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vendredi, 11 août 2023

Une admirable lettre de Saint-Exupéry au général X: «Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot»

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Une admirable lettre de Saint-Exupéry au général X: «Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot»

Nicolas Bonnal

Pilote de guerre Saint-Ex est placé pour parler de la technologie ; or celle-ci anéantit le combat et le goût du combat et le voyage et le goût du voyage.

Il écrit donc dans sa lettre :

« Je viens de faire quelques vols sur « P-38 ». C’est une belle machine. J’aurais été heureux de disposer de ce cadeau-là pour mes vingt ans. Je constate avec mélancolie qu’aujourd’hui, à quarante-trois ans, après quelque six mille cinq cents heures de vol sous tous les ciels du monde, je ne puis plus trouver grand plaisir à ce jeu-là. Ce n’est plus qu’un instrument de déplacement – ici, de guerre. Si je me soumets à la vitesse et à l’altitude à un âge patriarcal pour ce métier, c’est bien plus pour ne rien refuser des emmerdements de ma génération que dans l’espoir de retrouver les satisfactions d’autrefois. Ceci est peut-être mélancolique, mais peut-être bien ne l’est pas. »

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Il a redécouvert par hasard le goût du déplacement en carriole, le goût du cheval, du mouton, des oliviers :

« Ceci est peut-être mélancolique, mais peut-être bien ne l’est pas. C’est sans doute quand j’avais vingt ans que je me trompais. En octobre 1940, de retour d’Afrique du Nord où le groupe 2-33 avait émigré, ma voiture étant remisée, exsangue, dans quelque garage poussiéreux, j’ai découvert la carriole et le cheval. Par elle, l’herbe des chemins. Les moutons et les oliviers. Ces oliviers avaient un autre rôle que celui de battre la mesure derrière les vitres à cent trente kilomètres à l’heure. Ils se montraient dans leur rythme vrai qui est de lentement fabriquer des olives. Les moutons n’avaient pas pour fin exclusive de faire tomber la moyenne. Ils redevenaient vivants. Ils faisaient de vraies crottes et fabriquaient de la vraie laine. Et l’herbe aussi avait un sens puisqu’ils la broutaient. »

Même la poussière est parfumée :

« Et je me suis senti revivre dans ce seul coin du monde où la poussière soit parfumée (je suis injuste, elle l’est en Grèce aussi comme en Provence). Et il m’a semblé que, durant toute ma vie, j’avais été un imbécile... »

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Après la tristesse devant la mécanisation du monde lui revient :

« Tout cela pour vous expliquer que cette existence grégaire au cœur d’une base américaine, ces repas expédiés debout en dix minutes, ce va-et-vient entre les monoplaces de 2600 CV dans une sorte de bâtisse abstraite où nous sommes entassés à trois par chambre, ce terrible désert humain, en un mot, n’a rien qui me caresse le cœur. Ça aussi, comme les missions sans profit ou espoir de retour de juin 1940, c’est une maladie à passer. Je suis « malade » pour un temps inconnu. Mais je ne me reconnais pas le droit de ne pas subir cette maladie. Voilà tout. Aujourd’hui, je suis profondément triste – et en profondeur. Je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine. Qui, n’ayant connu que le bar, les mathématiques et les Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd’hui dans une action strictement grégaire qui n’a plus aucune couleur. »

En trois mots il expédie son époque :

« De la tragédie grecque, l’humanité, dans sa décadence, est tombée jusqu’au théâtre de M. Louis Verneuil (on ne peut guère aller plus loin). Siècle de la publicité, du système Bedeau, des régimes totalitaires et des armées sans clairons ni drapeaux ni messe pour les morts. Je hais mon époque de toutes mes forces. L’homme y meurt de soif. »

Ce n’est pas le même style (quelle chance nous avions tout de même), mais ce sont les thèmes de Céline et Bernanos. Saint-Ex ajoute sur la disparition spirituelle de la guerre :

« Considérez combien il intégrait d’efforts pour qu’il fût répondu à la vie spirituelle, poétique ou simplement humaine de l’homme. Aujourd’hui que nous sommes plus desséchés que des briques, nous sourions de ces niaiseries. Les costumes, les drapeaux, les chants, la musique, les victoires (il n’est pas de victoire aujourd’hui, rien qui ait la densité poétique d’un Austerlitz. »

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Et alors que Bernanos prépare sa France contre les robots (pauvre France ! Pauvre Bernanos !), il écrit notre pilote :

« Ah ! Général, il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles. Faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots. Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources : les impasses du système économique du XIXe siècle, le désespoir spirituel. »

