pas les consommateurs qui choisissent leur style de vie ‹mythe démocratique cher aux libéraux‹ mais ce sont des firmes marchandes qui créent des comportements de masse en détruisant les traditions spécifiques des peuples. Par le "marketing", bien pire que les propagandes politiques, on impose quasi-scientifiquement un nouveau comportement, en jouant sur le mimétisme des masses déculturées. Une sous-culture mondiale est en train de naître, projection du modèle américain. On oritentalise ou on américanise à volonté. Depuis la fin de la première guerre mondiale, du "new-look" à la mode "disco", c'est un processus cohérent de conditionnement sous-culturel qui est à l'¦uvre. Le trait commun: le mimétisme des comportements lancés par les marchands américains. De la sorte, l'économie est devenue un des fondements qualitatifs de la nouvelle culture, outrepassant largement sa fonction de satisfaction des besoins matériels.
Même sur le plan strictement économique, qui n'est pas, de notre point de vue, capital, l'échec du système marchand depuis quelques années est patent. Ne parlons même pas du chômage et de l'inflation, ce serait trop facile.
Jean Fourastié note "l'indigence des sciences économiques actuelles, libérale ou marxiste", et les accuse d'usurpation scientifique. "Nous assistons, dit-il, surtout depuis 1973, à la carence des économistes et à l'immense naufrage de leur science". Il ajoute: "les économistes libéraux ou socialistes ont toujours pensé que le rationnel seul permettait de connaître le réel. Leurs modèles mathéma-tiques sont bâtis sur l'ignorance ou le mépris des réalités élé-mentaires."
"Or, dans toute science, l'élémentaire est le plus difficile. Il en vient à être mé-prisé parce qu'il ne se prête pas aux exercices classiques sur quoi les économistes universitaires se décernent leurs diplômes". Fourastié conclut: "No-tre peuple, nos économistes, nos dirigeants vivent sur les idées du XIXième siècle. Les impasses de la rationalité commencent à devenir vi-sibles. L'homme vit à la fin des illusions de l'intelligence".
Un récent Prix Nobel d'économie, Herbert Simon, vient de démontrer que dans ses comportements économiques ou autres, l'homme, malgré l'ordinateur ne pouvait pas optimiser ses choix et se comporter rationnel-lement. Ainsi, la "Théorie des Jeux et du Comportement économique" de von Neumann et Morgenstern, une des bases du libéralisme, se révèle fausse. Le choix raisonné et optimal n'existe pas. Herbert Simon a démontré que les choix économiques étaient d'abord hasardeux, risqués, volontaristes.
Ces illusions de l'intelligence ont fait subir aux libéraux de graves échecs; prenons-en quelques-uns au hasard:
Le système libéral marchand gaspille l'innovation et utilise mal la création technique. Ceci, comme l'avait vu Wagemann, parce que la comptabilité en terme de profit financier à court terme (et non pas en terme de "surplus" global) freine tout investissement et toute innovation non vendable et non rentable dans de courts délais.
Autre échec, aux conséquences incalculables: l'appel à l'immigration étrangère massive.
Les profits immédiats, strictement financiers, résultant d'une main d'¦uvre exploitable et malléable ont seuls compté en face des "coûts so-ciaux" à long terme de l'immigration, qui n'ont jamais été envisagés par l'Etat et le patronat. La cupidité immédiate des importateurs de main d'¦uvre n'a même pas fait envisager le "manque à gagner" en terme de "non moder-nisation" provoqué par ce choix économique absurde. Le res-ponsable d'une grande firme me déclarait récemment d'un ton méprisant que sa ville était "en-combrée d'immigrés" et que cela le gênait personnel-lement. Mais après quelques minutes de conversation, il m'avouait en toute bonne conscience que dix ans auparavant, il avait (sic) "prospecté" à l'étranger pour (resic) "im-porter" de la main d'¦uvre, qui fût bon marché. Une telle inconscience s'apparente à un nouvel esclavagisme. Il est frappant de constater que mê-me l'idéologie marxiste, malgré son mépris des diversi-tés culturelles et ethniques, n'a pas osé, comme le libéralisme, utiliser pour son profit le dé-ra-cinement massif des populations rurales des pays en voie de déve-lop-pement.
Des gouvernements irresponsables et un patronat ignorant les réalités économiques, et dénuée du moindre sens civique et éthique, ont cautionné une pratique néo-esclavagiste dont les conséquences politiques, culturelles, historiques ‹et même économiques‹ sont incalculables (précisément) pour les pays d'accueil et surtout pour les peuples fournisseurs de main d'¦u-vre.
Plus soucieux des "affaires" et du "bien-être", les libéraux n'ont pas fait face aux défis les plus élémentaires: crise de l'énergie, crise de l'étalon-dollar, haus-se des coûts européens et concurrence catastrophique des pays de l'Est et de l'Extrême-Orient.
Qui s'en préoccupe? Qui propose une nouvelle stratégie industrielle. Qui envisage la fin de la prospérité déjà amorcée? La réponse aux défis géants de la fin du siècle n'est possible que contre les pratiques libérales.
Seule une optique économique fondée sur les choix d'espace économique européen semi-autarcique, de planification d'une nouvelle politique de substi-tution énergétique à moyen terme, et d'un retrait du système moné-taire international, s'adapterait aux réalités actuelles.
Les dogmes libéraux ou "libertariens" du libre échange, de la division inter-na-tionale du travail, et de l'équilibre monétaire s'avèrent non seulement économiquement utopiques (et nous sommes prêts à le démontrer techni-quement) mais incompatibles surtout avec le choix politique d'un destin au-tonome pour l'Europe.
Comme pour les nouveaux philosophes qui se contentaient de réactualiser Rousseau, il faut prendre conscience de l'imposture de l'opération publicitaire des "nouveaux économistes".
Il ne s'agit ni plus, ni moins que d'un retour aux thèses bien connues d'Adam Smith. Mais les nouveaux économistes français (Jenny, Rosa, Fourcans, Lepage) ne sont rien par eux-mêmes et ne font que vulgariser les thèses américaines. Regardons du côté de leurs maîtres.
Partant d'une critique pertinente, il est vrai , du "Welfare State" (l'Etat providence bureaucratique bien que néo-libéral), l'Ecole de Chicago, monétariste et conservatrice, avec Friedmann, Feldstein, Moore, etcŠ prône un retour à la loi micro-économique du marché, refuse toute contrainte de l'Etat à l'égard des firmes, retrouvant ainsi l'insouciance des libéraux du XIXième siècle à l'égard du chômage et des questions sociales.
Et l'école de Virginie, avec Rothbard, David Friedman, Tullock, etcŠ se veut "anarcho-capitaliste", partisane de l'éclatement de l'Etat, et de la ré-duction to-tale de la vie sociale et politique à la concurrence et à l'unique re-cherche du profit marchand.
On pourrait critiquer ces thèses, connues et "réchauffées", du point de vue économique. Mais qu'il suffise de dire, pour nous Européens que, même réalisable et "prospère", un tel programme signifie notre mort définitive en tant que peuples historiques. Les "friedmaniens" et les "libertariens" nous proposent la soumission au système du marché mondial dominé par des lois profitables à la société américaine mais incompatible avec le choix que nous faisons de demeurer des nations politiques, et des peuples évoluant dans leurs histoires spécifiques.
L'économie organique, elle, ne se veut pas une Théorie. Mais une stratégie, correspondant uniquement au choix, dans l'Europe du XXième siècle, de sociétés où le destin politique et l'identité culturelle passent avant la prospérité de l'économie. Subsidiairement, la fonction économique y est pourtant mieux maîtriséeŠ
Nous réfléchissons, au G.R.E.C.E., sur cette nouvelle vision de l'économie, à partir des travaux d'Othmar Spann et d'Ernst Wagemann en Allemagne, Johan Akerman en Suède, et François Perroux en France.
Wagemann comparait l'économie libérale à un corps sans cerveau, et l'économie marxiste à un cerveau monté sur des échasses. L'économie or-ga-nique, modèle pratique que nous ne prétendons pas exportable, veut s'adapter à la tradition trifonctionnelle organique des Européens.
Selon les travaux de Bertalanffy sur les systèmes, la fonction économique est envisagé comme organisme partiel de l'organisme général de la Communau-té.
Selon les secteurs et les conjonctures, la fonction économique peut être plani--fiée ou agir selon les lois du marché. Adaptable et souple, elle admet le mar-ché et le profit, mais les subordonne à la politique nationale. L'Etat laisse les entreprises, dans le cadre national, agir selon les contraintes du mar-ché, mais peut, si les circonstances l'exigent, imposer par des moyens non-éco-nomiques la politique d'intérêt national.
Les notions irréelles de "macro et micro-économie" cèdent la place à la réali-té de "l'économie nationale"; de même les notions de secteur public et privé perdent leur sens, puisque tout est à la fois "privé" au niveau de la ges-tion, et "public" au sens de l'orientation politique.
Les biens collectifs durables sont préférés à la production de biens individuels obsolescents et énergétiquement coûteux. Les mécanismes et manipulations économiques sont considérés comme peu efficaces pour réguler l'éco-nomie par rapport à la recherche psychologique du consensus des produc-teurs.
La notion comptable de surplus et de coût social remplace les concepts critiquables de "rentabilité" et de "profit". Par son choix de centres économiques au-toritairement décentralisés, et d'un espace économique européen de gran-de échelle et semi-autarcique (cas des USA de 1900 à 1975Š) l'économie orga-nique peut envisager une puissance d'investissement et d'innovation tech-ni-que supérieure à ce qu'autorise le système libéral, freiné par les fluctua-tions monétaires et la concurrence internationale totale, (dogme réduction-nis-te du libre-échangisme selon lequel la concurrence extérieure serait tou-jours stimulante).
En dernière instance, l'économie organique préfère l'entrepreneur au finan-cier, le travailleur à l'assisté, le politique au bureaucrate, les marchés publics et les investissements collectifs, au difficile marché des consommateurs in-dividuels.
Plus que les manipulations monétaires, l'énergie du travail national d'un peuple spécifique nous semble seul capable d'assurer à long terme le dynamisme économique.
L'économie organique n'est pas elle-même le but de son propre succès.
Mais elle se veut un des moyens d'assurer aux peuples européens le destin, parmi d'autres possibles, de peuples long-vivants.
Pour conclure, il faudrait citer la conclusion que l'économiste Sombart a donné à son traité sur Le Bourgeois, mais nous n'entretiendrons que le passage le plus prophétique: "Dans un système fondé sur l'organisation bureau-cratique, où l'esprit d'entreprise aura disparu, le géant devenu aveugle se-ra condamné à traîner le char de la civilisation démocratique. Peut-être as-sisterons-nous alors au crépuscule des dieux et l'Or sera-t-il re-jeté dans les eaux du Rhin".
François Perroux aussi a écrit qu'il souhaitait la fin du culte de Mammon qui "brille aujourd'hui d'un prodigieux éclat".
Nous avons choisi de contribuer à la fin de ce culte, d'assurer la relève du der--nier homme", celui de la civilisation de l'économie, dont le Zarathous-tra de Nietzsche disait:
"Amour, création, désir, étoile?
Qu'est-cela?
Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l'¦il.
La terre sera devenue plus exiguë et sur elle sautillera le dernier homme, lui qui amenuise tout.
Nous avons inventé le Bonheur, disent les derniers hommes.
Et ils clignent de l'¦il".
12:45 Publié dans Archives | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
G. Locchi : Mythe et communauté
XIIIième Colloque fédéral du G.R.E.C.E.
Communication de Giorgio LOCCHI
Mythe et Communauté
Avec un bon siècle d'avance, Friedrich Nietzsche avait prévu tous ou presque tous les phénomènes qui caractérisent notre époque, comme la montée du nihilisme anarchiste, l'épidémie des névroses, l'essor extraordi-naire d'un art du spectacle abaissé au niveau des "circenses" quotidiens, le commerce de la luxure. La vérification des prophéties nietzchéennes devrait frap-per les esprits, les inviter à la réflexion. Il n'en est rien. Mais cela est fatal. Nietzsche avait établi pour les sociétés occidentales un diagnostic de décadence et il ne faisait que prévoir le décours normal de la maladie. Or le propre de cette maladie des sociétés qu'est la décadence, c'est l'aveuglement qui frappe le malade à propos de son état. Plus il est malade, plus il croit être en bonne santé. Une société décadente est ainsi d'autant plus progressiste qu'elle avance vers l'issue fatale de sa maladie.Regardons autour de nous. Tout le monde, du libéral plus ou moins avancé au communiste plus ou moins retardé, croit viscéralement au progrès, est intimement convaincu de vivre une ère de progrès et même de progrès ultime. Il voit toutes sortes de phénomènes sociaux qui dans la longue his-toire des peuples ont toujours caractérisé les agonies des peuples et des cul-tures. Du féminisme à la montée sociale fulgurante des histrions et gens du spec-tacle, de la désagrégation des cellules sociales traditionnelles ‹pour nous la famille‹ aux tentatives éphémères et toujours renouvelées de les rempla-cer par on ne sait quelles communes, de l'universalisme masochiste à l'ef-fon-drement de toute norme sociale contraignante pour l'individu. Mais il est devenu parfaitement incapable de tirer la leçon de l'histoire, ce qui l'a-mène parfois à se dire que l'histoire n'a pas de sens.
Un autre trait est caractéristique de la décadence avancée: la médiocrité des sentiments. On se chamaille hargneusement, mais on se tolère. On se fait encore la guerre, froide si possible, mais on la fait au nom de l'amour, pour libérer l'autre. Ce que l'on se fait une obligation de haïr, c'est l'abstraction de l'Autre, jamais l'Autre dans sa réalité. On hait, selon le camp où l'on se trouve, l'affreux capitalisme occidental ou l'horrible régime communiste, mais on aime le peuple russe, on aime le grand peuple améri-cain. Les socié-tés décadentes ne savent plus aimer ni haïr, elles sont déjà tièdes, puisque la vie est en train de les abandonner, leur force vitale est déjà presque toute dis-sipée. Cette force vitale qui donne vie aux sociétés, les organise et les lan-ce sur le périlleux chemin de l'histoire, cette force peut recevoit plusieurs noms. Dostoïevski l'appelait Dieu et il disait donc que lorsqu'un peuple n'a plus son Dieu, il ne plus plus qu'agoniser et mourir. Friedrich Nietzsche, lui, a annoncé aux sociétés occidentales que leur Dieu était mort et qu'elles aussi allaient donc mourir. Paul Valéry, à sa façon, a ressenti la même véri--té. Pour moi, "Dieu" est une définition trop étroite, trop "occidentale", de ce qu'est la force vitale d'une société. Le divin n'est qu'un élément, qu'un as-pect de cette force vitale que j'appelerais plutôt, dans toute sa complexité, MYTHE.
Le propre du mythe, tel que je l'entends, est d'entrer dans l'histoire en se créant soi-même, c'est-à-dire en créant et en organisant ses propres éléments. Le Mythe est cette force historique qui donne vie à une commu-nauté, l'organise, la lance vers sa destinée. Le Mythe est avant tout un sen-timent du monde, mais un sentiment du monde partagé et, en tant que tel, il est et il crée objectivement le lien social et, en même temps, la norme communautaire. Il structure la communauté, lui donne son style de vie, et il struc-ture aussi les personnalités individuelles. Ce sentiment du monde est par ailleurs à l'origine d'une vision du monde, donc d'expressions cohéren-tes de pensée. L'histoire nous apprend que chaque peuple, que chaque civili-sation a eu son Mythe. Dans la perspective ouverte par notre présent social, on a l'impression que les Mythes se rattachent toujours à une phase primor-diale, désormais dépassée, du devenir humain. Que le Mythe soit pour ainsi dire la manifestation propre de l'enfance de l'humanité, est un lieu com-mun de la réflexion historique moderne. C'est le point de vue, inévitable, d'une pensée qui est le reflet de la vieillesse d'une civilisation. Lorsqu'un My-the est mort, lorsqu'on le regarde du dehors, un Mythe nous apparaît comme un ensemble de croyances plus ou moins fantasques, comme une col-lection de récits imaginaires, étrangement confus, toujours contra-dic-toi-res. Si l'on essaie, par l'imagination postérieure, de le reporter à la vie et à l'histoire, le Mythe semble se mouvoir contre le sens du temps, ce qui fait dire à Mircea Eliade que le Mythe est nostalgie des origines. Mais il se trouve que l'on ne peut pas étudier la vie sur un cadavre. Un Mythe vivant se re-connaît tout au contraire par le fait qu'il est harmonie, fusion et unité des contraires. Cela veut dire tout simplement que les hommes qui vivent dans le champ du Mythe et qui sont organisés par lui, ne ressentent point comme contradictoire tout ce qui paraîtra contradictoire à ceux qui sont en dehors. Le Mythe est vivante force créatrice et il le démontre justement par cette créa-tion qui infatigablement réduit et harmonise les contraires. On a eu un nom pour cette vertu réductrice des contradictions, on l'a appelée la foi. Ra-tionnellement, nous sommes ici dans un cercle vicieux, autre forme de con-tradiction: le Mythe n'est vrai que par la foi, mais la foi ne vit que par le My-the ‹la foi n'est créée que par le Mythe.
Pour qui est dans le Mythe ‹nous le savons bien‹ ce cercle vicieux, cette contradiction n'en est pas une, parce que le Mythe est dans tous ceux qui relè-vent de lui et il ne cesse de se créer entre eux et par eux. Car le Mythe, en effet, est création incessante de soi-même, il est -‹sous tout rapport‹ autocréa-tion. Cela est vrai déjà au niveau du langage, qui est le niveau où se cons-titue l'humain en tant qu'être social. Des illustres structuralistes nous expliquent aujourd'hui que nous ne parlons pas, que nous sommes "parlés". Ils parlent évidemment d'eux-mêmes et pour eux-mêmes, en tant que re-présentants privilégiés des sociétés actuelles. Ils ont raison; puisque toute langue, détachée du Mythe -‹c'est-à-dire du sentiment du monde‹ qui l'a créée, ne peut plus être que parlée, dans le sens de ceux qui l'emploient en réalité ne parlent plus, mais sont parlés. Lorsque la langue est encore vivement attachée à sa racine mythique, elle est encore en train de se créer et ceux qui l'emploient encore parlent et se parlent, loin de toute Tour de Babel.
La langue du Mythe structure des symboles, elle crée encore les choses avec les mots. Lorsque le Mythe ne parle plus et qu'il est tout au plus encore parlé, à l'harmonie du symbole succède la discorde de deux idées opposées, inconciliables. Cela signifie aussi, tautologiquement, qu'à l'époque du Mythe suc-cède l'époque des idéologies, d'idéologies jaillies d'une même source et pourtant toujours opposées, qui s'efforcent vainement d'atteindre leur impos-sible synthèse par une "science ultime" et de retrouver par cela ce pa-radis perdu qui était assuré par l'harmonie du Mythe.
Puisqu'il est harmonie des contraires, le Mythe est aussi le lien social par excellence et, de ce point de vue, il est légitime de parler à son propos de religion. Lien social, le Mythe organise la société elle-même, en assure la cohérence dans l'espace et à travers le temps. Le Mythe est bien plus qu'une Weltanschauung; il est un sentiment du monde et aussi, tout à la fois, ‹mieux: par cela même‹ un sentiment de valeur, un mètre opérant. Il est la clé qui explique, qui suggère l'action et la norme de l'action. Je voudrais vous rappeler ici comment un Mythe peut organiser une société, dicter leur conduite à des hommes, en l'occurence les Hellènes, confrontés soudain à un problème qui leur était inconnu. Les Hellènes étaient des Indo-Européens, leur Mythe était le Mythe indo-européen, sur la base duquel il s'étaient organisés en société à descendance patrilinéaire fondée sur ce que nous pouvons appeler la valeur héroïque. Lorsqu'ils immigrèrent dans la péninsule grecque, ils se trouvèrent confrontés à une société à descendance matrilinéaire. Pour des raisons qui furent peut-être contingentes, ils ne détruisirent pas cette société étrangère. Il y eut mélange de peuples, de civilisations. Cela posait un grave problème: celui de l'opposition inconciliable entre deux conceptions de la société et du droit. Dans la société matriarcale, ce ne sont pas les femmes qui font la guerre et qui détiennent le pouvoir, ce sont aussi les hommes. Mais la légitimité du pouvoir vient de la femme, on ne devient roi que parce qu'on épouse la femme qui par droit de descendan-ce matrilinéaire est héritière du pouvoir. Dans ces sociétés le pouvoir est ainsi toujours détenu par des hommes choisis par les femmes. Or, si l'on peut légitimement penser que les Hellènes, au début du mélange, ont souvent acquis le pouvoir grâce au mariage, ils devaient quand même le légitimer du point de vue de leur Mythe, du point de vue du droit patrilinéaire. Toute une foule de récits mythiques sont là pour nous dire ces conflits et les mille voies par lesquelles les Hellènes ont toujours fait triompher leur système de valeurs. L'aventure d'‘dipe, l'Orestiade, les mythes de Thésée, de Jason, du Bellérophon, le mythe même du rapt d'Europe ne sont que des exemples parmi tant d'autres. Et la suprématie du droit paternel est symbolisée, dans un Panthéon qui certes relève de deux religions mythiques, par la présence d'Athéna, la déesse vierge, déesse guerrière mais aussi déesse de la pensée réfléchie. Athéna n'a pas de mère, elle proclame "n'être que de son pè-re", Zeus, et c'est elle qui est là pour absoudre tous les Orestes, qui pour venger leur père ont été acculés à assassiner leur mère.
Ce rapport intime entre Mythe fondateur, société, système de valeurs, norme sociale, nous permet de parler de la société comme d'un organisme, de parler de société organique. Ce terme de société est du reste impropre, comme le démontre le fait que nous sommes obligés de l'adjectiver. Je di-rais donc, dorénavant, communauté pour dire société organique, et de plus j'opposerai communauté à société tout court, un peu à la façon dont on op-pose un concept-limite à l'autre. Cette opposition de communauté à société n'est pas nouvelle, elle a été faite par des sociologues allemands et notam-ment par Ferdinand Tönnies. L'intuition de ces sociologues était juste, mais elle a toujours conduit à des conclusions erronées ou à des théories assez confuses, parce que la définition de communauté par rapport à société n'était jamais donnée si ce n'est de façon implicite.
Un Mythe est toujours nostalgie des origines, comme dit Mircéa Eliade, mais il est toujours aussi vision cosmologique d'avenir, il annonce une fin du monde, qui peut être aussi parfois commencement d'une répétition du monde et, dans un cas que nous connaissons bien, régénération du monde.
Le Mythe, on dit aussi, n'a pas de temps. Il n'en a pas parce qu'il est le temps, le temps de l'histoire. Ainsi la communauté qu'il organise est un orga-nisme historique qui occupe à tout moment les trois dimensions du temps historique. Une communauté est un organisme vivant, qui est à la fois dans le passé, dans le présent et dans le futur. Une communauté a une conscience communautaire, qui est souvenir, action et projet à la fois. Une telle communauté, nous l'appelons peuple. Lorsqu'un peuple n'a plus la mé-moire de ses origines et, comme dit Richard Wagner, lorsqu'il cesse d'être mû par une passion et une souffrance commune, il cesse d'être peuple: il devient masse. Et la communauté devient société. J'ai dit que communauté et société sont des concepts-limites. Il y a toujours un peu de la masse dans les meilleurs des peuples et il y a toujours un reste de peuple dans la masse la plus vile et la plus rabaissée. Il n'y a pas de doute, et d'ailleurs on nous en rabat les oreilles, que nous vivons à l'époque des masses, que nous vivons dans des sociétés massifiées. L'individu, n'importe lequel, est divinisé au nom de l'égalité. Tout individu social a la même valeur, la personnalité n'est jamais prise en considération ‹et pour cause‹ puisqu'il n'y a plus de système référentiel de valeur socale. Dans une communauté, par contre, la valeur humaine, qui est toujours personnalité sociale, est mesurée par son de-gré de conformation aux types idéaux propo-sés par le Mythe et que chaque membre de la communauté porte en soi comme une sorte de super-ego. Lorsque le Mythe s'effrite, lorsque ces arché-types idéaux ne sont plus ressen-tis comme tels, il n'y a plus de lien com-munautaire, de sorte que, à la limite, tout individu est considéré comme idéal en soi, par le simple fait qu'il est un individu. Ce qui reste pour tenir ensemble ce qui est devenu une société, c'est le lien toujours précaire et con-tingent créé par l'alliance des intérêts égoïstes de groupes d'individus, de classes, de partis, de chapelles, de sectes. La véritable dimension humaine, qui est dimension historique, est perdue; la société de masse ne se soucie plus en réalité ni du passé ni de l'avenir, elle ne vit que dans le présent et pour le présent. Ainsi elle ne fait plus de politique, elle ne fait que de l'économie, et de l'économie de la pire espèce, conditionnant tous les ré-flexes sociaux. Symptomatiquement, la préoccu-pa-tion de l'avenir, les hori-zons de l'an 2000, ne sont invoqués que pour justi-fier et faire avaler l'insuccès économique du présent. Vous l'avez compris, nous sommes en train de parler de nos sociétés occidentales. Ces sociétés, au sein desquelles nous sommes nés et nous vivons, sont issues de la grande ¦koumène chrétienne, qui avait été formée et conformée par le Mythe ju-déo-chrétien. Ce Mythe est mort depuis longtemps, avec son Dieu. Même la religion, telle que ce qui reste des Eglises encore la véhicule, est idéologisée, est devenue idéologie qui s'oppose à d'autres idéologies jaillies de la même source mythique, désormais tarie. Là où le Mythe avait organisé, harmoni-sé, uni et ainsi donné une signification et un contenu spirituel, c'est-à-dire hu-main, à la vie des hommes, les idéologies opposent, désunissent, désagrè-gent. L'idéologie rejette le Mythe comme irrationnel et prétend, elle, être rationnelle, être rationnellement fondée. Au fond, de façon implicite ou ex-plicite, toute idéologie prétend être science et science de l'homme aussi. Et sur la lancée de sa quête de rationalisme, toute idéologie finit par se muer en anti-idéologie. En effet, puisqu'une idéologie ne va jamais sans idéologie contraire, cette constatation pousse à la recherche d'une synthèse dans une sorte de neutralité idéologique apparente, soutenue par la conviction sau-gre-nue qu'en dernier ressort tout, même l'homme, est quantifiable, que tout peut être calculé, que la vie d'une société se réduit à un problème de gestion administrative.
Les sociétés occidentales, par exemple, ont l'illusion de retrouver l'har-monie perdue, la fusion intime des contraires grâce aux vertus de la to-lérance: mais elles deviennent ainsi schizophrènes et rendent schizo-phrènes les individus les plus sensibles au climat social. L'individu occiden-tal finit toujours par avoir mauvaise conscience, surtout au niveau du pouvoir, parce qu'il est tenaillé par deux exigences opposées, qu'il ne saurait satisfaire ensem-ble, disons, pour simplifier: l'exigence de liberté indivi-duelle et l'exigen-ce de justice sociale. L'écartèlement qui est au sein des so-ciétés est toujours aussi au c¦ur des individus et cela porte parfois à des conséquences co-casses, comme dans le cas des libéraux avancés qui vou-draient aussi être à la fois socialistes et dans celui des communistes et socia-listes qui voudraient aussi être libéraux. Et remarquez que si on se moque du Mythe, rejeté com-me irrationnel, instinctivement on voudrait bien en récupérer le bénéfice social, en proposant des Anti-Mythes avec un idéal correspondant qui serait celui de l'Anti-héros, idéal si bien représenté au niveau de la consomma-tion quotidienne de pseudo-valeurs sociales, par l'artiste débraillé, chevelu, si possible un peu sale.
Les sociétés communistes, elles aussi issues du Mythe judéo-chrétien, ont essayé une autre solution. Elles ont choisi l'intolérance, au bénéfice d'une seule idéologie, sommée en fait de prendre la place du Mythe. Mais puisque l'idéologie n'est pas un Mythe et donc ne peut pas être opérante dans l'âme des individus, les individus ne se conforment jamais à la norme idéolo-gique. La conséquence bien connue en est que la société communiste est une société de contrainte. Pour être tout à fait exact: il y a dans la société commu-niste, à tous les niveaux, une obligation de contrainte, de sorte que l'épura-teur lui-même finit toujours épuré, tandis que dans la société libéralo-dé-mo-cratique on aboutit à une obligation de tolérance, dont même les délin-quants finissent par bénéficier. Par ailleurs les sociétés communistes aussi, en dépit de certaines apparances "anti-économiques", ne vivent que dans le présent. La démonstration en est offerte, de façon périodique mais frappan-te, par la condamnation de tout présent révolu, qui y assume les aspects d'une célébration rituelle. Le présent est toujours divinisé ‹de Lénine à Sta-line jusqu'à Mao‹ pour être infailliblement condamné et conspué dès qu'il cède la place à un autre présent. Ainsi, somme toute, on peut bien dire que l'équation sociale de la société communiste donne comme résultat la mê-me valeur que l'équation démocratico-libérale. Microscopiquement, au niveau des individus, la société libérale est plus attrayante, d'où le phénomène de la dissidence au sein des régimes communistes, les fuites, et par réaction le mur de Berlin. Mais remarquez aussi qu'au niveau macrosco-pique, de la masse en tant que telle, la fuite se produit surtout en sens in-verse et que donc dans cet après-guerre les sociétés socialistes se sont multi-pliées.
