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vendredi, 01 mai 2020

Contre-discours américain - Infodémie et guerre de l’information

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Contre-discours américain

Infodémie et guerre de l’information
 
par François-Bernard Huyghe
 
Ex: http://www.huyghe.fr

En France on instaure le Ministère de la Vérité ; aux USA, les agences gouvernementales et les think tanks lancent une opération contre la « désinformation chinoise

D’après la directrice du Global Engagement Center, dépendant du Département d’État, Lea Gabrielle (récemment venue de Fox News) : “le Kremlin poursuit ses tentatives de propager la désinformation, mettant en danger la santé mondiale en sapant les efforts des gouvernements, des agences et organisations de santé chargées de diffuser des informations précises sur le virus, comme l'Organisation mondiale de la santé.” (déclaration). Elle ajoute : ” En Chine, au cours de la crise, nous avons surveillé quelques pistes des narratifs. L’un est la désinformation malveillante destinée à blâmer faussement les États-Unis, accusés d’être à l'origine du coronavirus et le second, l'effort de la Chine pour transformer la crise en un événément mettant en évidence la suprématie du Parti communiste chinois dans la gestion de la crise sanitaire .”.

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Lea Gabrielle

Bref, les suspects habituels (accessoirement aussi l’Iran) profiteraient de la pandémie pour déstabiliser les États-Unis. On reconnaît un classique du counter-narrative (récit destinés à décrédibiliser celui de l’adversaire) ou de la contre-influence : nous disons la vérité, nos adversaires font une propagande internationale mensongère et subversive, nous les démasquons.

Pour comprendre (et sans remonter à la Guerre froide et à l’US Information Agency de 1953), un petit retour en arrière.

Le GEC est un héritage d’Obama : crée en 2011 le Center for Strategic Counterterrroism Communications pour coordonner l’action de déradicalisation ou de prévention de l’extrémisme violent (euphémisme poue jihadisme). Il est censé s’adresser à des publics étrangers (l’État n’ayant en principe pas le droit d’influencer politiquement des citoyens américains ni de collecter leus données personnelles).

En 2016, le CSCC devient le Global Engagement Center toujours dépendant du département d’’État. Sa mission reste de décourager les jeunes a priori musulmans de s’engager dans le djihad, de monter des partenariats avec des ONG ou des écoles, des leaders religieux, etc. Le GEC est censé aussi faire de l’analyse de données de l’étranger (façon sans doute pudique de dire celles collectées par la NSA ou le renseignement en général) pour mieux comprendre la propagande djihadiste et proposer un contre-discours. Il s’agit contre-influence surtout sur les réseaux sociaux, en somme.

Surprise : à la fin 2016, juste avant de quitter la Maison blanche, Obama, dans la foulée de la loi Portman-Murphy, rajoute aux compétence du GEC, la lutte contre la propagande ou les interférences étrangères (Corée, Chine, Russie). Histoire d’ennuyer Trump par un cadeau empoisonné. Dans une ambiance où l’on accuse le piratage et les « fakes » russes d’avoir altéré l’élection, tout le monde comprend qu’il s’agira surtout de faire de la contre-propagande anti-russe (vertueusement baptisée « fact-based narrative »).

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À Washington les médias, les think tanks et les agences gouvernementales sont de plus ne plus préoccupées de l’influence russe et chinoise (et dans une moindre mesure iranienne après quelques campagnes en ligne). Elles dénoncent une propagande « classique » (avec des médias comme Russia Today), plus du hacking pur (vol de données, sabotage) venant d’internautes de l’est, plus des interférences dans le Brexit et l’élection de Trump (via des réseaux d’influence et mouvements amis), plus des manipulations via les réseaux sociaux (théories complotistes, fake news, images truquées, propos extrémistes anti-système, discours dits de haine). Bref une guerre de l’information tous azimuts où Poutine coche toutes les cases

Washington théorise même une supposée ère de la post-vérité, où les masses (celles qui votent Brexit ou Trump, en tout cas) deviendraient indifférentes aux faits et n’écouteraient que leurs passions. Et seraient vulnérables à l’action des réseaux d’influence russe « en guerre avec la réalité », et bientôt chinois avec la pandémie.