Il pressent que l’après-guerre sera terrible, les termites (il en parle aussi) n’ayant rien compris :

« À quoi servira de gagner la guerre si nous en avons pour cent ans de crise d’épilepsie révolutionnaire ? Quand la question allemande sera enfin réglée, tous les problèmes véritables commenceront à se poser. Il est peu probable que la spéculation sur les stocks américains suffise, au sortir de cette guerre, à distraire, comme en 1919, l’humanité de ses soucis véritables. Faute d’un courant spirituel fort, il poussera, comme champignons, trente-six sectes qui se diviseront les unes les autres. Le marxisme lui-même, trop vieillot, se décomposera en une multitude de néo-marxismes contradictoires. On l’a bien observé en Espagne. À moins qu’un César français ne nous installe dans un camp de concentration néo-socialiste pour l’éternité. »

Le César on l’a ; il s’appelle Jupiter. Vive nos antiquités gréco-latines contre lesquelles se déchaînent aussi Bernanos et Céline.

On nous châtrés, ajoute le maître :

« Nous sommes étonnamment bien châtrés. Ainsi sommes-nous enfin libres. On nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissés libres de marcher. Mais je hais cette époque où l’homme devient, sous un totalitarisme universel, bétail doux, poli et tranquille. On nous fait prendre ça pour un progrès moral ! Ce que je hais dans le marxisme, c’est le totalitarisme à quoi il conduit. L’homme y est défini comme producteur et consommateur, le problème essentiel est celui de distribution. Ainsi dans les fermes modèles. Ce que je hais dans le nazisme, c’est le totalitarisme à quoi il prétend par son essence même. On fait défiler les ouvriers de la Ruhr devant un Van Gogh, un Cézanne et un chromo. Ils votent naturellement pour le chromo. Voilà la vérité du peuple ! »

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Et il n’avait pas vu la télé et les réseaux sociaux !

Plus on est allé vers le peuple  au nom de la république ou de la démocratie libérale ou socialo (éducation, conscription, élections), plus on a récolté le totalitarisme qui a son tout a récolté le peuple. On a le bétail soumis en échange.

Le maître ajoute :

« On boucle solidement dans un camp de concentration les candidats Cézanne, les candidats

Van Gogh, tous les grands non-conformistes, et l’on alimente en chromos un bétail soumis. Mais où vont les États-Unis et où allons-nous, nous aussi, à cette époque de fonctionnariat universel ? L’homme robot, l’homme termite, l’homme oscillant du travail à la chaîne : système Bedeau, à la belote. L’homme châtré de tout son pouvoir créateur et qui ne sait même plus, du fond de son village, créer une danse ni une chanson. L’homme que l’on alimente en culture de confection, en culture standard comme on alimente les bœufs en foin. C’est cela, l’homme d’aujourd’hui. »

Hommage à la princesse de Clèves qui avait tant énervé l’insupportable Sarkozy :

« Et moi, je pense que, il n’y a pas trois cents ans, on pouvait écrire La Princesse de Clèves ou s’enfermer dans un couvent pour la vie à cause d’un amour perdu, tant était brûlant l’amour. Aujourd’hui, bien sûr, des gens se suicident. Mais la souffrance de ceux-là est de l’ordre d’une rage de dents. Intolérable. Ça n’a point à faire avec l’amour. »

Et il conclue pensant à ses pauvres voisins endormis dans son baraquement militaire :

« Depuis le temps que j’écris, deux camarades se sont endormis devant moi dans ma chambre. Il va me falloir me coucher aussi, car je suppose que ma lumière les gêne (ça me manque bien, un coin à moi !). Ces deux camarades, dans leur genre, sont merveilleux. C’est droit, c’est noble, c’est propre, c’est fidèle. Et je ne sais pourquoi j’éprouve, à les regarder dormir ainsi, une sorte de pitié impuissante. Car, s’ils ignorent leur propre inquiétude, je la sens bien. Droits, nobles, propres, fidèles, oui, mais aussi terriblement pauvres. Ils auraient tant besoin d’un dieu. Pardonnez-moi si cette mauvaise lampe électrique que je vais éteindre vous a aussi empêché de dormir et croyez en mon amitié. »

Car, s’ils ignorent leur propre inquiétude, je la sens bien.