Que faire alors, à quoi s'attendre? Permettez-moi de revenir encore une fois à Nietzsche. Nietzsche nous a dit parmi les premiers que la civilisation occi-dentale était entrée en agonie, une agonie à la durée imprévisible, et qu'elle allait mourir. Les nations européennes sont condamnées ou bien à sortir de l'histoire à la façon des Bororos chers à M. Lévi-Strauss, ou bien à mourir historiquement et voir dissoudre leur substance biologique dans des nations et des peuples à venir. Au fond, tout le monde en Europe est plus ou moins conscient et c'est bien à cause de cela qu'il y a depuis quelque temps un dis-cours sur l'Europe. Mais cette Europe est conçue comme un prolongement des actuelles réalités sociales, comme le dernier moyen pour sauver ce qui est à l'agonie, ce qui est condamné à mort, c'est-à-dire la civilisation judéo-chrétienne. Mais si une Europe voit le jour dans un avenir plus ou moins lointain, elle n'aura de sens, historiquement, que si elle est telle que Frie-drich Nietzsche la souhaitait, portée et organisée par un Mythe nouveau, fon-damentalement étrangère à tout ce qui est aujourd'hui. Nous croyons savoir que ce nouveau Mythe est déjà là, qu'il est déjà apparu. Pour cela il y a des signes et des signes derrière les signes. A ses débuts, un Mythe est tou-jours extrêmement fragile, sa vie dépend toujours de quelques poi-gnées d'hom-mes qui déjà le parlent. Dans une étude sur ce que j'appelle la mu-si-que européenne de Johann Sebastian Bach à Richard Wagner, j'ai es-sayé de montrer comment ce Nouveau Mythe et la nouvelle conscience his-torique qui le porte sont nés, de montrer aussi par quel chemin ce Nouveau Mythe s'est dirigé vers notre présent. S'il vit encore, il ne peut survivre qu'en vertu de la totale fidélité de ceux qui le portent à son jeune passé. Certes, il n'a pas encore tout dit, peut-être n'a-t-il que balbutié. Le Mythe, lorsqu'il est vi-vant, est toujours en train de se dire.
12:44 Publié dans Archives | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Bertrand de Jouvenel (italiano)
Betrand de Jouvenel:
analisi del potere, superamento del sistema
di Laurent Schang Singolare destino, quello di Bertrand de Jouvenel des Ursins, aristocratico repubblicano non-conformista degli anni fra le due guerre mondiali, e federalista europeo co-fondatore del Club di Roma, titolare di cattedre universitarie a Parigi, Oxford, Manchester, Cambridge, Yale e Berkeley, autore di una trentina di trattati teorici di politologia e scienze economiche e sociali, testimone e attore di 50 anni di alta diplomazia mondiale nonché personaggio di spicco nella vita culturale e accademica di Francia. Tutte queste benemerenze non gli impediranno di essere indicato come una "figura di primo piano del filo-fascismo francese" dallo storico Zeev Sternhell (nel suo saggio Né destra né sinistra. L¹ideologia fascista in Francia), che de Jouvenel trascinerà in tribunale.
La vita (cenni)
Bertrand de Jouvenel nasce il 31 ottobre 1903 da Henry de Jouvenel (senatore e ambasciatore francese radical-socialista ma di tradizione familiare cattolica e monarchica) e da Sarah Claire Boas (figlia di un ricco industriale ebreo e massone).
Dopo aver condotto brillantemente studi di diritto e scienze sociali all¹Università di Parigi, il giovane Bertrand de Jouvenel si appassiona alla politica internazionale e diviene corrispondente presso la Società delle Nazioni, mentre si dedica all¹individuazione e alla teorizzazione dell¹essenza del potere nelle sue molteplici espressioni, cominciando ad elaborare il suo personale sistema di pensiero.
Pacifista, ardente promotore della riconciliazione franco-tedesca e consapevole della limitatezza della dicotomia "destra-sinistra", fonda il settimanale non-conformista "La lutte des jeunes".
Attirato per qualche tempo dall¹esperienza proletar-fascista del Parti Populaire Français di Doriot, ben presto se ne allontana e confluisce nella resistenza; nel 1943, perseguitato dalla Gestapo, si rifugia in Svizzera.
Nel dopoguerra riprende la sua attività di analista, docente e pensatore; dottore honoris causa all¹Università di Glasgow, fra il 1954 e il 1974 fonda due periodici ‹ "Analyse et Prévision" e "Chroniques d¹Actualité"; muore nel 1987.
Il pensiero e le opere (in breve)
Non è esagerato definire "monumentale" il lavoro di Bertrand de Jouvenel. Il suo pensiero ingloba la totalità delle conoscenze contemplate dalle scienze umane, e pertanto va affrontato da un punto di vista politologico: esso va considerato come un tentativo di messa in relazione gerarchica delle tre componenti imprescindibili di ogni evento sociale:
* l¹individuo
* la società
* lo Stato-Nazione,
il tutto integrato nella vasta prospettiva d¹insieme dell¹eterno divenire della civiltà.
Nel 1947 BdJ pubblica il libro "Quelle Europe". Filo conduttore del suo saggio è la domanda: "Quale Europa vogliamo?".
Guidato dalla sua volontà di potenza, l¹uomo europeo ha conquistato il pianeta, e la storia dell¹Occidente è diventata la storia del mondo. Come è dunque possibile spiegare la "balcanizzazione" dell¹Europa post-1945? La sua lacerazione fra la potenza asiatica e quella americana? La degenerazione del cittadino libero sulla base della filosofia europea in mero produttore-consumatore? E, infine, come misurare la degenerescenza delle strutture sociali organicamente articolate in un Tutto meccanico parassitato dallo Stato, divenuto una sorta di "Minotauro" assolutista al quale viene dato in pasto l¹individuo-cittadino, divenuto a sua volta una semplice cellula impotente di fronte alla megamacchina statocratica?
Per BdJ la risposta sta nella medesima volontà di potenza. Per mobilitare le energie e razionalizzare il suo appetito insaziabile, la civiltà si è dotata dell¹arma ideologica: tutto il lavorìo dei tempi moderni consiste nel rafforzare la sovranità nazionale e l¹autorità illimitata del sovrano a detrimento del cittadino. La maggioranza costituita dalla nazione deve sottomettersi al volere della minoranza rappresentata dal Potere. Al centro di questo sistema sta la democrazia: essa, indissolubile dal principio nazionale, consacra non già il regno della persona e della comunità (espressione più diretta del genio europeo), bensì quello di un "self-government" autocratico, che pretende di esprimere la volontà della maggioranza e plasmare il tipo di vita di tutti i suoi sudditi. Il diritto si sostituisce allo spirito, la libertà diventa un assioma. Con l¹ipertrofizzarsi dello Stato, si è affermato il Potere: diritto illimitato di comandare in nome del Tutto sociale attraverso la distruzione progressiva di ogni corpo intermedio.
Il passaggio dalla monarchia alla democrazia, considerato come un progresso nelle forme di governo, è peraltro un progresso nello sviluppo degli strumenti di coercizione: la centralizzazione, la regolamentazione, l¹assolutismo.
Con la democrazia, il serpente si morde la coda: da potente che era, la civiltà diviene impotente, privata delle sue risorse legittime che sono la spiritualità, lo spirito d¹iniziativa (la libera impresa) e la libera associazione.
Secondo BdJ, non v¹è alcun dubbio che il Potere sia sempre uguale a se stesso, indipendentemente dalle espressioni ideologiche di cui si munisce, guidato soltanto dal proprio egoismo ontologico e sfruttando a tal fine le forze della nazione.
Per restaurare la civiltà e conferirle nuova dignità, BdJ indica cinque fronti sui quali è necessario battersi:
lavorare per lo smantellamento dello Stato nazional-unitario, mostruosa concentrazione di potere e unica molla di tutte le forze e le forme di vita della società;
sopprimere la dicotomia "produttore-cittadino", e recuperare l¹antica concezione di "uomo libero" ‹ l¹abitante, il cittadino realizzato nella sua capacità di affermarsi come persona, come Essere e come Divenire;
procedere a uno studio critico dei pensatori che stanno all¹origine della Civiltà di Potenza: Hobbes, Rousseau, Kant, Bentham, Helvétius e Destutt de Tracy, promotori di concezioni della società false e mortali;
riprendere coscienza del fatto che la nazione non è semplice "sentimento associativo" bensì senso dell¹appartenenza comune a una fede e una morale unanimemente rispettate: un diritto inviolabile perché fuori dalla portata del Potere;
instaurare una nuova carta dei popoli, fondata sui particolarismi linguistici, culturali, tradizionali e consuetudinari (nelle parole di BdJ, bisogna recuperare "uno spirito conservatore delle glorie e dei costumi del gruppo di appartenenza; uno spirito di corpo che preferisce comportamenti differenziati, propri al gruppo di appartenenza, ad altri estranei e proposti come "più razionali"; un¹adesione sentita alla località piuttosto che un astratto votarsi all¹ideologia, che trascende i quadri geografici e non se ne cura").
Conclusione
Ecco, in sintesi, i tratti caratteristici di una posizione non conformista che pone l¹accento sulla persona umana, sulla libertà d¹associazione spontanea, sull¹appartenenza alla comunità ‹ contro l¹onnipotenza del Potere. Sta qui l¹importanza del messaggio di Bertrand de Jouvenel: perché possa (ri)vivere l¹Uomo Europeo, responsabile, cittadino, libero.
12:35 Publié dans Biographie | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Steuckers: Interview mit der Jungen Freiheit
Interview mit der "JUNGEN FREIHEIT" (Berlin)
1. Sie gelten als Vordenker der Neuen Rechten? Was verstehen Sie eigentlich unter "Neue Rechte"?
- Eigentlich schwer zu sagen. Es gibt sehr viele Definitionen der Rechten. In meinen Augen kann man nur von Neuheit in diesem Lager sprechen, wenn zur gleichen Zeit einerseits von Basisdemokratie, Subsidiarität im Sinne der Werken von Althusius, Otto v. Gierke, Riehl, von Volksfreiheit und Kulturstaat und andererseits vom einem übernationalen Großraum, wo eben dieser allgemeine Volksfreiheit geübt wird, mit Interventionsverbot für raumfremde und imperialistische Supermächte, gesprochen wird. Der Schmittsche Großraum darf nicht mehr imperialistisch interpretiert werden, nur noch anti-imperialistisch, mit Bewertung der Erdgebundenheit der Ortlosigkeit der Seemächte gegenüber. Eine Lektüre von Schmitts Glossarium erlaubt völlig diese Interpretation.
2. Gibt es eine solche in Deutschland?
- Der Hauptsünder der Rechte ist genau was amerikanische Politologen und Philosophen den ³Fusionismus² nennen. Kondylis hat geschrieben, es gibt keinen Konservativismus mehr, seitdem das Junkertum verschwunden ist und nicht mehr die staatstragende Klasse ist. Der heutige Konservativismus sei jetzt nur noch Altliberalismus. In der Tat, fabrizieren die sogenannten konservativen Parteien und Verbände nur noch hybride Komplexen aus liberalen und konservativen Elementen. Solche Komplexen sind unstabil, sind unfähig politisch artikulierbar zu werden. Eine neue non-komformistische Kampfideologie gegen die Verknochungen unserer Zeit braucht weder die Etikette ³Rechte² oder ³Konservativ², sondern soll sich unbedingt für die ³Societas Civilis² engagieren, d.h. für die ortbestimmeten Freiheiten konkreter Bürgern, die räumlich und zeitlich in konkreten Landschaften eingebettet sind. Deshalb ist es heute notwendig, sich wieder mit dem ³symbiotischen² Denken eines Althusius oder eines Otto von Gierke zu befassen. Schlüsselbegriffe der Zukunft: Symbiotik, Kybernetik, Synergien, Gemeinschaft, Kommunautarismus, Körperschaft, Bioregionalismus, Ortgebundenheit, usw. Dann erst kommt eine neue echt wirksame Ideologie, nicht nur in Deutschland sondern in ganz Europa!
3. Sie sind Mitbegründer der metapolitischen Bewegung "SYNERGON", die sich von der Hauptorganisation der frankophonen Neuen Rechten getrennt hat. Welch Unterschiede zwischen der neuen Organisation und der alten Struktur der französischen Neuen Rechten gibt es eigentlich?
- ³Synergon² wurde eben gegründet, um diese Schlüßelbegriffe wieder lebendig und kampffähig zu machen. ³Synergon² bedeutet altgriechisch ³ergon = wirken² und ³syn = zusammen², d.h. gemeinsam arbeiten und wirken, jeder in seiner ortsgebundenen und gemeinschaftsbezogenen Gruppe, um ein allgemeines Ziel durch verschiedene Wege zu erreichen. Unterschiede mit der GRECE-Denkschule aufzuzählen wäre müssig, bloß weil sie auch sowie wir alle Gebiete der Geisteswissenschaften erforscht haben. Signifikant wäre eher zu sagen, daß wir mehr den Akzent über juridisch-verfassungsrechtliche statt reine kulturell-ästhetische Dimensionen legen, wobei wir auch selbstverständlich nicht diese letzten völlig vernachlässigen.
4. Denken Sie dabei auch an eine Art ³dritter Weg²...
Der Begriff ³Dritter Weg² war passender zur Zeit der Ost-West-Spaltung. Heute würde ich eher von einer bunten Alternative zum Globalismus, wobei notwendig sei, die Buntheit bzw. die Pluralität der menschlichen Phänomene gegen die globalistischen Gleichschaltung zu bündeln. Schlüßelbegriff in diesem Ringen ist die ³Kontextualisierung². Der Begriff wurde im französischen Soziologen-Klub des MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales) geprägt. Die MAUSS-Theoretiker um Serge Latouche benutzen diesen Begriff, um das Wirtschaftsdenken wieder zu verorten, d.h. in raum- und zeitbedingten Kontexten einzuwurzeln. Ein dritter Weg, der bloß Diskurs und nicht Wiedereinwurzelung wäre, wäre reine Eitelkeit oder rundweg lächerlich. Die Dialektik zwischen ³Volklichen² und ³Universellen² knüpft wieder mit der Philosophie Herders: universelles Fakt, ist es, daß die Welt von Natur aus bunt ist. Ein Universalismus, der Monotonie und Gleichschaltung aufdringen würde, wäre eine böse Verzerrung des Universellen. Universalismus in diesem Sinne wäre pure Machbarkeit. Aber die natürlichen Fakte der Welt sind nie ³gemacht² worden.
5. Seit 1989, scheint die politische Wissenschaft wieder den Unterschied zwischen Ethnos und Demos zu machen. Wie stehen Sie dazu?
Ethnos und Demos ‹ich würde eher von konkreten Landmannschaften, Bioregionen oder historisch-gewachsene Kultureinheiten‹ sind genau die Antwort zum EU-Gleichschaltung. Der Maastrichter Vertrag verspricht nur flüchtling und unzulänglich Subsidiarität. Der Rat der Regionen hat nie die Wichtigkeit gehabt, die er verdient. Nonkonformisten müssen also eine föderalistische Lösung vorschlagen, im Sinne der lombardischen Lega Nord. Haupttheoretiker dieser interessanten politischen Bewegung ist Gianfranco Miglio. Er plädiert für die Volkssouverenität gegen alle abstrakten Instanzen. Und abstrakte Instanzen sind eben genau diejenigen die allmählich ³kontextlos² bzw. ortlos, menschenfremd und zu teuer und vermögensschluckend geworden sind. Widerstand gegen ortlose Instanzen ist Gebot der Stunde. Das ist ja die Hauptlektion von 1989.
6. Man muß sich nicht wundern, wie stark solche Positionen sich von der Hauptströmung der Aufklärung unterscheidenŠ
Paradox der Aufklärung ist es, daß sie zwar Toleranz und Pluralismus predigt, aber zur gleichen Zeit das Moderne an nur einer seiner Dimensionen reduziert, hat uns Peter Koslowski bewiesen. Das Moderne war am Anfang eigentlich nicht einheitlich, mehrere Projekte haben die moderne Zeit durchgedrungen, aber die heutige Aufklärung hat alle anderen aufklärerischen Projekte ausgeschaltet. Jetzt degeneriert die Aufklärung in dieser flachen ³Political Correctness², wobei die Maxime Kants, die Aufklärung sei ³die Befreiung der selbstverschuldeten Unmündigkeit², hinfällig geworden ist. Weil wozu würde eine Mündigkeit dienen, die nicht die in der Innerlichkeit der Menschenseele unzählbaren verborgenen Potenzen, die Möglichkeit gäbe, sich zu äußern? So kann man in der Tat feststellen, daß die Aufklärung die Lebenskräfte lähmt und daß der aufklärerische Geist Feind des Lebens ist (Klages!).
7. Die Umwelt ist in Gefahr. Welch Position vertreten Sie in der ökologischen Frage?
Die Ideen eines endlosen und nie aufhörenden Fortschrittes, einer konstanten Akkumulation von Waren und Devisen, sind eben Abstraktionen, die kulturelle Kontinuitäten und Rythmen stören. Natürliche Rythmen sind zu langsam für das moderne Abstrakte. Dort liegen die Ursprünge der ökologischen Katastrophe (siehe: Dieter Claessens, Das Konkrete und das Abstrakte, stw 1108). Etablierte Lechten und Rinken sind eben ³fusionistische² Verbände, die bloß willkürlich technomorphisch-rinke wie biomorphisch-lechte Elemente selektieren, um so viele Stimmen wie möglich beim Wahl zu versammeln. Fusionismus ist immer Wahlpropaganda, drückt keinen konkreten Willen aus, die Welt zu heilen, sondern nur einen Willen, zu herrschen und gemachte Abstraktionen überall zu verallgemeinigen.
8. Offene Grenzen, offene Märkte: sind diese mit einer de"mokratischen Auffassung der Politik versöhnbar?
Demokratie ist in den geschlossenen Räumen Altgriechenlands entstanden, besteht optimal weiter in eben so geschlossenen Räumen wie die schweizerischen Kantone. Demokratie soll selbstverständlich überall herrschen und praktiziert werden, aber eines ist gewiss, Demokratie impliziert Konsens. Konsens ist nur möglich über Naheliegendes. Naheliegendes schließt nicht Öffnung aus, aber Neuheiten werden aufbauend und langsam rezipiert. Wenn Öffnung brutale Zerstörung von Produktionszusammen-hängen bewirkt, zerstört sie gleichzeitig den Konsens und die langsam aufgewachsene ortgebundene Demokratie. In Lothringen und Wallonien kann man die katastrophalen Folgen der Zerstörung der Arbeiterkultur feststellen. Eisenhütten, Gruben, Metallwerke wurden zu schnell geschlossen und nichts hat sie ersetzt. Mafiöse Zustände tauchen auf, Kriminalität wächst, Gemeinschatssinn schwindet. Demokratie krepiert.
9. Worin sehen sie die Ursprünge der ökologischen Katastrophe?
Schwere Frage, die die ganze Geschichte Europas in Anspruch nimmt! Hauptgrundlage wäre in meinen Augen den Prozess der Entzauberung der Welt (Max Weber). Neoplatoniker glaubten, daß Gott aber auch, pantheistisch interpretiert, die Welt bzw. die Erde eine Einheit war aus welcher ständig wertvolle Neuheiten flossen. Wirklichkeit war also immer bunt, zur gleichen Zeit real, objektiv und potentiell. Mit dem Entzauberungsprozeß wurden allmählich nur die objektiven Fakte wahrgenommen und als gültig empfunden. Aber objektive Fakte sind manchmal Fakte ohne jede erneuerden Potenzen mehr. Gleichschaltung und Egalitarismus finden, so die Möglichkeit sich grenzenlos zu entfalten. Mit der ³political correctness², können keine neue politische Projekte mehr getest werden. Jede differentialistische Alternative sollte wieder eine Art Neoplatonismus entwickeln. Hier muß man die Lektion des iranischen Philosophen Seyyed Hossein Nasr im Kopf behalten (siehe: Man and Nature und Die Erkenntnis und das Heilige).
10. Heimat braucht also der MenschŠ
Das Recht auf Heimat ist das Recht des Menschen, sich lokal und langfristig zu entfalten, eine Familie zu gründen, einen Beruf auszuüben. Jeder Mensch ist kein mobiler Globe-Trotter.
11. Welchen Stellenwert geben Sie die regionalistische Frage in Europa?
Der Schotte George Donald Alastair MacDougall forderte 1977 in einem Bericht für die Kommission die Errichtung von zwei Kammern unter Beteiligung der Regionen auf euro-parlamentarischer Ebene. Sein Ziel wurde nie erreicht. Dieses Ziel ist aber das unsere. MacDougall wollte, daß die Verwaltungseinheiten soweit als möglich die Grenzen historischer-kultureller Regionen respektieren sollten. Axiologische Grundsätze dieses Vorhabens waren: Pluralismus, Personalismus, Solidarität, Subsidiarität. Europa wäre dann eine ³Gemeinschaft von Gemeinschaften² geworden, wobei eine differenzierte Öffentlichkeit entstanden wäre. Spanien ist vielleicht das Land, wo verfassungsgemäß und theoretisch der Staat ³asymetrisch² (mit differenzierten und zahlenmäßig nicht vergleichbaren Landeseinheiten) und ein Bund von autonomen Gemeinschaften mit jemals differenzierten Verfassungen ist. Weiter muß man überall reine Proportionalität im Wahlsystem haben und die Mehrheitssysteme Frankreichs und Großbritanniens endgültig abschaffen und als rechtswidrig und undemokratisch verurteilen. Egalisierungstendenzen können nur mit der Idee einer differenzierten Öffentlichkeit bekämpft werden (siehe: M. Schulz, Regionalismus und die Gestaltung Europas).
12. Der frühere franz. Außenminister Cheysson sagte dazu, diese seien irrtümliche DiskussionenŠ
Vermeidung jedes Debattes und ³irrtümliche Diskussion² können nur als solche bestempelt werden, durch Geister, die nicht erst eine föderalistische Verfassung für Europa ausgedacht haben und morsche Systeme wie das Altmonarchistische in Großbritannien (wo die Briten Subjekte und nicht Bürger sind!) oder das Hyperzentralisierte in Frankreich (wo die Départements-Prefekte überhaupt nicht gewählt werden sondern von Gremien in der fernen Hauptstadt aufoktroyiert sind!). Demokratie läßt grüssen! Die spanische Verfassung, vermischt mit alten eidgenossenschaftlichen Tugenden, wäre die Lösung. Die BRD und Belgien (aber weg mit der Korruption, bitte!) brauchen nur leichte Anpassungen. Die Praxis von Cheysson brauchen die freien Bürger und Eidegenossen unseres künftigen Europas nicht!
13. ³Der Westen glaubt daran²,
James Goldsmith und mehr noch sein Bruder Edward haben in den letzten Jahren tatsächlich bahnbrechende Bücher geschrieben! Imperialismus im schlechtsten Sinne und Monokultur sind immer gepaart. Die Völker der Erde brauchen soviele Autonomie und Nahrungsfreiheit wie möglich. Monokulturen und Nahrungsmonopole sind politische Waffen. Der US-amerikanische Minister Eagleburger sagte einmal: Food is the best weapon in our arsenal. Geschwächte Landwirtschaften in Afrika hängen zuviel von amerikanischen Überschüßen und werden so gefügig gemacht. Unabhängigkeit und Volksfreiheit sind nur möglich mit Nahrungsfreiheit. Also Monokulturen abschaffen und bunte Landwirtschaften in der Dritten Welt blühen lassen!
14. Antiwestlertum...
Guillaume Faye, damals Wortträger der französischen neuen Rechten, pflegte ständig zu sagen und zu wiederholen, daß Europa nicht Synonym des Westens war. Würde Europa nach andere seiner Möglichkeiten, die latent auf eine Wiederbelebung warten, zurückgreifen, würde es der leitende antiwestliche Kontinent werden, auf den alle anderen hoffen! Ich habe hier schon über Neoplatonismus gesprochen, aber die organisch-denkende Romantik, der Tellurismus eines Carus, der Eurotaoïsmus eines Sloterdijks usw. sind auch völlig aus dem westlichen politischen Debatt verbannt, daher kommt keine Erneuerung des Diskurs auf Ebenen wie Ökologie und überparteiliche Demokratie. Die heutige schematische Spätaufklärung läßt nur eine Möglichkeit: seine ewige und ständige Wiederholung... Einfach etwas anderes zu wagen wäre schon Antiwestlertum...
15. Würden Sie mir zustimmen...
Ich glaube, ich habe schon beantwortet: rinks und lechts sind vorbei, wir brauchen einen Block der organischen Humanisten gegen die Geldherrschaft! Unsere Aufgabe ist die kompromißlose Verteidigung der vielen ³Societates Civiles². Daher keine Entfremdung, da Entfremdung die Verteidigung realitätsfremden und ideologisierten Ziele impliziert, und keine Spaltung, da die Societas Civilis immer gleichzeitig eins und verschieden ist.
16. In Rußland ist A. Lebed...
Seit Jahren beobachten wir die Lage in Rußland. Insofern wir informiert sind, versucht Lebed transideologisch zu denken, will ein starkes und freies Rußland, gestärkt durch die Wiederentstehung von ³corps intermédiaires² in der Gesellschaft. Dieses Rußlands würde eher durch die Prinzipien der autozentrierten (besser als autarkischen) Markt- und Sozialwirtschaft belebt, die Friedrich List uns im 19. Jahrhundert überliefert hat und die später von François Perroux aktualisiert worden sind. Rußland wurde von zwei List-Schülern im ersten Jahrzehnte dieses Jahrhunderts regiert: Witte und Stolypin. Wir hoffen, diese beiden Staatsmänner werden die Modelle Lebeds bleiben...
12:05 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Houston Stewart Chamberlain
MARS 1992
Houston Stewart Chamberlain, prophète du national-socialisme?
par Adrien de Xertigny
De vieille noblesse anglaise et écossaise, Houston Stewart Chamberlain nait le 9 septembre 1855 à Southsea près de Portsmouth en Angleterre. Son père, à sa naissance, est capitaine de la Royal Navy. Il deviendra plus tard amiral. Sa mère, Eliza Jane Hall, mourra peu de temps après sa naissance. Le jeune Houston Stewart sera élevé par sa grand-mère paternelle et sa tante Harriet Chamberlain, toutes deux résidant à Versailles. Il a fréquenté une école privée anglaise proche de la capitale française, puis a été envoyé au Collège de Cheltenham, où il reste jusqu'en 1870. Les quelques années de pension anglaise qu'il subit le dégoûtent définitivement de l'Angleterre. Il garde en revanche une affection toute de tendresse pour la France de son enfance: "... les Français restent chers à mon c¦ur quelque mauvaise que puisse être leur politique, quelque pitoyables que s'affirment les charlatans qui les conduisent".
Atteint d'une maladie nerveuse, il perégrine à travers toute l'Europe occidentale et centrale, d'hôpitaux en villes de cure. Sous la houlette de son précepteur d'allemand, le théologien Otto Kuntze, il acquiert une maîtrise parfaite de la langue de Goethe, ce qui contribue à sceller son destin de "prophète du germanisme". En 1875, grâce à son ami juif Blumenfeld, il découvre le wagnérisme, "synthèse complète de l'art, en tant que générateur de formes". En 1876, fasciné, il écrit que l'avenir de l'Europe et de sa civilisation dépend de la santé de la science et de l'esprit allemands. Il épouse en 1878 Anna Horst, fille d'un éminant juriste allemand, d'origine israëlite mais converti au protestantisme. En 1879, il est à Genève, où il entame des études universitaires à la faculté des sciences naturelles. Il s'intéresse à la botanique, plus particulièrement à la sève ascendante, montant des racines des plantes pour se capillariser à travers tiges, branches, pétales et feuilles. Interrompue par plusieurs rechutes de sa maladie nerveuse, sa recherche ne se termine qu'en 1897, année où paraît sa thèse de doctorat (Recherche sur la sève ascendante). En 1882, il assiste à la représentation du Parsifal de Wagner, lors du festival de Bayreuth. Il y reviendra chaque année. De 1884 à 1889, il réside à Dresde où il se préoccupe intensément de l'¦uvre de Kant, de littérature et d'art allemands. En 1884, il se rend pour la première fois à la Haus Wahnfried de Bayreuth, mais ce n'est qu'en 1888 qu'il fait la connaissance de Cosima Wagner, avec laquelle il ne cessera plus de correspondre. En 1890, il part pour Vienne, où il poursuit ses études de botanique sous la direction de Julius Wiesner. C'est à Vienne qu'il rencontre les premiers cercles qualifiables d'"antisémites", notamment le Neuer Richard-Wagner-Verein (Nouvelle Association Richard Wagner), créé par le Chevalier von Schönerer, chef de file des antisémites autrichiens. Sans doute par engouement pour l'¦uvre de Wagner, Houston Stewart Chamberlain devient membre d'honneur de cette association, en dépit des ascendances juives de son épouse. A la tribune du NRWV, il prononce quelques conférences: ce sont ses premières activités para-politiques et c'est là que naissent ses premières réflexions sur le sémitisme et l'antisémitisme, de même que sur le "chaos ethnique", perceptible à Vienne, capitale d'un Etat plurinational. Chamberlain ne s'est jamais, à proprement parler, considéré comme un antisémite, mais plutôt comme un "a-sémite", comme une individualité imperméable à l'esprit juif. Position qui ne l'a jamais empêché d'admirer, chez les Juifs, la fierté d'appartenir à une race, vieille de plusieurs millénaires. Heinrich Härtle, qui fut le secrétaire d'Alfred Rosenberg, confirme, dans son ouvrage consacré à l'antisémitisme allemand (Deutsche und Juden. Studien zu einem Weltproblem, Druffel Verlag, Leoni, 1977), que la pensée de Houston Stewart Chamberlain est tout à l'opposé de l'antijudaïsme dogmatique. Ce qui importe aux yeux de Chamberlain, c'est la continuité qui forge la race: les Sépharades d'Espagne, créateurs d'une symbiose judéo-vandalo-hispano-arabe en Andalousie (Cordoue et Séville), constituent une "vraie race", une noblesse "au plein sens du mot". Les figures de cette symbiose ont belle allure, des visages empreints de noblesse, sont dignes dans leur discours et leur gestuelle. Une amitié lie Chamberlain à trois wagnériens de souche israëlite: Löwenthal, Hermann Levi et Blumenfeld (qui l'encouragea, alors qu'il séjournait à Vienne, de se rendre à Bayreuth). Se déclarant exposant de la spiritualité "aryenne" la plus profonde, car tels sont les impératifs tacites que lui dicte sa nature, Chamberlain refuse l'antisémitisme vulgaire; dans une lettre adressée le 24 juin 1899 à la rédaction de la revue Jugend, il écrit: "En fait, je ne suis pas antisémite; cela peut vous paraître étonnant, mais je compte beaucoup de Juifs et de Demi-Juifs parmi mes amis, et cette amitié qui me lie à eux est chaleureuse". Mais cette amitié ne doit pas empêcher Aryens et Juifs de reconnaître leurs spécificités et, partant, leurs différences, qu'ils ont non seulement le droit mais le devoir de défendre et d'illustrer. Et Chamberlain ajoute: "Nous nous entendrions beaucoup mieux avec nos concitoyens juifs, s'il y avait entre nous une séparation claire et honnête, sur les plans intellectuel et moral; aujourd'hui, au contraire, tout est confusion et mélange (wo alles durcheinanderschwirrt)".
