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samedi, 07 décembre 2019

Konstantin Leontiev, l'inaudible

Leont'eveeeee.jpg

Konstantin Leontiev, l'inaudible

par Thierry Jolif

(Infréquentables, 10)

Ex: http://www.juanasensio.com

«La flatterie politique [...] n'est absolument pas obligatoire en littérature.»
Konstantin Leontiev.


Infréquentable, à coup sur, Konstantin Leontiev l'est. Non qu'il le fut, de son vivant. Certainement pas. Sûrement même le fut-il moins, bien moins, que Dostoïevski ou Tolstoï aux yeux d'une grande partie de la bonne société de l'époque. Actuellement, par contre, il l'est évidemment, pour la très simple raison qu'il est mort, et pour la tout aussi simple raison qu'il n'a pas eu l'excellente idée de laisser à la postérité une œuvre immortelle selon les actuels canon de l'immortalité.

Le voici donc bel et bien frappé d'oubli et, conséquemment, contraint de se voir classer parmi les infréquentables, non pas seulement en raison de son décès mais aussi, et surtout, à cause, précisément, de ses écrits. En fait, pas tant à cause de ses écrits mais bien plutôt en conséquence de son écriture ! De son style ! Style que lui reprochaient déjà ses contemporains, trop clair, trop «latin» pour les slavophiles, trop russe pour les occidentalistes. Politiquement concret et précis, sans sentimentalisme, extrêmement réaliste et profondément religieux, philosophiquement spirituel (et pas spiritualiste) et rigoureux, ni romanesque, ni romantique, aucunement utopique. Ainsi Leontiev, en dehors de son infréquentabilité physique due à son trépas, demeure stylistiquement infréquentable !

Il est hélas à peu près certain que, selon les très actuels critères qui font qu'un écrivain est «lisible» ou mérite d'avoir des lecteurs, notre très oublié Leontiev serait recalé. Il suffit, pour s'en convaincre, de relire une seule petite phrase du penseur russe : «L'idée du bien général ne contient rien de réel» (1).

kl-kar.jpgQui, parmi les lecteurs contemporains, souhaite encore lire de pareilles formules, et qui, parmi les marchands qui font profession de fournir de la matière imprimée, aurait encore envie de fourguer une telle camelote ? Non, soyons sérieux, ce genre de sortie, et plus encore le comportement qu'elle suppose, datent d'une autre époque, époque, fort heureusement, révolue pour nous, qui sommes gens évolués et accomplis. En outre, le bonhomme eu l'impudence de critiquer Dostoïevski ! Du moins, ce qui à notre époque revient au même, certaines idées avancées par l'auteur des Frères Karamazov. Ainsi l'obscur et impudent, à propos de Crime et châtiment, a-t-il osé écrire que «Sonia... n'a pas lu les Pères de l'Église» ! Voilà qui le rend «suspect» et par trop réactionnaire, même pour les chrétiens ! Pourtant Leontiev ne dit pas là autre chose que Chesterton lorsque celui-ci écrit qu’«En dehors de l'Église les Évangiles sont un poison», proposition raisonnable et si juste de la part d'un Britannique. «Toutes les idées modernes sont des idées chrétiennes devenues folles» : là encore, l'amateur éclairé opinera du chef et se régalera d'une telle sagacité bien audacieuse. Mais que ce grand Russe, petit écrivain compromis par sa «proximité avec le régime», se permette d'écorcher, pour les mêmes motifs, ce que la Russie nous a donné de meilleur, qu'il s'en prenne à ce style psychologique qui a fait, justement, le régal des belles âmes, voilà ce qui est proprement impardonnable.

J'aurais pu écrire «Leontiev l'illisible» mais alors je n'aurais pas touché juste. Notre époque peut tout lire, tout voir, tout entendre, et elle le veut d'ailleurs. En fait, plus qu'elle ne le veut elle le désire, et même ardemment ! Son incapacité est ailleurs : «J'entends mais je ne tiens pas compte.» Cela vous rappelle quelque chose ? Toute ressemblance avec des faits réels n'est nullement fortuite. Cette confession est révélatrice de cet autisme tant individuel que collectif et, à la fois, paradoxalement, volontaire et inconscient.

L'écriture de Leontiev est donc devenue inaudible. Notre temps désire tout entendre mais il ne sait plus écouter. Or, une telle écriture demande un réel effort d'attention et d'écoute. Leontiev, pourrais-je dire, a écrit, de son vivant, pour «ces quelques-uns dont il n'existe peut-être pas un seul». Depuis son décès, cette vérité est encore plus cinglante. Un autre écrivain russe, grand solitaire également, Vassili Rozanov, écrivait de Leontiev qu'il était plus «nietzschéen que Nietzsche».

Pendant une brève période ces deux contempteurs de leur époque entretinrent une correspondance. Ils se fréquentèrent donc, du moins par voie épistolaire. Rien de très étonnant à cela tant ces deux caractères, pourtant si profondément différents l'un de l'autre, se trouvèrent, tous deux, radicalement opposés à tout ce qui faisait les délices intellectuelles de leur siècle. Rien d'étonnant non plus à ce que leurs tombes aient été rapidement profanées et détruites par les persécuteurs socialistes; leur «infréquentabilité» devenait ainsi plus profonde, et plus large même, post-mortem. (Rozanov avait tenu à être inhumé auprès de Leontiev, dans le cimetière du monastère de Tchernigov à Bourg-Saint-Serge).

Inaccessible Konstantin Leontiev l'est, sans nul doute possible. Né charnellement en janvier 1831, né au ciel en novembre 1891 après avoir reçu la tonsure monastique sous le nom de Kliment à la Trinité Saint-Serge. Ce russe, typiquement XIXe et pourtant si terriblement, si prophétiquement «moderne» qui vécut en une seule vie les carrières de médecin militaire, de médecin de famille, de journaliste, de critique littéraire, de consul, de censeur..., côtoya aussi tous ceux qui, inévitablement, lui faisaient de l'ombre, Soloviev, Dostoïevski, Tolstoï. Inévitablement, à cause de leur talent, certes, mais aussi parce qu'ils furent toujours plus «libéraux» que lui, qui ne put jamais se résigner à l'être.