Tu vas voir le prochain vaccin, tu vas voir leur Reset, tu vas voir leur nouvelle guerre mondiale, tu vas voir les CBDC.

vendredi, 15 mai 2020

"Pilote de guerre", une aventure héroïque de l'homme confronté à la défaite ou la remise en question personnelle

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"Pilote de guerre", une aventure héroïque de l'homme confronté à la défaite ou la remise en question personnelle

par Didier Lafargue

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

Paru en Amérique, Pilote de guerre évoque le drame vécu par Saint-Exupéry, aviateur en France, lors de la débâcle de 1940. Mobilisé dans l'armée de l'air, il dut accomplir des missions de reconnaissance photographique. L'une d'elles fut le vol effectué dans le nord de la France au-dessus d'Arras le 23 mai 1940, prétexte à l'écriture du roman.
 
Démobilisé après l'armistice et persuadé que le salut pour son pays viendrait de l'Amérique, il s'exila aux Etats-Unis. Furieux d'entendre les Américains dire que les Français s'étaient mal battus, il entreprit la rédaction de ce livre pour montrer la vraie réalité de la guerre. Son entreprise permit à Saint-Exupéry de se livrer à une réflexion sur l'homme et les valeurs de la civilisation occidentale.

Si l'on veut avoir la meilleure idée du contexte de l'époque, il faut s'imaginer l'Iliade racontée par un Troyen, les guerres puniques narrées par un Carthaginois.

pilote-guerre-5a0d988cbcf26.jpgIl est par comparaison aisé d'évoquer une victoire, toujours une occasion d'affirmer son moi et de se hisser sur le pavois. On ne peut à ce sujet qu'opposer une épopée au récit d'une défaite dans la mesure où son caractère grandiloquent va à l'encontre de tout désir de lucidité. L'épopée vise au grandissement, voire à une exagération tendant à la valorisation de tout un peuple. Mais il peut exister un autre type de narration, propre des vieilles civilisations ayant acquis une profonde expérience de l'âme humaine, qui donne toute la mesure de celle-ci quand elle est confrontée à l'épreuve. C'est une vieille idée, l'être qui reçoit un coup de bâton connaît un état affectif lui donnant subitement une plus grande conscience de lui-même.
Sous l'emprise de la douleur, des idées nouvelles remontent des profondeurs de son âme, de nouveaux enseignements se greffent sur sa personne. Tel est le message chrétien qui veut faire progresser la conscience sous l'empire de la souffrance humaine.

Si Terre des hommes offrait une vision de la paix, Pilote de guerre montre l'homme confronté à la guerre. La foi en l'homme et en son avenir émerge de la lecture de l'œuvre. Un monde en pleine désagrégation a permis à l'écrivain de donner tout son relief à la dignité humaine malgré les désillusions engendrées par une guerre perdue.

Un très fort sentiment de la dignité humaine.

On mesure la valeur spirituelle du roman quand on réalise la haute tenue morale que son auteur accorde à la nature humaine. En 1940, le peuple français avait perdu la guerre. Pour Saint-Exupéry, la défaite ne s'est pas produite en vain ; c'est le thème des graines évoqué par l'écrivain. Déposée dans l'âme de l'être humain, elles vont être appelées à germer et l'amener à maturité. En cela, le mythe rejoint les paraboles de l'évangile.
« La graine de cèdre, bon gré, mal gré, deviendra cèdre. La graine de ronce deviendra ronce [...] Le germe, hanté par le soleil, trouve toujours son chemin à travers la pierraille du sol » [1]

Notre auteur reprendra l'image dans Le petit prince au sujet de la rose qui grandit parce que l'enfant a semé et entretenu une graine. Nul ne naît avec une âme toute faite, il faut la construire peu à peu, une vérité sous-tendue par l'écrivain lorsqu'il dit
« Vivre, c'est naître lentement »[[Ibid., Chapitre X, p. 60.]]. « Deviens ce que tu es » [2], disait le poète.

Pour cela, il faut avoir le sens de l'effort, seule condition de notre progrès personnel. S'il est certes douloureux, l'effort peut aussi être joyeux et générer en chacun un juste respect de soi-même. Le président Roosevelt, immobilisé dans une chaise roulante, le savait bien puisque son handicap l'avait incité à se surpasser.

On réalise alors qu'il est engagé dans un voyage initiatique duquel tout va dépendre. Au bout du parcours se trouve le Graal, magnifique symbole spirituel donnant son sens à l'action accomplie. C'est le joyau mystérieux et caché recherché par le héros, l'être visant à progresser dans sa conscience. « Ce but n'est point pour l'Intelligence mais pour l'Esprit » [4] disait Saint-Exupéry. Ce dernier s'oppose aux idéologies totalitaires qui nuisent à cette quête dans laquelle s'est engagé l'être humain. Il refuse
« cet Etat [qui] prêche clairement une morale du collectif que nous refusons encore, mais vers laquelle nous nous acheminons, nous-mêmes, lentement, faute de nous souvenir de l'homme qui, seul, justifierait notre refus » [5].