A partir de 1892, il ne se consacre plus qu'à son ¦uvre littéraire: celle-ci concerne d'abord la figure de Richard Wagner, à laquelle il voue une admiration sans bornes (cf. Richard Wagner, Munich, 1896). De l'esthétique wagnérienne, l'¦uvre de Chamberlain glisse progressivement vers des thématiques religieuses, philosophiques et politiques. Ces préoccupations pluridisciplinaires donneront l'¦uvre maîtresse de Chamberlain: Die Grundlagen des 19. Jahrhunderts (en franç.: La genèse du XIXième siècle), qui paraît en 1899. Dans cette esquisse historique, Chamberlain tente de dégager quelles sont les formes fondamentales, les fondements, les assises, de l'hellénité, de la romanité (plus précisément, du droit romain, principal legs de Rome), de la religion annoncée par le Christ, du judaïsme, du germanisme. L'Europe du XIXième siècle constitue l'apothéose de la germanité qui a créé une nouvelle culture entre 1200 et 1800. Les découvertes (de Marco Polo à Galvani), la science (de Roger Bacon à Lavoisier), l'industrie (du papier à la machine à vapeur de Watt), l'économie (des ligues interurbaines de Lombardie à Robert Owen, fondateur de la notion et de la pratique de la "coopération"), la politique et la vie religieuse, la vision-du-monde (Weltanschauung; de François d'Assise à Immanuel Kant), l'art (de Giotto à Goethe), portent la marque indélébile du germanisme, en dépit des influences destructrices de l'esprit juif/sémitique, ou, plus exactement, puisque Chamberlain est plutôt "a-sémite" qu'"antisémite", du prophétisme dissolvant les "formes", issues d'un fond racial/culturel spécifique, élaborées par le génie inné des peuples aryens au cours de leur histoire. Le prophétisme dissout ou tente de dissoudre ce qui est inscrit dans le réel, y compris dans la chair des peuples, parce qu'il juge inférieur ce qui existe en acte et ne valorise que ce qui adviendra dans un avenir tout hypothétique. Les peuples affectés par le prophétisme oublient leur devoir de rester fidèles aux formes léguées par leurs ancêtres.
A partir de 1901, l'Empereur Guillaume II, lecteur enthousiaste de la Genèse, amorce une correspondance avec Houston Stewart Chamberlain, qui se poursuivra jusqu'à sa mort en 1927. Le 31 décembre 1901, dans l'une de ses premières lettres, l'Empereur remercie Chamberlain de l'avoir éclairé "sur les racines raciales de la culture européenne et sur les dangers qui les menacent"; pour Guillaume II, Chamberlain est "un compagnon de combat et un allié dans son combat pour la Germanie contre Rome, Jérusalem, etc.". Le courrier entre l'Empereur et l'auteur de la Genèse est une source très importante pour comprendre les idées motrices de Guillaume II et du germanisme politique; mais on y trouve également des réflexions philosophiques, notamment sur la philosophie de Kant, sollicitée aujourd'hui dans une perspective humanitariste et universaliste. Chamberlain, et à sa suite, Alfred Rosenberg, puis le secrétaire de ce dernier, Heinrich Härtle, jettent les base d'un kantisme non humanitariste et non universaliste; en effet, dans une lettre à Guillaume II, datée du 20 février 1902, Chamberlain explique ce qui le fascine en Kant: "... Kant savait ce que je sais: que la religion, qui était adaptée aux Juifs, n'est pas adaptée aux Aryens; et il savait aussi qu'elle était en contradiction avec ce qu'enseignait le Christ, qui n'était pas juif... Les idées folles du sémitisme doivent être reconnues en tant que telles; le spectre des falsifications historiques, qui tournoie autour de notre libre esprit [i.e. l'esprit germanique détaché de tout dogme, ndt], doit être éloigné...". Pour Chamberlain, la non-judéité du Christ saute aux yeux quand on compare son message à celui du prophète Ezéchiel, consigné dans l'Ancien Testament; Ezéchiel expose les ressentiments d'un peuple vaincu, qui cherche vengeance mais demeure impuissant face à la force de ses dominateurs. Ezéchiel fait miroiter à cette masse de vaincus amorphes, qui refoule tant bien que mal sa soif de vengeance, un "avenir impossible à atteindre", scellant par là même la naissance du messianisme de facture sémitique. Cet espoir insensé, cette mobilisation des c¦urs pour des objectifs qui ne se réaliseront jamais: en cela, réside l'erreur du judaïsme, d'autant plus que ce messianisme s'accompagne d'une codification dogmatique des comportements, transformant le judaïsme en une religion de la loi. Pour fonder le judaïsme, les prophètes, à la suite d'Ezéchiel, tuent une religion populaire hébraïque, jadis vivante, mais en conservent le cadavre momifié.
En 1905, codifiant ses réflexions éparses, il publie un maître-ouvrage sur le philosophe allemand Immanuel Kant (où figurent également des études aussi profondes qu'innovatrices sur Goethe, Léonard de Vinci, Descartes, Giordano Bruno et Platon; Immanuel Kant. Die Persönlichkeit als Einführung in das Werk, Munich, 1905). Par cette étude sur Kant, Chamberlain rompt avec le préjugé, fort répandu, qui voit dans le philosophe de Königsberg, un esprit terne, ultra-compliqué, sec, d'une précision d'horloge, hors du monde, dépourvu de "sang et de tripes". Au contraire, Chamberlain s'aperçoit qu'au-delà de la sécheresse de l'écriture kantienne, le philosophe de Königsberg nous plonge dans la vie, dans l'"expérience immédiate" des choses qui peuplent le cosmos. Chamberlain, qui avait écrit et répété que son objectif était de pénétrer le mystère de la vie, trouve en Kant un aîné, un maître. Son étude sur Kant permet de l'inscrire dans une "filiation métaphysique/philosophique": le Christ, François d'Assise, Kant, Goethe; le Christ dit: "Le Royaume est au-dedans de vous"; Kant, dix-huit siècles plus tard écrit: "le ciel étoilé est au-dessus de moi et la loi morale est en moi"; au lieu de déduire la loi morale d'un Dieu extérieur, dominateur, vengeur, indifférent et/ou capricieux, Kant en place la source dans l'intériorité même de l'homme, laquelle devient, ipso facto, une subjectivité saine, capable de générer le bien et le beau dans le monde. L'idéal de la "subjectivité saine" de l'homme honnête, de la communauté intacte ou du peuple pur peut, à l'évidence, se greffer sur l'idéologie racialiste, dérivée de Gobineau et en vogue dans l'Europe du XIXième siècle. Elle sera reprise par les philosophes et juristes nationaux-socialistes, tels Ernst Krieck et Otto Koellreutter (qui, après un aggiornamento, participera à l'élaboration du droit propre à la RFA). Dans l'optique de Chamberlain, il existe des peuples à la subjectivité saine, capables de produire de grandes ¦uvres historiques. Depuis la chute de Rome, ce sont les peuples germaniques (mais aussi slaves et celtiques) qui ont déployé et enrichi, en Europe et dans le monde, les trésors enfouis en puissance dans leur "subjectivité saine" spécifique. Sur le plan de l'antisémitisme, thème sulfureux, nous apercevons également la filiation entre la critique du prophétisme d'Ezéchiel et l'engouement pour la pensée de Kant: ce dernier a reproché aux églises chrétiennes de "vouloir transformer tous les hommes en Juifs", en affirmant que le Christ était un prophète juif, réalisant la prophétie d'Ezéchiel. Aux yeux de Kant, cette transformation de tous les hommes en Juifs provient du fait qu'à l'instar du judaïsme prophétique, les églises chrétiennes imposent des catalogues de dogmes, alors que, précisément, le Christ, en tant que prophète non du judaïsme mais de l'aryanité, cherchait à établir une religion dégagée des dogmes, reposant sur l'intériorité saine des hommes.
En 1908, après son divorce avec Anna Horst, il épouse Eva von Bülow (1867-1942), fille illégitime de Richard Wagner et de Cosima von Bülow, elle-même fille illégitime du compositeur Franz Liszt et de la Comtesse Marianne d'Agoult, née Vicomtesse de Flavigny. A partir de 1909, il se fixe définitivement à Bayreuth; son vivier devient le cercle des intimes de Cosima Wagner-von Bülow. En 1912, paraît son étude magistrale sur Goethe, qui fait toujours autorité aujourd'hui, alors que sa Genèse du XIXième siècle fait partie, elle, des ¦uvres refoulées par l'idéologie dominante (Goethe, Munich, 1912).
Peu avant la première guerre mondiale, un empoisonnement, dû à l'absorption d'une trop forte dose de mercure, le paralyse progressivement; la faculté de parole s'amenuise et il mourra muet. En 1914, il prend fait et cause pour sa patrie d'adoption, réservant ses critiques les plus acerbes à son pays d'origine, l'Angleterre (cf. Deutsches Wesen. Ausgewählte Aufsätze, 1916). L'Empereur Guillaume II estime que ses thèses anti-anglaises sont excellentes, servent à merveille la propagande allemande, et lui confère, en guise de récompense, la Croix de Fer de Première Classe. Notons que ce n'est qu'en 1916 que Houston Stewart Chamberlain acquiert la nationalité allemande. Après la défaite allemande et l'exil en Hollande de l'Empereur (avec lequel il poursuit sa correspondance), Houston Stewart Chamberlain, physiquement très diminué, achève son ¦uvre philosophique: en 1921 parait Mensch und Gott (= L'Homme et Dieu; Mensch und Gott. Betrachtungen über Religion und Christentum, Munich, 1921), une analyse brillante du rapport unissant la divinité à l'homme dans le christianisme, où la figure du Christ-Sauveur est valorisée en tant que mystique "claire et enfantine", "souriante et sûre d'elle-même", tandis que celle de Paul de Tarse, admirée par Chamberlain pour son volontarisme et l'engagement total qu'elle exige des croyants, essuie une critique de fond: Jésus n'insiste pas trop sur le péché, de même que l'évangéliste Jean; Paul, en revanche, et toutes les églises après lui, font du péché la pierre angulaire de leur religion. Même différence d'attitude devant la mort: pour Paul, elle est le salaire du péché; pour Jésus et pour Jean, elle est le moment suprême de réconciliation entre l'homme et Dieu; elle est le retour à Dieu, une ré-incarnation métaphysique qui succède à l'incarnation physique. De ce fait, pour Jésus et pour Jean, la religion n'est pas histoire (téléologie) mais éternelle présence.
A l'automne 1923, Hitler, qui vient de fonder à Munich son parti national-socialiste des ouvriers allemands, rend visite à Chamberlain, paralysé et alité. Quelques jours plus tard, le 7 octobre, le philosophe malade écrit au chef du jeune mouvement politique: "Je me suis demandé pourquoi, vous, qui êtes, avec une si rare intensité, un éveilleur d'âmes, un éveilleur de ces âmes qui dorment et s'affaissent dans la routine, m'avez offert récemment, après m'avoir quitté, un long sommeil réparateur, alors que je n'en avais plus eu de semblable depuis le jour fatidique d'août 1914, où un mal sournois m'a frappé. Aujourd'hui, je crois apercevoir ce qui vous caractérise pour l'essentiel et constitue votre personnalité propre: le véritable éveilleur est aussi celui qui dispense le repos. Vous n'êtes pas du tout comme on vous a décrit, c'est-à-dire un fanatique; au contraire, je voudrais vous caractériser comme le contraire d'un fanatique. Car le fanatique excite les têtes. Vous, vous réchauffez les c¦urs. Le fanatique veut parler plus haut que les autres, avoir toujours raison; vous, vous voulez convaincre, seulement convaincre; c'est la raison pour laquelle vous y parvenez. Ensuite, je voudrais aussi vous caractériser comme le contraire du politicien ‹au sens habituel que prend ce mot‹ car l'axe de toute action politique, c'est l'adhésion à un parti, tandis que, chez vous, les partis disparaissent, consumés par l'ardeur de votre amour pour la patrie. Je pense que là était le malheur de notre grand Bismarck: par le cheminement de son destin ‹et non par ses dispositions innées‹ il s'est un peu trop mêlé à la vie politique. Puisse ce sort vous être épargné! Vous avez de grandes choses à accomplir et, malgré la force de votre volonté, je ne vous considère pas comme un homme de violence. Vous connaissez la différence que posait Goethe entre violence et violence. Il existe une violence qui procède du chaos et qui conduit au chaos; et il existe une violence, dont la nature est de mettre le cosmos en forme; et, en parlant de cette violence-là, il disait: "elle constitue par régulation toutes les formes -et même en grande dimension, elle n'est pas violence". C'est en pensant à cette violence, cette force constructrice du cosmos, que je vous range parmi les hommes constructeurs, non parmi les hommes violents (...). Le fait que vous m'ayez apaisé, donné le repos, vient très certainement de votre regard et des gestes de vos mains. Votre oeil est comme doté de mains: il saisit l'homme et le maintient attaché à vous (...). Quant à vos mains, elles sont si expressives dans leurs mouvements qu'elles rivalisent avec vos yeux. Un homme tel que vous est donc capable de donner du repos à un pauvre esprit affligé comme le mien! (...). Que l'Allemagne, à l'heure où sa misère est la plus grande, soit capable de générer un Hitler, témoigne de sa vitalité (...)". Chamberlain, au soir de sa vie, avait rencontré le "César avec l'âme de Parsifal" qu'il avait toujours cherché dans ses rêves wagnériens. Mais c'est sur le jeune Alfred Rosenberg que Chamberlain va exercer une fascination et une influence prépondérante. Dans ses réflexions, flanquées de notices autobiographiques, que Rosenberg rédigera dans sa cellule de Nuremberg, en attendant de gravir les marches de la potence américaine après la condamnation à mort que lui avait infligée un tribunal digne du Far West (auquel la France et l'Angleterre ont participé, se discréditant à jamais aux yeux des Allemands et des peuples centre-européens; vu la chute du Rideau de fer, l'avenir nous révélera l'ampleur de ce discrédit), l'auteur du Mythe du XXième siècle rend un ultime hommage au "visionnaire de Bayreuth" et rappelle qu'il l'avait lu dès l'âge de quinze ans, où il l'avait découvert dans la bibliothèque de son tuteur. Rosenberg avait étudié la Genèse, mais aussi le Kant et le Goethe de Chamberlain.
En 1925, toujours à Munich, paraît Rasse und Persönlichkeit, où Chamberlain précise ce qu'il entend par "race" et approfondit les thèses qu'il avait esquissées dans la Génèse. Après sa mort, survenue le 9 janvier 1927, le biologiste Jakob von Uexküll, publie Natur und Leben (Munich, 1928), où nous trouvons une définition du vitalisme tel que l'entendait Chamberlain. Cette définition, alimentée par une lecture très attentive de Kant et une connaissance approfondie de l'¦uvre de Goethe, présente dans toute l'¦uvre chamberlainienne, postule que la Vie est Forme (Gestalt), que la Vie se manifeste dans sa plénitude grâce à des "formes", nées de l'histoire, façonnées patiemment par des élites à la subjectivité saine, devenues immuables grâce à leur excellence. Ces "formes", il convient de les maintenir contre l'action délétère de la "matière" (Stoff), qui les corrode. La vertu première de la "forme" consiste donc à résister, plutôt qu'à évoluer ou à varier. Cette insistance sur la "résistance" des formes face à l'action délétère de la matière distingue la pensée "conservante/maintenante" de Chamberlain de celle de Darwin, évolutionniste et progressiste. Cette théorie chamberlainienne de la forme se transpose dans le domaine de la race; car la race n'est rien d'autre qu'un fragment d'humanité devenu "forme" (gestaltgewordenes Menschentum). Quand la forme-race se maintient et se défend contre les forces dissolutrices de la matière, l'humanité s'épanouit et progresse. Chamberlain, optimiste, croit que la race germanique, par ses qualités fondamentales, résistera aux assauts des aléas, ce qui permettra l'envol d'un nouvel épanouissement culturel. Par ailleurs, cette définition de la race que nous donne Chamberlain n'est pas biologisante au sens strict du terme: l'appartenance à une race (humaine) n'est pas comparable à l'appartenance à une espèce (animale). La race est une modalité supérieure de la vie, qui s'est instituée petit à petit par Züchtung (élevage/dressage/acculturation) et différenciation, sous la pression de circonstances précises, d'ordre historique et géographique. Le produit de la Züchtung se stabilise, devient héréditaire, se transmet et permet l'éclosion de la culture. Au départ, il n'y a pas de races pures (affirmation qui distingue le concept de race chez Chamberlain de celui que l'on trouve chez Gobineau); l'histoire provoque des croisements, suivis d'une endogamie de longue durée sur base de ces mêmes croisements. Les races de Chamberlain sont donc des races-résultats, produits d'une différenciation enrichissante. Dans l'optique de Chamberlain ‹différente de celle du "gobinisme vulgaire"‹ la race, en tant que forme génératrice de culture, n'est pas un phénomène mort, purement statistique. Son caractère de "forme" ‹et, par suite, son immuabilité qui en fait un "modèle" permanent à suivre et à imiter‹ est dynamisant, dans le sens où la matière humaine doit s'adapter en permanence au modèle qu'est la race en tant que forme. Ce processus d'adaptation permanent produit de l'innovation au sein de la culture globale où évoluent les individus. Le destin des peuples germaniques prouve cette théorie de la race: les Germains en faisant irruption dans l'Empire romain et en donnant forme (leur forme) au Moyen Age européen, ont redonné vie au chaos racial, au melting pot ethnique de l'Antiquité romaine décadente. En redynamisant un monde mort, tué par une promiscuité raciale "indifférenciante", la famille des peuples germaniques a créé une multiplicité de variantes de sa forme initiale. La forme raciale initiale se démultiplie et se différencie; vectrices de cette démultiplication et de cette différenciation: les nations, formes intermédiaires donnant naissance à des types nouveaux, tels les Spartiates, les Prussiens, les Anglais conquérants.
En 1929, enfin, Paul Pretzsch édite la correspondance entre Chamberlain et l'Empereur Guillaume II. C'est ainsi que s'achève une ¦uvre plurielle, en prise sur les interrogations de son époque et confrontée, tant en comité restreint que dans les débats universitaires et publics, aux idées des amis et des correspondants de Chamberlain: le Comte Hermann Keyserling, l'indologue Paul Deussen, le théologien Adolf von Harnack, le physiologue-botaniste Julius Wiesner, le biologiste Jakob von Uexküll, l'homme politique et diplomate Comte von Brockdorff-Rantzau, l'Empereur Guillaume II et le Roi Ferdinand de Bulgarie.
Petit à petit, à la suite de nombreux mémoires universitaires consacrés, dans l'espace linguistique français, aux figures de la révolution conservatrice (cf. la thèse de Dupeux sur les nationaux-bolchéviques; celle de Favrat sur Paul de Lagarde; de Denis Goeldel sur Moeller van den Bruck; de Gilbert Merlio sur Oswald Spengler; de Jean-Pierre Boyer sur Hermann von Keyserling; les travaux de la Revue d'Allemagne, publiée à Strasbourg avec le concours du CNRS; la collection dirigée par Alain de Benoist chez Pardès à Puiseaux, où sont parus ou reparus des textes de Niekisch, Sombart, Carl Schmitt et bientôt la thèse magistrale du Dr. Armin Mohler sur la révolution conservatrice dans son ensemble), le puzzle se reconstitue: nos contemporains retrouvent une idéologie, une Weltanschauung aux possibles innombrables qui remplacera dignement le marxisme communiste décédé et le libéralisme insipide d'inspiration américaine. La réédition de la Genèse du XIXième siècle, le retour de Houston Stewart Chamberlain dans le débat, constituent deux pas de plus vers la renaissance de cet esprit européen que le gendre de Wagner nommait la Gestalt, ou la race, germanique. Ces deux pas, aujourd'hui franchis, consacrent évidemment un recul supplémentaire du matérialisme pervers, délétère, que Chamberlain, avec une énergie à laquelle il faut rendre hommage, n'avait cessé de combattre, même paralysé et à moitié muet, en ne bénéficiant que du soutien admirable de son épouse, Eva von Bülow, la fille de Richard et de Cosima Wagner.
Adrien de Xertigny,
Paris, Nancy et Nice, mars 1992.
12:00 Publié dans Biographie | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Livres sur l'islam
Bibliographie: LIVRES SUR L'ISLAM
Wilhelm MAAS, Arabismus, Islam, Christentum. Konflikten und Konvergenzen,Urachhaus, Stuttgart, 1991, 244 S., DM 29,80, ISBN 3-878338-916-7.
Véritable petite encyclopédie du monde islamique, ce livre, dû à la plume d'un théologien allemand, peut servir de vade-mecum à tous ceux qui cherchent des définitions précises sur le monde islamique. Par ex-em-ple: quelle spiritualité régentait l'Arabie pré-is-la-mi-que? Quels sont les fondements métaphysiques de la notion islamique d'unité (tawhid), de la djihad, etc.? Le Dr. Maas définit l'homo islamicus comme "homme pontifical", qui est un "pont entre Dieu et la Terre"; en Islam, Dieu et l'homme sont partenaires, une idée ré-volutionnaire qui trouve des modalités modernes, par exemple, dans la théorie sociale islamique de Khad-dafi.
Un second chapitre traite en détail de l'Islam ésoté-ri-que. Un troisième du soufisme (où les aspects pan-théistes de la mystique soufie implique tantôt une sou-mis-sion totale du moi à Dieu et à sa création, tantôt un renforcement du moi, en tant que partenaire de Dieu, no-tamment dans l'¦uvre de Muhammad Iqbal).
Le quatrième chapitre traite des conflits et des conver-gences entre l'Islam et le christianisme. Pour Maas, l'i-dée centrale du christianisme, la mort de Jésus sur la Croix, est refusée par l'Islam: d'abord parce que Dieu ne permet pas aux infidèles de massacrer ses pro--phètes (le Jésus crucifié est donc une victime inno-cente exécutée à la place du vrai Jésus, parti aux cieux pour retrouver Dieu); ensuite parce que l'Islam ne reconnait pas l'idée de péché originel et que la rédemp-tion n'est donc pas nécessaire. L'idée de péché héré-di-taire, d'un péché que les hommes traineraient depuis A-dam, est explicitement refusée par la sourate 6, 164: "aucun ne portera le fardeau d'un autre". Pour l'Is-lam, qui reconnaît la mission religieuse de Jésus, le Christ est venu pour parler aux hommes et non pas pour expier leurs péchés.
Le cinquième chapitre aborde la question de l'ara-bis-me, particularité raciale au sein de l'Islam, re-ligion uni-verselle. Maas traite avec précision de la psyché arabe, oscillant entre les extrêmes de la pas-sion et de l'in-tellect calculateur, de l'abstraction auda-cieuse et des pulsions sensuelles fougueuses.
Dans le dernier chapitre, Maas donne les directives d'un dialogue entre Chrétiens et Musulmans, sans que ni les uns ni les autres ne renoncent à leur religion ni n'en modèrent l'impulsion ni n'en édulcorent le sens, dans une perspective de simplification outrancière et d'¦cuménisme. Le dialogue entre Musulmans et Chré-t-iens, s'il doit avoir lieu, passe une étude de la Schia, l'ésotérisme islamique, et par une réflexion sur le mythe de Parcifal et de Feirefiz, qui trouvent, à deux, le Graal. Le Dr. Maas fait référence au livre de Pierre Ponsoye, L'Islam et le Graal (Arché, Milan, 1976).
Rudolf FRIELING, Christentum und Islam. Der Geisteskampf um das Menschenbild,
Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt a.M., 1981, 124 S., DM 7,80, ISBN 3-596-25503-1.
"Ce n'est que si le christianisme re-découvre ses pro-pres mystères qu'il sera en mesure de rencontrer cor-rec-tement les autres religions et les autres Weltan-schau-ungen, d'en com-prendre profondément le sens tout en distinguant clairement ce qui les différen-cie": telle est l'optique du théologien viennois Rudolf Frie-ling quand il aborde l'Islam. Frieling dé-nonce le dis-cours moderniste sur la tolérance qui ne conduit qu'à l'indifférence pour les mystiques profondes. Son livre explore les legs vétéro-testamentaires que véhi-cule l'Is-lam; cerne la personnalité de Mohammed, souligne la différence essentielle entre l'Islam et le chris-tianis-me. Cette différence réside dans le fait que pour Mohammed, Dieu n'a pas engendré de fils. Il est pure u-ni-cité. Au XVIIIième siècle, quand Lessing a étudié l'Is-lam, le christia-nisme et le judaïsme, il a mis en exer-gue le danger qui guette le christianisme: celui de basculer dans l'anthropomorphisme. Mohammed, et à sa suite Lessing, redoutaient que l'homme ne projette ses actions quotidiennes, particulières et cir-constan-tiel-les, dans le divin, relativisant de la sorte sa trans-cen-dance. Les Chrétiens estiment au contraire que l'hom-me est théomorphe, puisque par l'incarnation, il détient en lui une parcelle du divin.
Chrétiens et Musulmans, s'ils souhai-tent dialoguer, peuvent se référer à la Schia, la mystique, qui élève le ni-veau de la spiritualité et signale l'unité transcendante des religions. Dialogue qui n'exclut pas qu'il faille ap-profondir les différences dans la sphère pratique et exo-térique. Chez Frieling, pas de fantasme de la con-version ou de l'¦cuménisme.
11:59 Publié dans Islam | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Ludwig Ferdinand Clauss
par Robert STEUCKERS
Né le 8 février 1892 à Offenburg dans le Pays de Bade et décédé le 13 janvier 1974 à Huppert dans la région du Taunus, Ludwig Ferdinand Clauss, professeur à Berlin quand il résidait en Allemagne, n'a jamais cessé de voyager dans les pays arabes, a été fasciné par la majesté du désert et a résidé chez les Bédouins de ce que l'on appelait à l'époque la Transjordanie; il a pérégriné avec eux et est devenu Muhammad Ferîd el-Almâni.Disciple de Husserl et adepte de sa phénoménolo-gie, Clauss développe une anthropologie raciali-sée et psychologisante (une "psycho-raciologie" serait-on tenté de dire) qui renonce aux méthodes "zoologiques" et accepte l'autre tel qu'il est, veut le comprendre, veut comprendre sa façon d'agir et sa culture. Ses intérêts et l'air du temps le por-tent à étudier la psychologie de la "race nor-di-que", tendue et mobilisée entièrement vers l'ac-tion. Ensuite, tous ses efforts se portent vers des é-tudes approfondies de la "race bédouine", "race du désert" ou "race arabe", race portée vers l'ab-so-lu et vers les révélations, qui donne au monde des prophètes enthousiastes et conqué-rants. Ses ex-périences arabes/bédouines sont consignées dans plusieurs ouvrages: Als Beduine unter den Be-duinen (1931), Semiten der Wüste unter sich (1937), Araber des Ostens (1943), le roman Flucht in die Wüste (1960) et, enfin, Die Welt-stunde des Islams (1963), où il résume de ma-niè-re didactique sa vision de l'arabité et de l'Islam, cherchant à en communiquer le message aux Occi-dentaux.
Die Weltstunde des Islams se subdivise en quatre parties, analysant, notamment, les racines de l'ara-bité, les éléments perpétuellement vivants en Is-lam, la force du désert et l'avenir de l'Islam.
L'Islam est une religion qui commence par l'histoire d'un homme qui est allé dans le désert, pour y rencontrer Dieu, l'Absolu, l'Infini. C'est la démarche de l'ermite qui va volontairement dans l'éremos ou l'eremia (termes grecs pour dé-signer le désert); pour les Arabes, c'est là une démarche volontaire et non naturelle: le Bédouin, lui, est du désert; il n'y va pas; il en vient. Il est bádawi et vient du bâdiye. Le désert est terrible: il impose aux hommes sa loi; ceux qui la suivent, survivent; ceux qui ne la suivent pas, se détrui-sent eux-mêmes. Mais cette rigueur implqiue aussi le devoir de protection, la dachâla: si, dans son com-bat incessant avec le désert, un homme deman-de la protection d'un autre, en lui disant "je suis ton protégé", le protecteur doit accepter ce rô-le, même si le demandeur est l'ennemi de sa tri-bu voire son ennemi personnel. Cette règle ne to-lère aucune exception, même si aucune autorité po-litique ne viendra sanctionner son infraction. Le Bédouin est libre. Inconditionnellement libre. Il adore, en son c¦ur profond, l'Inconditionné et s'y soumet, lui, qui, comme tous les hommes, est conditionné par les cir-constances, par ses pas-sions, par les passions des siens. L'idéal, l'hom-me parfait, est, pour lui, celui qui se montre ca-pable de se libérer des "conditions": circonstan-ces, passions, émotions, intérêts. L'Islam, en tant que religion, repose sur cet amour de l'In-con-ditionné.
