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jeudi, 19 mai 2016

Le protestantisme évangélique, fer de lance du Nouvel Ordre Mondial en Chine?

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Le protestantisme évangélique, fer de lance du Nouvel Ordre Mondial en Chine?


Par Laurent Schiaparelli
Ex: http://lesakerfrancophone.fr

La Chine, grâce à son particularisme culturel, sa longévité civilisationnelle et sa puissance économique, est un des derniers bastions en Asie que l’Empire aura du mal à soumettre à son projet de Nouvel ordre mondial. Le protestantisme évangélique est un des chevaux de bataille de l’Empire pour imposer son modèle dans le monde. La Chine est dans le collimateur, et le sait.

La présence ininterrompue du christianisme en Asie débute au XVIe siècle, avec l’arrivée de Magellan aux Philippines. Souvent associés au colonialisme en Asie, les missionnaires étant jésuites, franciscains, dominicains, le christianisme jouit aujourd’hui d’une image de modernité, par opposition aux religions locales, synonymes de tradition.

Symbole de cette modernité, le christianisme a accompagné les transitions démocratiques en Corée du Sud et aux Philippines. C’est ce glissement des églises chrétiennes, en particulier du protestantisme évangélique, du religieux vers le social, puis vers le politique, qui pose problème dans certains pays asiatiques, la Chine en particulier, même si cela ne fait pas encore les gros titres.

On trouve une présence chrétienne dans à peu près tous les pays de l’Asie de l’Est. Au Japon depuis le XVIIe siècle, à Taïwan, en Mongolie, en Corée du Sud (10% de catholiques et 20% de protestants), à Hong Kong, etc. : les protestants, tantôt baptistes, adventistes, méthodistes, pentecôtistes, se taillent la part du lion, grâce à l’influence géopolitique américaine dans ces pays.

De la même manière aux Philippines, où les catholiques (augustins) évangélisèrent les premiers, dès l’arrivée de Magellan, le catholicisme fut progressivement en compétition avec le protestantisme évangélique à partir du rachat des Philippines par les États-Unis en 1898.

A Taïwan, un territoire revendiqué par la Chine, et obligé des États-Unis, le catholicisme (propagé par les jésuites) n’a pas pu s’y développer de façon significative, en dépit de sa présence antérieure au protestantisme. Les églises à Taïwan sont, malgré les liens diplomatiques officiels de Taipei avec le Saint-Siège, à très grande majorité protestantes.

Malgré cette présence déjà importante, l’Asie est pressentie pour être le plus grand foyer d’expansion du christianisme dans le monde au cours du siècle à venir. Pour atteindre cet objectif, il sera donc nécessaire d’évangéliser de nouveaux territoires et de nouvelles populations. C’est précisément ce que les églises évangéliques baptistes américaines font en Mongolie (500 églises protestantes, et une petite présence catholique), au Vietnam, en Birmanie, en Chine et en Corée du Nord.

La Corée du Nord, paradoxalement surnommée le royaume ermite en dépit de son interdiction de tout culte religieux, peut sembler un choix étrange pour envoyer des missionnaires chrétiens évangéliser une population qui n’est autorisée à pratiquer aucune religion, et qui pour la plupart est plus préoccupée par des questions de subsistance. Il faut donc se poser la question de l’objectif de ces pasteurs, qui entrent plus ou moins clandestinement en Corée du Nord, non pas avec les valises pleines de produits de première nécessité, comme on on est en droit de l’attendre, mais avec des valises pleines de bibles traduites en coréen.

Si l’objectif n’est pas humanitaire, alors quel est-il, et pourquoi a-t-il été jugé supérieur à l’impératif humanitaire? Cet objectif ne peut donc être que de fédérer des convertis autour d’une idéologie autre que celle qui émane du gouvernement. Il s’agit donc d’encouragement à la sédition, puisque les missionnaires vont proposer à la population une religion qui, quelle qu’elle soit, leur est interdite par leur gouvernement. Située à la frontière orientale de la Chine du Nord, la Corée du Nord présente un intérêt stratégique pour les États-Unis, et c’est ainsi qu’il faut comprendre l’intérêt des missions protestantes évangéliques pour cette région.