L'homme achevé est celui qui sait maîtriser le temps, autrement dit sait préparer l'avenir en réalisant un projet, soit en construisant son bonheur dans le futur mais aussi dans le présent.

L'épreuve dans la défaite, une remise en question personnelle.

L'issue de la guerre, considérée par Saint-Exupéry évoquant l'exode de 1940, frappe par son caractère d'absurdité. N'existe plus aucune logique dans un monde subitement livré au chaos. On ne continue à agir que pour jouer le jeu, même si l'on sait que celui-ci est perdu d'avance. « Nous jouons un jeu qui imite la guerre [...] Nous jouons à croiser la baïonnette devant des tanks. » [6] Dans un tel contexte émerge sa conception de l'homme tout entier et de la nécessaire affirmation de sa personnalité. Le drame qui s'est produit alors, la nouvelle situation générée par l'invasion allemande, a entraîné une remise en question des valeurs humanistes défendues par l'auteur.

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Pour Saint-Exupéry, chaque être doit avoir en lui ce qu'il appelle la substance, base de sa dignité, autrement dit doit se sentir motivé par ce qu'il fait, connaître le sens de ses actes. Cela, l'écrivain l'avait remarqué chez ses camarades les plus valeureux, animés par une substance qui leur permettait simplement d'être. Or, elle faisait à présent défaut à la plupart de ses compatriotes. Dorénavant, ceux-ci n'étaient plus, car aucun but ne dirigeait leurs actions ; personne ne savait à présent à quoi il servait. En principe, chacun est formé par son métier. Mais dans les circonstances décrites par l'aviateur, l'avenir est aboli pour être remplacé par un « ersatz d'avenir ». Il en découle une perte d'identité de l'individu, une sorte d'éparpillement à l'intérieur de l'être.

Cette faiblesse de l'âme apparaît avec une densité particulière dans le spectacle de l'exode présenté par l'écrivain. « Où vont-ils ? ils ne savent pas ! Ils marchent vers des escales fantômes, car à peine cette caravane aborde-t-elle une oasis, que déjà il n'est plus d'oasis. » [7] Par groupes entiers, les gens paraissent à l'abandon. Saint-Exupéry, qui a tant valorisé le rôle du chef, le voit absent. Personne n'apparaît pour guider ces fuyards.

Inertie et inefficacité règnent partout. « On ne remonte plus les pendules. On ne ramasse plus les betteraves. On ne répare plus les wagons. » [8]

Le caractère absurde de la période apparaît surtout dans les missions confiées aux pilotes de reconnaissances, des « missions sacrifiées » puisqu'elles ne servent à rien, les renseignements recueillis n'arrivant jamais à l'état-major que l'invasion a obligé de se déplacer, ou étant devenus inutiles. Dans un tel contexte, chaque pilote n'agit plus pour un idéal élevé, demeure prisonnier de ses préoccupations du moment, attaché uniquement aux détails matériels.
A partir de là, Saint-Exupéry dénonce l'excès de technicité dont souffre la civilisation, lequel, à l'image du pilote dont le travail consiste à contrôler cent-trois appareils, tend à transformer l'être humain en une vulgaire machine

 Cette dernière va jusqu'à caractériser les dirigeants du pays dont l'action reste étroitement limitée. « Dans une administration, conçue pour parer aux inconvénients de l'arbitraire humain, les engrenages refusent l'intervention de l'homme. Ils refusent l'horloger. » [9] Dans un autre écrit, l'écrivain finira par s'insurger lorsqu'il dira : « Pourquoi découvre-t-on chaque fois que l'on sort de France, qu'il y avait en France quelque chose de relâché ? [...] Pourquoi les hommes se désintéressent-ils de leurs fonctions, se désintéressent-ils du social ? » [10] Enfin, le caractère absurde de ce tableau émane de la nature prise par la mort. Celle-ci n'a en la circonstance aucun caractère héroïque car l'on ne sait pas pourquoi on meurt. « Le sacrifice perd toute grandeur s'il n'est plus qu'une parodie ou un suicide » [11].

Telle est la vision, bien pessimiste, de cette période dépeinte par l'écrivain. Mais luit toujours la lumière dans l'obscurité et, si noire que soit la situation, finit par émerger une lueur d'espoir. Là prend son sens l'expérience de Saint-Exupéry, car c'est dans la réaction à cet état général que se jauge la profondeur de son message spirituel.

Nouvelle conscience et approfondissement des valeurs humaines.