Car l'élément fondamental du divin, c'est l'istignâ, l'absence totale de besoins. Dieu, l'In-condi-tionné, n'a pas de besoins, il ne doit rien à personne. Seule la créature est redevable: elle est responsable de façonner sa vie, reçue de Dieu, de façon à ce qu'elle plaise à Dieu. Ce travail de façon-nage constant se dirige contre les intempérances, le laisser-aller, la négligence, auxquels l'homme suc-combe trop souvent, perdant l'humilité et la conscience de son indigence ontologique.
C'est contre ceux qui veulent persister dans cette erreur et cette prétention que l'Islam appelle à la Jihad. Car ces écervelés prétentieux sont dirigés par leurs passions, n'agissent que dans leurs intérêts, ne respectent pas les autres, se dissocient des leurs, fabriquent des arguments qui vont dans le sens de leurs inté-rêts matériels, sont des "asso-ciateurs". Si le monde est gouverné par de tels "in-soumis", des insoumis aux lois du réel, dont l'Islam est l'expression religieuse, il basculera dans le chaos et dans le déclin. La Jihad lutte contre ce chaos, contre les "associateurs" qui répandant le chaos, au lieu de se soumettre à l'ordre im-muable et généreux qui les protège, eux et tous les autres hommes, et leur apporte le nécessaire.
Certes, l'Europe et les Européens, qui relèvent de caractériologies raciales radicalement différentes, n'ont pas l'expérience du désert. Ils viennent, expli-que L.F. Clauss, du pays des forêts (pp. 119-126). Ce qui les marque tout aussi profon-dément que le désert marque les Arabes. Les Indo-Iraniens ne se sont habitués au désert qu'après de longues générations. Quand l'histoire de Jésus, qui, lui aussi, recourt au désert et y sé-journe qua-rante jours, est publiée pour la pre-mière fois en une langue germanique, dans le Heliand que Louis le Pieux fait rédiger à l'usage des Saxons fraîchement convertis de force par les armées de Charlemagne, l'auteur ne traduit pas le mot "désert" par un équivalent germanique qui désignerait une vaste étendue de sable désolée et infertile, sans végétation ni ombre. Il écrit sinweldi, la fo-rêt sans fin. Pour méditer, pour retourner à Dieu, à la virginité inconditionnée des éléments, l'Euro-péen, le Celte, le Germain ou le Slave, retourne, non pas au désert, mais à la forêt primordiale. La forêt est protectrice et en sortir équivaut à retour-ner dans un "espace non protégé". L'idée de fo-rêt protectrice est fondamentalement différente de celle du désert qui donne accès à l'Absolu; elle implique une vision du monde plus plurielle, vé-nérant une assez grande multiplicité des essences, mais une multiplicité coordonnée en un tout orga-nique. Mais l'homo europeus n'a pas eu le temps de créer une spiritualité absolue de la forêt et, au-jourd'hui, lui qui ne connaît pas le désert de l'in-térieur, n'a plus de forêt pour entrer en contact a-vec l'Inconditionné. Et quand Ernst Jünger parle de "recourir à la forêt", d'adopter la démarche du Waldgänger, il formule une abstraction, une bel-le abstraction, mais rien qu'une abstrac-tion puis-que la forêt n'est plus.
Les descendants des hommes de la forêt ont inventé la technique, la mécanique (L.F. Clauss dit: die Mechanei). Leurs ancêtres, les Croisés retran-chés dans le krak des Chevaliers, avaient fléchi devant le désert et devant son implacabilité. La question qui se pose depuis quelques décennies au monde arabo-musulman, surtout depuis la ré-cente guerre du Golfe: le désert, implacable et in-con-ditionné, va-t-il fléchir devant la technique des descendants des hommes de la forêt, qui n'ont plus de forêt? Or la technique produit principale-ment de l'"a-voir", ce qui est sa faiblesse ontolo-gique; l'Occidental, par le truchement de sa tech-nique, fabrique des choses qu'il possède, col-lec-tionne, amasse, sans pour autant fortifier son ê-tre, limiter son indi-gence ontologique, limiter ses besoins au minimum pour être plus proche, plus semblable au divin qui se passe de besoins. L'O-rien-tal, islamique ou non, succombe très souvent, et avec une facilité dé-concertante, aux séductions de l'"avoir", reniant ce sens fortifiant de l'humi-lité devant l'Inconditionné, qui avait fait sa force en tant que vecteur de la civilisation islamique. En Europe occidentale, les séductions du règne de l'a-voir fait des ravages dans les rangs des hommes du désert immigrés dans le pays de la forêt qui n'est plus. Si bien qu'on peut dire, en bien des cas, que ceux-ci ne sont plus des hommes de l'Islam, de la soumission, de l'humilité et de l'ascèse.
Au-delà des origines, l'avenir appartient à ceux qui ne se laisseront pas séduire par les choses éphé-mères mais à ceux qui fortifieront l'Etre. Et inau-gureront un nouveau Règne de l'Etre.
Robert STEUCKERS.
Ludwig Ferdinand CLAUSS, Die Weltstunde des Islams, Verlag Neues Forum, Schweinfurt, 1963.
11:57 Publié dans Islam | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Hermann Wirth
Robert STEUCKERS:
WIRTH, Herman (1885-1981)Né le 6 mai 1885 à Utrecht aux Pays-Bas, Herman Wirth étudie la philologie néerlandaise, la philologie germanique, l'ethnologie, l'histoire et la musicologie aux universités d'Utrecht, de Leipzig et de Bâle. Son premier poste universitaire est une chaire de philologie néerlandaise à Berlin qu'il occupe de 1909 à 1919. Il enseigne à Bruxelles en 1917/18 et y appuie l'activisme flamand germanophile. Séduit par le mouvement de jeunesse contestataire et anarchisant d'avant 1914, le célèbre Wandervogel, il tente de lancer l'idée aux Pays-Bas à partir de 1920, sous l'appelation de Dietse Trekvogel (Oiseaux migrateurs thiois). En 1921, il entame ses études sur les symboles et l'art populaire en traitant des uleborden, les poutres à décoration animalière des pignons des vieilles fermes frisonnes. Convaincu de la profonde signification symbolique des motifs décoratifs traditionnels ornant les pignons, façades, objets usuels, pains et pâtisseries, Wirth mène une enquête serrée, interrogeant les vieux paysans encore dépositaires des traditions orales. Il tire la conclusion que les symboles géométriques simples remontent à la préhistoire et constituent le premier langage graphique de l'homme, objet d'une science qu'il appelle à approfondir: la paléo-épigraphie. Le symbole est une trace plus sûre que le mythe car il demeure constant à travers les siècles et les millénaires, tandis que le mythe subit au fil des temps quantités de distorsions. En posant cette affirmation, Wirth énonce une thèse sur la naissance des alphabets. Les signes alphabétiques dérivent, selon Wirth, de symboles désignant les mouvements des astres. Vu leur configuration, ils seraient apparus en Europe du Nord, à une époque où le pôle se situait au Sud du Groenland, soit pendant l'ère glacière où le niveau de la mer était inférieur de 200 m, ce qui laisse supposer que l'étendue océanique actuelle, recouvrant l'espace sis entre la Galice et l'Irlande, aurait été une zone de toundras, idéale pour l'élevage du renne. La montée des eaux, due au réchauffement du climat et au basculement du pôle vers sa position actuelle, aurait provoqué un reflux des chasseurs-éleveurs de rennes vers le sud de la Gaule et les Asturies d'abord, vers le reste de l'Europe, en particulier la Scandinavie à peine libérée des glaces, ensuite. Une autre branche aurait rejoint les plaines d'Amérique du Nord, pour y rencontrer une population asiatique et créer, par mixage avec elle, une race nouvelle. De cette hypothèse sur l'origine des populations europides et amérindiennes, Wirth déduit la théorie d'un diffusionnisme racial/racisant, accompagné d'une thèse audacieuse sur le matriarchat originel, prenant le relais de celle de Bachofen.
Wirth croyait qu'un manuscrit frison du Moyen-Age, l'Oera-Linda bok, recopié à chaque génération depuis environ le Xième siècle jusqu'au XVIIIième, contenait in nuce le récit de l'inondation des toundras atlantiques et de la zone du Dogger Bank. Cette affirmation de Wirth n'a guère été prise au sérieux et l'a mis au ban de la communauté scientifique. Toutefois, le débat sur l'Oera-Linda bok n'est pas encore clos aux Pays-Bas aujourd'hui.
Très en vogue parmi les ethnologues, les folkloristes et les "symbolologues" en Allemagne, en Flandre, aux Pays-Bas et en Scandinavie avant-guerre, Wirth a été oublié, en même temps que les théoriciens allemands et néerlandais de la race, compromis avec le IIIième Reich. Or Wirth ne peut être classé dans la même catégorie qu'eux: d'abord parce qu'il estimait que la recherche des racines de la germanité, objectif positif, était primordiale, et que l'antisémitisme, attitude négative, était "une perte de temps"; ensuite, en butte à l'hostilité de Rosenberg, il est interdit de publication. Il reçoit temporairement l'appui de Himmler mais rompt avec lui en 1938, jugeant que les prétoriens du IIIième Reich, les SS, sont une incarnation moderne des Männerbünde (des associations masculines) qui ont éradiqué, par le truchement du wotanisme puis du christianisme, les cultes des mères, propres à la culture matricielle atlanto-arctique et à son matriarchat apaisant, remontant à la fin du pliocène. Arrêté par les Américains en 1945, il est rapidement relaché, les enquêteurs ayant conclu qu'il avait été un "naïf abusé". Infatigable, il poursuit après guerre ses travaux, notamment dans le site mégalithique des Externsteine dans le centre de l'Allemagne et organise pendant deux ans, de 1974 à 1976, une exposition sur les communautés préhistoriques d'Europe. Il meurt à Kusel dans le Palatinat le 16 février 1981. Sans corroborer toutes les thèses de Wirth, les recherches des Britanniques Renfrew et Hawkins et du Français Jean Deruelle ont permis de revaloriser les civilisations mégalithiques ouest-européennes et de démontrer, notamment grâce au carbone 14, leur antériorité par rapport aux civilisations égyptienne, crétoise et mésopotamienne.
L'ascension de l'humanité (Der Aufgang der Menschheit), 1928
Ouvrage majeur de Wirth, Der Aufgang der Menschheit se déploie à partir d'une volonté de reconnaître le divin dans le monde et de dépasser l'autorité de type augustinien, reposant sur la révélation d'un Dieu extérieur aux hommes. Wirth entend poursuivre le travail amorcé par la Réforme, pour qui l'homme a le droit de connaître les vérités éternelles car Dieu l'a voulu ainsi. Wirth procède à une typologie racisée/localisée des religiosités: celles qui acceptent la révélation sont méridionales et orientales; celles qui favorisent le déploiement à l'infini de la connaissance sont "nordiques". La tâche à parfaire, selon Wirth, c'est de dépasser l'irreligion contemporaine, produit de la mécanisation et de l'économisme, en se plongeant dans l'exploration de notre passé. Seule une connaissance du passé le plus lointain permet de susciter une vie intérieure fondée, de renouer avec une religiosité spécifique, sans abandonner la démarche scientifique de recherche et sans sombrer dans les religiosités superficielles de substitution (pour Wirth: le néo-catholicisme, la théosophie ou l'anthroposophie de Steiner). Les travaux archéologiques ont permis aux Européens de replonger dans leur passé et de reculer très loin dans le temps les débuts hypothétiques de l'histoire. Parmi les découvertes de l'archéologie: les signes symboliques abstraits des sites "préhistoriques" de Gourdan, La Madeleine, Rochebertier et Traz-os-Montes (Portugal), dans le Sud-Ouest européen atlantique. Pour la science universitaire officielle, l'alphabet phénicien était considéré comme le premier système d'écriture alphabétique d'où découlaient tous les autres. Les signes des sites atlantiques ibériques et aquitains n'étaient, dans l'optique des archéologues classiques, que des "griffonnages ludiques". L'¦uvre de Wirth s'insurge contre cette position qui refuse de reconnaître le caractère d'abord symbolique du signe qui ne deviendra phonétique que bien ultérieurement. L'origine de l'écriture remonte donc au Magdalénien: l'alphabet servait alors de calendrier et indiquait, à l'aide de symboles graphiques abstraits, la position des astres. Vu la présence de cette écriture linéaire, indice de civilisation, la distinction entre "histoire" et "préhistoire" n'a plus aucun sens: notre chronologie doit être reculée de 10.000 années au moins, conclut Wirth. L'écriture linéaire des populations du Magdalénien atlantique d'Ibérie, d'Aquitaine et de l'Atlas constituerait de ce fait l'écriture primordiale et les systèmes égyptiens et sumériens en seraient des dégénérescences imagées, moins abstraites. Théorie qui inverse toutes les interprétations conventionnelles de l'histoire et de la "pré-histoire" (terme que conteste Wirth). Der Aufgang der Menschheit commence par une "histoire de l'origine des races humaines" (Zur Urgeschichte der Rassen). Celle-ci débute à la fin de l'ère tertiaire, quand le rameau humain se sépare des autres rameaux des primates et qu'apparaissent les différents groupes sanguins (pour Wirth, le groupe I, de la race originelle ‹Urrasse‹ arctique-nordique, précédant la race nordique proprement dite, et le groupe III de la race originelle sud-asiatique). Ce processus de différenciation raciale s'opère pendant l'éocène, l'oligocène, le miocène et le pliocène. A la fin de ces ères tertiaires, s'opère un basculement du pôle arctique qui inaugure une ère glaciaire en Amérique du Nord (glaciation de Kansan). Au début du quaternaire, cette glaciation se poursuit (en Amérique: glaciations de Günz, de l'Illinois et de l'Iowa; en Europe, glaciation de Mindel). Ces glaciations sont contemporaines des premiers balbutiements du paléolithique (culture des éolithes) et, pour Wirth, des premières migrations de la race originelle arctique-nordique vers l'Amérique du Nord, l'Atlantique Nord et l'Asie septentrionale, ce qui donne en Europe les cultures "pré-historiques" du Strépyen et du Pré-Chelléen. Le réchauffement du climat, à l'ère chelléenne, permet aux éléphants, rhinocéros et hippopotames de vivre en Europe. L'Acheuléen inaugure un rafraîchissement du climat, qui fait disparaître cette faune; ensuite, à l'ère moustérienne, s'enclenche une nouvelle glaciation (dite de Riß ou de Würm; en Amérique, première glaciation du Wisconsin). Sur le plan racial, l'Europe est peuplée par la race de Néanderthal et les hommes du Moustier, de Spy, de la Chapelle-aux-Saints, de La Ferrasie, de La Quina et de Krapina. Lors d'un léger réchauffement du climat, apparaît la race d'Aurignac, influencée par des éléments de la race arctique-nordique-atlantique, porteuse des premiers signes graphiques symboliques. C'est l'époque des cultures préhistoriques de l'Europe du Sud-Ouest, de la zone franco-cantabrique (squelette de Cro-Magnon, type humain mélangé, où se croise le sang arctique nordique et celui des populations non nordiques de l'Europe), à l'ère dite du Magdalénien (I & II). Epoque-charnière dans l'optique de Wirth, puisqu'apparaissent, sur les parois des cavernes, notamment celles de La Madeleine, de Gourdan et du Font de Gaume en France, d'Altamira en Espagne, les dessins rupestres et les premières signes symboliques. Vers 12.000 avant notre ère, le climat se réchauffe et le processus de mixage entre populations arctiques-atlantiques-nordiques et Pré-Finnois de l'aire baltique (culture de Maglemose au Danemark) ou éléments alpinoïdes continentaux se poursuit, formant les différentes sous-races européennes. La Mer du Nord n'existe pas encore et l'espace du Dogger Bank (pour Wirth, le Polsete-Land) est occupé par le peuple Tuatha, de souche arctique-nordique, qui conquiert, à l'Est, le Nord-Ouest de l'Europe et, à l'Ouest, l'Irlande, qu'il arrache aux tribus "sud-atlantiques", les Fomoriens. La Mer du Nord disparaît sous les flots et, selon la thèse très contestée de Wirth, les populations arctiques-nordiques émigrent par vagues successives pendant plusieurs millénaires dans toute l'Europe, le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, transmettant et amplifiant leur culture originelle, celle des mégalithes. En Europe orientale, elles fondent les cultures dites de Tripolje, Vinça et Tordos, détruisent les palais crétois vers 1400 avant notre ère, importent l'écriture linéaire dans l'espace sumérien et élamite, atteignent les frontières occidentales de la Chine, s'installent en Palestine (les Amourou du Pays de Canaan vers -3000 puis les Polasata et les Thakara vers -1300/-1200), donnent naissance à la culture phénicienne qui rationalise et fonctionnalise leurs signes symboliques en un alphabet utilitaire, introduisent les dolmens en Afrique du Nord et la première écriture linéaire pré-dynastique en Egypte (-3300), etc.
Pour prouver l'existence d'une patrie originelle arctique, Wirth a recours aux théories de la dérive des continents de W. Köppen et A. Wegener (Die Entstehung der Kontinente und Ozeane, 1922) et aux résultats de l'exploration des fonds maritimes arctiques et des restes de flore qu'O. Heer y a découverts (Flora fossilis artica, Zürich, 1868-1883). A la fin du tertiaire et aux débuts du quaternaire, les continents européen et américain étaient encore soudés l'un à l'autre. La dérive de l'Amérique vers l'ouest et vers le sud aurait commencé lors de la grande glaciation du pléistocène. Le Groenland, les Iles Spitzbergen, l'Islande et la Terre de Grinell, avec le plateau continental qui les entoure, seraient donc la terre originelle de la race arctique-nordique, selon Wirth. Le plateau continental, aujourd'hui submergé, s'étendant de l'Ecosse et l'Irlande aux côtes galiciennes et asturiennes serait, toujours selon Wirth, la seconde patrie d'origine de ces populations. Comme preuve supplémentaire de l'origine "circum-polaire" des populations arctiques-nordiques ultérieurement émigrées jusqu'aux confins de la Chine et aux Indes, Wirth cite l'Avesta, texte sacré de l'Iran ancien, qui parle de dix mois d'hiver et de deux mois d'été, d'un hiver si rigoureux qu'il ne permettait plus aux hommes et au bétail de survivre, d'inondations post-hivernales, etc. La tradition indienne, explorée par Bal Gangâdhar Tilak (The Arctic Home in the Vedas, 1903), parle, elle, d'une année qui compte un seul jour et une seule nuit, ce qui est le cas au niveau du pôle. Aucun squelette de type arctique-nordique n'a été retrouvé, ni en Ecosse ou en Irlande, zones arctiques non inondées, ni le long des routes des premières migrations (Dordogne/Aquitaine, Espagne, Atlas, etc. jusqu'en Indonésie), parce que les morts étaient d'abord enfouis six mois dans le giron de la Terre-mère pour être ensuite exhumés et exposés sur une dalle plate, un pré-dolmen, pour être offerts à la lumière, pour renaître et retourner à la lumière, comme l'atteste le Vendidad iranien, la tradition des Parses et les coutumes funéraires des Indiens d'Amérique du Nord.
L'organisation sociale des premiers groupes de migrants arctiques-nordiques est purement matriarcale: les femmes y détiennent les rôles dominants et sont dépositaires de la sagesse.
En posant cette série d'affirmations, difficiles à étayer par l'archéologie, Wirth lance un défi aux théories des indo-européanisants qui affirment l'origine européenne/continentale des "Indo-Européens" nordiques (appelation que Wirth conteste parce qu'il juge qu'elle jette la confusion). La race nordique et, partant, les "Indo-Européens" ne trouvent pas, pour Wirth, leur origine sur le continent européen ou asiatique. Il n'y aurait jamais eu, selon lui, d'Urvolk indo-européen en Europe car les nordiques apparaissent toujours mélangés sur cette terre; les populations originelles de l'Europe sont finno-asiatiques. Les Nordiques ont pénétré en Europe par l'Ouest, en longeant les voies fluviales, en quittant leurs terres progressivement inondées par la fonte des glaces arctiques. Cette migration a rencontré la vague des Cro-Magnons sud-atlantiques (légèrement métissés d'arcto-nordiques depuis l'époque des Aurignaciens) progressant vers l'Est. La culture centre-européenne du néolithique est donc le produit d'un vaste métissage de Sud-Atlantiques, de Nordiques et de Finno-asiatiques, que prouvent les études sérologiques et la présence des symboles. Les Celtes procèdent de ce mélange et ont constitué une civilisation qui a progressé en inversant les routes migratoires et en revenant en Irlande et dans la zone franco-cantabrique, emmenant dans leur sillage des éléments raciaux finno-asiatiques. En longeant le Rhin, ils ont traversé la Mer du Nord et soumis en Irlande le peuple nordique des Tuatha, venu de la zone inondée du Dogger Bank (Polsete-Land) et évoqué dans les traditions mythologiques celto-irlandaises. L'irruption des Celtes met fin à la culture matriarcale et monothéiste des Tuatha de l'ère mégalithique pour la remplacer par le patriarcat polythéiste d'origine asiatique, organisé par une caste de chamans, les druides. Wirth se réfère à Ammien Marcellin (1. XV, c.9, §4) pour étayer sa thèse: celui-ci parle des trois races de l'Irlande: l'autochtone, celle venue des "îles lointaines" et celle venue du Rhin, soit la sud-atlantique fomorienne, les Tuatha arcto-nordiques et les Celtes.
Le symbolisme graphique abstrait, que nous ont laissé ces peuples arcto-nordiques, temoigne d'une religiosité cosmique, d'un regard jeté sur le divin cosmique, d'une religiosité basée sur l'expérience du "mystère sacré" de la lumière boréale, de la renaissance solaire au solstice d'hiver. Dans cette religiosité, les hommes sont imbriqués entièrement dans la grande loi qui préside aux mutations cosmiques, marquée par l'éternel retour. La mort est alors un re-devenir (ein Wieder-Werden). Le divin est père, Weltgeist, depuis toujours présent et duquel procèdent toutes choses. Il envoie son fils, porteur de la "lumière des terres", pour se révéler aux hommes. Les hiéroglyphes qui expriment la présence de ce dieu impersonnel, qui se révèle par le soleil, se réfèrent au cycle annuel, aux rotations de l'univers, aux mutations incessantes qui l'animent, au cosmos, au ciel et à la terre. L'étymologie de tu-ath (vieil-irl.), ou de ses équivalents lituanien (ta-uta), osque (to-uto), vieux-saxon (thi-od), dérive des racines *ti, *to, *tu (dieu) et *ot, *ut, *at (vie, souffle, âme).
Ce peuple, connaisseur du "souffle divin", soit du mouvement des astres, a élaboré un système de signes correspondant à la position des planètes et des étoiles. Les modifications de ces systèmes de signes astronomiques étaient entraînées par les mouvements des corps célestes. Toute la civilisation mégalithique, explique Wirth, avant Renfrew, Hawkins et Deruelle, procède d'une religiosité astronomique. Elle est née en Europe occidentale et septentrionale et a essaimé dans le monde entier: en Amérique du Nord, au Maghreb (les mégalithes de l'Atlas), en Egypte, en Mésopotamie et, vraisemblablement, jusqu'en Indonésie et peut-être en Nouvelle-Zélande (les Maoris).
(Robert Steuckers).
- Bibliographie: Pour une bibliographie très complète, se référer au travail d'Eberhard Baumann, Verzeichnis der Schriften von Herman Felix WIRTH Roeper Bosch von 1911 bis 1980 sowie die Schriften für, gegen, zu und über die Person und das Werk von Herman Wirth, Gesellschaft für Europäische Urgemeinschaftskunde e.V., Kolbenmoor, 1988. Notre liste ci-dessous ne reprend que les ouvrages principaux: Der Untergang des niederländischen Volksliedes, La Haye, 1911; Um die wissenschaftliche Erkenntnis und den nordischen Gedanken, Berlin, 1929 (?); Der Aufgang der Menschheit, Iéna, 1928 (2ième éd., 1934); Die Heilige Urschrift der Menschheit, Leipzig, 1931-36; Was heißt deutsch? Ein urgeistgeschichtlicher Rückblick zur Selbstbestimmung und Selbstbesinnung, Iéna, 1931 (2ième éd., 1934); Führer durch die Erste urreligionsgeschichtliche Ausstellung "Der Heilbringer". Von Thule bis Galiläa und von Galiläa bis Thule, Berlin/Leipzig, 1933; Die Ura-Linda-Chronik, Leipzig, 1933; Die Ura-Linda-Chronik. Textausgabe (texte de la Chronique d'Oera-Linda traduit par H.W.), Leipzig, 1933; Um den Ursinn des Menschseins, Vienne, 1960; Der neue Externsteine-Führer, Marbourg, 1969; Allmutter. Die Entdeckung der "altitalischen" Inschriften in der Pfalz und ihre Deutung, Marbourg, 1974; Führer durch das Ur-Europa-Museum mit Einführung in die Ursymbolik und Urreligion, Marbourg, 1975; Europäische Urreligion und die Externsteine, Vienne, 1980.
- Sur Wirth: consulter la bibliographie complète de Eberhard Baumann (op. cit.); cf. également: Eberhard Baumann, Der Aufgang und Untergang der frühen Hochkulturen in Nord- und Mitteleuropa als Ausdruck umfassender oder geringer Selbstverwirklung (oder Bewußtseinsentfaltung) dargestellt am Beispiel des Erforschers der Symbolgeschichte Professor Dr. Herman Felix Wirth, Herborn-Schönbach, 1990 (disponible chez l'auteur: Dr. E. Baumann, Linzer Str. 12, D-8390 Passau). Cf. également: Walter Drees, Herman Wirth bewies: die arktisch-atlantische Kulturgrundlage schuf die Frau, Vlotho-Valdorf, chez l'auteur (Kleeweg 6, D-4973 Vlotho-Valdorf); Dr. A. Lambardt, Ursymbole der Megalithkultur. Zeugnisse der Geistesurgeschichte, Heitz u. Höffkes, Essen, s.d.
11:54 Publié dans Biographie | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Vrai et faux socialisme
Faux socialisme et vrai socialisme
par Robert Steuckers
Version espagnole / traduccion espanola : http://www.evrazia.org/modules.php?name=News&file=article&sid=2118
Pourquoi s'interroger sur le passé et l'évolution passée du socia-lisme, à l'heure où, souvent, il recule électoralement en Europe, où il n'a plus ni projet politique cohérent ni bras armé, soviétique ou au-tre, où un individualisme forcené, gros de catastrophes sociales, prend le pas dans les mentalités post-modernes du ³premier monde², de l'engouement yuppy au burrowing du citoyen branché sur son petit monde virtuel?
Parce que le socialisme, qu'on le veuille ou non, demeure un réflexe, une aspiration, communautaire. Pour reprendre un discours aussi banal que réalitaire, l'homme n'est pas un être centré exclusivement sur lui-même, sur sa propre égoïté. Il est l'enfant de parents, il est aussi petit-fils ou petite-fille, frère ou s¦ur, père ou mère, cousin, voisin, collègue. En ce sens, il peut désirer le bien de son groupe ou des groupes au sein desquels il vit et agit, et hisser ce bien commun au-dessus de son bien-être individuel. Comme l'ont souligné tous les tenants des grandes religions et aussi les adeptes de l'humanisme classique, un homme peut sacrifier son bien-être pour ses enfants, pour une cause, pour toutes sortes de motifs qui transcendent la pure égoïté. Son intelligence et sa mémoire ins-tinctuelle (deux qualités qui ne sont pas nécessairement hétéro-gènes et incompatibles) peuvent donc postuler des sacrifices pour un temps sensé être meilleur mais qui doit encore advenir. L'homme n'agit pas seulement dans une perspective présentiste, mais table souvent sur le long terme, sur la prévision, parie sur l'avenir des siens. En énonçant ces banalités, qu'anthropologues et sociologues connaissent trop bien, notre but est de signaler l'inanité des théories philosophiques ou économiques qui postulent, têtues, un individualisme méthodolo-gique et que cherche à imposer en tous lieux la marotte contempo-raine de la ³political correctness².
Un partie des tenants de l'idéologie des Lumières, à partir du XVIIIième siècle, tentera d'introduire dans la pratique politique quotidienne cette ³méthodologie individualiste²; d'autres jetteront les bases d'une politique sociale, souvent dans le sillage de ³despo-tes éclairés², autres figures, plus positives, des Lumières que les idéologues à la Destutt de Tracy ou les philosophes des salons pa-risiens. D'autres encore, dans le sillage de Herder et du Sturm und Drang, proposeront une émancipation des hommes et des âmes par un recours aux premiers balbutiements des cultures, aux émergen-ces culturelles et littéraires, où l'identité transparaît dans toute son originalité et sa belle ingénuité. En critiquant la méthodologie indi-vidualiste d'une partie des tenants de l'Aufklärung européen, nous ne rejettons pas pour autant toutes les facettes de cette Aufklärung, mais seulement celles qui ont connu une évolution folle, provoqué quantité de dysfonctionnements et imposé une idéo-logie schémati-que, qui sert de base à la ³langue de coton² (Huyghe), à un discours qui refuse tout débat et, enfin, à l'actuelle ³political correctness². La ³langue de coton² est une concrétisation de la Newspeak qu'Orwell stigmatisait dans son célèbre roman ³1984². Au contraire, nous pensons qu'un double recours aux facettes de l'Auf-klärung, négligées par le discours actuellement dominant, permet-trait de réamorcer le débat et de proposer à nos contemporains qui sont dans l'impasse, des politiques réellement alternatives.