L’idée constante est que les puissances hostiles cherchent, non seulement à décrédibiliser les gouvernements libéraux et à soutenir leurs adversaires illibéraux, mais aussi à saboter toute confiance dans l’information et la démocratie en général (quitte à adresser des messages contradictoires à des partis opposés). Ainsi, on soupçonnera Moscou, en début de campagne, de soutenir à la fois Trump et Sanders pour créer un maximum de chaos, de façon presque nihiliste. Et maintenant, c’est l’action subversive de la Chine qui fait peur.

Si les gens ne votent pas bien, c’est parce que Moscou répand de fausses nouvelles et manipule des réseaux (une thèse de la puissance persuasive du mensonge que même MacCarthy n’osait pas soutenir de façon aussi primaire dans les années 50). Si l’opinion internationale (en Italie, par exemple) croit que la Chine a été efficace, et pas l’UE ou les États-Unis, c’est parce qu’il y a eu manipulation. C.Q.F.D.

D’après la loi, le GEC doit avancer des « fact-based narratives that support United States allies and interests », i.e. être« véridique » et pro-U.S.A. (ce qui est présumé nécessairement compatible)< On sait bien qu’en matière d’influence, ce que je dis est la vérité, ce que dit l’autre est de la désinformation. Ce que je pense est réaliste, ce qu’il pense est de l’idéologie, etc.

D’où le prétention d’opposer un discours « scientifique ». Mais est-il si facile d’opposer des faits scientifiques à l’infodémie ? Surtout s’il est questions de probabilités, de causes difficiles à reconstituer, des anticipations...

Le discours scientifique en question

a) évolue très rapidement voire se contredit sur l’origine, la gravité, les solutions, les facteurs aggravant de la pandémie (y compris par des déclarations successives et contradictoires de l’O.M.S. pourtant à la pointe de la lutte contre l’infodémie.

b) les experts se contredisent sur des sujets comme la chloroquine ou le code génétique du virus. Et pas les moindres (Raoult, Montagnier).

Il y a quelques semaines dire que le virus provenait du laboratoire P4 de Wuhan vous faisait apparaître comme un complotiste extrémiste Aujourd’hui, si vous proclamez que le Cov-19 a peut-être fuité du laboratoire pourtant hyper-sécurisé et qu’il n’est peut-être pas initialement véhiculé par les chauve-souris ou les pangolins, vous n’êtes plus considéré comme un fou ou un agent d’influence de l’étranger.

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Le laboratoire P4 à Wuhan

Ceci vaut pour l’OMS une organisation soumise à des informations changeantes et contradictoires mais qui a lancé une campagne contre la désinformation sanitaire. Par ailleurs l’OMS est elle-même soupçonnée d’être sous influence chinoise et de filtrer très diplomatiquement certaines informations qui pourraient gêner Pékin.

Les grands du Net et les plateformes ont réagi.

YouTube s’engage à supprimer les vidéos qui accusent le déploiement de la 5G d’avoir provoqué l’épidémie de coronavirus p.e;Suite à l’incendie de plusieurs antennes 5G au Royaume-Uni, Google, maison mère de YouTube, met en place de nouvelles mesures contre les fake news qui s’ajoutent à une longue liste. Suivant The Verge, Facebook, Google, LinkedIn, Microsoft, Reddit, Twitter et YouTube déclarent lutter contre les fakes (théories douteuses, remèdes imaginaires, coupables inventés, faits inventés).

Cela confirme une tendance lourde : la panique des élites (thèmes obsessifs : faux, complotisme et discours de haine) incite les GAFAM, - moitié par conviction, moitié pour soigner leur image - à suveiller les contenus douteux, soit pour les retirer et supprimer les faux comptes, soit pour les signaler comme faux et manipulatoires. On a ainsi délégué à des acteurs techniques un pouvoir considérable du point de vue des libertés publiques : dire ce qui atteindra notre cerveau ou pas.

Parmi les nombreuses controverses, la question de l’origine du virus est cruciale. Les sources chinoises ont évoqué l’hypothèse d'une contamination initiale par des militaires américains lors d’une compétition sportive. Globalement, la ligne de défense chinoise est : le virus est d’origine naturelle, pas forcément chinoise, en tout cas, il n’a pas fuité de notre laboratoire de Wu Han. Ainsi, l’ambassade de Chine - et c’est nouveau - fait du « debunking » en dénonçant toute les fakes et légences (forcément sinophobes) sur le virus. Effet de miroir ou réponse du berger à la bergère : pour Pékin, les désinformateurs sont occidentaux.