Les missionnaires qui traversent sporadiquement la frontière sino-coréenne, ou qui accueillent les Nord-Coréens qui s’exilent vers la Chine, sont des pasteurs américains, canadiens, sino-coréens ou américano-coréens, basés en Chine, où leur présence est acceptée. Tel fut le cas du missionnaire protestant Kenneth Bae, arrêté en Corée du Nord en 2012, accusé de préparer une insurrection d’inspiration religieuse, qu’il avait baptisée Operation Jericho, référence biblique aux murs de la ville qui furent détruits par les trompettes des Israélites.

En Chine, le christianisme a fait une remarquable percée dans les vingt à trente dernières années, grâce à la tolérance du régime de Pékin, et sa compréhension de l’importance d’un retour de la spiritualité dans une société qui en avait été privée pendant toute la période maoïste.

La grande majorité des églises chrétiennes accréditées en Chine sont protestantes (principalement baptistes, influence des pasteurs sino-américains oblige), car elles ne dépendent pas du Vatican, qui n’a pas de relations diplomatiques avec la Chine. Elles ne répondent pas non plus, en théorie, à une autorité religieuse supérieure venant d’un autre État, comme le Pape, qui, du point de vue de Pékin, aurait une influence jugée excessive sur ses fidèles en Chine (il existe des précédents historiques…), et entrerait en concurrence avec la suprématie du Parti.

Donc, en apparence, le protestantisme évangélique ne présente pas de danger pour Pékin, et remplit une fonction bien précise, en apparence inoffensive, de redonner une spiritualité à une population qui en demande, et qui est autorisée à choisir entre plusieurs formes de bouddhisme, le christianisme, le taoïsme et l’islam.

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Le problème est que le protestantisme évangélique vient des États-Unis, et que cette foi est gérée comme une multinationale : département de la stratégie (méthodes de travail), ressources humaines (recrutement et formation des pasteurs), marketing (publications, séminaires), logistique, relations publiques (rayonnement international grâce à une collaboration avec des artistes chrétiens, chanteurs, musiciens, acteurs, etc., qui tournent dans le monde entier).
Il est donc naturel que les églises protestantes évangéliques soient devenues, elles aussi, un outil de politique étrangère au service de l’Empire, comme l’attestent certaines informations émanant de personnalités de l’église évangélique elle-même, qui déplorent les relations incestueuses avec la CIA depuis plus de cinquante ans.

Il est établi que le travail de terrain des pasteurs dans les régions reculées du monde entier est systématiquement soumis à des séances de debriefing à Washington.

En plus des nombreux témoignages, souvent rétractés par la suite, de personnalités de la nébuleuse évangélique, et de personnalités à la retraite de l’industrie du renseignement, il est intéressant de rappeler la confession du Président américain Gerald Ford à ce sujet en 1975, sur l’utilisation passée, et fort probablement future, de missionnaires comme agents de la CIA, en violation flagrante du principe de séparation de l’État et de l’Église.

Ce qui ressort de ces révélations est que l’hégémonie américaine continue d’être promue dans le monde par une nébuleuse d’agents de propagande extraordinairement diversifiée, la religion et l’humanitaire jouant le rôle de fer de lance.

Le travail, dès les années 1960 en Amérique du Sud, de la fondation Wycliffe Bible Translators (aussi connue sous le nom de Summer Institute of Linguistics, ou SIL), associée à l’église évangélique Southern Baptists et à la famille Rockefeller (propriétaires de la Standard Oil) pour pacifier les populations pauvres locales, les convertir au christianisme évangélique, et les exproprier de gré ou de force pour prendre possession des ressources locales (au profit, incidemment, de la Standard Oil), semble avoir été financé par la communauté du renseignement américain. Ce travail d’évangélisation et de pacification est décortiqué dans le remarquable ouvrage Thy Will Be Done, The Conquest of the Amazon, de Gerard Colby et Charlotte Dennett, publié chez Harper Collins en 1995.

Cet ouvrage mentionne notamment deux points intéressants :

– Dès 1930, The Laymen’s Foreign Missions Inquiry (l’enquête sur les missions d’évangélisation des profanes à l’étranger), à l’initiative de John D. Rockefeller Jr. (Standard Oil) et de John Mott (pasteur méthodiste, dirigeant des YMCA et fondateur en 1948 du Conseil œcuménique des églises) a commandité une recherche de terrain sur toute l’Asie, et publié un rapport en 1932 appelé Rethinking Missions (Repenser les missions d’évangélisation).

– Une relation, connue aujourd’hui de tous, entre la CIA et l’agence indépendante du gouvernement des États-Unis USAid (qui comme son nom ne l’indique pas, dépend de la branche exécutive du gouvernement fédéral américain) au Laos et ailleurs en Asie, datant de l’époque de la Guerre du Vietnam:

«Le directeur d’USAid sous l’administration Nixon, John Hannah, a reconnu publiquement qu’USAid a financé des opérations de la CIA au Laos, et des révélations ultérieures établissent bien l’existence d’une telle collaboration en Équateur, en Uruguay, en Thaïlande et aux Philippines. Ces révélations pourraient causer du tort à toutes les missions d’évangélisation, mais le Summer Institute of Linguistics (SIL) était particulièrement vulnérable […] Dès les années 1960, SIL tirait de confortables revenus de l’USAid par le biais de gouvernements étrangers destinataires de l’aide USAid, ou directement de programmes financés par l’USAid dans les domaines de l’éducation bilingue et l’établissement de coopératives de développement agricole. À ces revenus venait s’ajouter une aide en équipement venant de surplus militaires, incluant des hélicoptères qui étaient exfiltrés du Vietnam et donnés à SIL

De nombreux exemples récents attestent que ces pratiques ont fait des émules, comme en atteste l’enquête du gouvernement américain en 1976 sur les liens de la CIA coréenne (KCIA) avec la secte évangélique du révérend Moon, et continuent depuis, au Venezuela, en Corée du Nord, en Birmanie, et à Singapour, où plusieurs pasteurs ont été accusés et incarcérés pour activités de sédition contre l’État.

En Birmanie aujourd’hui, les pasteurs baptistes convertissent en masse les membres des groupes ethniques (les Ho, les animistes, les bouddhistes Asho, etc.) historiquement opprimés par le régime de Rangoon. Comme à l’accoutumée, l’Empire endoctrine et forme les opposants naturels des régimes qui sont sur sa route, pour plus tard attaquer ces mêmes régimes par dissident interposé. Suivant les techniques de guérilla, ils travaillent en églises-cellules (cell-churches).

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Il existe depuis quelques années une forte activité de ces églises protestantes baptistes en Birmanie, notamment à la frontière avec la Chine. On peut imaginer que ce développement ne doit pas manquer d’attirer l’attention de Pékin, qui pourrait se sentir, là aussi, encerclé et pénétré par une force d’influence extérieure, qui au contraire du Vatican, ne dit pas son nom, n’a pas de centre, n’a pas de leader, mais n’en est pas moins influente sur les esprits. Le fonctionnement des églises-cellules, qui vouent une sorte de culte de la personnalité au pasteur venu de l’étranger, ou ayant une relation proche avec les États-Unis, fait parfois penser à celui de sectes, notamment celles du mouvement protestant néo-charismatique.

En quoi une importante communauté évangélique peut-elle être une source d’inquiétude pour un gouvernement asiatique?

L’intervention avérée de pasteurs et autres intervenants accrédités (télévangélistes, conférenciers, chanteurs, etc.) dans les églises évangéliques pour donner des consignes de vote à leurs fidèles, comme ce fut le cas en Corée du Sud, donne une idée de ce qui attend les pays asiatiques qui laissent se répandre le protestantisme évangélique hors de tout contrôle.

En octobre 2011, lors d’élections en Corée du Sud, un groupe de chrétiens protestants a été accusé par la Commission électorale de la Communauté urbaine de Séoul d’envoyer des courriels de nature politique à des citoyens non-pratiquants et non-membres de leurs groupes, contenant une consigne de vote pour un candidat conservateur.

Dans des pays où il n’y a pas d’élections comme la Chine, la Birmanie ou la Corée du Nord, l’action des convertis, souvent choisis délibérément parmi les classes défavorisées (minorités ethniques, populations paupérisées), bien que pas uniquement, peut mener à des actions de nature anti-gouvernementale. Ce fut le cas récemment en Chine, à Wenzhou (la Jérusalem de la Chine), où l’opposition de fidèles protestants à la destruction d’une église décidée par le gouvernement local s’est soldée en faveur des manifestants. Comme le dit un pasteur chinois à cette occasion, «le gouvernement chinois se méfie de l’Église chrétienne, mais ne peut se mettre à dos 70 millions de fidèles» (dont 10 à 12 millions de catholiques de l’église officielle).

C’est justement ce militantisme grassroot, préconisé par les méthodes de prosélytisme et d’évangélisme baptiste, qui pose problème au gouvernement, car il prend vite une dimension politique, renforcée par son association à diverses ONG et autres acteurs de la société civile, souvent financés depuis l’étranger.

On remarque dans la littérature protestante évangélique une constante, celle de parler de persécution des chrétiens en Asie, alors que le nombre d’églises ne cesse d’y augmenter depuis 30 ans. Il s’agit encore de cette technique éprouvée sous d’autres latitudes, selon laquelle un agresseur se décrit comme victime de la situation qu’il a créée : ici, elle permet de dénoncer des États policiers non démocratiques (le Mal absolu), tout en fédérant les fidèles à l’étranger, pour qu’ils donnent de leur personne et partent évangéliser à leur tour, et lever des fonds pour les victimes (Le Bien).

Si persécution sporadique de chrétiens il y a en Asie, elle est éventuellement le fait d’une concurrence avec d’autres religions en cours d’implantation, comme l’islam dans le sud des Philippines, et non du fait de gouvernements, qui ne font que tenter de maîtriser l’expansion d’une foi considérée comme étrangère, et qui recourt à des techniques de guérilla pour se répandre.

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Le protestantisme évangélique a beau s’autodéclarer religion autochtone, ce n’est qu’un mantra destiné à convertir plus de fidèles qui auraient des réticences à adopter une foi jugée étrangère par leur gouvernement.

Ce n’est que lorsque l’ordre public est fortement perturbé, comme à Wenzhou ou en Corée du Nord, qu’un pasteur peut se retrouver emprisonné et les fauteurs de trouble arrêtés. Rien qu’en Chine, entre 1949 à 2015 (mais en fait entre 1978 et 2015, puisque la liberté de religion a été anéantie pendant la révolution culturelle qui dura jusqu’en 1976), le nombre de protestants est passé de 1 à 70 millions, reconnus par l’État, avec leurs églises (plus de 50 000 aujourd’hui), et leur interlocuteur gouvernemental (le Mouvement patriotique des Trois Autonomies) : peut-on parler de persécution des protestants en Chine?

Les réunions que le Parti sanctionne sont celles tenues illégalement dans les maisons des fidèles, avec des pasteurs étrangers inconnus des services d’immigration ou du ministère de tutelle des religions en Chine, venant sur des visas touristiques, ne déclarant pas leur occupation ni l’objet de leur visite en Chine. Ce sont ces églises illégales qui sont à l’origine de l’envoi de missionnaires en Corée du Nord. «Nous voulons aider, et c’est plus facile pour nous que pour un pasteur anglais, sud-coréen ou américain», déclare anonymement un pasteur d’une église illégale en Chine.

Il semble donc établi que le prosélytisme protestant évangélique en Asie est un véhicule comme tant d’autres de pénétration de l’Empire, dans sa quête d’imposer son Nouvel Ordre Mondial.

Est-ce qu’une collaboration avec le Vatican ne serait pas finalement plus bénéfique au gouvernement chinois et au Vatican? Le catholicisme est bien moins prosélyte que son pendant protestant, ce qui est d’ailleurs bien la raison pour laquelle il perd du terrain en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Il est aussi plus détaché traditionnellement de la politique, comme en atteste une lettre adressée en 2007 par le Pape Benoît XVI aux catholiques de Chine, tentant d’établir une méthode de collaboration avec l’autorité de tutelle des catholiques de Chine, l’Association patriote catholique de Chine (qui, pour être autorisée, a dû officiellement désavouer le Pape).

Ce qui pouvait être perçu comme une tentative du Pape Benoît XVI de travailler vers une normalisation des relations avec la Chine sur une base de respect mutuel est peut être moins vrai depuis l’arrivée du Pape François.

Il est probable que Pékin aurait été plus à l’aise de continuer les négociations avec le Pape Benoît XVI, qui oscillaient entre des périodes de consensus puis de différends,  plutôt qu’avec son successeur, qui est plus préoccupé de générer un bruit de fond médiatique sur des questions sociétales, plutôt que spirituelles. Les prises de position du Pape François, publiquement pro-immigration, pro-LGBT et droit-de-l’hommistes ne sont pas pour rassurer Pékin, pour qui ces trois questions sont d’anciennes préoccupations qui ne disparaîtront pas de sitôt. Tout d’abord, la crainte d’une immigration incontrôlée de réfugiés nord-coréens si le régime de Corée du Nord s’effondrait; la décision année après année de maintenir l’interdiction du prosélytisme LGBT; et une définition des droits de l’homme différente de la version messianique et moralisatrice de l’Occident.

L’expansion agressive du protestantisme évangélique américain en Asie, aux frontières nord, est et sud de la Chine et en Chine elle-même, ne peut qu’inquiéter le gouvernement chinois. Le rapprochement avec le catholicisme, moins prosélyte et moins porté au discours politique, est une alternative que le régime chinois pourrait envisager. Seule la question de l’ordination des évêques continue de diviser le Vatican et l’Association patriote catholique de Chine, après avoir été en passe d’être résolue sous Benoît XVI, avec des ordinations concertées pendant quelques années.

Malheureusement, les récents développements au Vatican, les prises de position sociétales de la nouvelle papauté, qui causent l’incompréhension même en Occident, ne peuvent que refroidir toute velléité de rapprochement avec le Vatican que la Chine aurait pu avoir, alors qu’il aurait été bénéfique aux deux États.

Le régime chinois, contraint de faire un choix entre un évangélisme baptiste agressif et cheval de Troie de l’Empire, et une mouture nouvelle du catholicisme, droit-de-l’hommiste, moraliste et véhiculant elle aussi les valeurs du même Empire, mais dans une version européenne et jésuite (et donc aussi avec une forte composante évangélique), n’aura peut-être d’autre choix que de maintenir le statu quo voire de durcir le ton vis-à-vis de tous les Chrétiens de Chine.

Laurent Schiaparelli

Article original pour Le Saker Francophone

vendredi, 03 janvier 2014

Réflexions sur les “chrétiens sionistes”

 

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Wolfgang CASPART:

Réflexions sur les “chrétiens sionistes”

 

Les “chrétiens sionistes” aux Etats-Unis sont notamment ces évangélistes qui prêchent un lien indéfectible entre Washington et Tel Aviv

 

Les calvinistes puritains partagent avec les juifs le culte de l’Ancien Testament. Ce n’est pas simplement une option religieuse, donc gentiment confinée à la sphère religieuse, mais une option bel et bien sécularisée qui a des retombées immédiates dans le domaine du politique. La plupart des calvinistes, tout comme une majorité de juifs, vivent aujourd’hui aux Etats-Unis, ce qui fait que les intérêts calvinistes et juifs ont de plus en plus tendance à fusionner Outre-Atlantique. Ceux qui ne veulent pas comprendre cette collusion d’intérêts se condamnent à ne pas comprendre les orientations spirituelles et politiques de l’hegemon mondial.

 

Certes, le christianisme ne saurait être perçu comme un bloc homogène et unitaire; cette remarque vaut également pour le calvinisme qui se subdivise en de nombreuses églises libres. Le judaïsme n’est pas davantage homogène. A l’intérieur du calvinisme, toutes tendances confondues, ce sont toutefois les évangélistes fondamentalistes qui donnent le ton, tout comme le font les sionistes au sein du judaïsme. Pour de nombreux observateurs des faits religieux et politiques, l’Amérique, et non pas l’Etat d’Israël, est le véritable siège du sionisme dans le monde (cf. Michael Collins Piper, “The New Jerusalem. Zionist Power in America”, Sisyphus Press, 2005).

 

Les “Evangelicals” sont des calvinistes qui, sur la base de leur doctrine, se sentent proches des juifs en général et des sionistes en particulier. Pour les juifs sionistes, Israël est la patrie de tous les juifs; les “Evangelicals”, eux, voient les juifs et Israël sous un angle très spécial, celui du “pré-millénarisme”. Celui-ci s’explique suit à une lecture fondamentaliste de l’Apocalypse de Saint Jean dans le Nouveau Testament. La philosophie chrétienne de l’histoire —qui s’en déduit— voit le monde actuel plongé dans le péché comme un monde soumis au Diable, au Semeur de confusion, au Séducteur, à Satan, Lucifer, l’Antéchrist, etc. A son tour, cette vision d’un monde soumis au Diable implique que ce monde doit passer par un temps de troubles et de désordres graves avant qu’une catastrophe apocalyptique le détruise et amène le retour triomphal du Christ. Après le retour du Christ, la première parousie, le Diable sera pris prisonnier et le Règne de Mille Ans, le “Millenium” des justes et des saints, adviendra. Mais le Diable va brièvement échapper à sa captivité puis sera vaincu et définitivement exilé dans les enfers. Le Christ reviendra alors une seconde fois (deuxième parousie) et prononcera le Jugement Dernier.

 

Les pré-millénaristes parmi les “Evangelicals” voient dès lors le retour des juifs en Palestine comme le préliminaire nécessaire à l’imminent premier retour du Christ. C’est pour cette raison qu’ils favorisent le retour des juifs en Palestine: ce retour précipitera le retour du Christ. Selon Ezéchiel 37:12, l’alliance vétéro-testamentaire repose sur la promesse suivante: “Ainsi parle le Seigneur votre Dieu: voyez, je veux ouvrir vos tombeaux et vous en sortir, ô mon peuple, et sortis de vos tombeaux, je vous mènerai au pays d’Israël”.

 

Le site visé par la promesse  dans Ezéchiel est donc Jérusalem ou Israël: les pré-millénaristes fondamentalistes chrétiens, de manière bien étonnante, ne prennent pas pour argent comptant les paroles du Christ dans l’Evangile de Saint Jean 18:36, qui disent: “Mon royaume n’est pas de ce monde”. Ils ignorent tout autant le verset de l’Apocalypse (21:2), où l’on peut lire: “Et moi, Jean, je vis aussi la ville sainte, Jérusalem nouvelle, descendre du ciel d’auprès de Dieu”. Dans l’“Epitre aux Hébreux” (12:22): “Vous vous êtes approchés, vous, de la Montagne de Sion avec la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste”. Propos similaires dans l’”Epitre aux Galates” (4:26): “Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et c’est elle notre mère”. On peut déduire de ces textes que la Jérusalem et l’Israël du futur, d’un point de vue chrétien, ne sont pas des lieux géographiques, comme le veut le sionisme des “Evangelicals”, mais des lieux métaphysiques. Les prises de positions des “Evangelicals” pour l’occupation factuelle du territoire palestinien par les sionistes ne correspondent donc pas aux paroles du Nouveau Testament.

 

Il faut rappeler ici la parole de Jésus, rapportée par l’Evangile selon Saint Matthieu (5:17): “Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes, mais pour les accomplir”. Cette parole doit se définir dans une perspective chrétienne selon l’Evangile de Saint Jean (14:6): “Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi”. A quoi s’joute les mots de l’”Epitre aux Romains” (13:10): “La charité est donc l’accomplissement plenier de la Loi”. Les calvinistes étant théoriquement chrétiens, donc lecteurs du Nouveau Testament, on ne voit donc pas comment ils peuvent en arriver à penser “que chaque grain de sable entre, d’une part, le Jourdain et la Mer Morte, et, d’autre part, la Méditerranée appartient aux juifs et que, donc, leur appartiennent aussi la Cisjordanie et Gaza”. Et qu’ils puissent faire leur ce slogan: “Nous nous battons pour le droit à posséder tous les pays que Dieu a donné à Abraham au moment de l’Alliance il y a 4000 ans, pays qui appartiennent dès lors à Israël... Il n’y a pas de Palestiniens” (cf.: Jane Lampman, “Mixing Prophecy and Politics”, in: “Christian Science Monitor”, 7 juillet 2004). L’interprétation des calvinistes est donc contraire aux principes du Nouveau Testament.

 

En constatant cette interprétation sioniste et non néo-testamentaire des écritures, on ne s’étonnera pas que “les chrétiens sionistes américains, avec les forces armées israéliennes, sont les derniers bastions actifs de l’Etat hébreu” (cf.: Daniel Pipes, “[Christian Zionism]: Israel’s Best Weapon”, in: New York Post (on line)”, 15 juillet 2003). Le chef des services de communication de Benjamin Netanyahou écrivait un jour: “Remercions Dieu de l’existence des chrétiens sionistes” (cf. Michael Freund, “Christian Zionists Key to Continued U.S. Support for Israel”, in: “Jewish Press (on line)”, 27 décembre 2006).

 

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Que cela nous plaise ou non, l’avenir des relations entre Israël et les Etats-Unis dépend finalement moins des juifs américains que des chrétiens américains”. Le représentant de la majorité républicaine, Richard Armey, déclarait naguère être satifsfait “du fait qu’Israël s’empare de toute la Cisjordanie” et ne s’est distancé que bien plus tard des paroles qu’il avait ajoutées à ses propos pro-israéliens, paroles selon lesquelles “les Palestiniens devaient partir” (cf. Matthew Engel, “Senior Republican Calls on Israel to Expel West Bank Arabs”, in: “The Guardian”, 4 mai 2002).

 

Certes, il faut bien admettre aussi que “la plupart des juifs américains ne veulent rien avoir à faire avec la nouvelle droite chrétienne” (cf. Naomi M. Cohen, “Dual Loyalties: Zionism and Liberalism” in Allon Gal, “Envisionning Israel. The Changing Ideals and Images of American Jews”, Magnes Press & Wayne State University Press, Jerusalem/Detroit, 1996, p. 326). Ces juifs, qui ne supportent pas les discours enflammés de la nouvelle droite chrétienne des “Evangelicals”, estiment que coopérer avec ceux-ci équivaut à forger une “alliance malsaine” (cf. Jo-Ann Mort, “An Unholy Alliance in Support of Israel”, Los Angeles Times, 19 mai 2002). Par ailleurs, les sionistes eux-mêmes craignent les intentions missionnaires qui se profilent derrière les déclarations d’amour des “Evangelicals” (cf. Gershom Gorenberg, “The End of Days: Fundamentalism and the Struggle for the Temple Mount”, Free Press, New York, 2000).

 

Finalement, malgré ces réticences perceptibles dans la communauté juive, David Harris, directeur de l’American Jewish Committee, voit les choses sous un angle pragmatique: “La fin des temps peut advenir demain mais ce qui importe aujourd’hui, c’est Israël” (cité par Bill Broadway, “The Evangelical-Israeli Connection: Scripture Inspires Many Christian to Support Zionism Politically, Financially”, in “Washington Post”, 27 mars 2004).

 

40 millions de personnes se déclarent “Evangelical Christians” dans le camp de la droite américaine et des Républicains (cf. John J. Mearsheimer et Stepehn M. Walt, “Die Israel-Lobby. Wie die amerikanische Aussenpolitik beeinflusst wird”, Campus verlag, Frankfurt am Main, 2007). Ces quarante millions d’“Evangelicals” travaillent au projet du “siècle juif” (cf. Yuri Slezkine, “Das jüdische Jahrhundert”, Vandenhoeck und Rupprecht, Göttingen, 2006). Selon d’autres sources, il y aurait 70 millions d’“Evangelicals” aux Etats-Unis et même 600 millions dans le monde entier (cf. Craig Nelson, “Christian Zionists: Evangelicals a New Lifeline for Israelis”, in “Atlanta Journal-Constitution”, 25 décembre 2003). A ce poids considérable, il faut ajouter les tendances généralement philo-sémitiques des églises évangéliques plus conventionnelles ou d’autres confessions chrétiennes après 1945.

 

Concluson: les “Evangelicals” qui s’engagent politiquement aux Etats-Unis, hegemon dans le monde, prennent parti pour l’un des deux grands partis, en l’occurrence les Républicains, tandis que la majorité des juifs opte pour les Démocrates (cf. Jeffrey Helmreich, “Amerikas Juden sind mehrheitlich für Obama”, in “Mittelbayerische Zeitung”, 28 juin 2012). Donc en Amérique, croit-on, dur comme fer, que le Millenium ou l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament sont sur le point de devenir très bientôt réalité?

 

Wolfgang CASPART.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, http://www.zurzeit.at , n°6/2013).