Les dysfonctionnements de l'Aufklärung s'observent à plusieurs ni-veaux dans l'histoire européenne de ces deux cent dernières an-nées:
1. Dans les idéologies dérivées de la ³métaphore de l'horloge², ou ³métaphore de la machine², indice d'une vi-sion mécaniciste des rapports politico-sociaux, où chaque individu est perçu comme un simple rouage fermé sur lui-même, juxtapo-sable à d'autres rouages, sans filiation; le filon individualiste de l'Aufklärung adhèrera à cette vision métaphorique et schématique des rapports politiques et sociaux, en refusant une autre métaphore, émer-gente à l'époque, celle de l'arbre, prélude du romantisme et des philosophies poli-tiques organiques, où s'est imposé tout naturellement le principe de la génération;
2. Dans les mesures votées par l'Assemblée nationale française contre les systèmes corporatifs, les droits de coalition, etc.; l'organisation hy-per-centraliste de la nouvelle république, où les maires représen-tent Paris et non pas les communautés urbaines ou villageoises; l'introduction d'un droit individualiste dans toute l'Europe par l'in-termédiaire des armées napoléoniennes; mesures qui conduiront certaines franges de la contre-révolution à se faire les champions de la justice sociale, contrairement à ce qu'affirme l'historiographie conventionnelle contemporaine;
3. L'avènement de la révolution industrielle sous le signe d'un droit individualiste en Angleterre et sur l'ensemble du continent;
4. L'élaboration de théories économiques mécanicistes et individua-listes;
5. L'émergence d'un socialisme qui n'a eu pour arrière-plan philoso-phico-idéologique qu'une pensée "scientifique" mécaniciste et indi-vidualiste.
Ce quintuple faisceau de faits a poussé le socialisme, organisé dans la IIième Internationale, puis le communisme dans la IIIième Internationale et enfin le trotskisme dans la IVième Internationale, sans compter ses multiples scissions et dissidences, à adopter les idées de l'Aufklärung la plus mécaniciste, machiniste et an-or-ganique et à rejetter comme ³contre-révolutionnaires² les autres li-néaments, plus pragmatiques, plus organiques ou plus culturels de l'Aufklärung émancipateur. Si le socialisme s'est effondré, c'est précisément parce qu'il a cultivé une véritable foi dans cette reli-gion mécaniciste, qui se croyait seule ³scientifique² et s'est effon-drée sous les coups de la science physique, dès 1875, avec la dé-couverte du second principe de la thermodynamique, avec la phy-sique quantique, l'avènement des sciences biologiques, etc. Le so-cialisme a survécu une centaine d'année à l'effondrement de son ³épistémologie² mécaniciste.
Si le socialisme, en tant que système partitocratique ancré dans l'histoire européenne, s'était d'emblée aligné sur les métaphores organi-cistes de la pensée de Herder et du romantisme, il serait aujourd'hui encore bien vivant. Toute pratique politique refusant la méthodologie individualiste doit rompre avec les paradigmes mécanicistes, illustrés au XVIIIième par les ³métaphores de l'horloge ou de la machine².
En effet, un pari sur la ³métaphore de l'arbre² aurait été plus démo-cratique: l'agent moteur de la machine est extérieur à la machine comme le despote est extérieur au peuple qu'il gouverne et administre. Le principe moteur de l'arbre, sa source d'énergie, son impulsion première, ré-side en son intériorité même. L'arbre se gouverne lui-même, son existence vitale n'est pas due à un agent extérieur qui actionne une clef ou un système d'engrenages pour le faire se mouvoir ou "vivre". De même, un socialisme organique, et non plus mécanique, aurait puisé dans l'histoire même du peuple qu'il aurait gouverné et protégé. L'histoire nous enseigne que les oligarchies socialistes ont commis l'erreur de sortir du peuple, ou de gouverner un peuple différent du leur au nom d'une très hypothé-tique ³solidarité internationale², sans compren-dre ou sans plus comprendre de l'intérieur les motivations de ce peuple. Les cri-tiques d'un Roberto Michels sur la Verbürgerlichung, Verbonzung und Verkalkung (embourgeoisement, domination progressive des bonzes du parti, sclérose) et la satire cruelle d'un George Orwell dans Animal Farm, où les cochons deviennent plus égaux que les autres, sont éloquentes à ce sujet et démontrent, si besoin s'en faut, que les socialistes et les sociaux-démocrates sont sujets à ce travers politique, c'est-à-dire celui qui consiste à adopter une idéologie sans profondeur qui les met en marge du gros de la population, relativi-se automatiquement le socialisme qu'ils proclament en discours et ne mettent que très maladroitement en pratique. L'oligarchisation des partis socialistes est un risque permanent qui guette le socialisme, à cause précisément du refus des ³bonzes² de s'immerger dans une substance populaire, qu'ils déclarent inéluctablement irrationnelle par nature, mais qui échappe très souvent au schématisme propret de la raison raisonnante qu'ils ont inscrite sur leur bannière.
Aujourd'hui, les socialismes de diverses moutures se déclarent les héritiers de la révolution française. Or, c'est la révolution française qui supprime les droits d'associations pour les compagnons, les man¦uvres, les ouvriers, les apprentis, de même que pour les corps de métier. Elle fait triompher un droit purement individualiste contre les droits associatifs et les approches différenciées du fait social. Tout au long du XIXième, les ouvriers tenteront de rétablir les associations traditionnelles par la voie du syndicalisme ou, en Angleterre, d'une forme communautaire de socialisme, le guild-socialism. Mais les oligarques des partis socialistes en place ont défendu leur idéologie réelle, pourtant contraire au socialisme de façade qu'ils proclamaient par ailleurs. Les ruptures successives, les scissions, les mutations multiples du discours des gauches ont, au fond, comme motif profond, le refus du mécanicisme individualiste de cette idéologie illuministe et "révolutionnaire". Aujourd'hui, justement, quand les oligarques des partis, les ³bonzes² de Roberto Michels, font montre d'un comportement insatisfaisant, voire d'une complicité avec certains réseaux mafieux (comme en Italie avec Craxi ou en Belgique avec l'affaire Cools qui déshonore ³Palerme-sur-Meuse²), le malaise se traduit à la base par une désertion de l'électorat et, en haut, chez les intellectuels, par des changements de paradigmes et, souvent, par un retour à l'indéracinable nostalgie de la communauté. Aujourd'hui, on reparle dans les cénacles de la gauche pensante, y compris aux Etats-Unis, de ³communautarisme². Discours qui oblige à redécouvrir des liens, des valeurs, que seuls les ³contre-révolutionnaires² du temps de la révolution française et de l'aventure bonapartiste avaient analysées ou défendues.
Généralement, les sources historiographiques relatives à la contre-révolution ne mentionnent, chez les auteurs contre-révolutionnaires, qu'une volonté de retourner à l'ancien régime et de remettre en selle les élites cléricales et aristocratiques renversées par la révolution. Or, parmi les auteurs considérés comme ³contre-révolutionnaires², il y a ceux qui veulent restaurer les libertés et les autonomies ouvrières, en critiquant l'individualisation extrême de la propriété dans le droit bourgeois, qui triomphe à partir de 1789 et se voit finalement codifié, ce que n'avait jamais osé faire l'ancien régime, même si une lente érosion des traditions de solidarité était à l'¦uvre depuis près de deux siècles. En France, la disparition des autonomies de tous ordres a été plus précoce qu'ailleurs en Europe. Les situations y variaient toutefois selon les provinces: à l'Ouest, les prélèvements seigneuriaux sont lourds, dans le Lyonnais, le Midi et la région parisienne, ils ont pratiquement disparus. A la veille de la révolution, le paysannat, alors fond du peuple puisque la révolution industrielle n'a pas encore démarré et que les ouvriers sont quantitativement peu nombreux en France, s'opposent aux prélèvements trop élevés du clergé et du fisc, mais insistent partout sur le maintien des biens communaux, à la libre disposition de toute la communauté villageoise. S'il y a des émeutes avant 1789, c'est contre les détenteurs de "titres seigneuriaux" et contre ceux qui détiennnent une propriété privée installée sur une ancienne terre communale. On pourrait croire donc que le paysannat français, hostile aux privilèges seigneuriaux qui empiètent sur les terres communales, est acquis aux idées républicaines. Mais l'éventail de leurs revendications est réitéré après le grand bouleversement qui secoue la France: les assemblées révolutionnaires reconduisent et même alourdissent les impôts, instaurent une contribution foncière plus lourde que sous l'ancien régime (novembre 1790). On assiste, écrit l'historien Hervé Luxardo, à une révolution dans la révolution: la bourgeoisie renverse l'ancien régime dans les villes, installe son pouvoir qui heurte une paysannerie qui, graduellement, reporte l'hostilité qu'elle vouait aux nobles ou aux bourgeois devenus propriétaires d'anciens biens communaux, aux nouveaux possédants, les "foutus bourgeois", comme les appelait un paysan révolté de Dordogne en 1791. La révolte des campagnes ne distingue pas un noble, partisan du Roi, d'un bourgeois, adepte des théories de la révolution. Quand l'Etat révolutionnaire vend les biens de l'Eglise, qualifiés de "biens nationaux", à des particuliers au lieu de les redistribuer aux villageois, les esprits s'échauffent et l'Ouest du pays s'enflamme: ce sera la chouannerie vendéenne et bretonne.
Pire, nous signale Hervé Luxardo, en décembre 1789, les Constituants abolissent les dernières assemblées populaires où votaient tous les chefs de famille pour les remplacer par des municipalités élues par les seuls citoyens actifs, c'est-à-dire les plus riches! Cette mesure aurait dû mettre fin à la légende d'une révolution française "démocratique". A partir de ce moment, ces notables, coupés d'un peuple qui n'a plus droit à la parole, régissent à leur guise les droits collectifs, si bien que le 28 septembre 1791, le pouvoir établit un "code rural" qui réduit pratiquement à néant le droit de bénéficier des terres, prairies, bois collectifs. Ceux-ci servaient à affronter d'éventuelles disettes et à subvenir aux besoins des plus démunis, surtout en période hivernale. René Sédillot, un autre historien français critique à l'égard de la révolution écrit: Désormais "il n'est plus permis aux vieillards, aux veuves, aux enfants, aux malades, aux indigents, de glaner les épis après la moisson, de profiter des regains, de recueillir la paille pour en faire des litières, de grapiller les raisins après la vendange, de rateler les herbes après la fenaison (...) il n'est plus permis aux troupeaux d'avoir libre accès aux chaumes, aux guérets, aux jachères". Bref, d'un trait de plume, les Constituants bourgeois éliminent la seule sécurité sociale que ces classes démunies détenaient. Cette lacune fera des classes pauvres, des "classes dangereuses", selon la terminologie policière. Les campagnes ne peuvent plus nourrir tous les villageois, provoquant un exode vers les villes ou vers les colonies, entraînant par la suite la naissance d'un socialisme désespéré, agressif.
Dans les villes, les métiers étaient organisés en confréries (maîtres et compagnons) et en compagnonnages (les compagnons seuls, face aux maîtres). Les compagnonnages organisent la solidarité des compagnons et font grève si leurs revendications ne passent pas. Le constituant Isaac Le Chapelier raye d'un trait de plume le droit de nommer des syndics, donc de former des syndicats, interdisant du même coup toute forme de coalition des salariés. Sédillot: "La loi Le Chapelier du 14 juin 1791, met fin à tout ce qui pouvait subsister de libertés ouvrières". Plus tard, le Code civil ignore la législation du travail. Le Consulat de Bonaparte instaure le contrôle policier des ouvriers en leur imposant le "livret". Aucune gauche ne peut être crédible si elle prétend simultanément être héritère de la révolution française, partisane de son idéologie, et défenderesse de la classe ouvrière. Le PS wallon est en contravention flagrante avec l'essence même du socialisme et de la solidarité sociale quand ses ténors comme Philippe Moureaux et Valmy Féaux entonnent des péans dithyrambiques sur la ³grrrrrande révolution² et glorifient sans vergogne les innommables crapuleries commises par les sans-culottes. Toute la lutte sociale du XIXième siècle est en fait une protestation et un refus de cette loi Le Chapelier. En termes philosophiques, l'idéologie mécaniciste de la république française de l'ère révolutionnaire est impropre à assurer les solidarités et entraîne une formidable régression sociale.
Les événements de la révolution française et l'avènement de la révolution industrielle en Angleterre induisent une nouvelle pensée économique de type mathématico-arithmétique, dont l'épitome demeure celle de Ricardo. Aucun contexte ni historique ni géographique n'est pris en compte et il faudra attendre le filon de l'"école historique" allemande, du Kathedersozialismus et de l'institutionnalisme (notamment américain) pour réintroduire des paramètres circonstanciels, historiques ou géographiques, dans la pensée économique, ruinant du même coup l'idée absurde qu'une et une seule science économique puisse unversellement régenter toutes les économies présentes et fonctionnantes sur la Terre.
En conséquence, le socialisme est une réaction contre l'Aufklärung, telle qu'elle a été interprétée par la révolution française et surtout par des Constituants comme Le Chapelier. En ce sens, le socialisme, dans les sentiments qui l'animait au début de sa carrière historique, est fondamentalement conservateur des libertés organiques, des biens commnaux et des modes d'organisation compagnonniques. Ce sentiment est juste (juste dérivant de ius, droit). Mais si le socialisme que nous connaissons actuellement est un échec ou une injustice ou une escroquerie, c'est parce qu'il a trahi les sentiments du peuple, de la même façon que les révolutionnaires français ont trahi leurs paysans. Un socialisme porté par un sens historique et organique, couplé à une doctrine économique héritière de l'"école historique" et du Kathedersozialismus, doit prendre le relais d'un faux socialisme, décontextualisé et mécanique, porté par des doctrines économiques mathématico-arithmétiques et une idéologie franco-révolutionnaire.
Robert STEUCKERS.
Novembre 1994.
Bibliographie:
- F.M. BARNARD, Herder's Social and Political Thought. From Enlightenment to Nationalism, Clarendon Press, Oxford, 1965.
- Michel BOUVIER, L'Etat sans politique. Tradition et modernité, Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1986.
- Louis-Marie CLÉNET, La contre-révolution, Presses universitaires de France, Paris, 1992.
- Bernard DEMOTZ & Jean HAUDRY (Hrsg.), Révolution et contre-révolution, Ed. Porte-Glaive, Paris, 1989.
- Jean EHRARD, L'idée de nature en France à l'aube des Lumières, Flammarion, Paris, 1970.
- Georges GUSDORF, La conscience révolutionnaire. Les idéologues, Payot, Paris, 1978.
- Georges GUSDORF, L'homme romantique, Payot, Paris, 1984.
- Panajotis KONDYLIS, Die Aufklärung im Rahmen des neuzeitlichen Rationalismus, DTV/Klett-Cotta, München/Stuttgart, 1986.
- Panajotis KONDYLIS, Konservativismus. Geschichtlicher Gehalt und Untergang, Klett-Cotta, Stuttgart, 1986.
- Jean-Jacques LANGENDORF, Pamphletisten und Theoretiker der Gegenrevolution 1789-1799, Matthes & Seitz, München, 1989.
- Hervé LUXARDO, Rase campagne. La fin des communautés paysannes, Aubier, Paris, 1984.
- Hervé LUXARDO, Les paysans. Les républiques villageoises, 10°-19° siècles, Aubier, Paris, 1981.
- Stéphane RIALS, Révolution et contre-révolution au XIX° siècle, DUC/Albatros, Paris, 1987.
- Antonio SANTUCCI (Hrsg.), Interpretazioni dell'illuminismo, Il Mulino, Bologna, 1979 [in dieser Anthologie: cf. Furio DIAZ, "Tra libertà e assolutismo illuminato"; Alexandre KOYRÉ, "Il significato della sintesi newtoniana"; Yvon BELAVAL, "La geometrizzazione dell'universo e la filosofia dei lumi"; Lucien GOLDMANN, "Illuminismo e società borghese"; Ira O. WADE, "Le origini dell'illuminismo francese"].
- René SÉDILLOT, Le coût de la révolution française, Librairie académique Perrin, Paris, 1987.
- Barbara STOLLBERG-RILINGER, Der Staat als Maschine. Zur politischen Metaphorik des absoluten Fürstenstaats, Duncker & Humblot, Berlin, 1986.
- Raymond WILLIAMS, Culture and Society 1780-1950, Penguin, Harmondsworth, 1961-76.
11:50 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
jeudi, 18 janvier 2007
Entretien avec Günter Maschke
Entretien avec Günter Maschke : De la misère allemande actuelle
Propos recueillis par Jürgen Schwab
17:11 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Connaître l'ennemi : le plan Brzezinski
Max STEENS:
Connaître l'ennemi, c'est analyser le Plan Brzezinski !
17:10 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Entretine avec Ph. Banoy (Ecole des cadres)
Entretien avec Philippe Banoy sur l'école des cadres (Wallonie) de Synergies européennes:
17:06 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Vitales Denken ist inkorrekt !
Vitales Denken ist inkorrekt !
(Interview durch Jürgen Hatzenbichler für Zur Zeit / Wien und Junge Freiheit / Berlin).
17:04 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Entretien accordé à SYNTHESIS/Rose Noire
Entretien accordé par Robert Steuckers à Synthesis (Londres)
Propos recueillis par Troy Southgate
17:02 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Entretien avec Marc. Eemans
Entretien avec Marc. Eemans, le dernier des surréalistes de l'école d'André Breton
Propos recueillis par Koenraad Logghe & Robert Steuckers.
16:59 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Entretien sur Synergies Européennes
Entretien avec Robert Steuckers: Pour préciser les positions de "Synergies Européennes" :
16:57 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Entrevista con Robert Steuckers (Espanol)
ENTREVISTA CON ROBERT STEUCKERS sobre política, revolución-conservadora, espiritualidad y "Synergies"
Realizada para Troy SOUTHGATE
Pregunta: ¿Cuándo y por qué decidiste involucrarte en política?
Robert Steuckers: Hasta la actualidad, nunca me he involucrado en política, nunca he sido miembro de un partido político. No obstante, soy un ciudadano interesado en cuestiones políticas pero, por supuesto, no en los usos triviales que tiene la palabra "política". Para mí, "política" significa mantener continuidades, o, si así se prefiere, tradiciones, pero tradiciones que estén involucradas en la historia actual de una particular comunidad humana.
Empecé a leer libros sobre historia y política a los 14 años. Esto me condujo a un rechazo de las ideologías establecidas, que para mí carecen de valor. Desde los 15 años, con la ayuda de un profesor de historia de la escuela secundaria, el querido señor Kennof, comprendí que las gentes pueden entender los rumbos esenciales de la historia en claves simples, usando atlas históricos, por ejemplo (los colecciono, desde entonces), para así aprehender en un vistazo las principales fuerzas que animan la escena mundial en un momento preciso del tiempo. Los mapas son muy importantes para los políticos de alto nivel (para los diplomáticos, por ejemplo). La idea principal que adquirí en la juventud es que todas las ideologías o pensamientos o impresiones buscan librarse del pasado, y que negar los lazos que el pueblo tiene con sus continuidad histórica era un error fundamental. En consecuencia, todas las acciones políticas, desde mi punto de vista, debieran asegurar la continuidad histórica y política, y que las acciones futuristas son también necesarias para salvar una comunidad de las repeticiones estériles de hábitos y costumbres obsoletos.
Los discursos de muchas ideologías, incluyendo las varias expresiones de la así llamada "extrema derecha", aparecían ante mis ojos artificiales para las necesidades del mundo occidental, como el comunismo fue una abstracción frente a la historia rusa, y una abstracción todavía mayor en los diferentes pueblos sujetos al rol soviético después de 1945. La ruptura de la continuidad o la repetición de "formas" pasadas ya muertas concluyen en la confusión político-ideológica que vivimos hoy día, donde los conservadores no son conservadores, ni los socialistas socialistas.
Las ideas políticas fundamentales, ante mis ojos, están mejor representadas por las "órdenes" que por los partidos políticos. Las "órdenes" proveen a sus afiliados de una educación continua e incluyen la noción de servicio. Las "órdenes" nunca se fijan meros objetivos políticos de pequeñas ambiciones. Tales "órdenes" fueron las órdenes de caballería, en la Edad Media y Renacentista europea. La noción de "fotowwa" en la Persia islámica obedece a esta idea, como también algunos experimentos en pleno siglo XX (La Legión de San Miguel Arcángel, del rumano Cornelio Codreanu, el "Verdinaso" flamenco, etc.)
Por favor, explíquenos qué entiende por el término "Revolución Conservadora" y, si es posible, indíquenos algunas de sus claves ideológicas y de sus figuras fundamentales.
Cuando el compuesto "Revolución Conservadora" fue usado en Europa, fue mayormente en el sentido que le dio Armin Mohler en su famoso libro "Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932". Mohler dictó una larga lista de autores que rechazaban los pseudo-valores de 1789 (despreciados por Edmund Burke como meros "blue prints"), ensalzaban el rol de la germanidad en la evolución del pensamiento europeo y recogían la influencia de Nietzsche. Mohler evitó las instancias puramente religiosas "conservadoras", fuesen católicas o protestantes. Para Mohler, el punto esencial de contacto de la "Revolución Conservadora" era una visión no-lineal de la historia, pero no recogió simplemente otra vez la visión cíclica del tradicionalismo. Después de Nietzsche, Mohler creyó en una concepción esférica de la historia. ¿Qué significa esto? Esto significa que la historia no es una simple repetición de los mismos sucesos a intervalos regulares, ni un camino recto que conduzca a la bienaventuranza, al fin de la historia, al Paraíso en la Tierra, a la felicidad, etc., sino que se asemeja a una esfera que puede rodar (mejor dicho, ser empujada) en todas direcciones, acorde con los impulsos que reciba de las personalidades carismáticas, fuertes. Tales personalidades carismáticas dirigen el curso de la historia hacia algunas vías muy particulares, vías que de ningún modo están previamente fijadas por la mano de la providencia. Mohler, en este sentido, nunca creyó en las doctrinas políticas universalistas, sino en las personalidades que las encarnaban. Al igual que Jünger, creía que lo "general" (en su sentido histórico) es residuo de lo "particular". Mohler expresó su visión de las dinámicas particulares usando el muy problemático término de "nominalismo". Para él, "nominalismo" era la expresión certera que quería indicar cómo las fuertes personalidades y sus seguidores eran capaces de abrir nuevas y originales vías en la jungla de la existencia.
Las principales figuras del movimiento fueron Spengler, Moeller van den Bruck y Ernst Jünger (y su hermano Friedrich-Georg). Podemos añadir a este triunvirato los nombres de Ludwig Klages y Ernst Niekisch. Carl Smitt, como abogado católico y constitucionalista, representa otro aspecto importante de la llamada "Revolución Conservadora".
Spengler quedará como el autor de un brillante fresco de las civilizaciones mundiales que inspiró al filósofo británico Arnold Toynbee. Spengler habló de Europa como civilización faústica, cuya mejor expresión fue las catedrales góticas, la interacción de la luz y los colores de las vidrieras, las tormentas de nieve con nubes blancas y grises de muchas pinturas holandesas, inglesas y alemanas. Esta civilización es una aspiración del alma humana hacia la luz y hacia el autocompromiso. Otra importante idea de Spengler es la idea de "pseudo-morfosis": una civilización nunca desaparece completamente tras una decadencia o una conquista violenta. Sus elementos pasan a la nueva civilización que asume su sucesión y reemprende las vías originales.
Moeller van den Bruck fue el primer traductor alemán de Dostoievski. Se dejó influir profundamente por los diarios de Dostoievski, tan llenos de severas críticas al Occidente. En el contexto alemán después de 1918, Moeller van den Bruck abogaba, con argumentos de Dostoievski, por una alianza Rusogermana contra el Oeste. ¿Cómo podían los respetables caballeros alemanes, con una inmensa cultura artística, mostrarse a favor de una alianza con los bolcheviques? Sus argumentos fueron los siguientes: durante toda la tradición diplomática del siglo XIX, Rusia fue considerada el escudo de la reacción contra todas las repercusiones de la Revolución Francesa y contra la mentalidad y los modos revolucionarios. Dostoievski, un antiguo revolucionario ruso que más tarde admitió que su opción revolucionaria fue un error, consideraba más o menos que la misión de Rusia en el mundo era borrar en Europa los rastros de las ideas de 1789. Para Moeller van den Bruck, la Revolución de Octubre de 1917 solo fue un cambio de ropajes ideológicos: Rusia continuaba siendo, a despecho del discurso bolchevique, el antídoto a la mentalidad liberal de Occidente. Derrotada, Alemania debiera aliarse a esta fortaleza antirrevolucionaria para oponerse al Occidente, que a los ojos de Moeller van den Bruck es la encarnación del liberalismo. El liberalismo, expresa Moeller van den Bruck, es siempre la enfermedad terminal de los pueblos. Tras unas décadas de liberalismo, un pueblo entrará inexorablemente en una fase de decadencia final.
El camino seguido por Ernst Jünger es suficientemente conocido. Empezó como un ardiente soldado y joven galante en la Primera Guerra Mundial, formando en las trincheras parte de los cuerpos de asalto que manejaban la granada de mano con la misma elegancia que los oficiales británicos usaban la fusta. Para Jünger, la Primera Guerra Mundial fue el fin del mundo pequeño burgués del XIX y de la "Belle Epoque", donde todo había de ser "como debía ser", por ejemplo, obrar acorde a los ejemplos ofrecidos por profesores y sacerdotes, como hoy se obra de acuerdo a las autoproclamadas reglas de la "corrección política". Bajo las "tempestades de acero", el soldado se veía reducido a la nada, a su mero y frágil ser biológico, pero esta visión no significó a los ojos de Jünger una excusa para un pesimismo inepto, de miedo y desesperación. Habiendo experimentado el más cruel de los destinos en las trincheras, bajo el bombardeo de miles de piezas de artillería que sacuden la tierra, viendo todo reducido a lo "elemental", el soldado de infantería conoció mejor que otros el cruel destino humano sobre la faz de la tierra. Toda la artificialidad de la vida civilizada urbana apareció de repente como pura impostura. En la posguerra, Ernst Jünger y su hermano Friedrich-Georg fueron los mejores escritores y periodistas nacional-revolucionarios. Ernst se armó de una buena dosis de cinismo, ironía y serenidad a la hora de observar la vida y los actos humanos. Durante un bombardeo sobre un suburbio parisino, donde las fábricas estaban produciendo material de guerra para el ejército alemán durante la Segunda Guerra Mundial, Jünger se aterrorizó ante la innatural ruta aérea, recta, tomada por las fortalezas aéreas norteamericanas. La linealidad de las rutas aéreas hacia París era la negación de todas las curvas y sinuosidades de la vida orgánica. En la guerra moderna está implícita la destrucción de los devaneos y las serpentinas que caracterizan lo orgánico. Ernst Jünger empezó su carrera como un escritor apologista de la guerra. Después de haber observado las irresistibles arremetidas de los B-17 americanos, se desengañó completamente de los antivalores desplegados en la guerra por la pura técnica. Después de la Segunda Guerra Mundial, su hermano Friedrich-Georg escribió el primer trabajo teórico crítico al desarrollo de la nueva Alemania en clave ecologista, "Die Perfektion der Technik" (La Perfección de la Técnica). La idea principal de este libro, a mi entender, es la crítica de la "conexión". El mundo moderno es un proceso de intento de conexión de las comunidades humanas y los individuos a grandes estructuras. Este proceso de conexión destruye el principio de libertad. Eres un pobre proletario encadenado si estás "conectado" a una gran estructura, aunque ganes 3000 libras al mes, o más. Eres un hombre libe cuando estás completamente desconectado de esos enormes tacones de acero. En cierto sentido, Friedrich-Georg escribió la teoría que Kerouac experimentó de forma no teórica mediante la elección de la "caída" y del "viaje", convirtiéndose en un cantante vagabundo.
Ludwig Klaes fue otro filósofo de la vida orgánica contra el pensamiento abstracto. Para él, la dicotomía principal se daba entre la Vida y el Espíritu ("Leben und Geist"). La vida se encuentra aplastada por el espíritu abstracto. Klages nació en la Alemania del Norte, pero emigró, como estudiante, a Munich, donde gastó su tiempo libre en las tabernas de Schwabing, el distrito donde se reunían los artistas y los poetas (y donde todavía se reúnen). Fue amigo del poeta Stephan Georg y un estudioso de las más originales figuras de Schwabing, como el filósofo Alfred Schuler, quien creía ser la reencarnación de un colono romano en la Germania de las orillas del Rhin. Schuler tenía un genuino sentido del teatro. Solía disfrazarse con la toga de los emperadores romanos, admiraba a Nerón y montaba representaciones recordando la audiencia del antiguo mundo grecorromano. Pero más allá de su vida de fantasía, Schuler adquirió una importancia cardinal en filosofía por su hincapié en la idea de "Entlichtung", es decir, la desaparición gradual de la Luz desde los tiempos de la antigua Ciudad-Estado griega y la Italia romana. No hay progreso en la historia, sino todo lo contrario, la Luz se va desvaneciendo, al igual que la libertad del ciudadano libre a la hora de elegir su propio destino. Hannah Arendt y Walter Benjamin, desde la izquierda de la postura conservadora-liberal, se inspiraron en esta idea y la adaptaron a diferentes audiencias. El mundo moderno es el mundo de la completa oscuridad, donde existen pocas esperanzas de encontrar de nuevo períodos donde "ser-iluminados", a menos de dar con personalidades carismáticas, como Nerón, dedicado al arte y a los modos dionisíacos de la vida, que nos introduzcan en una nueva era de esplendor, la cual habría de durar sólo como la bendita estación de la primavera. Klages desarrolló las ideas de Schuler, quien nunca escribió un libro completo, después de su muerte en 1923, debido a una operación mal preparada. Klages, justo antes de la Primera Guerra Mundial, pronunció un famoso discurso en la colina de Hoher Meissner, en la Alemania central, frente a la asamblea de los "Wandervogel", el movimiento de la juventud. Este discurso tenía en título de "El Hombre y la Tierra", y puede ser visto como el primer manifiesto orgánico-ecologista, claro y compresible, no obstante sus sólidos fondos filosóficos.