Il y a une cohérence du « narratif » chinois : ce pays, après de toutes petites confusions au début, a dit la vérité, agi efficacement, bien plus efficacement que les Occidentaux, apporté son aide à des pays par la « Route sanitaire de la Soie » et en somme le modèle chinois serait excellent, universel et exportable.

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Antenne médicale chinoise en Italie

C’est donc une guerre de l’information où chacun traite l’autre de falsificateur et le rend responsable, sinon du déclenchement, du moins de la propagation de l’épidémie. Avec comme point d’horizon le lendemain de la crise (le « jour d’après ») : qui gagnera l’hégémonie géopolitique et fera triompher son soft power.

L’ambassadeur de Chine a été convoqué par notre ministre des Affaires étrangères qui s’inquiète de cette volonté des représentations diplomatiques chinoises d’intervenir dans le débat à travers les médias et réseaux sociaux étrangers. Abonnez vous, par exemple, au compte Twitter de l’ambassade de Chine et vous constaterez un activisme (et très nouveau) pour contre la désinformation anti-chinoise et soncontre-discours structuré.

De fait, l'influence chinoise passe par

⁃ sa diplomatie et sa communication publique

⁃ ses médias internationaux

⁃ des réseaux et relais dont sa présence dans les organisations internationales

⁃ ses actions spectaculaires comme l’aide médicale à l’étranger et la fourniture de matériel

⁃ une sinosphère en ligne (que l'on commence à comparer aux trolls russes).

Au final, difficile de distinguer une « opinion » d’un message ou élément de langage d’État. Si l’on peut présumer qu’un diplomate reprend la version officielle de son pays, sur les réseaux sociaux, on peut seulement présumer que telle communauté en ligne est dirigée secrètement par un gouvernement ou encouragée.

La méthode américaine - discréditer toute critique comme action concertée et finalisée - rapelle un vieux sophisme ad consequentiam : si ce que vous dites était vrai, les conséquences seraient mauvaises, donc c’est faux).

Est-ce suffisant ? Il va falloir changer de cible principale et comprendre les règles d’un jeu d’influence qui commence à peine.

jeudi, 21 octobre 2010

Stuxnet et menace terroriste: désinformation et mésinformation

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Stuxnet et menace terroriste : désinformation et mésinformation


Si nous admettons que le terrorisme a pour but de contraindre un gouvernement (ou une population) à faire ou ne pas faire quelque chose, bref, s'il sert à communiquer - que ce soit pour propager la terreur ou exprimer une revendication -, il faut bien admettre que la confusion actuelle n'aide pas particulièrement à illustrer le principe. Qui frappe (ou menace de frapper) qui, dans quel but et sous quelles conditions ? Deux affaires de menace terroriste, que l'on espère sans lien, nous montrent la difficulté de répondre à ces questions. Pour Clausewitz, le brouillard (l'ignorance de l'environnement, des intentions adverses et parfois de ses propres forces) et la friction (tout ce qui fait que, dans la réalité, les choses ne se déroulent jamais comme dans le manuel) sont parmi les pires obstacles à toute stratégie. Cela vaut pour la guerre du pauvre comme pour celle du riche.

Le brouillard et la friction dans l'affaire du virus Stuxnet - que certains ont baptisé le 11 septembre de la cybersécurité - ou du danger d'attentat en Europe laissent la place à tant d'hypothèses sur la source, l'objectif et la gravité du péril, que toute certitude semble se dissoudre. Il possible que ce soit - au moins en partie- délibéré, et que cela tienne pour une autre partie à des phénomènes d'auto-allumage médiatique, mais reste que le jeu désinformation plus méisinformation a rarement atteint un tel degré.
Commençons par le méchant virus. Découvert en Juin, il était récemment signalé en Inde, Indonésie, au Pakistan et surtout en Iran. Et, comme les Iraniens eux-mêmes annonçaient que 30.000 de leurs ordinateurs étaient infectés (et ajoutaient comme de juste qu'ils avaient arrêté les espions coupables de ce sabotage), l'affaire semblait entendue : la cible était la centrale de Nuhsher, celle de Natanz, disaient d'autres. Et il s'agissait très probablement d'une opération israélienne, éventuellement avec le nihil obstat des Américains, pour paralyser ou retarder la nucléarisation de l'Iran.
Les arguments :
- le virus était si sophistiqué qu'il ne pouvait avoir été fabriqué que par des services d'État
- il ne servait pas à espionner (recueillir des données confidentielles), ni à provoquer des dénis d'accès (bloquer des systèmes informationnels), mais spécifiquement à saboter des systèmes de contrôles industriels fabriqués par Siemens. Donc, et ce grâce à une faille dans Windows, à arrêter des chaînes de production ou de contrôle, donc à empêcher de fonctionner des installations industrielles.
- il y avait donc indices, motifs, capacités et opportunités et nous étions bien en présence d'une opération de Tsahal.

Certains spécialistes de l'herméneutique revue cybernétique, sans doute grands lecteurs du Da Vinci Code, avaient trouvé des preuves. Ainsi, quelque part dans les lignes codes, on trouvait un mot hébreu qui signifiait "myrte". Ou encore, en tapant Stux sur un clavier en hébreu, on obtenait le mot DEUS, donc Dieu en latin. Certains ont aussi trouvé des corrélations avec un feuilleton de la TV israélienne. Comme si des membres de Tsahal - a priori adeptes d'une religion qui ne plaisante pas tellement avec le nom de Yaveh, s'amusaient à semer des gags théologiques en latin. Ou des preuves de leurs culpabilité.
À ce compte, et comme Stuxnet est, paraît-il, basé sur un logiciel malicieux connu comme "Zeus", pourquoi ne pas imaginer un complot de l'extrême-droite néo-païenne ? Ou une allusion au Styx ? Ou à un diabolique personnage style Dr. No ou Dr. Denfer ?
À ce stade, n'importe quelle théorie, y compris celle qui présume que les auteurs du virus cherchent à semer la confusion, est recevable.
Certes "Stuxnet" est sophistiqué. Mais d'après Siemens, il aurait fallu au moins six mois de travail de cinq à dix spécialistes de haut niveau pour l'élaborer. Six mois de quelques informaticiens ? Faut-il être une super-puissance pour s'offrir un tel luxe ?
La dangerosité ? Là encore, difficile de vérifier. Les démentis iraniens - Téhéran affirmant que la situation est maintenant sous contrôle et que la lâche attaque terroriste étrangère a échoué - sont sujets à caution. Mais pour autant, faut-il penser que les centrales iraniennes sont hors d'usage ou auraient pu l'être? qu'un retard supposé de leur programme serait dû à Stuxnet ? Ce n'est pas plus évident.
Au fait, pourquoi la cible serait-elle nécessairement une installation nucléaire ? et iranienne ?
Voilà justement que la Chine se déclare victime à son tour : six millions d'ordinateurs infectés et mille entreprises ! En réaction, des malins soupçonnent la Chine à son tour : elle aurait monté Stuxnet pour contrarier l'effort indien en matière de satellites ; le virus se serait un petit peu égaré en route. Et Pékin prétendrait être victime car c'est la meilleure façon de cacher sa culpabilité. Et si c'était de la faute de Poutine ?
Dernière nouvelle : Stuxnet contaminerait des ordinateurs aux Pays-Bas (ce qui n'est pas illogique dans la mesure où la caractéristique d'un vers est de se répandre !). Soupçonne-t)-on des séparatistes frisons pour autant ?
Il n'y pas encore de théorie qui incrimine les services de Sarkozy ou ceux du prince de Monaco, mais cela viendra peut-être.
D'autant que Stuxnet pourrait être utilisé contre des réseaux électriques, des systèmes chimiques ou de purification de l'eau, des oléoducs ou des plate-formes pétrolières.... et bien d'autres cibles industrielles.
Et d'ailleurs, Stuxnet, est-ce du cyberterrorisme ou un acte de guerre ? Ou un sabotage technique destiné à faciliter un acte de guerre ? Il est bien certain, en tout cas, que si l'Iran avait lancé un tel virus contre Israël ou les USA, beaucoup de commentateurs n'hésiteraient pas à parler d'attaque terroriste, voire d'Armes de Destruction Massive.

Voyons maintenant l'autre danger terroriste qui mobilise les autorités européennes (après avoir un moment fait ricaner une partie de notre pays, persuadé d'être en présence d'une Xème opération de diversion sécuritaire de Hortefeux "au moment, comme par hasard, où l'opinion se mobilise autour des retraites"). Au moment où, comme par hasard, les USA viennent de condamner à perpétuité Hahzad, le terroriste maladroit de Time Square et s'apprêtent à juger un détenu de Guantanamo, l'alerte vient de plusieurs sources.
Il y aurait des informations recueillies au Pakistan par les services américains, les confessions de Ahmad Siddiqui arrêté en Afghanistan, des indices trouvés sur l'islamiste français Riadh Hennouni, arrêté à Naples. Peut-être des éléments recueillis par les services français qui ont interpellé plus de vingt terroristes présumés cette année et viennent de faire deux rafles dans ces milieux.
Il est possible que plusieurs sources ou plusieurs pistes interfèrent (et qu'il y ait, par exemple, plusieurs projets d'attentats), que certaines soient vraies et d'autres fausses ou exagérées, que les alertes d'Obama ne vaillent pas mieux que celles de G.W. Bush.. Bref, tout est possible, mais cela fait quand même beaucoup de lampes rouges qui s'allument en même temps. Et l'idée que la France et l'Allemagne puissent être les cibles de jihadistes est tout sauf délirante.
Ici la confusion ne vient pas tellement du caractère de gravité supposée du danger : en ces domaines, où tout repose sur des notes d'alertes envoyées par des services amis, des tuyaux d'informateurs, et des hypothèses, les seuls attentats certains sont ceux qui se sont déjà réalisés.
Le problème est plutôt de savoir d'où viendrait le coup et pourquoi ?
Un action sophistiquée, préparée par longtemps par des terroristes infiltrés directement sous les ordres de ben Laden ou Zawahiri et n'attendant que le signal pour une frappe spectaculaire et coordonnée ? Cela ne s'est plus produit depuis neuf ans.
Une opération dirigée par Al Qaïda pour le Maghreb Islamique ? Pourquoi des groupes maintenant plus proches du gangsterrorisme que d'un véritable projet politique islamiste et qui passent leur temps à rouler en pick-up dans le désert sahélien iraient-ils -parallèlement à des négociations pour la libération d'otages - rééditer en France les attentats à l'explosif que réalisait le Gia en 1995 ? Ce ne serait pas très compréhensible, à supposer même qu'ils aient la compétence pour lancer leurs agents en France.
Une opération venue du Pakistan, plus précisément du Waziristan où le TTP, le mouvement des talibans du Pakistan, peut-être fort de 35.000 hommes, multiplie les attentats suicides et dont le chef cherche visiblement à s'associer à des opérations à l'étranger (quitte, bizarrement, à revendiquer des attentats ratés) ? Réaliser une action spectaculaire en Europe ou aux USA, ce serait atteindre le statut de star internationale, voire devenir un rival sérieux des "Arabes" de ben Laden et de ce qui est censé être la direction d'al Qaïda. Certains ont pu en concevoir le désir. En ont-ils les moyens ? Avec d'éventuels jihadistes "locaux" (ayant la nationalité française ou allemande) et ayant fait un stage jihadiste au Pakistan ou en Afghanistan ?
Quatrième possibilité, d'ailleurs non exlusive des autres, des "nouveaux terroristes", des "homegrowns" nés ou vivant en Occident, ayant le même passeport que vous ou moi, intégrés socialement, que rien ne signale extérieurement comme de dangereux extrémistes et qui se "réveillent" soudain avec une vocation jihadiste ? On en a vu le cas à Madrid et à Londres en 2004 et 2005. Ils auraient besoin de très peu d'assistance extérieure (la connaissance technique pour la fabrication des bombes peut mieux s'acquérir sur Internet qu'au cours de vacances dans la vallée de Kandahar). Personne ne peut se permettre de balayer l'hypothèse d'un revers de main.
Que conclure de tout ce qui précède (et qui risque d'être démenti demain matin) ? Qu'en matière de terrorisme, il y a beaucoup de pseudo-experts, d'excitation médiatique, de rumeurs, etc ? Bien entendu. Mais, au-delà, le point commun à ces deux affaires, c'est la perte de la figure rassurante de l'ennemi unique. De plus en plus d'acteurs peuvent avoir et la motivation et l'occasion et la capacité pour rentrer dans le jeu terroriste. La conjonction de facilités et de fragilités est le l'élément le plus incitatif pour entrer dans le jeu d'une guerre asymétrique là où d'autres formes de conflit ne sont plus possibles. C'est certainement l'élément le plus troublant de la nouvelle géostratégie.