Inaccessible plus encore qu'infréquentable, car tout ce qui «sonne» un peu trop radicalement réactionnaire est, on le sait, furieusement réprimé par notre époque douce et éclairée et qui a su, si bien, retenir les leçons du passé. Les excités tel que Leontiev ne peuvent qu'être dangereux (pensez donc, défenseur d'une ligne politique byzantino-orthodoxe : même un Alexandre Duguin, de nos jours, dénonce ceux de ces compatriotes qui se laissent aller à ce rêve-là). Même à leur corps défendant, même s'ils sont, par ailleurs, nous pouvons bien le reconnaître, des «êtres délicieux», nous ne saurions tolérer leur imprécations obscurantistes. De même qu'en France un Léon Bloy, c'est «amusant»; c'est, nous pouvons bien le concéder, stylistiquement admirable (surtout à le comparer à nos actuels littératueurs, pisse-copies patentés d'introversions fumeuses et professionnels de la communication et du marketing), mais non, philosophiquement, allons, soyons sérieux, tout cela est dépassé, dépassé parce que faux, pis : incorrect !
Oui, en quelque sorte, à nos oreilles éduquées par d'autre mélopées, plus suaves, la tonalité de Leontiev sonne méchamment; c'est bien cela ! Pour notre moralisme, que nous pensons si rationnel et si réaliste, les propos de Leontiev sont affreusement méchants, et ce d'autant plus qu'il y mit lui-même toute sa force de conviction non moins réellement réaliste, mais d'un réalisme qui sut rester non matérialiste et non idéologique, d'un réalisme outrageusement chrétien. Et c'est au nom de ce christianisme réaliste que Leontiev osa adresser ses reproches à Léon Tolstoï, à Dostoïevski, à Gogol aussi (l'un des buts littéraires avoués de Leontiev était de mettre fin à l'influence de ce dernier sur les lettres russes !). Comble de l'audace perfidement rétrograde, qui scandalise plus aujourd'hui qu'alors ! À tous ceux qui étaient tentés de justifier la mélasse socio-démocratique par le christianisme, voire à faire de celui-ci rien de moins que l'essence même de cette eau-de-rose truandée, Leontiev rappelait quelques utiles vérités. Tout comme les authentiques musiques traditionnelles des peuples sont, à l'opposé des soupes sirupeuses avariées du new age, fortes et rugueuses aux oreilles non-initiées et ne dévoilent leur vraie douceur qu'après une longue intimité dans la chaleur de la langue et de l'esprit, le christianisme, à l'opposé de la doucereuse tolérance socio-démocrate, est austère et exigeant avant que d'être accueillante et lumineuse bonté !

kl-berd.jpgEt puis surtout, que pourrions-nous bien en faire de ce furieux vieux bonhomme qui a osé écrire  L'Européen moyen, idéal et outil de la destruction universelle ? Puisque, ne l'oublions pas, la littérature «vraie» doit être, nécessairement, engagée; c'est-à-dire, au-delà de critiques de pure forme, aller, toujours, dans le sens du courant. Or, nous y sommes d'ores et déjà en la belle et unie Europe, nous y sommes depuis un bon bout de temps dans ce moment historique, dans cet événement des événements qui va durer encore et encore, en plein dans cette heureuse période de l'unification, dans l'heureuse diversité des êtres équitablement soumis aux choses. Certes, avec des heurts et quelques accidents de parcours, mais bénins en somme, insignifiants même, au regard du grand espoir de «paix universelle» vers lequel tous, dans une belle unanimité, nous tendons. En tout cas nous y sommes bel et bien, oui en Europe ! Alors, quel besoin aurions-nous de nous auto-flageller en lisant ce «grand-russien» décédé, dépassé, déclassé ?

Eh bien il se trouve que la distance s'avère souvent nécessaire pour mieux se connaître. Pour nous autres, très fréquentables européens moyens et contemporains, quelle plus grande distance que celle qui nous sépare de cet inclassable russe ?

Ce grand-russien qui, de son vivant, s'ingénia à se montrer implacable envers l'européen moyen pourrait bien s'avérer, par ses écrits, un viatique pour le même à l'heure d'une renaissance russe qui pourrait offrir à une Europe épuisée et ridiculisée par quelques décennies d'une politique frileuse, cupide et aveugle à son être authentique, de regagner une place qui lui est véritablement propre, possibilité à envisager sans fol optimisme puisque Leontiev lui-même insistait sur le fait que «la véritable foi au progrès doit être pessimiste».

Conservateur comme il l'était, Konstantin Leontiev faisait partie de cette race d'hommes qui savait encore que sentiments (et non sentimentalisme) et intelligence aiguisée, loin d'être antinomiques, sont intimement liés. Ainsi, c'est avec une acuité et une intelligence épidermique que notre auteur se montrait absolument et irrémédiablement opposé à l'idéologie du progrès, du bien et de la paix universelles, idéologie dont il avait su flairer les relents dans les différents partis en présence de son temps. Refusant cette idéologie comme une utopie mortifère qu'il identifiait à un état d'indifférence, degré zéro de toute activité humaine, il refusait aussi à la politique de se projeter vers un hypothétique futur, vers le lointain, lui assignant pour seul objectif le «prochain» : «[…] cette indifférence est-elle le bonheur ? Ce n'est pas le bonheur, mais une diminution régulière de tous les sentiments aussi bien tristes que joyeux.»

Dès lors, comme tout authentique conservateur, ce que Leontiev souhaitait conserver ce n'était certainement pas un système politique ou économique quelconque ou bien quelques grands et immortels principes : «Tout grand principe, porté avec esprit de suite et partialité jusqu'en ses conséquences ultimes, non seulement peut devenir meurtrier, mais même suicidaire.» Non, ce que Leontiev aimait et voulait voir perdurer c'était bien la véritable diversité humaine, les différences dont notre époque, si douce et éclairée, nous enseigne qu'elles sont sources de conflits et d'agressions tout en en faisant une promotion trompeuse : «L'humanité heureuse et uniforme est un fantôme sans beauté et sans charme, mais l'ethnie est, bien entendu, un phénomène parfaitement réel. Qu'est ce qu'une ethnie sans son système d'idées religieuses et étatiques ?» (2).

Toute la philosophie de l'histoire développée par Konstantin Leontiev projette sur ces questions une lumière qui, bien que crue, est loin d'être aussi cynique que ses contempteurs voudraient le faire croire.

«La liberté, l'égalité, la prospérité (notamment cette prospérité) sont acceptés comme des dogmes de la foi et on nous affirme que cela est parfaitement rationnel et scientifique. Mais qui nous dit que ce sont des vérités ? La science sociale est à peine née que les hommes, méprisant une expérience séculaire et les exemples d'une nature qu'ils révèrent tant aujourd'hui, ne veulent pas admettre qu'il n'existe rien de commun entre le mouvement égalitaro-libéral et l'idée de développement. Je dirais même plus : le processus égalitaro-libéral est l'antithèse du processus de développement» (3).

Pour Leontiev, cette loi de l'histoire qu'il nomme processus de développement est une «marche progressive de l'indifférencié, de la simplicité vers l'originalité et la complexité», mais loin de tendre vers une amélioration constante, vers un bonheur complet et épanoui, qui n'est, en définitive, qu'une abstraction, cette marche connaît une forme d'arrêt qui se traduit par une simplification inverse dont Leontiev analyse trois phases : le mélange, le nivellement et, finalement, l'extinction.

kl-eurom.jpgSelon lui, cette loi quasi cyclique s'observe dans tous les domaines des civilisations historiques. Et, ce que nous appelons unanimement progrès, il le distingue très nettement de ce processus de développement, le nommant «diffusion» ou «propagation» et l'attachant à cette phase dissolvante de «simplification syncrétique secondaire» : «[…] l'idée même de développement correspond, dans les sciences exactes d'où elle a été transférée dans le champs historique, à un processus complexe et, remarquons-le, souvent contraire au processus de diffusion, de propagation, en tant que processus hostile à ce mécanisme de diffusion» (4).
Ainsi, dans les pages de son maître-livre Byzantinisme et slavisme, Leontiev scrute scrupuleusement les mouvements, les courants, lumineux et obscurs de l'histoire, leurs lignes droites, leurs déviations, leurs dérivations, sans jamais se laisser prendre aux rets des lumières crépusculaires des idéologies. Admirateur avoué de l'idée byzantine et de sa réception créatrice en Russie, Leontiev refusera pourtant l'idéal slavophile, tout autant, mais cela paraît plus «logique», que l'occidentalisme. Profondément fidèle, quoiqu'avec une élégante souplesse, à la vision des lignes de force et de partage qu'il avait su dégager de l'histoire ancienne et récente, Leontiev repèrera dans tous les courants contemporains la même force agissante : «La marche tranquille et graduelle du progrès égalitaire doit avoir vraisemblablement sur le futur immédiat des nations une action différente de celle des révolutions violentes qui se font au nom de ce même processus égalitaire. Mais je prétends que, dans un avenir plus éloigné, ces actions seront similaires. Tout d'abord un mélange paisible, l'effondrement de la discipline et le déchaînement par la suite. L'uniformité des droits et une plus grand similitude qu'auparavant de l'éducation et de la situation sociale ne détruisent pas les antagonismes d'intérêts, mais les renforcent sans doute, car les prétentions et les exigences sont semblables. On remarque également que, partout, vers la fin de l'organisation étatique, l'inégalité économique devient plus grande à mesure que se renforce l'égalité politique et civique» (5).

Bien qu'il ait considéré, en littérature, le réalisme comme désespoir et auto-castration, c'est bien à cause de son réalisme qu'il ne voulut jamais sacrifier à aucune «idée supérieure», que Leontiev a vu se refermer sur lui la porte du placard étiqueté «infréquentables».

La grande faute de Leontiev fut de dire, comme le répétait Berdiaev lui-même, que «l'homme privé de la liberté du mal ne saurait être qu'un automate du bien» ou bien encore que «la liberté du mal peut être un plus grand bien qu'un bien forcé.»

Mais... énorme mais, Berdiaev ne cessa d'essayer de convaincre, et de se convaincre, qu'il était socialiste. Cela suffit pour qu'on entrouvre, même très légèrement, la porte.

Notes
(1) Toutes les citations de Leontiev sont tirées de l'ouvrage Écrits essentiels (L'Âge d'Homme, Lausanne, 2003).
(2) Op. cit., p. 108.
(3) Op. cit., p. 139.
(4) Op. cit., p. 137.
(5) Op. cit., ibid.

L’auteur
36 ans, père de famille, chanteur et auteur breton, créateur de la “cyberevue” bretonne Nominoë et du blog Tropinka, Thierry Jolif, après avoir fondé et animé, pendant plus de dix ans l’ensemble musical Lonsai Maïkov, a étudié la civilisation celtique, le breton et l’irlandais à l’Université de Haute-Bretagne. Il a scruté et médité, durant plusieurs années, les aspects tant pré-chrétiens que chrétiens de la civilisation celtique (religion, art, musique, poésie). Orthodoxe, ayant étudié la théologie, il s’est particulièrement penché sur les aspects théologiques, mystiques et ésotériques du Graal, ainsi que sur l’étude du symbolisme chrétien, de l’écossisme maçonnique, de la philosophie religieuse russe et de l'histoire et de la mystique byzantine.
Il a collaboré aux revues Sophia (États-Unis), Tyr (États-Unis), Hagal (Allemagne), Contrelittérature (France), Terra Insubre (Italie) et est l’auteur de Mythologie celtique, Tradition celtique, Symboles celtiques et Les Druides dans la collection B-A. BA. des éditions Pardès.

vendredi, 18 janvier 2013

Konstantin Nikolajewitsch Leontjew

Konstantin Nikolajewitsch Leontjew,

„Kassandra des Zarentums” I:

Biographie eines russischen Reaktionärs

von David Beetschen

Ex: http://www.blauenarzisse.de/

Leontjew.jpgDer russische Schriftsteller, Religionsphilosoph und Aristokrat Konstantin Nikolajewitsch Leontjew galt vielen seiner Zeitgenossen als schwärzester Reaktionär. Und anders als sein kolumbianisches Pendant Nicolás Gómez Dávila sah Leontjew die Welt, abwechselnd als Arzt, Diplomat, Philosoph und Mönch. Das Leben dieses Reaktionärs war, im Vergleich zu dem von Dávila also extrem spannend. Und eine Gestalt wie die seine kann auch Leitfaden für das eigene Leben sein.

Die letzte seiner „9 Thesen“ lautet: „Der Zweck des menschlichen Lebens ist nicht Fortschritt, d.h. eine Vergrößerung des Wohlergehens der Masse und des individuellen Glücks der Person, sondern die geistige Vervollkommnung zur Verwirklichung des Reiches Gottes.“
Seine reaktionäre Gestalt ist es wohl auch, die, trotz der strengen Orthodoxie des Russen, das Bindeglied zwischen ihm und dem kolumbianischen Philosophen und Reaktionär Dávila darstellt. Dávila zeigte sich sehr fasziniert von Leontjew. Mit ihm teilt er auch noch einige andere philosophische Eigenheiten, die an späterer Stelle noch erwähnt werden sollen.

Geburt eines Adligen

Leontjew kam am 13. Januar 1831 als siebtes und letztes Kind der Familie Leontjew auf dem Landsitz Kudinowo südlich von Moskau zur Welt. Deren Landeigentum ging jedoch wegen des aufkommenden Kapitalismus und der Abschaffung der Leibeigenschaft langsam ein. Diese beiden historischen Umstände führten dazu, dass die Familie in den Bankrott getrieben wurde.

Sein Vater, ein eher wenig gebildeter Mann, der früh den Dienst quittierte, damit er sich um das Gut kümmern konnte, und seine Mutter, die Tochter eines Generals, die in einem Institut für adlige Mädchen ihre Ausbildung genoss, erzogen den Jungen. Die Mutter wirkte jedoch stärker auf ihn ein, weil sie ihn bis zu seinem zehnten Lebensjahr zu Hause ausbildete. 1841 trat Leontjew ins Gymnasium in Smolensk ein, das er bis zum Herbst des Jahres 1843 besuchte. Im selben Jahr wechselte er ins Kadettenkorps des Adelsregiments. Durch eine Krankheit musste er jedoch die Militärlaufbahn aufgeben und wechselte anschließend wieder auf ein normales Gymnasium in Kaluga. Dieses schloss er 1849 ab und immatrikulierte sich darauffolgend, ohne Aufnahmeprüfung, im Herbst an der Universität in Jaroslaw, wo er ein Medizinstudium aufnahm. Im Winter desselben Jahres zog es Leontjew jedoch an die Universität von Moskau. Dort setzte er sein Studium fort.

Als Arzt im Krimkrieg

Wegen des Russisch-​Türkischen Krieges in der Krim und dem dort herrschenden Ärztemangel bot die Regierung allen Medizinstudenten, die bereits im achten Semester waren, an, sie beim sofortigen Übertritt auf den Kriegsschauplatz zum Arzt zu ernennen. Außerdem wollte der Staat ihnen dort das doppelte Gehalt zahlen. Am 1. August des Jahres 1854 erhielt Leontjew den Posten eines Assistenzarztes im Kriegslazarett in der Festung Jenikale im nordwestlichen Teil des ukrainischen Kertsch.

Als der Krieg 1856 mit der russischen Niederlage endete, verbrachte Leontjew zunächst eine unbeschwerte Zeit auf der Krim, bis der russische Staat ihn im August des Jahres 1857 aus dem Kriegsdienst entließ.

Erste Versuche in der Schriftstellerei, Arbeit als Übersetzer aus dem Deutschen

Im Frühling 1858 wurde er bei der Familie des Barons Dimitrij von Rosen Hausarzt, blieb dort aber nur bis Ende 1860, weil er zu einem seiner Brüder nach St. Petersburg ging. Dort widmete er sich der berufsmäßigen Schriftstellerei, welche ihm jedoch keine sicheren Einnahmen einbrachte. Aus diesem Grund übersetzte er Artikel aus der deutschen Sprache und unterrichtete als Lehrer, damit er sich mit liquiden Mitteln versehen konnte.

Heirat und diplomatisches Leben am Rande zum Orient

1861 heiratete er im Herbst die aus einfachen Verhältnissen stammende Halbgriechin Julia Politof. Nach einem neunmonatigen Dienst als Kanzleibeamter im Asiatischen Departement des Ministeriums des Äußeren, wurde er im Herbst 1863 als Sekretär und Dolmetscher ins russische Konsulat auf der Insel Kreta beordert. Dort lernte er das orientalische Leben und dessen Kultur schätzen. 1867 beförderte der Staat Leontjew sogar zum Vize-​Konsul der Donauprovinzen.

1868 war ein weiteres einschneidendes Jahr für ihn, denn er wurde Konsul in Saloniki und es gab erste Anzeichen dafür, dass seine Frau an einer Geisteskrankheit litt. In diese Zeit fällt auch Leontjews Abwendung vom Liberalismus hin zum religiösen Konservatismus.

Rettung durch die Gottgebärerin

1871 besuchte er den Mönchsberg Athos, weil er dies geschworen hatte, als er an einer sehr schweren Krankheit litt. Damals rief er die Gottgebärerin an und versprach ihr diesen Besuch im Falle seiner Genesung. Er bat dann auf dem Athos um die Mönchsweihe, welche ihm jedoch die Mönche aufgrund vermuteter Unreife verweigerten. Ab 1873 lebte Leontjew in Konstantinopel, kehrte jedoch im Frühling 1874 bereits wieder nach Moskau zurück und ging ins Kloster Optina Pustyn bei Koselsk.

Leontjews erstes Treffen mit dem wesentlich jüngeren Wladimir Solowjew, einem bekannten Philosophen und Befürworter der Vereinigung der wahren Kirchen, der Orthodoxie und der Katholizität, fand im Jahre 1878 statt, aus dem eine fruchtbare Freundschaft entstand, die beide positiv prägte.

Zensorposten, Mönchsweihe und Tod eines Reaktionärs

Aus Warschau erhielt er 1879 eine Einladung von Fürst Golitzin, der ihn darum bat nach Warschau zu kommen, um ihm dort bei der Arbeit an der Zeitschrift Warschawskji Westnik zu helfen. Bald musste sie aber wegen finanzieller Problemen eingestellt werden. Leontjew selbst hatte ebenfalls große finanzielle Probleme, was ihn dazu nötigte einen Regierungsposten als Zensor anzunehmen, welchen er von 1880 bis 1887, dem Jahr seiner Pensionierung, bekleidete. Am 23. August 1891 war es dann trotzdem soweit für ihn und man gewährte ihm die Teilnahme an der geheimen Mönchsweihe in Optina Pustyn.

Er akzeptierte den Rat eines für ihn zum geistigen Führer und manchmal auch Geldgeber gewordenen Starez Amworsijs, der ihm sagte, dass er in das Dreifaltigkeitskloster von Sergijew Possad bei Moskau gehen solle. Hier verbrachte er dann noch seine letzten Tage, denn er starb bereits am 12. November 1891 im Alter von 60 Jahren an einer Lungenentzündung. Seine körperlichen Überreste wurden auf dem Klosterfriedhof in einer Mönchskutte beigesetzt.

Konstantin Nikolajewitsch Leontjew,

„Kassandra des Zarentums” II:

Der „ästhetische Amoralist”

leont418Z1EGE6JL.jpgWenn Konstantin Nikolajewitsch Leontjew schreibt, schlagen Bomben ein, die Schläfer wachrütteln und das Hässliche als Ziel haben: „O verhasste Gleichheit, o gemeine Gleichmacherei! O dreimal verfluchter Fortschritt! O furchtbarer, mit Blut getränkter, doch malerischer Berg der Weltgeschichte! Vom Ende des 18. Jahrhunderts an liegst du in den Wehen einer neuen Entbindung, aber aus deinem gequälten Schosse kriecht eine Maus hervor.“ Er war wohl einer der wenigen, neben Peter Ernst von Lasaulx oder Carl Friedrich Vollgraff, die im 19. Jahrhundert eine eigene pessimistische Geschichtsphilosophie entwarfen.

Der kolumbianische Katholik und Reaktionär Nicolás Gómez Dávila war im Besitz der russischen Originalausgabe Leontjews, konnte sie aber, gegen seine Gewohnheit Schriften im Original zu lesen, nicht verstehen, da er der russischen Sprache nicht mächtig war. Er kannte Leontjews Theorien jedoch aus Übersetzungen. Dávila veröffentlichte über Leontjews Werken folgenden Spruch Petrarcas, der Homer nicht in der Originalsprache lesen konnte: „Ich freue mich an dem blossen Anblick des Buches, drücke es oft an mein Herz und seufze: du grosser Mann, wie begierig hätte ich dir zugehört!“

Vom liberalen Demokraten zum „schwärzesten Reaktionär“

Leontjew war geprägt von der orthodoxen Christlichkeit: „Dem Christentum müssen wir helfen, selbst auf Kosten unserer geliebten Ästhetik, aus transzendentem Egoismus, aus Furcht vor dem jenseitigen Gericht, zur Erlösung unserer eigenen Seelen. Dem Fortschritt aber müssen wir uns, wo nur möglich, widersetzen; denn er ist ebenso für das Christentum wie für die Ästhetik schädlich.“ Dies erkannte er jedoch erst nachdem er einen Wandel gemacht hatte, vom liberalen Demokraten zum „schwärzesten Reaktionär“. Selbst zwei der größten literarischen Geister seiner Zeit, Tolstoj und Dostojewski, kritisierte er und warf ihnen vor, dass sie ein philanthropisches „Rosenwasser-​Christentum“ predigen, das mehr Häresie als wahrer Glaube sei.

Ein orthodoxer Anhänger des Papstes

Leontjew wurde von seinem Freund Solowjew davon überzeugt, dass es überaus wichtig sei, dass sich die katholische und die orthodoxe Kirche wieder verbinden. Im Gegensatz zu Solowjew hatte Leontjew jedoch nie seinen Glauben gewechselt und blieb orthodox, trotz solcher Aussagen: „Ich verheimliche Ihnen meine Schwäche nicht, die päpstliche Unfehlbarkeit gefällt mir persönlich enorm. Der Starez der Starzen!“ In der Ostkirche werden die mönchisch lebenden Lehrer und spirituellen Begleiter der Novizen und Laien Starzen genannt. „Wäre ich in Rom gewesen, hätte ich nicht gezögert, nicht nur die Hand Leos XIII., sondern auch seinen Fuss zu küssen. Der römische Katholizismus gefällt meinem aufrichtigen despotischen Geschmack wie auch meiner Zuneigung zum geistlichen Gehorsam, und wegen vieler anderer Gründe zieht er mein Herz und meine Vernunft an“, jubelte Leontjew.

Die Theorie der sekundären vermischenden Vereinfachung

Leontjew könnte als ein „Spengler vor Spengler“ gelten, denn es bestehen einige Ähnlichkeiten zwischen beiden Geschichtsphilosophien. Zum Beispiel bemisst Spengler die Existenzdauer einer Kultur auf circa 1000 Jahre, Leontjew dagegen die eines Staatsgebildes auf die gleiche Zeit. Die Gedankengänge des russischen Reaktionärs beruhen auf seinen, von der studierten medizinischen Wissenschaft geschulten, Ansichten der Pathologie und Embryologie. Diese Ansichten übertrug er sogar auf nicht-​organische Körper, beispielsweise ganze Planeten. Seine Geschichtsphilosophie gliedert die Entwicklung in drei Stadien, hier direkt mit dem Beispiel eines Planeten:

- die primäre Einfachheit, solange er sich in Gestalt von gasartiger oder feuerflüssiger Masse befindet

- ein mittleres Stadium der Kompliziertheit, wenn er zu einem feuerflüssigen Kern mit fester Kruste geworden ist, auf der sich Wasser und trockenes Land scheiden und Pflanzen und Lebewesen gedeihen

- die sekundäre vermischte Einfachheit, wenn er sich in eine kalte, leere Stoffmasse verwandelt hat, die fortfährt, um die Sonne zu kreisen

Diese Theorie übertrug er auf die Menschheitsgeschichte, wobei er aber zwischen einer Kultur, ihrem Volk und ihrem Staat unterschied:

- Die Kultur an sich lebe länger als das Volk, das sie hervorgebracht habe, insbesondere der unzerstörbare geistige Keim. Er gehe in andere Völker über, die aus dem Untergang einer Kultur entstanden seien.

- Die Völker würden eine geraume Zeit als ethnographische Masse bestehen. Seiner Meinung nach würden Völker existieren, bevor sie in die Arena der Geschichte eintreten und noch sehr lange zwischen anderen Völkern bleiben, nachdem ihre staatliche Form zerstört wurde.

- Am kürzesten existiere die Staatsform eines Volkes, die die äußere Umhüllung und das innere Gewebe dieser ethnographischen Masse bilde. Die Staatsform werde nicht auf einmal geschaffen, sondern enthülle sich erst im Verlauf des mittleren Stadiums der wachsenden Komplexität.

Dies kann nur ein grober Abriss seiner Geschichtsphilosophie sein, deren Analyse wohl einen ganzen Band füllen könnte ? insbesondere mit Querverweisen zu anderen Personen. Es ist jedoch anzunehmen, dass er diese Theorie unbeeinflusst aufgestellt hatte und wohl auch wegen seiner Unbekanntheit niemanden damit beeinflusste.

Nichtgleichberechtigung als Grundlage von Kulturen

Nach Leontjew könne man in allen Staatswesen qualitativ verschieden soziale Elemente erkennen. Außerdem verrate dies, dass die Trennung der Bürger in nichtgleichberechtigte Gruppen der natürliche Zustand des Menschen sei. Aus seiner oben beschriebenen Theorie leitete er ab, dass die Kulturschöpfung erst in der zweiten Phase der Verkomplizierung eintrete. Diese gehe von einem Stand aus, der privilegiert sei und über mehr Kraft verfüge als die anderen. Der Niedergang dieses Standes, bei der sekundären vereinfachenden Vermischung, führe ebenfalls zum Absinken des Wertes einer Kultur. Der Staat sei wie ein Baum, der zu seiner maximalen Größe heranwächst, Blüten und Früchte trage sowie einer inneren Idee unterliege, die in ihm despotisch herrscht.

Leontjew erkannte durch seine Theorie, dass man bis zur mittleren Epoche Fortschrittler sein müsse, ab der mittleren jedoch zum Konservativismus übergehen sollte. Die Progressiven würden in dieser Zeit nur zerstörerisch wirken. In der letzten Epoche jedoch triumphieren die Progressiven. Aber die Reaktionäre seien mit ihrer Meinung im Recht, dass man den sozialen Organismus stärken und heilen sollte. Leontjew warnte vor einem bloßen Festhalten an der Vergangenheit: „Jetzt bloß konservativ sein, wäre nicht der Mühe wert. Man kann die Vergangenheit lieben, aber man darf nicht daran glauben, dass sie auch nur in ähnlicher Form wieder aufleben wird.“ Da sich der Lauf der Geschichte nicht aufhalten lasse, bleibe nur übrig, an den „Fortschritt“ zu glauben. Jedoch solle diesem mit Pessimismus, nicht mit Optimismus begegnet werden, weil er lediglich eine Umformung der Bürden des menschlichen Leidens hervorbringe.

Leontjew prophezeite den Bolschewisten als „den Typ eines unschädlichen, fleißigen, jedoch gottlosen Durchschnittsmenschen“

Leontjew sagte eine „entsetzliche föderative Arbeiterrepublik“, die nach dem Zusammenbruch Russlands aus dessen Trümmern erstehen würde, voraus. Dazu meinte er: „Zur Stunde erscheinen die Kommunisten (und vielleicht die Sozialisten) als extreme, schrankenlose Liberale (die vor Rebellion und Verbrechen nicht zurückschrecken).

Sie verdienen hingerichtet zu werden.“ Das Ziel dieser Revolution sei jedoch nicht die Schreckensherrschaft, sondern die allgemeine Vermischung, die „den Typ eines unschädlichen, fleißigen, jedoch gottlosen Durchschnittsmenschen“ hervorbringen werde. Er wusste, dass eine vollkommene Anarchie, die die Revolution zuerst gebäre, niemals von Dauer sein könne. Eine volle Gleichheit der Rechte, des Besitzes etc. sei von Natur aus unmöglich. Vielmehr führe dieser Irrglauben dazu, dass die Praxis des Sozialismus diesen umwandeln werde und eine neue Ordnung erschaffe, inklusive einer neuen „Ungleichheit“.

Dahingehend würden die Kommunisten unbewusst an der reaktionären Neuordnung der Geschichte arbeiten, worin ihr indirekter Nutzen bestehe. Jedoch bestehe darin eben nur ihr Nutzen, nicht der Verdienst. Denn weil das neue Haus vielleicht schöner werden würde, heiße das noch lange nicht, dass es rechtmäßig sei, wenn der unvorsichtige Bewohner oder der Brandstifter es anzünden würden.

Ästhetischer Amoralismus

Ihr müsst verstehen, es kommt nicht darauf an, dass man durch väterliche Fürsorge das Böse beseitige, sondern dass man ihm die gesammelte Kraft des Guten gegenüberstellte“, schrieb er. Gewisse Menschen schockiert Leontjew trotzdem, wenn er behauptet, dass man das Böse in der Gesellschaft brauche, das Leid der Menschen, die Sklaverei, die Armut und den Hunger. Er differenzierte das Leiden: in das von Rechtsverletzung, Schlaffheit und schmutziger Bestechung erzeugte sowie jenes Leiden einer höheren Art, das auf Grund leidenschaftlicher, menschlicher Triebe geschehe. Er begründete aber diese Ansichten damit, dass es nur Gutes geben könne, also Barmherzigkeit, Opferbereitschaft und Nächstenliebe, wenn das Böse vorhanden sei, gegen das sich die christlichen Tugenden wenden könnten.

Erst das Leid rufe den Heroismus wach. Aber in einem utilitaristisch-​bourgeoisen Zeitalter, wo man das Leid aus der Gesellschaft verschwinden lasse, gehe alles in die sekundäre vereinfachende Vermischung über und werde so zu einem Klumpen aus Menschenfleisch ohne Differenzierung. Leontjew empfand den Triumph des spießbürgerlichen Ideals als Verspottung der menschlichen Geschichte. Wie Dávila verband er die Ästhetik mit der Ethik und beschrieb das Hässliche, der undifferenzierte Planetenklumpen, als das Böse und das Schöne, die Differenzierung und Buntheit des Lebens, mit allen Übeln und Schrecknissen, als das Gute. Damit erfasste der russische Reaktionär die Welt in ihrer ganzen Komplexität ? ohne Scheuklappen und Augenwischerei.

vendredi, 14 janvier 2011

Konstantin Leontiev, l'inaudible

Konstantin Leontiev, l'inaudible

par Thierry Jolif

(Infréquentables, 10)

Ex: http://stalker.hautetfort.com/

«La flatterie politique [...] n'est absolument pas obligatoire en littérature.»
Konstantin Leontiev.


Leont%27ev.jpgInfréquentable, à coup sur, Konstantin Leontiev l'est. Non qu'il le fut, de son vivant. Certainement pas. Sûrement même le fut-il moins, bien moins, que Dostoïevski ou Tolstoï aux yeux d'une grande partie de la bonne société de l'époque. Actuellement, par contre, il l'est évidemment, pour la très simple raison qu'il est mort, et pour la tout aussi simple raison qu'il n'a pas eu l'excellente idée de laisser à la postérité une œuvre immortelle selon les actuels canon de l'immortalité.
Le voici donc bel et bien frappé d'oubli et, conséquemment, contraint de se voir classer parmi les infréquentables, non pas seulement en raison de son décès mais aussi, et surtout, à cause, précisément, de ses écrits. En fait, pas tant à cause de ses écrits mais bien plutôt en conséquence de son écriture ! De son style ! Style que lui reprochaient déjà ses contemporains, trop clair, trop «latin» pour les slavophiles, trop russe pour les occidentalistes. Politiquement concret et précis, sans sentimentalisme, extrêmement réaliste et profondément religieux, philosophiquement spirituel (et pas spiritualiste) et rigoureux, ni romanesque, ni romantique, aucunement utopique. Ainsi Leontiev, en dehors de son infréquentabilité physique due à son trépas, demeure stylistiquement infréquentable !
Il est hélas à peu près certain que, selon les très actuels critères qui font qu'un écrivain est «lisible» ou mérite d'avoir des lecteurs, notre très oublié Leontiev serait recalé. Il suffit, pour s'en convaincre, de relire une seule petite phrase du penseur russe : «L'idée du bien général ne contient rien de réel» (1).
Qui, parmi les lecteurs contemporains, souhaite encore lire de pareilles formules, et qui, parmi les marchands qui font profession de fournir de la matière imprimée, aurait encore envie de fourguer une telle camelote ? Non, soyons sérieux, ce genre de sortie, et plus encore le comportement qu'elle suppose, datent d'une autre époque, époque, fort heureusement, révolue pour nous, qui sommes gens évolués et accomplis. En outre, le bonhomme eu l'impudence de critiquer Dostoïevski ! Du moins, ce qui à notre époque revient au même, certaines idées avancées par l'auteur des Frères Karamazov. Ainsi l'obscur et impudent, à propos de Crime et châtiment, a-t-il osé écrire que «Sonia... n'a pas lu les Pères de l'Église» ! Voilà qui le rend «suspect» et par trop réactionnaire, même pour les chrétiens ! Pourtant Leontiev ne dit pas là autre chose que Chesterton lorsque celui-ci écrit qu’«En dehors de l'Église les Évangiles sont un poison», proposition raisonnable et si juste de la part d'un Britannique. «Toutes les idées modernes sont des idées chrétiennes devenues folles» : là encore, l'amateur éclairé opinera du chef et se régalera d'une telle sagacité bien audacieuse. Mais que ce grand Russe, petit écrivain compromis par sa «proximité avec le régime», se permette d'écorcher, pour les mêmes motifs, ce que la Russie nous a donné de meilleur, qu'il s'en prenne à ce style psychologique qui a fait, justement, le régal des belles âmes, voilà ce qui est proprement impardonnable.
J'aurais pu écrire «Leontiev l'illisible» mais alors je n'aurais pas touché juste. Notre époque peut tout lire, tout voir, tout entendre, et elle le veut d'ailleurs. En fait, plus qu'elle ne le veut elle le désire, et même ardemment ! Son incapacité est ailleurs : «J'entends mais je ne tiens pas compte.» Cela vous rappelle quelque chose ? Toute ressemblance avec des faits réels n'est nullement fortuite. Cette confession est révélatrice de cet autisme tant individuel que collectif et, à la fois, paradoxalement, volontaire et inconscient.
L'écriture de Leontiev est donc devenue inaudible. Notre temps désire tout entendre mais il ne sait plus écouter. Or, une telle écriture demande un réel effort d'attention et d'écoute. Leontiev, pourrais-je dire, a écrit, de son vivant, pour «ces quelques-uns dont il n'existe peut-être pas un seul». Depuis son décès, cette vérité est encore plus cinglante. Un autre écrivain russe, grand solitaire également, Vassili Rozanov, écrivait de Leontiev qu'il était plus «nietzschéen que Nietzsche».
Pendant une brève période ces deux contempteurs de leur époque entretinrent une correspondance. Ils se fréquentèrent donc, du moins par voie épistolaire. Rien de très étonnant à cela tant ces deux caractères, pourtant si profondément différents l'un de l'autre, se trouvèrent, tous deux, radicalement opposés à tout ce qui faisait les délices intellectuelles de leur siècle. Rien d'étonnant non plus à ce que leurs tombes aient été rapidement profanées et détruites par les persécuteurs socialistes; leur «infréquentabilité» devenait ainsi plus profonde, et plus large même, post-mortem. (Rozanov avait tenu à être inhumé auprès de Leontiev, dans le cimetière du monastère de Tchernigov à Bourg-Saint-Serge).
Inaccessible Konstantin Leontiev l'est, sans nul doute possible. Né charnellement en janvier 1831, né au ciel en novembre 1891 après avoir reçu la tonsure monastique sous le nom de Kliment à la Trinité Saint-Serge. Ce russe, typiquement XIXe et pourtant si terriblement, si prophétiquement «moderne» qui vécut en une seule vie les carrières de médecin militaire, de médecin de famille, de journaliste, de critique littéraire, de consul, de censeur..., côtoya aussi tous ceux qui, inévitablement, lui faisaient de l'ombre, Soloviev, Dostoïevski, Tolstoï. Inévitablement, à cause de leur talent, certes, mais aussi parce qu'ils furent toujours plus «libéraux» que lui, qui ne put jamais se résigner à l'être.
Inaccessible plus encore qu'infréquentable, car tout ce qui «sonne» un peu trop radicalement réactionnaire est, on le sait, furieusement réprimé par notre époque douce et éclairée et qui a su, si bien,
retenir les leçons du passé. Les excités tel que Leontiev ne peuvent qu'être dangereux (pensez donc, défenseur d'une ligne politique byzantino-orthodoxe : même un Alexandre Duguin, de nos jours, dénonce ceux de ces compatriotes qui se laissent aller à ce rêve-là). Même à leur corps défendant, même s'ils sont, par ailleurs, nous pouvons bien le reconnaître, des «êtres délicieux», nous ne saurions tolérer leur imprécations obscurantistes. De même qu'en France un Léon Bloy, c'est «amusant»; c'est, nous pouvons bien le concéder, stylistiquement admirable (surtout à le comparer à nos actuels littératueurs, pisse-copies patentés d'introversions fumeuses et professionnels de la communication et du marketing), mais non, philosophiquement, allons, soyons sérieux, tout cela est dépassé, dépassé parce que faux, pis : incorrect !
Oui, en quelque sorte, à nos oreilles éduquées par d'autre mélopées, plus suaves, la tonalité de Leontiev sonne méchamment; c'est bien cela ! Pour notre moralisme, que nous pensons si rationnel et si réaliste, les propos de Leontiev sont affreusement méchants, et ce d'autant plus qu'il y mit lui-même toute sa force de conviction non moins réellement réaliste, mais d'un réalisme qui sut rester non matérialiste et non idéologique, d'un réalisme outrageusement chrétien. Et c'est au nom de ce christianisme réaliste que Leontiev osa adresser ses reproches à Léon Tolstoï, à Dostoïevski, à Gogol aussi (l'un des buts littéraires avoués de Leontiev était de mettre fin à l'influence de ce dernier sur les lettres russes !). Comble de l'audace perfidement rétrograde, qui scandalise plus aujourd'hui qu'alors ! À tous ceux qui étaient tentés de justifier la mélasse socio-démocratique par le christianisme, voire à faire de celui-ci rien de moins que l'essence même de cette eau-de-rose truandée, Leontiev rappelait quelques utiles vérités. Tout comme les authentiques musiques traditionnelles des peuples sont, à l'opposé des soupes sirupeuses avariées du new age, fortes et rugueuses aux oreilles non-initiées et ne dévoilent leur vraie douceur qu'après une longue intimité dans la chaleur de la langue et de l'esprit, le christianisme, à l'opposé de la doucereuse tolérance socio-démocrate, est austère et exigeant avant que d'être accueillante et lumineuse bonté !
Et puis surtout, que pourrions-nous bien en faire de ce furieux vieux bonhomme qui a osé écrire
leontievcccccc.jpgL'Européen moyen, idéal et outil de la destruction universelle ? Puisque, ne l'oublions pas, la littérature «vraie» doit être, nécessairement, engagée; c'est-à-dire, au-delà de critiques de pure forme, aller, toujours, dans le sens du courant. Or, nous y sommes d'ores et déjà en la belle et unie Europe, nous y sommes depuis un bon bout de temps dans ce moment historique, dans cet événement des événements qui va durer encore et encore, en plein dans cette heureuse période de l'unification, dans l'heureuse diversité des êtres équitablement soumis aux choses. Certes, avec des heurts et quelques accidents de parcours, mais bénins en somme, insignifiants même, au regard du grand espoir de «paix universelle» vers lequel tous, dans une belle unanimité, nous tendons. En tout cas nous y sommes bel et bien, oui en Europe ! Alors, quel besoin aurions-nous de nous auto-flageller en lisant ce «grand-russien» décédé, dépassé, déclassé ?
Eh bien il se trouve que la distance s'avère souvent nécessaire pour mieux se connaître. Pour nous autres, très fréquentables européens moyens et contemporains, quelle plus grande distance que celle qui nous sépare de cet inclassable russe ?
Ce grand-russien qui, de son vivant, s'ingénia à se montrer implacable envers l'européen moyen pourrait bien s'avérer, par ses écrits, un viatique pour le même à l'heure d'une renaissance russe qui pourrait offrir à une Europe épuisée et ridiculisée par quelques décennies d'une politique frileuse, cupide et aveugle à son être authentique, de regagner une place qui lui est véritablement propre, possibilité à envisager sans fol optimisme puisque Leontiev lui-même insistait sur le fait que «la véritable foi au progrès doit être pessimiste».
Conservateur comme il l'était, Konstantin Leontiev faisait partie de cette race d'hommes qui savait encore que sentiments (et non sentimentalisme) et intelligence aiguisée, loin d'être antinomiques, sont intimement liés. Ainsi, c'est avec une acuité et une intelligence épidermique que notre auteur se montrait absolument et irrémédiablement opposé à l'idéologie du progrès, du bien et de la paix universelles, idéologie dont il avait su flairer les relents dans les différents partis en présence de son temps. Refusant cette idéologie comme une utopie mortifère qu'il identifiait à un état d'indifférence, degré zéro de toute activité humaine, il refusait aussi à la politique de se projeter vers un hypothétique futur, vers le lointain, lui assignant pour seul objectif le «prochain» : «[…] cette indifférence est-elle le bonheur ? Ce n'est pas le bonheur, mais une diminution régulière de tous les sentiments aussi bien tristes que joyeux.»
Dès lors, comme tout authentique conservateur, ce que Leontiev souhaitait conserver ce n'était certainement pas un système politique ou économique quelconque ou bien quelques grands et immortels principes : «Tout grand principe, porté avec esprit de suite et partialité jusqu'en ses conséquences ultimes, non seulement peut devenir meurtrier, mais même suicidaire.» Non, ce que Leontiev aimait et voulait voir perdurer c'était bien la véritable diversité humaine, les différences dont notre époque, si douce et éclairée, nous enseigne qu'elles sont sources de conflits et d'agressions tout en en faisant une promotion trompeuse : «L'humanité heureuse et uniforme est un fantôme sans beauté et sans charme, mais l'ethnie est, bien entendu, un phénomène parfaitement réel. Qu'est ce qu'une ethnie sans son système d'idées religieuses et étatiques ?» (2).
Toute la philosophie de l'histoire développée par Konstantin Leontiev projette sur ces questions une lumière qui, bien que crue, est loin d'être aussi cynique que ses contempteurs voudraient le faire croire.
«La liberté, l'égalité, la prospérité (notamment cette prospérité) sont acceptés comme des dogmes de la foi et on nous affirme que cela est parfaitement rationnel et scientifique. Mais qui nous dit que ce sont des vérités ? La science sociale est à peine née que les hommes, méprisant une expérience séculaire et les exemples d'une nature qu'ils révèrent tant aujourd'hui, ne veulent pas admettre qu'il n'existe rien de commun entre le mouvement égalitaro-libéral et l'idée de développement. Je dirais même plus : le processus égalitaro-libéral est l'antithèse du processus de développement» (3).
Pour Leontiev, cette loi de l'histoire qu'il nomme processus de développement est une «marche progressive de l'indifférencié, de la simplicité vers l'originalité et la complexité», mais loin de tendre vers une amélioration constante, vers un bonheur complet et épanoui, qui n'est, en définitive, qu'une abstraction, cette marche connaît une forme d'arrêt qui se traduit par une simplification inverse dont Leontiev analyse trois phases : le mélange, le nivellement et, finalement, l'extinction.
Selon lui, cette loi quasi cyclique s'observe dans tous les domaines des civilisations historiques. Et, ce que nous appelons unanimement progrès, il le distingue très nettement de ce processus de développement, le nommant «diffusion» ou «propagation» et l'attachant à cette phase dissolvante de «simplification syncrétique secondaire» : «[…] l'idée même de développement correspond, dans les sciences exactes d'où elle a été transférée dans le champs historique, à un processus complexe et, remarquons-le, souvent contraire au processus de diffusion, de propagation, en tant que processus hostile à ce mécanisme de diffusion» (4).
Ainsi, dans les pages de son maître-livre Byzantinisme et slavisme, Leontiev scrute scrupuleusement les mouvements, les courants, lumineux et obscurs de l'histoire, leurs lignes droites, leurs déviations, leurs dérivations, sans jamais se laisser prendre aux rets des lumières crépusculaires des idéologies. Admirateur avoué de l'idée byzantine et de sa réception créatrice en Russie, Leontiev refusera pourtant l'idéal slavophile, tout autant, mais cela paraît plus «logique», que l'occidentalisme. Profondément fidèle, quoiqu'avec une élégante souplesse, à la vision des lignes de force et de partage qu'il avait su dégager de l'histoire ancienne et récente, Leontiev repèrera dans tous les courants contemporains la même force agissante : «La marche tranquille et graduelle du progrès égalitaire doit avoir vraisemblablement sur le futur immédiat des nations une action différente de celle des révolutions violentes qui se font au nom de ce même processus égalitaire. Mais je prétends que, dans un avenir plus éloigné, ces actions seront similaires. Tout d'abord un mélange paisible, l'effondrement de la discipline et le déchaînement par la suite. L'uniformité des droits et une plus grand similitude qu'auparavant de l'éducation et de la situation sociale ne détruisent pas les antagonismes d'intérêts, mais les renforcent sans doute, car les prétentions et les exigences sont semblables. On remarque également que, partout, vers la fin de l'organisation étatique, l'inégalité économique devient plus grande à mesure que se renforce l'égalité politique et civique» (5).
Bien qu'il ait considéré, en littérature, le réalisme comme désespoir et auto-castration, c'est bien à cause de son réalisme qu'il ne voulut jamais sacrifier à aucune «idée supérieure», que Leontiev a vu se refermer sur lui la porte du placard étiqueté «infréquentables».
La grande faute de Leontiev fut de dire, comme le répétait Berdiaev lui-même, que «l'homme privé de la liberté du mal ne saurait être qu'un automate du bien» ou bien encore que «la liberté du mal peut être un plus grand bien qu'un bien forcé.»
Mais... énorme mais, Berdiaev ne cessa d'essayer de convaincre, et de se convaincre, qu'il était socialiste. Cela suffit pour qu'on entrouvre, même très légèrement, la porte.

Notes
(1) Toutes les citations de Leontiev sont tirées de l'ouvrage Écrits essentiels (L'Âge d'Homme, Lausanne, 2003).
(2) Op. cit., p. 108.
(3) Op. cit., p. 139.
(4) Op. cit., p. 137.
(5) Op. cit., ibid.

L’auteur
36 ans, père de famille, chanteur et auteur breton, créateur de la “cyberevue” bretonne Nominoë et du blog Tropinka, Thierry Jolif, après avoir fondé et animé, pendant plus de dix ans l’ensemble musical Lonsai Maïkov, a étudié la civilisation celtique, le breton et l’irlandais à l’Université de Haute-Bretagne. Il a scruté et médité, durant plusieurs années, les aspects tant pré-chrétiens que chrétiens de la civilisation celtique (religion, art, musique, poésie). Orthodoxe, ayant étudié la théologie, il s’est particulièrement penché sur les aspects théologiques, mystiques et ésotériques du Graal, ainsi que sur l’étude du symbolisme chrétien, de l’écossisme maçonnique, de la philosophie religieuse russe et de l'histoire et de la mystique byzantine.
Il a collaboré aux revues Sophia (États-Unis), Tyr (États-Unis), Hagal (Allemagne), Contrelittérature (France), Terra Insubre (Italie) et est l’auteur de Mythologie celtique, Tradition celtique, Symboles celtiques et Les Druides dans la collection B-A. BA. des éditions Pardès.