Carl Schmitt empezó su carrera como profesor de derecho en 1921, aun cuando vivió hasta la respetable edad de 97 años, escribiendo su último ensayo a los 91 años. No puedo enumerar todos los puntos importantes de la obra de Carl Schmitt en el curso de esta modesta entrevista. Resumámoslos diciendo que Schmitt desarrolló dos ideas fundamentales: la idea de la decisión en la vida política y la idea del "Gran Espacio". El arte de dar forma a la política, el arte de una buena figura política, reside en la decisión, no en la discusión. El líder ha de tomar decisiones en orden a guiar, proteger y desarrollar la comunidad política. La decisión no es dictatorial, como dicen ahora muchos liberales en estos tiempos de la corrección política. Al contrario: una personalización del poder es algo más democrático, en el sentido de que un rey, un emperador o un líder carismático es siempre una persona mortal. El sistema que impone eventualmente no es eterno, terminará muriendo como todo ser humano. Un sistema nomocrático, al contrario, trata de permanecer eterno, incluso cuando los eventos e innovaciones contradigan sus normas o principios. El segundo gran tema de los trabajos de Schmitt es la idea del "Grossraum", el Gran Espacio Europeo. Los poderes "fuera-del-espacio" estarían impedidos para intervenir en el cuerpo de este Gran Espacio. Schmitt quería aplicar en Europa el mismo principio que animó el presidente Monroe de los Estados Unidos: "América para los americanos". Schmitt podría compararse a los "continentalistas" norteamericanos, críticos con las intervenciones de Roosevelt en Europa y Asia. Los iberoamericanos también desarrollaron similares ideas continentalistas, y los imperialistas japoneses que hablaban del Gran Área del Pacífico. Schmitt dotó a esta idea del "Gran Espacio" de una fuerte base jurídica.
Niekisch es una figura fascinante en el sentido en que su debut público lo ejerció como líder comunista del "Soviet" de la República Bábara de 1918-19, que fue aplastado por los Freikorps de von Epp, von Lettow-Vorbeck, etc. Obviamente, Niekisch se desilusionó por la ausencia de una visión histórica en el trío bolchevique de la revolución muniquesa (Lewin, Keviné, Axelrod). Niekisch desarrolló una visión eurasiática, basada en la alianza entre la Unión Soviética, Alemania y China. La figura ideal que habría de ejercer como motor humano de esta alianza era el campesino, el adversario de la burguesía occidental. Aquí es obvio un cierto paralelismo con Mao-Tse-Tung. En las revistas que editó Niekisch descubrimos continuamente tentativas germanas de apoyo a todos los movimientos antibritánicos o antifranceses en sus imperios coloniales o en Europa (Irlanda contra Inglaterra, Flandes contra la Bélgica afrancesada, el nacionalismo Indio contra la Gran Bretaña, etc.).
Espero haber explicado en pocas palabras las principales tendencias de la llamada Revolución Conservadora en Alemania entre 1918 y 1933. También espero que quienes conozcan este movimiento pluridimensional puedan perdonar mi introducción esquemática.
¿Tiene usted un "ángulo espiritual"?
Para contestar esta pregunta, intentaré ser sucinto. En el grupo de amigos que intercambiábamos ideas políticas y culturales a finales de los setenta, nos topamos con la obra de Julius Evola "Rebelión contra el mundo moderno". Algunos rechazaban totalmente cualquier predispuesto espiritual, argumentando que se trataba de especulaciones estériles: preferían leer a Popper, Lorenz, etc. Yo acepté algunas de sus críticas, y todavía me disgustan algunos argumentos de las especulaciones evolianas, alegando un mundo espiritual de la Tradición contra toda realidad. El peligro está en desatender el mundo real como mera trivialidad; pero este es, por supuesto, el culto a la Tradición principalmente apoyado por los jóvenes "que sienten el mal en su propia piel", como dice el refrán inglés. El sueño de vivir como seres de cuentos de hadas es una forma de rechazo de la realidad. Pero en el capítulo 7 de "Rebelión contra el mundo moderno", Evola, al contrario, reafirma la importancia de los "numena", las fuerzas que actúan en las cosas, los fenómenos (mejor "los poderes") naturales. Evola describe cómo la primitiva mitología romana ponía el acento en los "numena" antes que en las divinidades personalizadas. Hago mía esta idea. Más allá de la gente y de los dioses de las religiones usuales (sean paganos o cristianos), existen fuerzas actuantes, y el hombre puede colocarse en concordancia con ellas, con objeto de salir triunfante en sus acciones terrenas. Mi orientación religiosa-espiritual es más mística que dogmática, en el sentido de la tradición mística de Flandes y Renania (Ruusbroec, Meister Eckhart!), pero también en el sentido seguido por Ibn Arabi en el área musulmana o de Sohrawardi entre los persas, que admiraban el real esplendor de la vida y del mundo. En estas tradiciones se rechaza el culto dogmático, la dicotomía entre la divinidad, lo sagrado, por una parte, y el mundo, lo profano, por la otra. Las tradiciones místicas significan la omni-compenetración y la sinergia de todas las fuerzas actuantes en el mundo.
Me gustaría que explicase a nuestros lectores el por qué dedica tanta importancia a conceptos tales como geopolítica o eurasismo.
La geopolítica es una mixtura de historia y geografía o, en otras palabras, del tiempo y del espacio. La geopolítica es un conjunto de disciplinas (no una disciplina) que interesan a un buen gobierno en el tiempo y en el espacio. Como punto de contacto entre la historia y la geografía, la geopolítica interesa a todo poder serio que se entienda a sí mismo como institución, es decir, como continuidad histórica. Ningún poder serio puede sobrevivir sin una dominación y una sujeción de la tierra y el espacio. Todos los imperios tradicionales, antes que nada, organizaban la tierra mediante la construcción de vías de comunicación (Roma es el ejemplo) o mediante el control de grandes ríos navegables (Egipto, Mesopotamia, China), y solo así pudo emerger una larga historia, en el sentido de continuidad. Y de ahí también el nacimiento de las primeras ciencias prácticas (astronomía, meteorología, geografía, matemáticas) bajo la protección de estructuras armadas, con un código del honor especialmente codificado en Persia, matriz de las órdenes de caballería. L Imperio Romano, primer Imperio sobre el solar europeo, se centralizó alrededor del Mediterráneo. El Sacro Imperio Romano-Germánico no encontró su propio corazón, tan bien organizado como lo era el Mediterráneo. Las vías fluviales de Centroeuropa conducían al Mar del Norte, el Báltico y el Mar Negro, pero no estaban conectadas entre ellas. Esta fue la verdadera tragedia de la historia germana y europea. La nación fue devorada por las fuerzas centrífugas. El emperador Federico II Hohenstaufen intentó restaurar el control del Mediterráneo, con Sicilia como pieza geográfica central. Su intento fue un trágico fracaso. Sucede que sólo ahora la emergencia de una renovada forma imperial (bajo una ideología moderna) es posible en Europa: después de la realización del proyecto "Blue Stream", la apertura de un canal que permita el tráfico fluvial entre el Rhin y el Danubio. Una conexión directa entre el Mar del Norte (incluyendo el sistema fluvial del Támesis en Gran Bretaña) y el Mar Negro, permitiendo a las fuerzas económicas y culturales centroeuropeas extenderse hasta las orillas de los mismos países caucásicos. Quienes posean una buena memoria histórica, no cegada por los tópicos ideológicos del modernismo, recordarán el rol de las orillas del Mar Negro en la historia espiritual de Europa: en Crimea, muchas viejas tradiciones, paganas y bizantinas, fueron preservadas en las cavernas de los monjes. Las influencias de Persia, especialmente los valores de la vieja caballería zoroástrica, alcanzaron la Europa central y Occidental también siguiendo las orillas del Mar Negro. Sin estas influencias, Europa estaría espiritualmente mutilada.
Por ende, el área del Mediterráneo, el Rhin (con su afluente el Rhone) y el Danubio, los ríos navegables rusos que desembocan en el Mar Negro y el mismo Mar negro y el Cáucaso pueden constituirse en una verdadera área de civilización, defendida por una fuerza militar unificada, basada en una espiritualidad heredera de la antigua Persia. Esto es lo que significa, a mis ojos, Eurasia. Mi posición es levemente diferente a la de Alexandr Duguin, y ambas posiciones son perfectamente compatibles.
Cuando los otomanos tomaron el control completo en la Península Balcánica, en el siglo XV, las rutas terrestres estuvieron prohibidas a los europeos. Además, con la ayuda de los piratas berberiscos del Norte de África, con base en Argel y capitaneados por Barbarroja, los turcos cerraron el Mediterráneo al comercio pacífico europeo y a su expansión hacia la India y China. El mundo musulmán trabajó en el sentido de degollar mediante el bloqueo a Europa y a Moscovia, corazón del futuro Imperio Ruso. Todos ellos, europeos y rusos fijaron sus esfuerzos en la destrucción del bloqueo Otomano. Los portugueses, los españoles, los ingleses y los holandeses lo intentaron mediante la búsqueda de nuevas rutas marinas, circunvalando el África y las masas terrestres asiáticas, arruinando primero el reino de Marruecos y su monopolio del oro procedente de las minas del África Ecuatorial, y que clamaba para construir una armada capaz de conquistar de nuevo la Península Ibérica. Con sus expediciones al África Occidental, los portugueses fueron ellos mismos a buscar el oro, y Marruecos se convirtió en un mero poder residual. Más tarde, los portugueses regresaron de la India con el primer cargamento de especias, rompiendo para siempre el bloqueo otomano, dando también por vez primera una verdadera dimensión eurasiática a la historia europea.
Al mismo tiempo, los rusos estaban rechazando a los tártaros, tomando la ciudad de Kazán y rompiendo el cerrojo tártaro del bloqueo musulmán. Fue el comienzo de la perspectiva geopolítica eurasista rusa.
El blanco de la estrategia global americana, desarrollada por un hombre como Zbigniew Bzrzezinski, es recrear artificialmente el bloqueo musulmán, sosteniendo y apoyando el militarismo turco y el panturanismo. En esta perspectiva, apoyaron tácitamente, y todavía secretamente, las reivindicaciones marroquíes sobre las Islas Canarias y usan a Pakistán para impedir los contactos territoriales entre la India y Rusia. Por ello es doblemente necesario para la Europa y para la Rusia de hoy recordar la contraestrategia elaborada por TODOS los pueblos europeos en los siglos XV y XVI. La historia europea siempre ha sido pensada en claves y visiones pequeño-nacionalistas. Es hora de reconsiderar la historia europea en claves y visiones de convergencias y alianzas comunes. Las hazañas marinas de los portugueses y las hazañas terrestres de los rusos son ambas convergentes, convergentes como acciones de Eurasia. La batalla de Lepanto, en la cual las flotas genovesa, veneciana y española unieron esfuerzos bajo la dirección de Don Juan de Austria para controlar el área mediterránea oriental, es un modelo histórico para meditar y recordar. Pero la más importante alianza eurasiática fue sin duda la Santa Alianza liderada por Eugenio de Saboya, a fines del siglo XVII, que hizo retroceder a los otomanos en 400.000 kilómetros cuadrados de tierra en los Balcanes y en el sur de Rusia. Esta victoria permitió a los zares rusos del siglo XVIII, especialmente a Catalina la Grande, vencer en otras ocasiones otras batallas decisivas.
Mi eurasismo (y, por supuesto, todo mi pensamiento geopolítico) es una clara respuesta a la estrategia de Bzrzezinski y está profundamente enraizada en la historia europea. No es comparable en absoluto con las estúpidas posturas de algunos pseudo-nacional-revolucionarios chiflados, ni con las bonitas estampas estéticas de los neo-derechistas que quieren pasar por filósofos. Por otra parte, he de hacer una última anotación sobre geopolítica y eurasismo: mis principales fuentes de inspiración son inglesas, como el atlas histórico de Colin McEvedy, los libros de Peter Hopkirk sobre los servicios secretos en el Cáucaso y en Asia Central, a lo largo de la Ruta de la Seda y en el Tibet, las reflexiones de Arnold Toynbee en sus veinte volúmenes de "A Study of History".
¿Cuál es su visión de Estado? ¿es necesario tener sistemas o infraestructuras como medios de organización sociopolítica, o piensa usted que una forma descentralizada de tribalismo e identidad étnica pudiera ser una mejor solución?
Su pregunta requiere un libro entero para ser contestada en su integridad. Primero, quisiera decir que es imposible tener una visión de "EL" Estado, pues hay muchas formas de Estado en el mundo. Por supuesto, hay que hacer distinciones entre un Estado, que todavía es un genuino y eficiente instrumento para la promoción de un pueblo, y también para proteger su civilización contra las amenazas maquinadas por sus enemigos externos o internos, o naturales (calamidades, inundaciones, hambrunas, etc.). El Estado es esculpido por un pueblo viviendo en un territorio específico dado. Por supuesto, soy crítico con los estados artificiales, como aquellos que son impuestos por las así llamadas necesidades universales. Tales estados son simples máquinas para someter o explotar una población por una oligarquia o por intereses alógenos. Una organización de los pueblos, acorde con los criterios étnicos, podría ser una solución ideal, pero desafortunadamente, como los eventos en los Balcanes nos han mostrado, la mengua y el flujo de poblaciones en la historia de Europa, África o Asia muy a menudo ha desplazado a los grupos étnicos más allá de sus fronteras naturales, instalándose en territorios formalmente controlados por otros. Los estados homogéneos no pueden construirse en tales situaciones. Esta ha sido la fuente de muchas tragedias, especialmente en la Europa Oriental y Central. La única perspectiva, hoy, es pensar en términos de Civilización, como propone Samuel Huntington en su famoso artículo y libro "The Clash of Civilisations" ("El choque de las Civilizaciones"), escrito en 1993.
En 1986, usted escribió: "la Tercera Vía existe en Europa al nivel de teoría, lo que necesita son militantes" ("Europe: A New Perspective", en The Scorpion, Issue #9, p.6). ¿Es todavía el caso, o ha habido cambios desde entonces?
Básicamente, la situación es la misma. O quizás peor, porque, al avanzar en edad, puedo percatarme que los niveles de educación clásica se han desvanecido. Nuestro modo de pensar es en cierto sentido spengleriano, abarcando toda la historia del género humano. Guy Debord, líder de los situacionistas franceses desde finales de los cincuenta a los ochenta, pudo observar y deplorar que la "sociedad del espectáculo" o "show society" tiene como objetivo principal destruir todos los modos de pensamiento basados en términos históricos para reemplazarlos por tópicos artificiales o simples embustes. La erradicación de las perspectivas históricas de las cabezas de los alumnos, de los estudiantes y de los ciudadanos, por medio del trabajo diluido de los mass-media, es la gran manipulación que nos conduce a un mundo orwelliano, sin memoria. En una situación tal, todos nos arriesgamos al aislamiento de Winston-Smiths. No hay tropas frescas de voluntarios dispuestas a ese esfuerzo.
Para finalizar, háblenos sobre su compromiso con "Synergies Européennes" y sus planes para el futuro.
"Synergies" fue creado con la idea de agrupar gentes de todos sitios, especialmente quienes publicaban revistas, con la idea de difundir más rápidamente los mensajes que nuestros autores habían desarrollado. Pero el conocimiento de lenguas siempre es un problema. Siendo políglota, como usted sabe, siempre me he abrumado ante la repetición de los mismos argumentos en todos los niveles nacionales. Marc Lüdders, de Synergon-Alemania, coincide conmigo. Es triste que los numerosos e importantes trabajos desarrollados en Italia no sean conocidos en Francia o Alemania, y viceversa. Con relación a lo aquí dicho, mi mayor deseo seria ver cómo el intercambio de textos se realiza de forma rápida en los próximos veinte años.
16:45 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Karl Wittfogel et les sociétés hydrauliques
Robert Steuckers
Karl A. Wittfogel: sociétés orientales, sociétés hydrauliques et despotisme oriental
Intervention de Robert Steuckers à la 8ième Université d'été de "SYNERGIES EUROPÉENNES", Gropello de Gavirate, été 2000
Pourquoi nous pencher aujourd'hui sur la biographie, l'oeuvre et le contexte de Karl August Wittfogel?
Trois raisons majeures nous ont poussés à parler de Karl August Wittfogel dans le cadre de cette huitième université d'été de "Synergies Européennes", qui, comme les universités précédentes, entend rouvrir le dossier de nombreux auteurs oubliés ou trop rarement évoqués dans le créneau culturel que nous nous sommes assigné.
La première de ces raisons, c'est que Wittfogel est un grand sociologue germano-américain, à qui l'on doit des concepts importants comme ceux de «société orientale», de «société hydraulique» et de «despotisme oriental».
La deuxième raison qui nous pousse à le redécouvrir et à l'étudier, c'est le double environnement culturel dont il est issu: d'une part, le mouvement de jeunesse des Wandervögel; d'autre part, le mouvement communiste allemand naissant, l'USPD, puis la KPD, pour aboutir, dans ce milieu marxiste, dans la fameuse "Ligue anti-impérialiste", espace de transition entre communistes du parti et mouvance nationale-révolutionnaire, en révolte contre l'Ouest.
La troisième raison, enfin, est d'ordre théorique et philosophique. Wittfogel est un homme qui complète Marx d'une manière originale et féconde, comme nous allons le voir. Wittfogel met en exergue certaines sources importantes de la pensée de Marx, qui sont aussi les sources vives de notre propre démarche politique:
- le relativisme culturel de Herder,
- la pensée ancrée dans le temps, l'espace, le climat, le donné ethnique de Montesquieu,
- la géographie de Carl Ritter, père de la cartographie moderne (cf. Robert Steuckers, "Carl Ritter", in: Encyclopédie des Oeuvres philosophiques, PUF, 1992; et "Aux sources de la géopolitique allemande: la vision de Carl Ritter", in: Vouloir, n°9-nouvelle série, 1997).
Wittfogel ajoute une touche rationaliste, propre des Lumières françaises, à ce triple corpus, en évoquant souvent le matérialisme de d'Holbach et d'Helvétius. L'objectif premier de Wittfogel est de mettre l'accent sur l'historicité des phénomènes, de tous les phénomènes, de façon à les dégager de la cangue des corpus figés, qui sont toujours les signes d'un blocage mental et les raisons d'une inertie politique conduisant au déclin.
En ce sens, Wittfogel perçoit le marxisme, son option philosophique, politique et révolutionnaire, comme un instrument qui va contribuer à «dé-coincer» les phénomènes, à les dégager des corsets conceptuels trop figés et trop étroits qui les soustraient au temps. Wittfogel, apparemment, ne s'aperçoit pas que le marxisme lui-même s'est rigidifié en dogmes, dès l'inclusion de la sociale-démocratie dans le paysage politique allemand avant 1914; le jeune Wittfogel, contrairement aux nationaux-révolutionnaires disciples de Sorel (y compris en Allemagne), ne retient pas la leçon de Roberto Michels, théoricien socialiste dissident, critique de la transformation de la SPD en une oligarchie politique fermée. Michels ironisait cruellement sur la Verbonzung, la Verkalkung et la Verbürgerlichung du socialisme, déjà avant que n'éclate la première guerre mondiale (ces termes polémiques allemands signifient, rappelons-le: bonzification, c'est-à-dire, domination progressive des «bonzes», artériosclérose et embourgeoisement).
Un intérêt réel pour la géopolitique
Wittfogel réhabilite complètement le rôle de la géographie dans la pensée politique. Sa source principale d'inspiration, à ce niveau, est Montesquieu, qui s'est penché sur l'importance du climat. Wittfogel évoque aussi le sol, socle d'une production agricole précise, différentes selon le lieu et la population qui l'occupe. Wittfogel n'évacue pas les facteurs ethniques voire raciaux, en citant notamment Hippolyte Taine (et on sait, depuis les travaux de Zeev Sternhell, le rôle important de Taine dans l'éclosion et la consolidation de la "droite révolutionnaire" française). Wittfogel s'intéresse dès lors à la géopolitique de son temps: il cite tour à tour Richthofen, Kjellén, Ratzel, Haushofer, et, pour faire pendant à ces penseurs de l'espace classés plutôt dans le camp «révolutionnaire-conservateur», il évoque souvent l'Américaine Ellen Semple et l'Anglais J. F. Horrabin, tous deux d'obédience socialiste. Horrabin se déclare disciple du géographe français anarchisant, Elisée Reclus, tout comme un autre rénovateur actuel de la pensée géopolitique, Yves Lacoste, qui dérive ses propres intuitions de la géographie vivante de Reclus.Voici donc les raisons «scientifiques» qui doivent nous conduire à une relecture des écrits de Wittfogel. Mais, à part ces raisons «scientifiques», il y a des raisons très actuelles de ressortir les ouvrages de cet ancien Wandervogel passé au communisme allemand.
Maîtrise de l'eau et "sociétés hydrauliques"
Ses réflexions sur les «sociétés hydrauliques» nous rappellent, de façon très réaliste, que le politique prend son envol par la maîtrise de l'eau: acquisition d'eau potable, irrigation permettant des cultures régulières, soustraites aux caprices de la nature, utilisation des voies fluviales pour permettre le transport de grandes quantités de marchandises. La maîtrise de l'eau est une donnée propre à toutes les sociétés organisées, fussent-elles les plus modestes. Elle implique toutefois une discipline collective, parfois coercitive, que l'on peut assimiler, notamment avec le jeune Wittfogel, à l'autoritarisme politique.
La naissance des Etats et des empires, comme la Chine (Wittfogel se profile surtout comme un grand sinologue), l'Egypte ou la Mésopotamie, prouve la pertinence des thèses de Wittfogel. Mais celui-ci n'est pas seulement un historien des grandes puissances hydrauliques du passé, il ose faire des comparaisons et ramener sa théorie dans le présent. Il trace ainsi un parallèle entre ces grands empires de l'antiquité et les deux grandes puissances de son époque, l'URSS et les Etats-Unis. Dès l'avènement de Staline, l'URSS amorce de grands travaux «hydrauliques»: creusement de canaux, liaisons entre les grands fleuves (p. ex. le Don et la Volga), barrages, irrigations, etc. Grâce à ces travaux, l'URSS acquiert le statut de superpuissance et la Russie actuelle, en dépit du ressac épouvantable qu'elle subit aujourd'hui par l'application des thèses de Bzrezinski, pourrait réactiver ces atouts. Le stalinisme a été disciplinaire, coercitif ou autoritaire: c'est, selon Burnham, la version russe et soviétique de l'"ère des directeurs", propre des années qui ont immédiatement suivi la première guerre mondiale, tant en URSS que dans d'autres pays occidentaux, européens ou américains.
Entre 1920 et 1940, les Etats-Unis aussi connaissent une phase importante de développement hydraulique, par les grands travaux de maîtrise du cours du Mississipi. Elle implique de mettre provisoirement entre parenthèses les pratiques usuelles du libéralisme politique classique. L'opposition républicaine parlera dès lors du «césarisme» de Roosevelt, version américaine de l'"ère des directeurs".
L'ère des directeurs
En Europe, malgré les versions italienne (fasciste) et allemande (nationale-socialiste) de l'"ère des directeurs", une harmonisation hydraulique du continent n'a pas été possible. L'Allemagne nationale-socialiste tente toutefois d'achever les consignes contenues dans le "Testament politique" de Frédéric II de Prusse, écrit en 1752. La Prusse s'était donné une cohérence économique en reliant par canaux, l'Elbe, la Spree et l'Oder, bénéficiant de la sorte d'un port dans la Mer du Nord (Hambourg) et d'un port dans la Mer Baltique (Stettin). Il restait à relier l'Elbe à la Weser, et la Weser au Rhin. En tant qu'expression allemande de l'"ère des directeurs", selon Burnham, le national-socialisme réalise ces travaux, notamment grâce à l'apport de main-d'oeuvre que procure le "service du travail obligatoire" (Reichsarbeitsdienst). La liaison entre Rotterdam ou Anvers (via la Canal Albert inauguré en 1928) et Berlin puis Francfort sur l'Oder devient parfaitement envisageable, bien qu'elle soit encore insuffisamment parachevée à l'époque. En dépit de la défaite du Troisième Reich, les travaux seront terminés par les autorités néerlandaises, belges et ouest-allemandes dans l'après-guerre, avec la restriction que le Rideau de fer bloque cette synergie fluviale à hauteur de la frontière sur l'Elbe, comme il bloquait l'artère danubienne au Sud, entre l'Autriche et la Hongrie. La réunification allemande d'octobre 1990 rétablit la communication et permet même une projection vers la Vistule, donnant ainsi indirectement une façade atlantique à la Pologne, sans devoir contourner l'archipel danois.Le projet d'une harmonisation des fleuves et des canaux est très ancien en Europe; déjà Charlemagne voulait relier le Main au Danube. Frédéric II de Prusse, au 18ième siècle, constatait que les fleuves de la grande plaine nord-allemande étaient parallèles. Par conséquent, que les voies de communication suivaient une orientation sud-nord, grosso modo des Alpes à la Mer du Nord ou à la Baltique, mais que les liens est-ouest étaient moins développés, condamnant l'ensemble géographique germanique à la division politique, impulsant sur cet espace une logique toujours centrifuge. Dans son Testament politique, que je viens de citer, Frédéric II écrit que la solution est de creuser des canaux reliant les fleuves entre eux, selon un axe est-ouest. De cette manière, le territoire prussien (nord-allemand) recevrait artificiellement une cohérence que la nature ne lui avait pas donnée. Le grand architecte de ce projet sera Friedrich List, un économiste du 19ième siècle. Et il exportera ses conceptions: aux Etats-Unis où il élabore plusieurs projets de canaux, en France et en Belgique, où il suggère à Léopold I, lors d'une audience particulière, le creusement du Canal du Centre (entre la Sambre mosane et la Haine scaldienne), la création d'une voie d'eau à grand gabarit entre Anvers et Liège (ce sera le futur Canal Albert, ouvert en 1928 seulement), l'approfondissement de la liaison Bruxelles-Anvers et l'ouverture du Canal Bruxelles-Charleroi. Sans de tels travaux, la Belgique n'aurait pas été viable pendant plus de deux décennies. Elle souffrait en miniature du même handicap que la plaine nord-allemande, administrée par la Prusse. La configuration de ses rivières, parallèles, imposait volens nolens une logique centrifuge.
Aujourd'hui, l'Allemagne, immédiatement après sa réunification, et sous l'égide du Chancelier Kohl, réalise le projet de Charlemagne, vieux de mille ans: la liaison Main/Danube, ouvrant une voie d'eau partant de la Mer du Nord et aboutissant à la Mer Noire et au Caucase, riche en pétrole. J'ai déjà suffisamment évoqué la problématique de la liaison Main/Danube pour ne pas y revenir ici.
Politique hydraulique et destin fluvial des nations
Aucune unification allemande au départ de la Prusse n'aurait été possible sans le creusement de canaux, sans une politique «hydraulique». Comme aujourd'hui aucune forme d'impérialité européenne n'est possible sans une politique «hydraulique», axée sur le cours du Rhin, du Main et du Danube. Politique hydraulique qui doit être épaulée, bien évidemment, par d'autres grands travaux ou projets en matière de communications (satellites, flottes rapides d'aéroglisseurs ou de navires à effet de surface, trains à grande vitesse, etc.).Au début des années 30, les géopolitologues allemands Hennig et Körholz avaient bien mis en exergue le destin fluvial des grandes nations européennes: deux destins heureux, ceux de la France et de la Russie, dont l'agencement des bassins fluviaux, implique une logique centripète (et non centrifuge), un destin malheureux, celui de l'Allemagne, dont l'unification politique a été retardée parce que l'agencement de ses bassins fluviaux était différents, avec des fleuves et des rivières parallèles, isolant les vallées les unes des autres et infléchissant les rapports culturels et commerciaux vers des directions chaque fois différentes (cf.: R. Hennig & L. Körholz, "Fluvialité et destin des Etats", in: Vouloir n°9, 1997).
Deuxième raison majeure de revenir à Wittfogel raisonner une fois de plus en termes de politique hydraulique ou d'«hydropolitique»: la raréfaction de l'eau potable partout dans le monde. Cette raréfaction provoque des conflits, qui deviendront de plus en plus aigus. Ainsi, le Turquie, par sa politique de construire des barrages dans la région du Taurus oriental, retient les eaux du Tigre et de l'Euphrate, au détriment des régions en aval, la Syrie et la Mésopotamie (donc l'Irak). L'eau retenue affaiblit les deux pays arabes et les soumet à la volonté de la Turquie. Une partie de cette eau est désormais vendue à Israël, qui vit une pénurie chronique, hypothéquant même son existence à long terme, vu que les immigrants juifs vivent selon un mode occidental, grand consommateur d'eau, alors que les masses arabo-palestiniennes, plus parcimonieuses dans leur consommation, voient leurs réserves diminuer considérablement, augmentant ipso facto leur désarroi et leur angoisse. Ce qui conduit aux affrontements. Ce jeu de l'eau dans une région hautement explosive comme le Moyen-Orient est évidemment bellogène à terme.