La remise en question invoquée par l'écrivain ne se fonde sur aucune prise de position particulière, mais prend uniquement un tour personnel. Les échecs apprennent à mieux se connaître et à s'améliorer ; on doit tirer parti des batailles perdues. Sur ce point, Saint-Exupéry tente de se singulariser en ne recherchant pas des causes extérieures à soi, de caractère social ou politique, mais en plongeant aux tréfonds de l'âme pour mieux en cerner les détours. Opposé à la passivité, il suggère de tirer leçon de la défaite et de tenter de comprendre ce qu'elle peut apporter à chaque être. Si l'on y est parvenu, on aura transformé un échec en échéance, cela seul est important. Les principes humanistes, essence de la dignité humaine, trouveront à s'exprimer.

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Pour un être qui avait donné une telle importance à la notion de racine, on comprend que le retour aux valeurs de l'enfance ait été le premier moteur de cet engagement, ce qui ne saurait étonner de la part de l'auteur du Petit prince. On ne guérit pas de son enfance, et celle-ci est à l'origine de tout ce qui est grand et noble dans le monde, l'essence même de la pureté originelle. « L'enfance, ce grand territoire d'où chacun est sorti ! D'où suis-je ? Je suis de mon enfance. Je suis de mon enfance comme d'un pays. » [12] Le regard que le petit prince porte sur les adultes, à travers les six planètes visitées, est celui de l'être ayant un œil neuf et qui, comme tel, sait juger avec distance les travers de ses semblables. Son exemple offre un parfait contraste avec l'attitude négative des dirigeants français au cours de la guerre, tant critiquée par l'écrivain.

Le principe de responsabilité que celui-ci avait valorisé dans Terre des hommes est de nouveau mis en lumière. La tendance néfaste existant en l'homme de rejeter la faute sur autrui, celle consistant à trouver absolument un bouc émissaire, est niée avec vigueur.

Saint-Exupéry s'affirme délibérément partie prenante au désastre collectif. La faute est en lui, non à l'extérieur de lui, et il n'existe pas de meilleure manière de s'opposer aux événements que de se remettre en question et de se reconstruire moralement. Si la défaite est assumée avec lucidité, alors elle se transforme en victoire personnelle faisant de chacun un autre homme, un être qui bande ses forces pour recommencer à vivre. Par ce choix, s'exprime la notion de liens si chère à l'auteur.

Etre plus uni à ses camarades renforce à ce sujet les convictions de Saint-Exupéry. Entre lui et ceux-ci existe une interdépendance, celle qui résulte des échanges animant leurs relations. Dans de tels moments, l'épreuve ne détruit pas, mais forge une nouvelle personne plus libre et plus consciente. « Je ne m'inquiète pas du limon épars s'il abrite une graine. La graine le drainera pour construire. » [13]La force d'âme que Saint-Exupéry appelle à faire naître en chacun l'incite à renouer avec les valeurs chrétiennes de la civilisation, aboutissement de son œuvre. La conscience manifestée par l'homme doit reposer sur les trois grandes idées chrétiennes dont notre monde est l'héritier : la liberté, l'égalité, la charité.

Le culte chrétien enseigne d'abord que l'homme est libre. Il s'agit d'une conception très particulière de la liberté cependant, celle qui consiste à fonder dans le futur. Aujourd'hui, la liberté est devenue synonyme de licence et de jouissance, un travers dénoncé par l'écrivain.

page0001_1.jpgL'égalité, si elle s'applique aux droits de chacun, se doit aussi de concerner leurs devoirs, ce qu'a oublié la Révolution française et qu'avait enseigné le christianisme. Or, ceux-ci diffèrent entre les personnes, comme l'évoque le mythe des pierres dont parle Saint-Exupéry. Toutes les pierres constituant la cathédrale ont une importance qui varie selon leur place dans l'édifice. Le libéralisme, qui veut disperser toutes les pierres, ne l'a pas compris ; encore moins le marxisme, lequel veut rassembler ces pierres pour en faire un tas informe où tous les éléments seront identiques et où l'individu sera écrasé par la masse. « Ce que je hais dans le marxisme, c'est le totalitarisme à quoi il conduit. L'homme y est défini comme producteur et consommateur, le problème essentiel étant celui de la distribution » [14] disait l'écrivain.

Enfin l'essence de la charité est d'être fondée sur le sacrifice, car donner représente toujours un sacrifice. « [La fraternité] se noue dans le seul sacrifice. Elle se noue dans le don commun à plus vaste que soi. » [15] « Il faut juger la France sur son consentement au sacrifice. » [16] Celui-ci se résume dans l'idée consistant à renoncer à ses plaisirs personnels pour être pleinement responsable. A cette fin, Napoléon Bonaparte avait exigé que les professeurs ne se marient pas pour qu'ils puissent entièrement se consacrer à une tâche jugée capitale. Dans le monde moderne, a été substituée au sacrifice la médiocrité, celle des êtres s'abstenant de réaliser une œuvre véritable. « La charité véritable, étant exercice d'un culte rendu à l'homme, au-delà de l'individu, imposait de combattre l'individu pour y grandir l'homme. » [17]

Là prend sa valeur le héros pensé par Saint-Exupéry dans la mesure où il exprime le rapport entre l'être humain et une puissance située plus haut que lui. Est donné un caractère mystique à son œuvre. « Une civilisation est un héritage de croyances, de coutumes et de connaissances, lentement acquises au cours des siècles, difficiles parfois à justifier par la logique, mais qui se justifient d'elles-mêmes, comme des chemins, s'ils conduisent quelque part, puisqu'elles ouvrent à l'homme son étendue intérieure. » [18] L'intériorité recherchée par l'auteur vise à nous faire approcher ce mystère divin résidant en notre être. Dieu est maintes fois cité dans les dernières pages de son œuvre. « L'Homme de ma civilisation ne se définit pas à partir des hommes. Ce sont les hommes qui se définissent par lui. Il est en lui, comme en tout Etre, quelque chose que n'expliquent pas les matériaux qui la composent. » [19] Telle est la force vitale qui fait résister à l'emprise des idéologies, lesquelles, sous prétexte de procurer le paradis sur terre, veulent rassembler les individus en un seul bloc. Le salut ne peut venir que de la personne seule, non de la masse. De cette manière seulement avancera l'Humanité, ainsi l'ont compris les grands esprits. Jésus, Socrate se sont adressés aux individus de préférence aux foules, leur enseignement s'est alors répandu. C'est l'idée que Saint-Exupéry a voulu promouvoir quand il dit : « Une foule en vrac, s'il est une seule conscience où déjà elle se noue, n'est plus en vrac. Les pierres du chantier ne sont en vrac qu'en apparence, s'il est perdu dans le chantier un homme, serait-il seul, qui pense cathédrale. » [20]

L'épisode de Pilote de guerre se présente comme un grossissement donnant son enseignement dans tous les moments de la vie quotidienne. Point n'est besoin de connaître la guerre et les souffrances physiques pour acquérir la sagesse dégagée par l'auteur, encore qu'il est des cas où l'Histoire peut influer sur le devenir de la personne humaine. Chacun, au long de son existence, est appelé à connaître l'épreuve, la désillusion, l'échec. Ceux-ci sont autant d'obstacles rapprochant de la conscience divine. Pour y parvenir, la volonté, valeur suprême défendue par l'écrivain, donne à l'individu l'occasion de se former et de retrouver son identité. Si les conclusions du vol au-dessus d'Arras accompli par l'écrivain furent perdues pour l'Etat-major, elles ne le furent pas pour ses lecteurs, même si elles n'étaient en aucune manière de nature militaire. La graine ensemencée par Saint-Exupéry a prospéré dans leur cœur bien après sa mort, et aujourd'hui encore la vérité issue de cette période tragique inonde leur âme de toute sa lumière.
 
Bibliographie :

md20367294865.jpgMarcel Migeo, Saint-Exupéry. Paris : Flammarion, 1958.
Clément Borgal, Saint-Exupéry mystique sans la foi. Paris : Centurion, 1964.
Real Ouellet, Les relations humaines dans l'œuvre de Saint-Exupéry. Paris : Lettres modernes, 1971.


Notes:

[1] Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre. Paris : Gallimard, 1942. Collection Folio, Chapitre XXIV, p. 186.

[2] Pindare, Pythiques, II, vers 72. Traduit par Gauthier Liberman. Paris : Calepinus, 2004. p.67.

[3] Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre, op. cit., Chapitre XVIII, p. 131.

[4] Ibid., Chapitre VII. p.45.

[5] Ibid., Chapitre XXVII, p. 214.

[6] Ibid., Chapitre VII, p. 44.

[7] Ibid., Chapitre XV, p. 99.

[8] Ibid., Chapitre I, p. 10.

[9] Ibid., Chapitre XII, p. 77.

[10] Cité dans Marcel Migeo, Saint-Exupéry. Paris : Flammarion, 1958, p. 227.

[11] Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre, op.cit., Chapitre XIII, p. 83.

[12] Ibid., Chapitre XIV, p 90.

[13] Ibid., Chapitre XXIV, p 185.

[14] Antoine de Saint-Exupéry, Lettre au général X. Cité dans Antoine de Saint-Exupéry, Œuvres complètes. Tome2. Paris : Gallimard, 1999. p.332

[15] Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre, op. cit., Chapitre XXVII, p 211.

[16] Ibid., Chapitre XVII, p 125.

[17] Ibid., Chapitre XXVII, p. 211.

[18] Ibid., Chapitre XIX, p. 160.

[19] Ibid., Chapitre XXV, p. 198.

[20] Ibid., Chapitre XXIV, p. 185. 
 

mercredi, 23 octobre 2019

Saint-Exupéry contre la vie ordinaire

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Saint-Exupéry contre la vie ordinaire

par Nicolas Bonnal
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
Écrivain rarement relu car incompris et saccagé à l’école, Antoine de Saint-Exupéry nous donnait pourtant une bonne vision du monde moderne dans Terre des Hommes. Et cela donne :

« Conduits par le même chauffeur taciturne, un matin de pluie. Je regardais autour de moi : des points lumineux luisaient dans l’ombre, des cigarettes ponctuaient des méditations. Humbles méditations d’employés vieillis. À combien d’entre nous ces compagnons avaient-ils servi de dernier cortège ? »

Ici en Espagne, j’entends toujours ébaubi la nullité de nos retraités français sur le paseo maritime. Ils ne parlent que de leur santé, du médecin, des remboursements, de leur immobilier, et de machin qui est à Sydney ou à Harvard. Le grand remplacement a déjà eu lieu, il a été spirituel et moral, je ne crois pas une seconde à un quelconque redressement, et cela donne la médiocrité déjà décrite au dix-neuvième siècle (voyez aussi les analyses de notre ami Mircea Marghescu sur Dostoïevski, synthétisées récemment par Philippe Grasset). Cela donne sous la plume de Saint-Ex :

« Je surprenais aussi les confidences que l’on échangeait à voix basse. Elles portaient sur les maladies, l’argent, les tristes soucis domestiques. Elles montraient les murs de la prison terne dans laquelle ces hommes s’étaient enfermés. Et, brusquement, m’apparut le visage de la destinée. »

Ensuite notre aède du petit prince se défoule. Et ce n’est pas à raconter aux enfants ni aux élèves :

« Vieux bureaucrate, mon camarade ici présent, nul jamais ne t’a fait évader et tu n’en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d’aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t’es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu ne veux point t’inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d’homme. Tu n’es point l’habitant d’une planète errante, tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit bourgeois de Toulouse. Nul ne t’a saisi par les épaules quand il était temps encore. Maintenant, la glaise dont tu es formé a séché, et s’est durcie, et nul en toi ne saurait désormais réveiller le musicien endormi ou le poète, ou l’astronome qui peut-être t’habitait d’abord. »

Le successeur peut toujours devenir disc-jockey (trois fils de mes amis d’enfance sont disc-jockeys !), avocat d’affaires ou faire des jeux de mots.

L’aviation faisait alors rêver… Chantre d’une certaine modernité, notre auteur voit vite l’impasse technique – même l’aviation des pionniers dégénère :

« Je ne me plains plus des rafales de pluie. La magie du métier m’ouvre un monde où j’affronterai, avant deux heures, les dragons noirs et les crêtes couronnées d’une chevelure d’éclairs bleus, où, la nuit venue, délivré, je lirai mon chemin dans les astres. »

Après la prose poétique, la crue réalité. Le ciel de l’idéal héroïque devient usine ou laboratoire :

« Ainsi se déroulait notre baptême professionnel, et nous commencions de voyager. Ces voyages, le plus souvent, étaient sans histoire. Nous descendions en paix, comme des plongeurs de métier, dans les profondeurs de notre domaine. Il est aujourd’hui bien exploré. Le pilote, le mécanicien et le radio ne tentent plus une aventure, mais s’enferment dans un laboratoire. Ils obéissent à des jeux d’aiguilles, et non plus au déroulement de paysages. Au-dehors, les montagnes sont immergées dans les ténèbres, mais ce ne sont plus des montagnes. Ce sont d’invisibles puissances dont il faut calculer l’approche. Le radio, sagement, sous la lampe, note des chiffres, le mécanicien pointe la carte, et le pilote corrige sa route si les montagnes ont dérivé, si les sommets qu’il désirait doubler à gauche se sont déployés en face de lui dans le silence et le secret de préparatifs militaires. »

C’est déjà l’aviation de la seconde guerre mondiale qui marquera la fin absolue de l’histoire. Voyez le légendaire début du film de Wyler Nos plus belles années. Depuis le progrès piétine mais comme tout est terminé... On perd ses jours dans le smartphone…

Vient la fameuse parabole du Mozart assassiné. On va lire plutôt le passage peu sage et oublié de ce sympathique maître qui se prend ici pour Céline. Il évoque comme on sait des ouvriers polonais :

« Les voitures de première étaient vides… Tout un peuple enfoncé dans les mauvais songes et qui regagnait sa misère. De grosses têtes rasées roulaient sur le bois des banquettes. Hommes, femmes, enfants, tous se retournaient de droite à gauche, comme attaqués par tous ces bruits, toutes ces secousses qui les menaçaient dans leur oubli. Ils n’avaient point trouvé l’hospitalité d’un bon sommeil.

Et voici qu’ils me semblaient avoir à demi perdu qualité humaine, ballottés d’un bout de l’Europe à l’autre par les courants économiques, arrachés à la petite maison du Nord, au minuscule jardin, aux trois pots de géranium que j’avais remarqués autrefois à la fenêtre des mineurs polonais. Ils n’avaient rassemblé que les ustensiles de cuisine, les couvertures et les rideaux, dans des paquets mal ficelés et crevés de hernies. Mais tout ce qu’ils avaient caressé ou charmé, tout ce qu’ils avaient réussi à apprivoiser en quatre ou cinq années de séjour en France, le chat, le chien et le géranium, ils avaient dû les sacrifier et ils n’emportaient avec eux que ces batteries de cuisine. »


L’évocation devient dure :

« Un enfant tétait une mère si lasse qu’elle paraissait endormie. La vie se transmettait dans l’absurde et le désordre de ce voyage. Je regardai le père. Un crâne pesant et nu comme une pierre. Un corps plié dans l’inconfortable sommeil, emprisonné dans les vêtements de travail, fait de bosses et de creux. L’homme était pareil à un tas de glaise. »

Et l’évocation devient même terrible (le monde moderne dégoûte tout le monde sauf les porcs, comme dirait Gilles Chatelet) :

« Et l’autre qui n’est plus aujourd’hui qu’une machine à piocher ou à cogner, éprouvait ainsi dans son cœur l’angoisse délicieuse. Le mystère, c’est qu’ils soient devenus ces paquets de glaise. Dans quel moule terrible ont-ils passé, marqués par lui comme par une machine à emboutir ? Un animal vieilli conserve sa grâce. Pourquoi cette belle argile humaine est-elle abîmée ? »

Une envolée verbale sur ce remugle humain :

« Et je poursuivis mon voyage parmi ce peuple dont le sommeil était trouble comme un mauvais lieu. Il flottait un bruit vague fait de ronflements rauques, de plaintes obscures, du raclement des godillots de ceux qui, brisés d’un côté, essayaient l’autre. Et toujours en sourdine cet intarissable accompagnement de galets retournés par la mer. »

Puis Mozart arrive :

« Quand il naît par mutation dans les jardins une rose nouvelle, voilà tous les jardiniers qui s’émeuvent. On isole la rose, on cultive la rose, on la favorise. Mais il n’est point de jardinier pour les hommes. Mozart enfant sera marqué comme les autres par la machine à emboutir. Mozart fera ses plus hautes joies de musique pourrie, dans la puanteur des cafés concerts. Mozart est condamné. »


Saint-Ex envoie dinguer la charité, soulignant plutôt l’anesthésie :

« Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort. Et ce n’est point la charité ici qui me tourmente. Il ne s’agit point de s’attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. C’est quelque chose comme l’espèce humaine et non l’individu qui est blessé ici, qui est lésé. »

Retour à Céline, au voyage en banlieue :

« Je ne comprends plus ces populations des trains de banlieue, ces hommes qui se croient des hommes, et qui cependant sont réduits, par une pression qu’ils ne sentent pas, comme les fourmis, à l’usage qui en est fait. De quoi remplissent-ils, quand ils sont libres, leurs absurdes petits dimanches ? »

Enfin cette évocation de la chanson en Russie, qui m’a enchanté enfant :

« Une fois, en Russie, j’ai entendu jouer du Mozart dans une usine. Je l’ai écrit. J’ai reçu deux cents lettres d’injures. Je n’en veux pas à ceux qui préfèrent le beuglant. Ils ne connaissent point d’autre chant. J’en veux au tenancier du beuglant. Je n’aime pas que l’on abîme les hommes. »


Qu’ils ont décidément raison d’être russophobes ! 
 
Nicolas Bonnal


Sources

Antoine de Saint-Exupéry – Terre des hommes

Nicolas Bonnal – Céline, la colère et les mots (Avatar, Amazon.fr)