L'eau au Tibet, au Brésil et au Congo
La volonté chinoise de s'accrocher au Tibet s'expliquer par la présence sur ce territoire ‹le Plateau du Tibet‹ des sources des principaux fleuves chinois et indochinois, produits des fontes des neiges de l'Himalaya, comme le Hoang Ho, le Yang tsé, le Salouen, le Mekong, le Tsang Po. Les deux principaux fleuves indiens, l'Indus et le Gange, prennent également leurs sources dans le massif himalayen. Pour la Chine, qui est une puissance hydraulique, née de la maîtrise des fleuves, comme nous allons le voir, la domination sur le territoire des sources est un impératif catégorique, dont pâtit évidemment la culture tibétaine, dont l'originalité est essentielle. L'histoire de l'Amérique du Sud a été tout entière déterminée par la volonté du Brésil de maîtriser le bassin amazonien dans sa totalité. Lors de l'émergence de cet Etat, le plus étendu du continent, une querelle l'a opposé à ses voisins pour la domination de tout le cours de la Plata. Le Zaïre/Congo est potentiellement une puissance hydraulique. Le fleuve possède un tel débit qu'il constitue pour l'humanité entière une réserve précieuse que l'avenir sera contraint de ménager.Wittfogel: Wandervogel, communisme, Ecole de Francfort
Revenons à la personne de Wittfogel. Qui est-il? Il est né à Lüneburg dans une famille d'instituteurs protestants, ayant un grand sens de la culture et vouant un véritable culte aux livres. Très jeune, Wittfogel s'initie à de nombreuses lectures, variées et instructives. Karl August Wittfogel, pendant son adolescence, est une âme cultivée et rebelle, en révolte contre les pesanteurs de son époque (dénoncées notamment par la sociologie de Simmel, que nous avons abordée lors de notre Université d'été en 1998). Sa culture et sa révolte le conduisent à fréquenter le Wandervogel, le mouvement de jeunesse né près de Berlin en 1896 sous l'impulsion de Karl Fischer. Il ne suivra cependant pas l'engouement patriotique de ses compagnons en 1914. Il ne s'engagera pas dans les troupes d'assaut, comme celles qui se feront hacher à Langemarck en Flandre occidentale. Wittfogel évolue vers le pacifisme et vers un engagement social et politique à gauche. En 1915, il s'inscrit à l'université, en fréquente plusieurs pour y suivre des cours de géographie, de sociologie, de philosophie et de sinologie. Pendant les années 1916, 1917 et 1918, il adhère au marxisme politique, mais non pas à la SPD sociale-démocrate, qu'il juge trop modérée et trop compromise avec le pouvoir, mais à l'USPD, animée par Rosa Luxemburg, puis à la KPD. Il s'intéresse de près aux agissements de Karl Radek, agent de Lénine et du Komintern en Allemagne. Cette fréquentation le conduira à la fameuse "Ligue anti-impérialiste", prônant une alliance entre la Chine, l'URSS et l'Allemagne, les peuples colonisés en révolte, dont l'Inde, et quelques forces rebelles de l'Ouest. Cette Ligue avait également attiré quelques figures classées par Armin Mohler dans la mouvance de la "révolution conservatrice, dont Niekisch et Jünger. Wittfogel suit aussi les travaux de l'Ecole de Francfort, dès son inauguration en 1926 (Institut für Sozialforschung). En 1933, quand la NSDAP d'Adolf Hitler prend le pouvoir, il émigre aux Etats-Unis.Dans ce double contexte, universitaire et politique, comment la pensée de Wittfogel va-t-elle se cristalliser et se former? Elle repose surtout sur une lecture attentive de Karl Marx et de Max Weber, où Wittfogel découvre une opposition entre l'Occident et l'Orient. Le modèle par excellence de l'Occident est l'Angleterre manchesterienne. Le modèle de développement oriental paradigmatique est le modèle chinois. Sinologue, Wittfogel va approfondir les thèses marxiennes et weberiennes sur le "mode de production asiatique". Il en déduit que la Chine (mais aussi l'Egypte et la Mésopotamie antiques) sont "despotiques" (pour faire face efficacement aux nécessités naturelles) et "hydrauliques". Ce modèle asiatique constitue pour lui, dans un premier temps, un "contre-modèle" non bourgeois. Wittfogel, en quelque sorte "maoïste" avant la lettre, se donne pour mission de faire connaître aux Européens la Chine orientale et non bourgeoise.
Sociétés hydrauliques = sociétés totalitaires?
Plus tard, cet engouement pour la Chine va se muer en critique. Wittfogel est anti-stalinien et, dans cette optique, Staline est perçu comme un despote asiatique. Mais il écrit finalement peu de choses sur les grands travaux hydrauliques de Sibérie et d'Asie centrale, exécutés pendant l'ère stalinienne. En 1938, il fait paraître aux Etats-Unis The Theory of Oriental Society, où il pose clairement l'équation, société hydraulique = despotisme = totalitarisme. Un an plus tard, cette équation se renforce dans sa pensée, au moment où Hitler et Staline signent le pacte germano-soviétique. Dans cette thèse, un peu propagandiste, Wittfogel coagule ses sentiments anti-hitlériens et anti-staliniens. Ce même ouvrage, peaufiné, reparaît en 1957, sous le titre de Oriental Despotism: A Comparative Study of Total Power. Hitler et Staline ont disparu de la scène, la Guerre de Corée est terminée, Maccharty a cessé de sévir et la guerre froide n'est plus aussi tendue. Après 1945, Wittfogel rejoint les rangs de l'anti-communisme américain, décrit Staline comme un agent de la "restauration asiatique" et présente les Etats-Unis comme une société hydraulique mais non despotique; à ce titre, ils sont un modèle pour le monde. Comment l'ancien étudiant de la gauche allemande en est-il arrivé là? Comment en est-il arrivé à cette position finalement assez contradictoire? Sans doute a-t-il été récupéré par certains services de diversion, recrutant d'anciens militants de la gauche allemande, bons connaisseurs du Komintern, des structures communistes et des méthodes de travail soviétiques dans les pays d'Asie.A partir de 1953, Wittfogel devient aux Etats-Unis un historien attitré de la maîtrise des fleuves. Il est professeur à la Columbia University, puis, à partir de 1966, enseigne l'histoire de la Chine à Washington. Son oeuvre comporte d'intéressants développements scientifiques mais non politiques.
Une théorie de la civilisation
Wittfogel énonce, à travers l'ensemble de son oeuvre, une théorie de la civilisation, de l'émergence des civilisations. Pour lui, comme auparavant pour Hobbes, c'est la peur qui génère le politique, l'Etat, le "commonwealth", l'appel à l'autorité (qui fait les lois - auctoritas non veritas facit legem). Mais cette peur n'est pas la crainte de l'invasion extérieure comme chez Hobbes, né prématurément parce que sa mère craignait le débarquement des troupes espagnoles de la Grande Armada. La peur qui motive les hommes et les induit à créer des structures politiques solides et durables est la peur panique et angoissé des inondations et de la sécheresse, des inondations qui noient les récoltes et de la sécheresse qui condamne à la famine. Cette peur tire l'homme de sa léthargie, elle le force à coopérer avec ses semblables qui appartiennent à d'autres clans et le contraint à accepter l'autorité de ceux qui sont capables techniquement de maîtriser les fleuves, de canaliser les eaux (pour l'irrigation ou le transport), d'irriguer. La peur des caprices de l'eau fait accepter la figure du "Grand Adjudicateur". La Chine antique, civilisation hydraulique, invente le terme "Shiu li", qui signifie "maîtrise des eaux". La discipline civilisationnelle naît de cette peur. La naissance des grands Etats et des Empires a presque toujours une motivation hydraulique. Si l'eau ne coule pas selon un rythme régulier et prévisible, disaient les sages chinois de l'antiquité, nous avons le chaos, voire la guerre civile, le pouvoir a le même rôle que le barrage.Du point de vue philosophique et anthropologique, Wittfogel se montre là disciple de Montesquieu et de Carl Ritter (cf. supra). Il analyse l'interaction entre l'homme et la nature et, réciproquement, entre la nature et l'homme. L'étude de cette interaction fonde le véritable matérialisme intellectuel, politique et historique, tel que Marx l'avait compris personnellement, au contraire de bon nombre de ses disciples. La géopolitique est une discipline qui s'occupe de ces interactions. C'est sans doute pour cette raison que Wittfogel a été le seul à l'avoir abordée dans le cadre de l'Ecole de Francfort. Est-ce un héritage de son ascendance paysanne, de ses origines rurales, est-ce une influence du Wandervogel et du discours de Ludwig Klages, véritable texte fondateur de l'écologie moderne, prononcé sur le sommet du Hoher Meißner en 1913, au solstice d'été? Une analyse plus fouillée du passé de Wittfogel nous l'apprendra sans doute un jour. En 1928, cet intérêt matérialiste et marxiste pour la géopolitique se concrétise dans un ouvrage intitulé Geopolitik, geographischer Materialismus und Marxismus.
L'exemple des Indiens Pueblo, Zuni et Hopi
Wittfogel met donc en exergue une question anthropologique fondamentale. La maîtrise des eaux fonde l'Etat. Mais comment naît cette irrigation, base des Etats, des empires et des aires civilisationnelles? Le premier stade est celui de l'étang où vont s'abreuver les animaux domestiques. Le clan qui l'utilise doit en garder les abords, en ménager l'écosystème. Eventuellement creuser des chenaux pour irriguer des plantations. Aux Etats-Unis, Wittfogel compulse les études sur les Indiens Pueblo, Zuni et Hopi qui montrent très bien la Volkswerdung [le "devenir-peuple"] de ces ethnies améridiennes au départ d'une maîtrise des eaux de leur territoire. Ces études démontrent que des clans épars parviennent, à un certain moment de leur histoire, à maîtriser à leur échelle les eaux courantes et stagnantes, les sources et les nappes phréatiques de leur territoire, tout en gardant une dimension vernaculaire.Dans le bassin du Rio Grande del Norte, les clans s'associent, forment des tribus qui, ensemble, deviennent peuples. Ce devenir s'accompagne toujours d'un système de défense, de plus en plus élaboré, contre ceux qui veulent bouleverser l'ordre irrigateur, couper les approvisionnements ou en profiter indûment.
Travaux d'irrigation et corvée
La Chine, explique alors Wittfogel, a connu aux aurores de son histoire une évolution similaire à celle que les ethnologues ont pu observer chez les Amérindiens du bassin du Rio Grande del Norte. Au départ, la Chine présente une mosaïque éparse de tribus, de villages, de clans autonomes (elle y retombe parfois, comme dans les périodes où règnent, à l'échelon provincial, voire vernaculaire, les chefs de guerre, les warlords). L'unification des micro-entités chinoises se fera sous l'égide d'une élite technicienne qui va gérer les grands fleuves. Pour le premier Wittfogel libertaire, comme pour le dernier Wittfogel anti-communiste, l'avènement progressif de cette élite à des côtés négatifs, car elle implique la mobilisation par coercition de tous les bras disponibles pour les grands travaux de nature hydraulique. Dans les concentrations de masse, la promiscuité des ouvriers recrutés provoque des épidémies, comme la présence d'un ver qui ira jusqu'à affecter 90% de la population chinoise. Ce jugement négatif sur la mobilisation des forces de travail, Wittfogel le déduit de sa lecture d'un sociologue français du 19ième siècle, Julien Barois, spécialiste de l'histoire de la corvée.Pour le Wittfogel des années 20 et 30, qui accepte le communisme, cette mobilisation a des aspects positifs car elle permet le développement des sciences: l'astronomie, les mathématiques, l'architecture, la géographie (Yves Lacoste en parle dans ses travaux sur les premiers cartographes des armées impériales chinoises). Wittfogel étudie également les aspects mythologiques de cette maîtrise des eaux: les figures d'Osiris et d'Hapi en Egypte, divinités du Nil, que la figure de Ninurta en Mésopotamie et que la divinisation du Gange en Inde. En Europe, il y a abondance d'eau et les fleuves sont plus paisibles qu'en Chine, d'où les formes d'hydraulisme politique sont moins despotiques. La démocratie optimale s'installe toujours là où il y a abondance facile d'eau, comme en Suisse par exemple.
Civilisation chinoise, civilisation de grands travaux
Revenons à la corvée (et aux thèses de Julien Barois, approfondies par Wittfogel). La corvée est d'abord imposée pour les travaux d'irrigation, puis pour les barrages, ensuite pour les routes, les fortifications (Muraille de Chine), enfin pour les bâtiments de prestige (pyramides et zigourats). La Chine fait ainsi creuser ses premiers canaux à partir de 581 avant J.C. L'éclosion et le maintien de la civilisation chinoise antique dérive d'une maîtrise du Fleuve Jaune (Huang Ho) ou plutôt d'une lutte contre ses cruels caprices. Ce fleuve a tué des millions d'hommes et les récentes inondations en Chine ne sont qu'un épisode de plus dans l'histoire épouvantable de ses crues et décrues.Les études de Wittfogel sur la civilisation chinoise, civilisation de grands travaux, qui ont d'abord été hydrauliques, l'ont amené à poser la question: la Chine est-elle intrinsèquement despotique ou non? La réponse de Wittfogel est mitigée, quoique le Wittfogel communiste des années 20 (qui ne critique pas encore le totalitarisme) a eu tendance à répondre "non", tandis que le Wittfogel anti-totalitaire, anti-nazi et anti-communiste répondrait plutôt "oui" et verrait en cette Chine "hydraulique" la matrice des systèmes politiques coercitifs ultérieurs. Dans sa pensée, la Chine oscille toutefois entre confucianisme et taoïsme. Le confucianisme implique une discipline sévère, tandis que le taoïsme (avec le Tao Te King de Lao Tse), préconise aux gouvernants d'"être comme l'eau", souples et insinuants. Conclusion de Wittfogel, par la présence de ce taoïsme, la Chine se montre finalement moins centralisée, donc moins despotique, que l'Egypte ou les entités étatiques mésopotamiennes.
Les travaux de la "Tennessee Valley Authority"
Dans les années 30, où les simplifications militantes tenaient le haut du pavé, on aurait pu créer facilement une dichotomie propagandiste sur base des travaux de Wittfogel, en posant l'équation: sociétés hydrauliques = sociétés totalitaires; tandis que les sociétés non hydrauliques auraient été par définition considérées comme démocratiques et libérales. Wittfogel constatera, peu après avoir débarqué aux Etats-Unis, destination de son exil, qu'un grand projet hydraulique était en train d'y être réalisé, sous l'égide de la "Tennessee Valley Authority". Les Etats-Unis, champions de l'idéal démocratique de facture libérale, étaient eux aussi une puissance hydraulique. Jusqu'alors les Etats-Unis n'avaient été qu'une puissance incomplète. Ils étaient devenus "bi-océaniques" (avec façade sur l'Atlantique et le Pacifique) vers la moitié du 19ième siècle. La liaison transcontinentale par chemin de fer avait englouti des fortunes colossales pour un résultat mitigé. Avant la première guerre mondiale, les Etats-Unis étaient fortement endettés et tout laissait croire à leur déclin inéluctable. Après 1918, les Etats européens, surtout la France et l'Angleterre, étaient leurs débiteurs. Mais la nécessité s'imposait de mieux organiser le territoire américain: pour cela il fallait aménager le bassin du Mississipi. Une bonne partie des gains engrangés pendant la première guerre mondiale furent destinés au projet hydraulique de la "Tennessee Valley Authority".Les années de 1920 à 1940 ont été pour les Etats-Unis deux décennies de grands travaux d'aménagement, où les principes du libéralisme démocratique pur ont été légèrement battus en brèche. Burnham parle d'une "ère des directeurs", où le décisionnisme des décideurs prend le pas sur les discussions parlementaires de l'ère libérale classique, tant en Europe, avec le fascisme et le national-socialisme, qu'en URSS, avec les planifications staliniennes, ou qu'aux Etats-Unis. Lawrence Dennis réclame, à la même époque, un isolationnisme continental, pan-américain, qui se donnerait pour but d'organiser rigoureusement le continent en suivant, pour ce faire, une logique autoritaire. Mais Dennis, contrairement à Roosevelt, veut une autarcie continentale sans la guerre, sans interventions hors de l'espace américain. Les opposants libéraux à Roosevelt stigmatisent le "césarisme rooseveltien", qui ne réussit que partiellement son projet de ré-aménagement complet du territoire, les traditions libérales classiques jouant le rôle de frein, alors qu'en Europe occidentale et en URSS, ces freins avaient été balayés, permettant un despotisme capable d'asseoir vite la modernité technique et industrielle, de changer d'échelle. Parce que les institutions libérales américaines sont plus solides et rendent impossible un despotisme absolu à la Staline ou une dictature à la Hitler, Roosevelt doit donc susciter une "injection de conjoncture", pour obtenir les fonds nécessaires à l'achèvement de cet ensemble de macro-projets. Raison pour laquelle il prépare très tôt les guerres contre l'Allemagne et le Japon. L'objectif intérieur de cette double guerre extérieure a donc été de financer l'irrigation définitive du Middle West et de l'Ouest.
L'irrigation nord-américaine fait des Etats-Unis le grenier à blé du monde
La démocratie américaine, selon les opposants à Roosevelt, est donc une démocratie déguisée, qui met au pas le Congrès et la Cour Suprême et jugule l'opposition populiste. Avec Roosevelt émerge la méga-machine, collusion entre le pouvoir et les grands trusts industriels, dénoncée par Lewis Mumford, puis, plus tard en Europe, par l'écologiste et dissident est-allemand Rudolf Bahro.Mais ces entorses au fonctionnement libéral traditionnel de la démocratie américaine a permis la politique des grands travaux, dont les Etats-Unis avaient besoin pour consolider leur base nationale, réquisit indispensable à leur politique mondialiste (disaient-ils du temps de Roosevelt), globaliste (disent-ils aujourd'hui). L'irrigation américaine, surtout dans le bassin du Mississippi, la construction de barrages dans l'Ouest, ont permis aux Etats-Unis d'être le grenier à blé de l'humanité et d'assurer ainsi leur domination sur l'Europe, l'ex-URSS (et, partant, la Russie actuelle) et l'Afrique, que guettent toujours d'atroces famines. Je rappelle souvent la parole d'Eagleburger: "Food is the best weapon in our arsenal" ("L'alimentation est la meilleure arme de notre arsenal"). Toutes les querelles euro-américaines autour des politiques agricoles dérivent d'une volonté américaine de conserver coûte que coûte le leadership en ce domaine et de limiter, autant que possible, l'autonomie alimentaire européenne. La guerre du soja, sans doute les crises de la vache folle, la querelle des pâtes, l'imposition de normes, la tentative de submerger l'Europe sous des flots d'immigrés qui mangent ses réserves, etc sont autant d'aspects de cette guerre euro-américaine qui a commencé avec Roosevelt, culminé avec la deuxième guerre mondiale! et qui est loin d'être terminée.
Connaissant parfaitement la puissance que confère une bonne maîtrise des voies fluviales, les Etats-Unis - que Carl Schmitt nommait les "retardateurs de l'histoire" - cherchent à freiner, enrayer ou saboter la maîtrise chez les autres des voies fluviales. Nous avons assisté ainsi à une manipulation des milieux écologistes et "souverainistes" français, tendance sociale-démocrate ou néo-gaulliste, pour freiner la liaison entre les bassins du Rhin, du Rhône et du Danube. Nous avons ensuite assisté, impuissants, écervelés par les discours médiatiques qui ne sont que les échos de CNN, donc du Pentagone et de ses services de diversion, au bombardement des ponts du Danube à Belgrade et à Novi Sad, sous prétexte de punir un certain Milosevic. Jupiter rend aveugles et fous, ceux qu'il veut perdre.
Robert STEUCKERS, Forest, juillet 2000.Bibliographie:
- Gary L. ULMEN, The Science of Society. Toward an Understanding of the Life and Work of Karl August Wittfogel, Mouton Publishers, The Hague/Paris/New York, 1978.
- Karl A. WITTFOGEL, Oriental Despotism. A Comparative Study of Total Power, Vintage Books/Random House, New York, 1981 (reprint de la première édition de 1957).
- Donald WORSTER, "Water, Aridity and the Growth of the American West", introduction to Rivers of Empire: Water, Aridity and the Growth of the American West, Oxford University Press, Oxford/New York, 1985 (pp. 19-61). Ce texte fondamental, très clair et didactique, peut se lire sur la grande toile: http://www.cudenver.edu/stc-link/weblink/water/materials/...
16:42 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Hendrik De Man (2) (Deutsch)
Hendrik De Man (2)
Der Zusammenbruch der deutschen Sozialdemokratie rührt für de Man vom Krieg und von der russischen Revolution her. Vor diesen Ereignissen glaubten die Theoretiker der deutschen Sozialdemokratie, dass sie die volle Wahrheit in Sachen Interpretation und Exegese des Denkens ihrer Lehrmeister Marx und Engels, Bebel und Kautsky besäßen. Seitdem hat es in Deutschland nicht einmal eine Handvoll von Verteidigern des reinen deutschen Marxismus gegeben, während sich in Russland der Kommunismus, die bedingungslose Herrschaft des Vulgärmarxismus, durchsetzte. Die russische Revolution scheint die deutschen Marxisten zur Änderung ihrer Pläne gezwungen zu haben. Vielleicht, weil Deutschland nicht mehr das einzige Vehikel des Sozialismus war? Die angelsächsische Welt war der Schwerpunkt der Weltwirtschaft geworden. Ihre intellektuellen Traditionen standen dem Hegelo-Marxismus fremd gegenüber. Ein Deutschland, Mittelpunkt der sozialistischen Idee, war also das, wovon die Sozialdemokraten träumten, und das war nicht mehr denkbar…Diese Feststellung musste eine gewisse Müdigkeit hervorrufen und dies erklärt die Untätigkeit der sozialistischen Aktivitäten im Augenblick der Machtübernahme durch Hitler. De Man hätte vielleicht, wenn er noch leben würde, die These von Sebastian Haffner gutgeheißen, der behauptet, dass die spartakistische Revolution 1918/1919 einen nationalen Einschlag hatte: aus Deutschland den Vorkämpfer des reinen Marxismus zu machen in einer Welt, die undurchdringlich geworden zu sein schien für eben diese Reinheit. Niekisch hat übrigens auch an diese Möglichkeit geglaubt. Haffner, Niekisch, de Man, Sorel: vier Autoren, die parallel gelesen werden müssen, wenn Fehlinterpretationen der politisch-intellektuellen Geschichte der ersten vier Jahrzehnte unseres Jahrhunderts vermieden werden sollen. Hoffentlich wird diese vierfache Lektüre eines Tages zum Thema einer Doktorarbeit. Sternhell spricht von der heroischen Natur des De Man-Planes. Der Ausdruck ist zweifellos ein bisschen zu stark, aber der Plan ist trotzdem voluntaristisch. Die Sozialdemokratie alten Stils, sowohl die deutsche wie die belgische, konnte weder die Krise meistern noch den Aufstieg der autoritären Regimes faschistischer oder nazistischer Art bremsen. Der Reformismus ist für de Man nichts als Opportunismus. Er kennzeichnet eine Verbürgerlichung der Kultur. De Man hat niemals geschrieben, dass er „Der Arbeiter“ von Ernst Jünger gelesen habe. Obgleich die Vergangenheit der beiden Männer durchaus verschieden ist, gibt es 1932/33 eine Art Übereinstimmung. Jünger ist mehr Theoretiker und Ästhet und de Man bleibt Praktiker. Ohne Zweifel steht ihm Sorel näher.
Der Plan entspringt somit dem Willen, einen Sozialismus jenseits des Marxismus, also keinen systematisch und steril „antimarxistischen“, in die politische Wirklichkeit umzusetzen, einen Sozialismus also, der befreit wäre von allen ideologischen Schlacken, die ihm die Exegeten von Marx und Engels aufgepfropft hatten.
Sehen wir uns jetzt konkret an, was der Plan in Belgien wirklich beinhaltete. Ausgehend von der Feststellung, wie wir schon ausdrücklich betont haben, dass der Reformismus ein totaler Misserfolg war, bedient sich de Man in dem Versuch, die Auswirkungen dieses Fiaskos auf die tatsächliche Lage der Arbeiterschaft aufzuzeigen, eines leicht verständlichen Bildes: das des „nationalen Kuchens“. Der Reformismus, der heute noch sein Unwesen treibt, möchte den Arbeitern eine größere Portion Kuchen geben. Doch die Krise verringert tagtäglich den Umfang des Kuchens. Nach Auffassung de Mans muss man also einen größeren Kuchen backen. Dazu sind allerdings strukturelle (und demnach revolutionäre) Reformen erforderlich; Reformen, die lediglich die Verteilung des bereits Bestehenden zum Ziel haben, sind nicht gefragt. Der Raum, in dem die Verwirklichung des Plans vonstatten gehen soll, kann nur die Nation sein – nicht eine verschwommene „Internationale“. Das Interesse der Allgemeinheit muss an die Stelle der Klasseninteressen treten. Damit ein solcher Plan auch verwirklicht wird, müssen dessen Ziele durch die Erarbeitung eines Kalenders genau festgesetzt werden. Die Verwirklichung schloss jedes Ausführungstempo, das dem Zufall überlassen wäre, selbstverständlich aus: Diese Forderungen verlangten ipso facto einen starken Staat. Aus diesem Grund stempeln die Gegner de Mans ihn als verkappten Faschisten ab, wobei übersehen wird, dass der Faschismus einen starken Staat auf gesetzgeberischem Wege fordert, während der Planismus eine mächtige Exekutive herbeiführen will unter Beibehaltung der Kontrollbefugnisse des Parlaments. Im Übrigen zielt der Planismus vor allem auf die Verteidigung der nationalen Interessen gegen die Banken und die Großkonzerne ab. In den Augen de Mans ist der Planismus mithin das einzige Bollwerk gegen den Aufstieg der Faschismen, weil er auf einer Auslegung, einer Analyse der Wurzeln dieser Faschismen beruht. Die Berufspolitiker der deutschen Sozialdemokratie waren nicht in der Lage gewesen, die sozialen Mechanismen in der großen Wirtschaftskrise zu verstehen: die Weigerung der Mittelklassen, ins Proletariat abzugleiten. Sollte er überleben, musste der Sozialismus diese „Ablehnung der Proletarisierung“ berücksichtigen und Programme vorschlagen, die für die ganze Bevölkerung gültig wären, d.h. für alle Klassen, die sich von der großen Krise bedroht fühlten. In Belgien konnte sich diese Politik der Unterstützung nicht nur durch die Gewerkschaften erfreuen, sondern auch durch den gesamten linken Flügel der Partei unter Paul-Henri Spaak. Dank dieser Unterstützung durch die Ultralinken konnte sich der Plan als jung und dynamisch profilieren. Im Jahre 1934 strebte de Man die Schaffung einer „Front du Travail“ (Arbeitsfront) an, die sozialistische wie christdemokratische Gewerkschaftler und Arbeiter eingliedern sollte. Doch der damals klaffende ideologische Graben hinderte de Man daran, außerhalb seiner Partei die notwendigen starken Stützen zu finden, die für die Verwirklichung seiner Projekte unerlässlich gewesen wären. Trotz einer modernen, zielstrebig angelegten, fachkundig betriebenen Propaganda, die auf Methoden der Massenpsychologie zurückgriff (daher eine gewisse Verwandtschaft mit dem Nationalsozialismus), führte dieser Mangel an Unterstützung zum Fiasko. Um eine Regierung bilden zu können, sah sich de Man gezwungen, mit seinen politischen Gegnern zusammenzuarbeiten und sich auf Zugeständnisse einzulassen. Vor allem wurde das Projekt einer Verstaatlichung der Banken unter den Teppich gekehrt. Das war aber der Eckpfeiler des Plans! Dem verbitterten de Man wurde auf einmal klar, dass sein Plan niemals in einem parlamentarischen Rahmen verwirklicht werden könnte.
De Man hatte keine institutionellen Reformen vorgesehen, die ausgereicht hätten, seinem wirtschaftspolitischen Planungskonzept die nötige Basis zu verschaffen. Er wollte lediglich dem Ministerrat 5 Kommissare hinzufügen, um die Zuständigkeiten der Exekutive zu erweitern. Dem Regierungschef Paul van Zeeland war es voll gelungen, die Bombe, die der Plan darstellte, unschädlich zu machen. De Man, mittlerweile Vizeparteichef, war Minister, ohne etwas reformieren zu können! Spaak war übrigens auch Minister geworden – was die Ultralinken erfreute und beruhigte. Die sozialistische Partei zerstritt sich über Fragen, die für die Zukunft des Landes eigentlich belanglos waren: Unterstützung oder Neutralität gegenüber der spanischen Republik, Neutralität Belgiens oder Bündnis mit Frankreich. Schon 1935 hatte de Man in all diesen Fragen eine kompromisslose Neutralität empfohlen. Seine Beziehungen zu Vandervelde verschlechterten sich, weil die jeweiligen Standpunkte in diesen Fragen auseinander gingen. Nur Spaak verteidigte die belgische Neutralität und verwarf jeden „platonischen“ Internationalismus.
Obgleich de Man und van Zeeland in derselben Regierung saßen und die Wirtschaftskrise durch einen technokratisch verwalteten Dirigismus überwinden wollten, lag eine tiefe Kluft zwischen ihnen. Gegenwärtig bezichtigen die flämischen Linksaktivisten, die am Rande der „Socialistischen Partij“ tätig sind, de Man des „Technokratismus“. Nach der allgemeinen Verbreitung der Thesen von Habermas, Marcuse und Fromm ist dieser Vorwurf gang und gäbe geworden, fast ebenso verbreitet wie der des „Faschismus“, nur mit modernerem Akzent. Für diese strikt „metapolitisch“ denkende Linke leiten de Man und van Zeeland die Ära des Technokratismus in Belgien ein. Der Amerikaner James Burnham hatte vom „Regime der Manager“, von der „managerial revolution“ gesprochen, die in den USA mit dem „New Deal“ Roosevelts einsetzte. Laut Burnham werden „Manager“ die alten Macht ausübenden Eliten, die sich aus Intellektuellen und Anwälten zusammensetzten, allmählich verdrängen, und zwar sowohl im NS-Staat wie auch im sowjetischen System oder in der liberalen Demokratie. Diese „managers“ sind weder Finanzleute noch Industrielle noch herkömmliche Politiker. Doch hatte de Man ein europäisches Konzept im Sinne, dessen Grundgedanke (um wie Werner Sombart zu sprechen) ein Humanismus und eine Ethik waren, die mit einem asketischen Willen und einer Mentalität einhergingen, die an den „Preußischen Sozialismus“ à la Bebel grenzten. Van Zeeland dachte seinerseits an ein amerikanisches Modell. Auf gesellschaftlich-ethischem Gebiet räumte de Man der Kreativität und der Arbeit den Vorrang ein, gleichgültig, ob sie von den Arbeitern, den Handwerkern, den Bauern oder den kleinen Unternehmern kamen. Van Zeeland erschien die Rolle der Finanzverwalter und der Banken vorrangig. Die Perspektive de Mans bleibt also national. Die van Zeelands zeugt von einem Internationalismus, der in Washington sein Mekka hat. Zweifellos haben beide Männer, jeder auf seine Weise, Keynes ausgelegt und dessen Gedanken in die Praxis umsetzen wollen.
Der Plan löste eine riesige Hoffnungswelle in der werktätigen Welt Belgiens aus. Es war die Hoffnung auf eine gerechtere Gesellschaft, an der jedermann teilhaben sollte. Wie wurde er dagegen im Ausland aufgenommen?
In Holland hatten die Thesen de Mans schon 1930 eine starke Auswirkung auf die Sozialdemokratische Arbeiterpartei (SDAP). In Frankreich stellte 1934 Paul Desjardins de Man die Abtei Pontigny zur Verfügung, damit er seine Thesen darlegen könne. Diese internationalen Treffen von Pontigny wurden die Ausgangsbasis, von der aus die Ideen de Mans über ganz Europa ausstrahlen sollten. Seit 1929 sah sich der französische Sozialismus einer doppelten Krise ausgesetzt: einer wirtschaftlichen und einer politischen. Den Linken gelang es nicht, aus ihren Wahlerfolgen des Jahres 1932 Kapital zu schlagen. Dazu litt die Partei zu sehr unter inneren Streitigkeiten zwischen „Neos“ (Marcel Déat), „Archeos“ und „Attentisten“, denjenigen, die sich abwartend verhielten. Unter allen diesen Tendenzen wird es die Gruppe „Konstruktive Revolution“ sein, die die Schriften de Mans in Frankreich veröffentlichen wird. Nach Auffassung des stellvertretenden Vorsitzenden der belgischen Arbeiterpartei war diese Gruppe weniger ideologisch vernagelt als die anderen und deswegen eher in der Lage, seine Ideen in nicht-sozialistischen Kreisen zu verbreiten.
Im September 1934 legt de Man also seine Thesen anlässlich eines Kolloquiums in der Abtei Pontigny vor. Der Kern dieser Thesen kann in der Form eines Gegensatzes veranschaulicht werden: alte deterministische Einstellung contra Politik des Willens (Voluntarismus). In diesen 14 Thesen stellt de Man fest, dass sich der Kapitalismus zu Ende entwickelt hat und prangert das Primat des Finanzkapitals über das Industriekapital an. In seiner 3. These unterstreicht er, dass der marxistische Determinismus ein symmetrischer Abklatsch des kapitalistischen Determinismus ist, da beide ein Determinismus der „unsichtbaren Hand“ sind. Wie in diesem Beitrag schon mehrmals erwähnt, war der Voluntarismus – ein bewusstes oder unbewusstes Erbe Nietzsches – in den Augen der eifrigsten Anhänger des Plans, dazu berufen, den vom Marxismus aus dem 19. Jahrhundert überlieferten Determinismus abzulösen. Vielleicht stellt dieser Übergang vom Determinismus zum Voluntarismus das Hauptmerkmal der ersten Jahrzehnte unseres Jahrhunderts dar. Infolge des Zusammenbruchs der Faschismen 1945 erlebte dieser Voluntarismus eine Wiedergeburt innerhalb der linken Studentenschaft der Jahre 1967-1970. 1934 erlebten die Thesen de Mans einen wahren Triumph in Paris. Zu den frühesten Anhängern seines voluntaristischen, heroischen und mystischen Sozialismus zählen, neben Lefranc und Déat, Männer wie Bertrand de Jouvenel und Thierry Maulnier. Die Ideen de Mans werden in alle französischen Gruppierungen, die nach einem Dritten Weg suchen, hineinsickern. Wenn man einmal von den Überläufern aus der sozialistischen Gewerkschaft SFIO – wie Déat und seinen Freunden – absieht, werden planistische Ideen später von der personalistisch-christlichen Zeitschrift ESPRIT unter Emmanuel Mounier, von den jüngeren Traditionalisten aller möglichen Schattierungen, z.B. den Korporativsten um die Zeitschrift ORDRE NOUVEAU oder der Mannschaft der pluridisziplinären Zeitschrift L`HOMME NOUVEAU von Georges Roditi sowie vom kurzlebigen Wochenblatt LUTTE DES JEUNES, gegründet von Bertrand de Jouvenel, erfolgreich vertreten. In dieser Konstellation fand man, ohne festen Zusammenhang, die Namen von Denis de Rougement, Alexandre Marc, Jean Lacroix, des späteren Ministers von de Gaulle Michel Debré, des Sorel-Anhängers Pierre Andreu, Pierre Drieu la Rochelle, Robert Marjolin, Alfred Fabre-Luce u.a. Schon 1935 hatte Roditi de Gaulle gelobt. Bertrand de Jouvenel entfernte sich schließlich von de Man und nahm eine radikale Position ein, die kurz vor dem Krieg und während des Krieges in einen technokratischen Faschismus münden sollte, bis er, von seinen Illusionen und Enttäuschungen ernüchtert, in der französischen Gruppe „Futuribles“ mitwirkte. Die planistischen Ideen fanden in Frankreich ein so starkes Echo, dass man nicht nur ihre Ein- und Auswirkungen auf den werdenden französischen Faschismus studieren sollte (Déat entwickelte aus der neosozialistischen PSDF 1941 die faschistische Sammlungspartei RNP); ein ganzes Buch wäre notwendig, um eine vollständige Übersicht der nonkonformen Geisteswelt im Frankreich der 30er Jahre zu geben. Denn die ganze nonkonforme Führungsschicht hat de Man studiert.
Und was geschah in Deutschland? Nach Ansicht des Franzosen A. Dauphin-Meunier könnte man die Thesen de Mans mit denen Rathenaus vergleichen. Ungeachtet seiner hohen Position in der Welt der Industrie, der Finanz und der Technik verurteilte Rathenau in seinen Schriften die „mechanisierte Welt“, die „eingesperrt sei im Fanatismus einer seelenlosen Wissenschaftsvergötterung“. Doch ist in den Büchern de Mans nirgendwo von Rathenau die Rede. In „Die dreifache Revolution“ übt Rathenau eine scharfe Kritik am Liberalismus und betrachtet gleichzeitig den Marxismus als ungeeignet, der neuen Zeit zu begegnen. Für Rathenau – wie später für de Man – war ipso facto eine Reform des Staates Voraussetzung. Dauphin-Meunier gegenüber bestätigte de Man, dass er Rathenau enorm viel verdanke. Nicht Stalins Fünfjahrespläne haben also den belgischen Sozialistenführer angeregt, sondern die Projekte von Rathenau. In seiner Pontigny-Zeit verwarf de Man noch den „kulturellen Pessimismus“ Rathenaus. Die Mechanisierung (Amerikanisierung) beunruhigte Rathenau. De Man allerdings glaubte an die seelische Kraft des Einzelnen. Er war ein Lehrer der Energie, auf sportlichem wie auf intellektuellem Gebiet, und glaubte fest an die unterschwelligen Möglichkeiten seiner Schüler. Warum hat er Rathenau nie erwähnt? Vielleicht, weil der Sozialist de Man nicht mit dem Großkapitalisten Rathenau in einen Topf geworden werden wollte.
Nachdem er als Finanzminister in schwierigen Jahren tätig war, zeigte sich de Man immer enttäuschter von den Mechanismen des parlamentarischen Systems. 1936, anlässlich der Wahlen in Brüssel, machen alle Parteien Front, um die Rexisten von Degrelle daran zu hindern, massenweise ins Parlament zu kommen. Der Kardinal von Roey scheut sich nicht, in den Kirchen verkünden zu lassen, dass es eine Todsünde sei, für Degrelle zu stimmen! Ohne diese Einmischung hätten zahlreiche Katholiken Degrelle ihre Stimme gegeben. Im selben Augenblick verdoppeln die flämischen Nationalisten und die Kommunisten die Zahl ihrer Sitze. Der alternde Vandervelde ereifert sich gegen de Man und Spaak. Seiner Ansicht nach verrieten die beiden Planisten die heilige Sache der spanischen Republikaner, indem sie einer strikten Neutralität in diesem Krieg das Wort redeten. Finanzielle Skandale stiften Verwirrung innerhalb der katholischen und liberalen Partei – zur großen Freude der Rexisten. In dieser verworrenen Zeit trifft sich de Man regelmäßig mit König Leopold III. Zwischen beiden Männern entsteht eine echte Freundschaft. Beide fällen eine pessimistische Diagnose über die Zukunft der parlamentarischen Demokratie und ihre Korruptheit. 1937 wünscht sich Leopold III. de Man als Premierminister. Doch nach unendlichem Hin und Her wird de Man abermals Finanzminister. In Flandern findet de Man begeisterte Anhänger unter den jungen Führerschaft der Partei, darunter Michel Tommelein. Mit ihm nehmen die „Jungen Sozialistischen Gardisten“ an allen flämischen Nationalfeiern teil, so z.B. am Guldensporendag (11. Juli), der an die Niederlage der französischen Ritterschaft (1302) gegen die Handwerker von Brügge und Ieper (Ypern) erinnert. Ein Flügel der Partei befindet sich somit auf bestem Wege zur Nationalisierung.
Im Jahre 1938 freut sich de Man über das Ergebnis des Münchener Abkommens. Für das Pariser Blatt L`OEUVRE schreibt er eine Reihe von Artikeln für den Frieden. Mit dem Einverständnis des Königs bereist er alle europäischen Länder, vor allem die des Osloer Paktes (Benelux und Skandinavien). Zu seinen aufmerksamsten Zuhörern zählen der norwegische Minister Koth und der französische Schriftsteller Jules Romains. Dieser rät ihm, den frankophilen Diplomaten Otto Abetz in Berlin aufzusuchen. De Man wird jedoch weder mit Ribbentrop noch mit Hitler ein Gespräch gewährt. In Italien trifft er sich mit dem italienischen Außenminister Ciano, der ihm erklärt, dass Italien nach einem günstigen Vorwand und den notwendigen Bündnissen sucht, um seine Rechnung mit Frankreich endgültig zu begleichen. Zu diesem Zeitpunkt ist de Man zu der Ansicht gelangt, dass die Achsenmächte eine europäische Friedenskonferenz nicht wünschen.
Ende 1938 stirbt „Vater“ Vandervelde. De Man wird an die Spitze seiner Partei gewählt, weil er als einziger genügend Prestige und Energie hat, um dieses Amt zu bekleiden. Den militanten Antifaschismus der unteren Führungskräfte der Partei bezeichnet de Man als „konservativ“! Für ihn ist eine solche Einstellung die Weigerung, die anstehenden Probleme richtig zu verstehen und anzupacken. Im September 1939 wird de Man Minister ohne Geschäftsbereich in einer Regierung, die sich auf das Schlimmste gefasst macht. In Flandern werden seine Ideen in der hervorragenden Zeitschrift LEIDING verbreitet, die Sternhell bedauerlicherweise nicht lesen konnte. Diese Zeitschrift sprach sich für eine kompromisslose Neutralität aus und trat ein doppeltes pazifistisches Erbe an: dasjenige der Sozialistischen Internationale und dasjenige des flämischen Nationalismus. Letzterer hatte in den 20er Jahren die französisch-belgischen Militärabkommen vehement angegriffen. Eines seiner beliebtesten Schlagworte war: „Kein Tropfen flämischen Blutes für Frankreich!“ Im jüngst entbrannten Konflikt eine Auseinandersetzung zwischen Faschismus und Antifaschismus zu erblicken, wäre widersinnig: das autoritär-militärisch regierte Polen war mit der französischen und der englischen Demokratie verbündet; die Vereinigten Staaten und Italien blieben neutral. Das Portugal Salazars und die Türkei von Kemal Atatürk hatten Abkommen geschlossen mit Frankreich und England. Die Lage konnte unmöglich in Schwarz-Weiß geschildert werden. Das schrieb de Man zur Zeit der „Drole de Guerre, des kuriosen Krieges zwischen September 1939 und Mai 1940. Von Sozialisten, so schrieb er, seien bald antifaschistische Motivationen, bald antikapitalistische Gefühle zu vernehmen: so etwas lösche die katastrophalen Folgen des Versailler Vertrags nicht aus! De Man bleibt bei seinem Standpunkt der Jahre 1919-1923: Kriegstreiberei sei unverantwortlich. Die Schreiberlinge, die sich ein europäisches Gemetzel wünschen, so wird er in LEIDING schreiben, werden selbstverständlich der Mobilmachung entkommen; die laufen keine Gefahr, Witwen und Waisen zu hinterlassen.
Im Mai 1940 rücken die deutschen Truppen in Belgien ein, um leichter auf Paris marschieren zu können. De Man begibt sich fast sofort an die Seite des Königs, der ihn bittet, seine Mutter, Königin Elisabeth, geborene Wittelsbach und Witwe von Albert I., in Schutz zu nehmen. Mittlerweile leisten die französischen Truppen keinen ernsthaften Widerstand. Die belgische Armee sprengt Brücken – sofern ihre knapp bemessenen Mittel es ihr erlauben, läuft allerdings Gefahr, von den Stukas abgeschnitten und bombardiert zu werden. Die Straßen des Landes sind überfüllt mit Tausenden von Flüchtlingen. Um ein fürchterliches Massaker zu vermeiden, beschließt der König die Kapitulation und bleibt im Land mit seinen Soldaten gefangen. Der französische Minister Paul Reynaud und die Pariser Presse überschütten den Monarchen mit Beschimpfungen, bezichtigen ihn des Verrats, um der eigenen Öffentlichkeit den Zusammenbruch der französischen Armee zu verschleiern. Nach Ansicht Reynauds hatte Leopold III. zwei schlechte Berater: General van Overstraeten und – de Man. Die Bevölkerung ihrerseits freut sich über das Ende des Krieges. Viele Soldaten kehren heim. Die Parlamentsmitglieder sind in Frankreich, und das Volk betrachtet sie als „Déserteurs“. Belgien bekommt eine Militärverwaltung unter dem General der Infanterie Alexander von Falkenhausen. Dieser hat nur eines im Sinn: Frieden und Ordnung. Alles bleibt beim Alten.
In der Vorkriegszeit hatte neutralistisches Gedankengut die Gemüter stark beeinflusst. Ein Großteil der Abgeordneten hatte sich die These einer Nichteinmischung im Falle eines deutsch-französischen Konflikts zu Eigen gemacht. Selbst der Kardinal von Roey ließ vernehmen, es sei „ein Verbrechen, die Nation in einen Krieg hineinzuzerren“. Auch die rechtsautoritären Parteien wie der nationalflämische VNV (Vlaams Nationaal Verbond), die wallonische Rex-Bewegung von Léon Degrelle, die royalistische „Ligue pour l`Indépendance“ oder gar der VERDINASO (Verbond van Dietsche Nationaal-Solidaristen) eines Joris van Severen entschieden sich für eine strikte Neutralität. Die Kommunisten, geschockt durch den deutsch-sowjetischen Nichtangriffspakt vom August 1939, waren etwas verwirrt, gehorchten jedoch schließlich wohl oder übel den Weisungen des damals mit dem Deutschen Reich verbündeten Kremls. Die Sozialisten hüllten sich in Schweigen, in der Meinung, die Neutralität sei alles in einem das kleinere Übel. Doch wollten sie ihre moralische Solidarität mit den gegen den Nazismus Krieg führenden Demokratien nicht verleugnen. Sowohl in Flandern als auch in Wallonien werden Manifeste für die Neutralität unterschrieben. Unter den Mitunterzeichnern findet man die Namen von Robert Poulet (1945 in absentia zum Tode verurteilt), dem Historiker Paul Colin (1943 vom Widerstand ermordet), dem Journalisten Paul Herten, dem Essayisten Pierre Daye (Rexbewegung), von Léon Moulin und Raymond de Becker. Auf der flämischen Seite tauchen insbesondere Victor Leemans (VNV), Frans Daels (VNV, 1945 in die Schweiz geflüchtet) und der Dichter und Abt Cyriel Verschaeve auf. In Lüttich unterschreiben mehrere Persönlichkeiten ein Gegenmanifest, in dem die Solidarität mit Frankreich verlangt wird. Zu den Unterzeichnern gehörte de Mans ehemaliger Weggefährte Louis de Brouckère. Der Salon des Ehepaars Didier in Brüssel organisierte regelmäßige Konferenzen, wo neutral gesinnte Persönlichkeiten (darunter natürlich de Man) das Wort ergriffen. Während des Krieges hoben Edouard und Lucienne Didier die berühmten „Editions de la Toison d`Or“ aus der Taufe, welche u.a. die Ideen der „Konservativen Revolution“ in Belgien verbreiteten. Soviel über die politisch-geistige Stimmung in Brüssel. Der deutsche Einmarsch überraschte eine öffentliche Meinung, die eher geglaubt hatte (wie General van Overstraeten), die Franzosen würden als erste in Belgien einmarschieren, um das Ruhrgebiet zu erreichen und Polen Hilfe zu leisten. Deswegen waren im Oktober 1939 zwei Drittel der belgischen Streitkräfte im Süden des Landes konzentriert. Im Mai 1940 beging Deutschland einen schweren psychologischen Fehler.
Nach der Kapitulation Frankreichs und dem Waffenstillstand glaubt der aus dem Regierungsamt entlassene de Man feststellen zu müssen, dass die Ära des Liberalismus zu Ende ist und dass Hitler Europa einigen wird. Von jetzt an kann die „soziale Revolution in Deutschland“ (so nannte man sie nämlich in Westeuropa) nicht mehr totgeschwiegen werden. De Man fordert deshalb die Mitglieder der Arbeiterpartei auf, die Tatsache des deutschen Sieges anzuerkennen, die wirtschaftliche Tätigkeit der sozialistischen Stiftungen weiterzuführen, die politische Rolle der Partei jedoch als endgültig beendet zu betrachten. Seiner Meinung nach hatte der Nationalsozialismus die Klassenschranken weitgehend abgebaut. Das Manifest de Mans hatte gleichwohl einen autoritären Charakter, wollte es doch alle Belgier unter der Schirmherrschaft des Königs versammeln. Letztendlich wollte de Man unter der deutschen Besatzung ein politisches System herbeiführen, aus dem alle ehemaligen Parlamentarier, Minister und Politiker ausgeschlossen wären. Diese Umorientierung wird von der Partei nicht gutgeheißen: die Rolle der Arbeiterpartei betrachtet man dort nicht als beendet. Man wagt nicht, eine solche Perspektive in Betracht zu ziehen. Von jetzt ab wird de Man zum Außenseiter in den eigenen Reihen. In Zukunft wird er ein „cavalier seul“ sein, wie er später die französische Ausgabe seiner Autobiographie betitelt. Jedoch läuft er nicht zum Nationalsozialismus über: Er hat bloß vermeiden wollen, dass Männer der Rechten, vor allem Klerikale, sich durch kollaborationistisches Überbieten der Verwaltung des Landes bemächtigen. Das einzige Zugeständnis de Mans an die hitleristische Ideologie im Manifest von 1940 war der Hinweis auf den „Schutz der Rasse“. Wenn wir hier von Zugeständnis sprechen, dann deshalb, weil sich im Gesamtwerk de Mans keine einzige Anspielung auf Rassismus oder Antisemitismus befindet. Jahre später schrieb er, dass er den Schritt zum Nationalsozialismus nicht vollziehen konnte, weil er dieses Regime allzu sehr kannte, hatte er doch seine Machtübernahme miterlebt und es 1933 zu bekämpfen versucht. „Seien wir stets auf der Seite der Menschlichkeit gegen den Krieg – sozialistische Politik und Friedenspolitik darf nicht im Dienste des Kriegführenden stehen.“ Dazu kommt, dass für de Man der Nationalsozialismus nicht der belgischen Mentalität entsprach, dem Asketen de Man lag die geradezu überschwängliche Begeisterung der Nationalsozialisten fern. Ein Umstand, auf den auch die herzhafte Abneigung gegen den Enthusiasten Degrelle zurückzuführen war.
Allerdings gingen etliche Jungsozialisten zur Kollaboration über, unter ihnen Edgar Delvo. Diese jungen Männer glaubten an den politischen Tod der Arbeiterpartei. Das „Manifeste aux militants socialistes“, ein Aufruf de Mans an die sozialistischen Aktivisten, datiert vom 28. Juni 1940. Am 31. Juli wird ein neuer „Allgemeiner Arbeiterverband Belgiens“ (Confédération générale du Travail de Belgique, CGTB) gegründet. Der 22. November ist das offizielle Geburtsdatum der „Union der Hand- und Geistesarbeiter“, die einen Versuch darstellt, alle belgischen Gewerkschaften in einer einzigen Dachorganisation zusammenzufassen. In diesem Organ sollte Delvo wichtige Funktionen innehaben. Dies war der Rahmen, in dem die den Leitideen de Mans treu gebliebenen Altkameraden, die sich für die Kollaboration entschlossen, tätig werden sollten. Nach dem Krieg veröffentlichte Delvo drei Bücher, welche die Gründe für seine Entscheidung darlegen. In der Vorkriegszeit hatte Delvo durch seine regelmäßigen Gespräche mit Professor Victor Leemans Werner Sombart, Carl Schmitt und Hans Freyer kennen gelernt. Der erste von diesen drei deutschen Denkern hatte ihn auf die Wichtigkeit des nationalen Faktors innerhalb des Sozialismus jedes Volkes aufmerksam gemacht. Carl Schmitt hatte ihn scheinbar weniger angesprochen. Hier liegt der Unterschied zwischen dem Katholiken Leemans und dem Sozialisten Delvo. Hans Freyer war es, der geschrieben hatte, der Marxismus vermöge nicht, Hegels konkretes und organisatorisch erfülltes Freiheitsideal sozialistisch weiterzubilden und sinke in flache egalitäre Freiheitsideen zurück. Delvo stand diesem jungen, hegelianisch geprägten Sozialismus nahe, ganz besonders aber jenem Idealismus, den man in den deutschen Jugendbewegungen wieder findet. Selbstverständlich setzte sich Delvo für eine echte Volkssolidarität ein und billigte die klassisch gewordenen Reden der Rechten wider den Gleichheitsgedanken, in dem er – nicht zu Unrecht – einen Klassenegoismus erblickte. Eine feste Freundschaft entstand zwischen Delvo und dem Leiter des VNV, Staf de Clercq. Delvo fühlte sich angesprochen durch die geplante Schaffung einer einzigen Bewegung für das gesamte flämische Volk. Im Übrigen sollte eine entsprechende Bewegung auch in Wallonien ins Leben gerufen werden. De Man allerdings wünschte eine einzige Bewegung für das gesamte Königreich unter der Schirmherrschaft des Königs, während Delvo und de Clercq die Monarchie als überflüssig empfanden. Der Nachfolger de Clercqs, Elias, betrachtete de Man als einen entwurzelten Weltenbummler. De Man dachte seinerseits, der völkische Kult der Scholle sei belanglos.
Als er zusehen musste, wie die Kollaboration immer mehr föderalistische Pfade beschritt, statt darauf hinzuzielen, die Monarchie zu unterstützen oder den alten belgischen Nationalstaat aufrecht zu erhalten, beschloss de Man, sich nach Savoyen zurückzuziehen. Von da an orientierte sich die Kollaboration an pangermanischen Vorbildern und an der SS, indem sie auf die Schaffung von zwei Volksgauen hinarbeitete, die von zwei Volksführern geleitet würden: dem Pangermanisten Jef van de Wiele, Leiter der Organisation Devlag (Deutsch-Flämische Arbeitsgemeinschaft) und dem Wallonen Léon Degrelle, dem politischen Führer der „Légion Wallonie“. Diese neue Orientierung missfiel zahlreichen konservativ gesinnten Anhängern der Monarchie, vor allem denen, die sich vor dem Krieg in der „Légion Nationale“ von Paul Hoornaert eingefunden hatten, einer Bewegung, die manchmal auf Maurras, ja sogar manchmal auf Mussolini schwor. Als königstreue Bewegung trat sie für die nationale Einheit gegen den flämischen Separatismus ein. Ihre Gefolgschaft sollte größtenteils zum bewaffneten Widerstand übergehen. So erlebte Belgien in den Jahren 1943 und 1944 einen Bürgerkrieg, in dem „königstreue Faschisten“ einen erbarmungslosen Kampf gegen „Nationalsozialisten“ führten, die föderalistisch dachten und die Rückkehr der ehemaligen „Österreichischen Niederlande“ in den Schoß des Reiches erzwungen wollten. Ab 1941 werden die Kommunisten in den Widerstand treten, was die Lage weiter erschweren wird.
Schon im Herbst 1941 hält de Man sich in Savoyen auf, wo er sich dem Verfassen mehrerer historischer und autobiographischer Bücher widmet. Er nimmt Abstand vom Zeitgeschehen und schreibt den ersten Entwurf von „Au delà du Nationalisme“ (Jenseits des Nationalismus), eines Buches, das 1946 in Genf erscheint und das mit der faschistischen Versuchung endgültig bricht – eine Tatsache, die Sternhell hätte unterstreichen können. War de Man enttäuscht von der Entwicklung der Lage? Bedauerte er den deutschen Einfall in die UdSSR, und ahnte er dessen unheimliche Folgen für das Reich? Klagte er darüber, dass die Kollaboration sich als „nur antikommunistisch“ gab, was de Man als unangepasst und überholt betrachtete, war doch der Marxismus selber schon überholt? Während man die erste dieser Fragen mit „Ja“ beantworten kann, fällt es sehr schwer, die anderen richtig zu beantworten. Sie werden ein historisches Rätsel bleiben. In seinem Werk „Jenseits des Nationalismus“ befürwortete de Man eine Art von supranationalem „Funktionalismus“, der an eine humanistische Einweltideologie grenzt. Er sah auch, dass Europa immer vor Washington und Moskau zurückwich. Dank seiner treuen Freundschaft zu Hans Oprecht, dem Präsidenten der schweizerischen Sozialistischen Partei, setzt sich de Man 1944 in die Schweiz ab. Mittlerweile verurteilen ihn belgische Militärgerichte zu 20 Jahren Haft und zur Beschlagnahmung seines gesamten Vermögens. Eine große politische Karriere erfährt ein trauriges Ende.
Spaak allerdings geht 1940 nach London, nachdem er vergeblich bei der deutschen Besatzungsmacht um ein Amt in der künftigen Verwaltung Belgiens geworben hatte. Das Schicksal trennte beide Männer besonders tragisch: Spaak kehrte 1944 nach Brüssel zurück, nachdem die britischen Armeen unter Montgomery in die Stadt einmarschiert waren. Es ist anzunehmen, dass er im Grunde seines Herzens weiterhin Affinitäten zu de Man hatte. So zum Beispiel verlas er 1957 in Genf, im Rahmen der „Rencontres Internationales“, ein glänzendes Referat über „Europa und seine Einswerdung“, wobei er insbesondere auf den „Funktionalismus“ hinwies.
Bevor er nach Savoyen ging, war de Man in Paris Ernst Jünger begegnet. Er fühlte sich angesprochen von den Fragmenten des Tagebuchs „Gärten und Straßen“. Der Verfasser der „Marmorklippen“ zog ihn an, besonders wegen seines Scharfsinns und seines schlichten, sachlichen Stils. In seinen Erinnerungen schreibt de Man, er hätte Ernst Jünger gerne entweder unter seinem Befehl als Unteroffizier oder als Vorgesetzten und Truppenführer oder gar als Gegner gehabt.
Während seines Aufenthaltes in der Schweiz heiratete de Man wieder und begann mit einer letzten, sehr eigenartigen Arbeit, die in Deutsch unter dem Titel „Vermassung und Kulturverfall“ erschien. Es handelt sich um ein soziologisches Buch, in dem der anthropologische Pessimismus des kulturellen Konservatismus (Spengler, Ortega y Gasset u.a.) stark mitschwingt. Delvo schreibt, in diesem Werk sei de Man unkenntlich geworden: Die Lebenskraft und der Optimismus des ehemaligen Sozialistenführers seien in keiner Zeile wieder zu finden. Über „Vermassung und Kulturverfall“ müsste man einen ganzen Artikel schreiben, was den Rahmen dieses Porträts allerdings sprengen würde. Am 20. Juni 1953 wird der kleine Wagen de Mans von einem Zug erfasst. Hendrik de Man ist sofort tot. In Belgien können die Regierenden aufatmen: Er wird nie wieder sprechen.
16:32 Publié dans Biographie | Lien permanent | Commentaires (0) | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook