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mardi, 20 novembre 2012

Le Shâhnâmeh ou Livre des Rois de Ferdowsi

Le Shâhnâmeh ou Livre des Rois de Ferdowsi

par Arefeh Hedajazi

Ex: http://mediabenews.wordpress.be/

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Abolghâssem Hassan ben Ali Ferdowsi, grand maître de la langue persane, fut une personnalité aussi légendaire que ses héros. Du jeune noble, lettré et bien élevé, qui décide de transcrire sous forme d’un immense ouvrage épique les légendes et les mythes de l’ancienne Perse, au vieux sage usé et fatigué qui, vers la fin de sa vie, nous conte les tourments de son âme en peine, l’itinéraire de ce héros inclassable et obstiné est unique. Il fut noble dehghân, poète de cour, satiriste, chef de file du mouvement sho’oubbieh et surtout, l’auteur du Shâhnâmeh ou Livre des Rois, recueil épique de 120 000 vers, où l’histoire de l’Iran ancien rejoint celle des autres civilisations antiques. Même si, pour les persanophones du monde entier, Ferdowsi est non seulement un poète, mais il constitue également un patrimoine personnel destiné à chaque membre de cette communauté. La vie de ce maître est, telle celles de ses héros, entourée de légendes et de mystères qui ne donnent que plus de valeur à la place qu’il tient unanimement dans le cœur de tout iranien.

Dans la traduction arabe du Shâhnâmeh réalisée par Albandâri datant approximativement de l’année 1223, le nom de Ferdowsi est « Mansour ben Hassan ». Il apparaît ailleurs sous le nom de « Hassan ben Ali » ou  » Hassan ben Eshagh Sharafshâh ». Pour les chercheurs, c’est la version de la traduction arabe du Livre des Rois par Albandâri qui paraît la plus probable. Son patronyme « Abolghâssem Ferdowsi » est quant à lui unanimement accepté et il n’existe pas de doute au sujet de son exactitude.

Ferdowsi est né à Baj dans la région de Touss. La date précise de sa naissance est inconnue mais les divers recoupements permettent de croire qu’il est né en 940 ou 941. De ses études, on ne sait pas grand-chose mais il connaissait certainement la littérature persane et arabe. Certains pensent que Ferdowsi aurait pu être zoroastrien. C’est une idée totalement fausse. Comme toujours avec les auteurs, le meilleur moyen de connaitre exactement leur biographie est de prendre en compte ce qu’ils en ont dit dans leurs œuvres. D’après les biographes officiels et Ferdowsi lui-même, il était musulman chiite, d’une optique proche de celle des Mo’tazzelleh. C’est ce que dit également Nezâmi Arouzi dans ses Quatre Articles. Ferdowsi présente son chiisme dans l’introduction du Shâhnâmeh :

Tu ne verras point de tes deux yeux le Créateur

Ne les fatigue donc point à Le voir

Par ailleurs, dans beaucoup d’autres vers, il loue l’Imam Ali et c’est dans son Hajvnâmeh, recueil satirique, qu’il montre le plus franchement son appartenance au chiisme. D’autre part, Ferdowsi s’est toujours montré fidèle à ses idéaux et son patriotisme ne doit pas être pris pour une tendance zoroastrienne. Le Maître de Touss était monothéiste, et en de très nombreux endroits de son Livre des Rois, il loue Dieu l’unique et parle de Son Unicité et de Son Immatérialité. Sa plus célèbre louange est celle qui introduit

le Shâhnâmeh :

Tu es le haut et le bas de ce monde

Je ne sais point ce que Tu es,

Tu es tout ce que Tu es.

Ferdowsi était noble et descendait d’une très vieille famille de propriétaires terriens. Cette naissance et cette situation familiale jouèrent sans aucun doute un rôle important dans la formation du jeune Ferdowsi. Premièrement car en tant que noble persan, il s’était familiarisé très jeune avec l’histoire mythique de l’Iran antique. Il est intéressant de noter qu’en la matière, Ferdowsi n’est que le digne héritier des Khorâssânis : quand les Arabes musulmans envahirent l’Iran en l’an 641, toute la cour sassanide, ainsi que les grands administrateurs de cet empire immense se réfugièrent dans la région du Khorâssân, qui comprenait également à cette époque une partie de la Transoxiane. C’est pourquoi, après l’arabisation forcée de la culture iranienne qui ne s’est pas fait sans résistance, ainsi qu’avec la politique de discrimination raciale mise en œuvre par les califes omeyyades, la région du Khorâssân, géographiquement la plus lointaine de la capitale du califat, devint le centre de la résistance iranienne culturelle, religieuse et même militaire et politique. Ce d’autant plus que le Khorâssân était, dès avant l’islam, une satrapie particulièrement importante étant donné qu’elle avoisinait les tribus nomades et très peu civilisées de l’Asie centrale et que par conséquent, les habitants avaient depuis très longtemps un patriotisme à la limite du chauvinisme qui ne fit que s’exacerber avec les exactions arabes. Après l’invasion arabe et la migration de l’élite sassanide, qui parlait une langue noble, le dari, c’est-à-dire la langue du « darbar » (la cour), cette province devint le bastion des défenseurs de l’identité persane, symbolisée par le dari. C’est par la voie de cette langue, qui se répandit rapidement et perdit son statut de langue privilégiée, que les légendes et les mythes de l’ancienne Perse, rassemblés dans des textes religieux tels que le Khodâynamak ou « Le Livre divin », ou dans des semi biographies narrant l’histoire des rois perses, telles que les multiples Tâj namak ou « Livre des couronnes », commencèrent à circuler, narrés par les conteurs ambulants ou sous forme de contes pour enfants. C’est pourquoi Ferdowsi le Tousssi, pur enfant du Khorâssân, connaissait, comme tous les habitants de cette région, les mythes de l’Iran préislamique.

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Siyâvosh et Afrâsiyâb sur le terrain de chasse, artiste inconnu, Shâhnâmeh du Shâh Esmâïli, 1564

Il est d’ailleurs intéressant de souligner ici le rôle des vieilles familles patriciennes de propriétaires terriens, les « dehghâns », d’où était issu Ferdowsi, dans la préservation du patrimoine littéraire et culturel persan. En effet, lors des premiers siècles de l’histoire de l’Iran islamique, à l’époque où la politique d’arabisation des Ajams ou adorateurs de feu qu’étaient les Iraniens au regard des Arabes était appliquée par les califes avec la plus grande rigueur, ce furent ces familles qui, beaucoup plus que les rois, furent les mécènes des artistes persans et les protecteurs du patrimoine culturel iranien.

L’autre importance qu’eût le statut familial de Ferdowsi dans la rédaction de son livre fut l’aspect financier. En tant que propriétaire, Ferdowsi vécut et travailla son ouvrage magistral sur ses terres sans être inquiété par la nécessité d’avoir un emploi. Il est vrai que trente-cinq après le commencement de la rédaction du Livre des Rois, le poète n’était plus qu’un octogénaire fatigué et appauvri, ayant perdu ses terres, sa fortune engloutie par son œuvre, qui cherchait un mécène.

La rédaction du Shâhnâmeh

C’est vraisemblablement dès avant la mort de Daghighi, son prédécesseur dans la rédaction du Shâhnâmeh, que Ferdowsi a commencé à versifier les mythes anciens. Semblable en cela en la plupart des poètes du Xème siècle, Daghighi est un poète très peu connu. La plupart des auteurs de cette période ne sont connus qu’à travers les œuvres des autres écrivains ou de par quelques rares vers qui nous sont parvenus à travers les anthologies. De Daghighi, l’on sait qu’il fut poète lyrique, qu’il vécut à la cour des Ghaznavides et qu’il était très talentueux, au point d’en être célèbre dans cette cour pourtant si riche en poètes. Grâce à son talent, Daghighi était capable de manier tous les genres et de jongler avec tous les styles. C’est pourquoi, quand en poète Khorassani, il décida comme tant d’autres avant lui, de mettre en vers les mythes de la Perse, il put, comme il l’avait fait en tant qu’auteur lyrique, impressionner en tant que poète épique dans son Gashtasbnâmeh. Mais Daghighi avait un mauvais caractère, querelleur et belliqueux. Ses contemporains poètes ont préféré garder le silence à ce sujet ou se sont cantonné à y faire allusion. Ferdowsi dit de lui que, malgré sa jeunesse, ses dons et son talent, il avait le mal en lui et que c’est de par sa propre faute qu’il perdit la vie. En effet, Daghighi mourut jeune, tué par son esclave, alors qu’il avait à peine rédigé cinq cents distiques de son Gashtasbnâmeh.

C’est probablement la mort de Daghighi, qui n’avait qu’à peine eu le temps d’entreprendre sa compilation des mythes de l’Iran antique, qui provoqua chez Ferdowsi le désir de continuer cette compilation. D’après les divers recoupements, on a estimé que le travail de la rédaction du Shâhnâmeh fut définitivement entamée entre les années 980 et 982, à une époque très troublée par les dissensions qui opposaient les trois héritiers du gouverneur de Khorâssân, et les escarmouches ravageuses qui opposaient les armées du roi samanide à celle du roi bouyide, que Ferdowsi évoque dans son ouvrage. Autre indice, Ferdowsi fait également état d’une famine violente l’année où il termina la version première du Livre des Rois ; d’après un historien du XIIème siècle, Attabi, cette famine sévit de 992 à 994, ce qui correspond à la date déterminée par les chercheurs.

D’après les recherches des biographes, à ce moment là, Ferdowsi avait déjà exercé sa plume à versifier quelques unes des légendes anciennes.

Parmi les divers travaux d’écriture que Ferdowsi avait déjà amorcés quand il commença la rédaction du Shâhnâmeh, l’on peut citer la légende de « Bijane et des sangliers », également connue sous le nom de « Bijane et Manijeh ». Cette légende, qui forme l’un des chapitres du Livre des Rois, a été très visiblement écrite par un Ferdowsi à la plume encore inexpérimentée, un Ferdowsi qui n’a pas encore trouvé sa vitesse de croisière et son style particulier, précis et puissant, c’est-à-dire par Ferdowsi jeune, quelques années avant qu’il ne se lance de façon sérieuse dans la rédaction de son œuvre. La légende de « Bijane et les sangliers » est donc le premier chapitre rédigé du Livre des Rois. D’ailleurs, cette légende était visiblement très connue au Xème siècle car de nombreux auteurs l’ont cité dans leurs ouvrages. On peut mentionner les vers de Manoutchehri, qui compare la nuit à la chevelure de Manijeh et au puits de Bijane, ainsi que quelques uns des vers de Ferdowsi lui-même, qui prouvent que cette légende inspirait à l’époque non seulement les gens de lettres, mais également et beaucoup plus les architectes, les décorateurs et les graveurs.

Quand il commença sa « compilation », Ferdowsi ne possédait pas encore le manuscrit du Gashtasbnâmeh. En effet, Daghighi venait à peine de mourir et son ouvrage inachevé n’avait pas encore été copié pour le public. C’était un vrai désagrément pour Ferdowsi car il avait besoin de cet ouvrage en tant que référence. Son rythme de travail risquait de se ralentir lorsqu’un ami bienfaiteur lui fit don du manuscrit du Shâhnâmeh d’Abou-Mansouri, le plus vieux des Shâhnâmeh en prose connu à ce jour.

Ce Shâhnâmeh ainsi que celui d’Aleman furent les deux principaux ouvrages de référence de Ferdowsi dans la mesure où le maître se servit de références écrites. Car contrairement à ce que les chercheurs ont longtemps cru, de nombreux chapitres du Shâhnâmeh ne trouvent pas leur source dans les deux ouvrages de référence cités plus haut. De fait, ces chapitres faisaient partie des contes et des légendes qui circulaient librement dans la société du Khorâssân et qui étaient connus par tous.

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Garsiva rencontre Siyâvosh, artiste inconnu, Shâhnâmeh, XVe siècle

Ainsi, Ferdowsi raconte dans l’un de ces chapitres qu’une nuit, l’inspiration lui manquant, son épouse, le voyant troublé et énervé, lui prépara une collation qu’elle lui servit tout en lui narrant en pahlavi l’une de ces légendes. Cette légende fut la référence principale du chapitre de Rostam et Esfandyâr. Il est intéressant de noter que Ferdowsi précise que la légende lui fut contée dans la langue pahlavi. Comme nous l’avons précisé plus haut, c’est avant d’avoir accès au manuscrit du Livre des Rois d’Abou-Mansouri que Ferdowsi commença à mettre en vers certaines légendes de l’ancienne Perse. C’est pourquoi, il n’avança pas dans l’ordre classique. Il préféra choisir les épisodes légendaires selon ses propres goûts et selon le plan général qu’il avait pour son Livre des Rois. C’est donc après avoir rédigé le livre dans son intégralité qu’il le remania entièrement et plaça les épisodes selon son propre flair littéraire, tout en les reliant ensemble par des vers de « connexion ». De plus, la comparaison du Livre des Rois de Ferdowsi avec l’Histoire des rois perses, ouvrage qui est quasiment une traduction du Livre des Rois d’Abou-Mansouri montre parfaitement que de nombreux chapitres du Shâhnâmeh de Ferdowsi, tels les épisodes de « Bijane et Manijeh », « Rostam et Sohrâb » ou « Rostam et le démon Akvane » n’ont pas été inspirés par le Shâh-Nâmeh d’Abou-Mansouri mais plutôt par le Azad sar, recueil préislamique iranien de légendes à l’auteur inconnu.

Lorsque Ferdowsi débuta la rédaction du Livre des Rois, il se plaça très probablement sous la protection d’un seigneur de la région de Touss, dont on ne connaît pas le patronyme et il serait par trop inexact de s’en tenir à des estimations approximatives. Cet homme, qui disparut de façon mystérieuse quelques années plus tard, éprouvait, selon le Livre des Rois, énormément de respect pour Ferdowsi qu’il traitait avec les plus grands égards et Ferdowsi avoue que les encouragements de ce seigneur lui furent précieux dans la continuation de son travail.

Quelques années plus tard, ce fut Hossein Ghotaybeh, l’envoyé du calife à Touss, qui devint le mécène de Ferdowsi.

Il y également deux des grands de Touss et de Bâj qui le soutinrent financièrement lors de la rédaction du Shâhnâmeh et Ferdowsi fait également état d’eux dans son Livre des Rois. Mais leur nom n’est pas lisible et change d’un manuscrit à l’autre. C’est pourquoi ils sont toujours anonymes et il ne reste d’autre choix que de faire des suppositions au sujet de leur identité.

Après avoir entamé la rédaction de son ouvrage, le Maître de Touss chercha un seigneur digne de ce nom pour lui dédicacer son livre phénoménal. Des seigneurs de la région, aux yeux de Ferdowsi, aucun ne méritait de se voir dédicacer le Shâhnâmeh et il chercha longtemps un grand roi pour lui offrir son livre.

D’autre part, l’on sait qu’une version première du Shâhnâmeh a été rédigée par Ferdowsi et terminé en 994, c’est-à-dire quatorze ans après avoir commencé son travail. Cette version ne fut dédiée à personne mais elle est devint célèbre dans les siècles suivants et c’est cette version qui a été traduite en arabe par Albandâri. Elle est cependant beaucoup moins complète que les deux versions principales.

En réalité, de nombreux manuscrits du Shâhnâmeh furent copiés du vivant de Ferdowsi, alors qu’il travaillait encore sur ce livre. C’est pourquoi les manuscrits existants ont chacun des versions propres et uniques.

Grâce aux multiples copies qui se firent du Shâhnâmeh du vivant de Ferdowsi, ce dernier, déjà auparavant reconnu comme grand lettré, devint de plus en plus célèbre. C’est ainsi que sa célébrité grandissante dépassa même les murs du palais du roi Mahmoud le Ghaznavide, le seul qui fut jugé digne par Ferdowsi de se voir dédicacer le Livre des Rois. Il est vrai que le Maître de Touss regretta très vite sa décision, étant donné les conséquences assez désastreuses qui en découlèrent pour lui.

C’est soit par l’intermédiaire de Nasr ben Nasser-e-Din Saboktakin, le frère du roi, soit par celui du ministre Abol Abbâs Fazl ben Ahmad, que les deux grands, le roi et le poète, se rencontrèrent en l’an 1003 ou 1004. C’est à cette époque que Ferdowsi décida de réviser son œuvre et d’y louer le roi ghaznavide, pour ainsi pouvoir échapper à sa pauvreté qui commençait sérieusement à se transformer en misère. En effet, trente ans après avoir débuté la rédaction du Livre des Rois, il ne restait à Ferdowsi qu’une petite partie de son héritage de patricien. Il s’en plaint d’ailleurs avec fierté vers la fin de son œuvre, quand il précise qu’après trente ans, il ne lui reste ni jeunesse, ni grâce, ni vigueur et surtout, ni argent. Quand le poète et le roi se rencontrèrent pour la première fois, la réputation de ce nouveau Livre des Rois avait déjà dépassé les frontières de la région et les grands et les savants se faisaient copier des manuscrits de ce monument littéraire, mais personne parmi eux ne s’avisait d’aider financièrement le vieux gentilhomme de Touss. Cette mauvaise fortune obligea donc Ferdowsi à dédier son livre à Mahmoud le Ghaznavide, à qui pourtant il était en tout point opposé. Le poète avait alors soixante-cinq ou soixante-sept ans.

Il est plus probable que l’intermédiaire entre le roi et le poète ait été Abol Abbâs Fazl ben Ahmad Esfareyeni, le vizir du roi, ainsi que quelques uns des vers du début de l’histoire de « Keykhosrow et Afrassiâb » nous le font penser. On peut déduire de ces vers que le ministre de Mahmoud était un homme cultivé et un grand lettré, amateur de littérature persane et protecteur et mécène de ce qu’il considérait dès cette époque comme le seul patrimoine purement persan qui pourrait rester et être préservé tout au long des siècles troublés que traversait l’Iran.

Les caractéristiques du Shâhnâmeh

Dans le Shâhnâmeh, Ferdowsi a essayé dans la mesure du possible de rester fidèle aux légendes manuscrites ou orales qui existaient en grand nombre dans cette région de l’Iran, préservées avec chauvinisme par les Persans restés fidèles à leurs traditions par esprit de contradiction avec les Arabes. Mais cette fidélité ne signifie pas que Ferdowsi avait simplement été un compilateur : tout en respectant la trame originale du récit, le maître donne libre cours à sa puissance narrative pour faire du Livre des Rois un monument épique unique au monde.

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Le fils de Fereydoun et les filles de Sarv au banquet du roi yéménite, attribué à Qâsem Ali, Shâhnâmeh du Shâh Tahmâsb, XVIIe siècle.

Comme avant lui Homère et comme des siècles plus tard Balzac et Hugo, Ferdowsi est le maître de la description. Il fait quasiment vivre les personnages antiques sous le regard enchanté du lecteur. C’est pourquoi son chef d’œuvre est toujours aussi moderne. Nous vivons la vie de Rostam, nous partageons les peines et les angoisses de ce héros humain, qui contrairement aux héros surhommes de Homère, est un homme comme les autres, qui se trompe, qui a parfois mal, souvent besoin d’aide ; un homme faible et orgueilleux comme tant d’autres, qui vit les mêmes joies et peines.

Ferdowsi décrit les personnages, les champs de batailles, les beuveries et autres orgies, les palais, les forêts et les démons avec une vivacité qui fait les délices du lecteur moderne. C’est surtout dans la description des scènes de bataille qu’il atteint l’apogée de son pouvoir narratif incroyable.

Dans le Livre des Rois, de même que dans toutes les œuvres épiques, le lecteur se voit confronté à des sentiments de patriotisme et de fierté nationale, ainsi qu’à des exagérations délicieuses et littéralement incroyables, des événements inattendus et logiquement impossibles, et parfois à l’amour du héros. Les histoires d’amour du Livre des Rois donnent un charme tout particulier à ce livre.

Ferdowsi commence d’habitude ses chapitres avec un prêche à caractère moral. Ainsi, il prologue ses chapitres en incitant le lecteur à prendre leçon de ce qu’il va lire et à en tirer une morale efficace dans sa propre vie. Et tout en narrant les histoires conformément à la trame traditionnelle de l’intrigue, il ne se prive pas d’orner le récit par des rajouts stylistiques qui font tout le charme de l’histoire. C’est pourquoi l’importance du talent de conteur qu’est celui de Ferdowsi doit être absolument prise en compte lors de la lecture de son Livre des Rois.

On peut également suivre la trace du poète dans son œuvre quand il parle de lui-même ou des personnages réels qu’il a connus ou qui lui sont liés d’une manière ou d’une autre. Ici aussi, ses descriptions sont puissantes et vivaces, dix siècles plus tard, nous avons l’impression d’avoir affaire à des contemporains, vivant sous nos yeux.

Quant au style de Ferdowsi en soi, il est très difficile d’en parler. On peut simplement dire que Ferdowsi est, comme Saadi, le maître incontesté de la simplicité et comme Saadi, ce qu’il écrit est facile à lire mais impossible à imiter, ainsi que le prouvent plusieurs centaines de tentatives d’imitation. Le style de Ferdowsi est limpide, clair, sans préciosité langagière, tout cela sans pour autant éviter les figures stylistiques. Mais il le fait avec tant de raffinement et tant de précision que le lecteur ne garde de sa lecture que l’impression d’une chute vraie dans le temps et d’une participation quasi personnelle à une bataille antique pour ne pas dire préhistorique. Même lors de l’usage de figures stylistiques, usage beaucoup plus fréquent qu’on ne le l’imagine à la simple lecture du texte, Ferdowsi préserve sa parole souple, bien faite et simple.

Ses comparaisons et métaphores portent bien la marque de leur temps. En effet, à l’époque des Samanides et au début du règne des Ghaznavides, la poésie persane possédait une fraîcheur et une simplicité qu’elle perdit au fil des siècles. Le langage de Ferdowsi est aussi imaginatif, haut en couleur, simple, et efficace dans sa simplicité que celui de la plupart des poètes de son époque.

Malgré ses connaissances étendues dans les sciences de son époque, il utilise rarement des termes scientifiques ou philosophiques. Ce n’est que dans des contextes particuliers, par exemple lorsqu’il veut disserter sur Dieu, ou l’infini ou épiloguer un chapitre de façon à en tirer des conclusions moralisantes, qu’il use de ce genre de termes. Et même dans ce cas, l’utilisation de termes savants se fait de manière très simple, sans appuyer et sans entrer dans des dissertations.

Le Livre des Rois est l’une des sources les plus importantes aujourd’hui disponibles des anciens mots persans. Car sans ce livre, le persan, à l’époque parfaitement dominé par l’arabe, aurait disparu, comme les langues des autres pays conquis par les Arabes musulmans qui se sont en grande majorité arabisés.

Les phrases et les expressions du Shâhnâmeh sont en général simples et sans aucune ambigüité. Les noms du Shâhnâmeh sont tous utilisés de manière conforme à la plus stricte des rhétoriques et, judicieusement placés, ils donnent à l’ensemble un maximum de beauté. C’est le langage utilisé par Ferdowsi dans cette œuvre, tenant à utiliser dans la mesure du possible du plus pur persan, qui a permis la préservation de centaines de mots de la langue persane qui, même s’ils n’ont guère été utilisés par la suite par les écrivains et poètes, ont ainsi échappé à la disparition. Cela ne veut bien sûr pas dire que Ferdowsi n’a absolument pas utilisé des mots arabes. En effet, même si la plupart des mots du Livre des rois sont en pur persan, l’on rencontre quand même un certain nombre de mots arabes. Ces derniers sont pour la plupart simples et étaient -et le sont toujours- communément utilisés par les Persans. C’est pourquoi, on les rencontre également dans les ouvrages de poésie des contemporains ou même des proches prédécesseurs du Maître. Quant aux mots arabes inusités à l’époque, ils sont quasi inexistants et dans les rares cas où le poète les a choisis, il s’est souvent trompé dans leur usage.

Dans l’histoire d’Alexandre, conté dans le Livre des Rois, la présence des mots arabes est beaucoup plus palpable. Il y a dans cet épisode beaucoup plus de mots arabes que dans le reste des histoires de l’ouvrage. La raison en est que la référence principale du maître de Touss pour ce chapitre fut la traduction arabe du Livre d’Alexandre, qui avait été originellement un texte grec et qui avait été ensuite traduit en pahlavi, syriaque et arabe et finalement, de l’arabe, avait été retraduit en persan.

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Siyâvosh traverse le feu, artiste inconnu, Shpahnâmeh du Shâh Tahmâsb.

L’examen du Livre des Rois met en évidence le fait que la persistance et l’obstination de Ferdowsi à utiliser des mots persans, ne sont pas le résultat d’un chauvinisme exacerbé par les exactions des califes arabes. Le Maître de Touss n’a fait qu’user de la langue ordinaire alors en vigueur dans le Khorâssan. En effet, le Khorâssân, – aujourd’hui la Transoxiane-, était loin du centre du califat, où la langue arabe régnait en maître, c’est pourquoi les habitants de cette région ont continué pendant très longtemps à parler un persan proche du persan préislamique. De plus, Ferdowsi était assez influencé dans son langage poétique par les œuvres de référence dont il se servait et qui étaient pour la plupart, soit en pahlavi, soit en persan traduit du pahlavi. C’est donc pour cette raison que le chapitre d’Alexandre, où Ferdowsi a utilisé une référence en langue arabe, est rédigé dans un langage plus « arabisé ».

Quant à ce qui est des idées personnelles de Ferdowsi, nous les rencontrons souvent au cours de la lecture du Shâhnâmeh. Il arrive souvent à l’auteur d’argumenter sur des notions philosophiques. Pourtant, Ferdowsi attaque parfois violemment les philosophes qu’il considère bavards et incapables de montrer une voie bonne à suivre.

Chaque fois qu’il l’a jugé nécessaire, Ferdowsi moralise et tente de montrer la voie la plus juste et la plus sage. Il est en la matière l’un des plus grands auteurs moralisateurs. Certains de ses conseils font partie de la structure de l’histoire qu’il conte, tels ceux que donne le sage Bozorgmehr, sage qui revient de façon récurrente dans le Livre des Rois. Quant aux conseils et prêches qui ne faisaient pas originellement partie de la structure du conte et qui ont été rajoutés par Ferdowsi, ils sont souvent placés à la fin de l’épisode, qui conte dans la plupart des cas la mort d’un héros ou d’un roi.

La première chose qui frappait Ferdowsi quand il mettait en scène la mort d’un de ses personnages était l’infidélité et l’inconstance du monde. Mais pour lui, cette inconstance de la vie ne doit pas mener au désespoir, au contraire, il faut tenter de bien vivre, de vivre sagement et d’être bon.

Le Livre de Rois, son importance et ses traductions

Etant donné l’influence et l’impact énorme du Livre des Rois sur l’ensemble de la population persanophone mondiale, et ce depuis l’existence de cet ouvrage magistral, la généralisation de sa lecture par toutes les catégories sociales et l’importance simplement littéraire de cette œuvre, après Ferdowsi, de nombreux poètes tentèrent de créer de pareilles œuvres épiques, contant l’histoire, les mythes, les légendes et les épisodes religieux de l’Iran, mais aucune de ces œuvres n’eut le succès du Shâhnâmeh, aucun poète ne réussissant à égaler son auteur de génie.

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Le tombeau de Ferdowsi à Touss

L’influence du Shâhnâmeh ne se limita pas au seul territoire persanophone et très vite, ce livre fut traduit en d’autres langues par des étrangers influencés par sa beauté et sa puissance narrative. La première traduction de cette œuvre est celle de Ghavâmeddin Albandâri al Esfahâni qui le traduisit en vingt et un ans, de 1223 à 1244, sur l’ordre de l’émir de Damas. Cette traduction fut faite d’après le manuscrit original du Livre des Rois. Une autre traduction fut effectuée deux siècles plus tard, en turc, par Ali Afandi. Des traductions intégrales ou partielles du Livre des Rois de Ferdowsi sont également disponibles en arménien, géorgien, gujrati, anglais, français, allemand, russe, espagnol, italien, danois, latin, polonais, magyar, suédois, etc.

Parmi ces traductions, la plus importante est celle de Schack en allemand et celle de Jules Mohl en français. Il y a également une traduction versifiée allemande de l’histoire de Rostam et Sohrâb, faite par Friedrich Rückert. Il y a de même une traduction anglaise de cette même histoire, par Atkinson, en vers, et une traduction intégrale du Livre des Rois en vers par l’italien Pazzi, de même qu’une traduction versifiée de l’histoire de Rostam et Sohrâb en russe par Joukovski. Les orientalistes ont fait beaucoup de recherches au sujet du Livre des Rois. On pourrait notamment citer le travail de Jules Mohl dans son introduction au Livre des Rois ainsi que celui de Nِldeke en allemand dans son Das Iranische Nationalepos, qu’il publia en 1920.

Aujourd’hui, plus de mille ans après la rédaction du Shâhnâmeh de Ferdowsi, ce livre épique aux trésors inépuisables n’a pas fini d’intéresser les chercheurs et les mythologistes de tous horizons. En effet, au delà d’un ouvrage littéraire monumental, cet ouvrage est la compilation de légendes et de mythes souvent plus anciens que l’histoire et qui partagent de nombreux traits communs avec ceux de toutes les autres civilisations. A ce titre, ils intéressent de nombreux chercheurs. Cependant, il est aujourd’hui évident que les recherches concernant le Shâhnâmeh n’ont fait que commencer et que de nombreux aspects et dimensions de ce livre sont encore à découvrir.

Arefeh Hedjazi pour la Revue de Téhéran

mercredi, 07 novembre 2012

Omar Khayyâm

Omar Khayyâm – aperçu sur sa vie et ses principales œuvres

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Hojjat al-Haqq Khâdjeh Imâm Ghiyâth ad-Din Abdoul Fath Omar Ibn Ibrâhim al-Khayyâm Neyshâbouri, plus connu sous son pseudonyme Khayyâm, naquit à Neyshâbour, ville située au nord-est de l’Iran actuel. On ignore la date précise de sa naissance mais la plupart des chercheurs penchent pour 1048. Il est néanmoins certain qu’il vécut de la première moitié du XIe siècle à la première moitié du XIIe siècle. Les historiens sont unanimes pour le savoir contemporain du roi seldjoukide Djalâl ad-Din et de son fils Soltân Sandjar. Savant remarquable de son époque, il choisit le pseudonyme de « Khayyâm » (qui signifie « fabricant de tente ») en référence au métier de son père qu’il n’a probablement pas exercé lui-même, contrairement à Attâr (droguiste) qui pratiquait lui-même le métier dont il porte le nom.

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Omar Khayyâm

Enfant et adolescent, Omar Khayyâm étudia sous la direction des grands maîtres de son époque tels qu’Emâm Mowaffagh Neyshâbouri, considéré comme le meilleur professeur du Khorâssân. La légende, fausse, veut que Abou Hassan Nezâm-ol-Molk, le célèbre vizir, et Hassan Sabbâh aient partagé l’enseignement de ce maître. Et ces trois hommes auraient convenu que celui des trois qui atteindrait le premier la gloire ou la fortune y introduirait également les deux autres.

Khayyâm étudia aussi la philosophie avec Mohammad Mansouri. C’est ce maître qui initia Khayyâm à l’œuvre et à la pensée avicenniennes, qu’il apprécia et continua d’étudier jusqu’à la fin de sa vie.

Il vécut plus tard à Samarkand où il écrivit deux traités. Il y écrivit aussi, avec l’appui d’Abou Tâher Abd al-Rahmân Ahmad, le juge suprême de Samarkand, son livre très important intitulé Risâla fi Barâhin alâ Masâ’il al-Jabr wa al-Moghâbila (Traité des démonstrations de problèmes d’algèbre). Il alla ensuite à Balkh, important centre scientifique de l’époque, pour y approfondir ses connaissances et bénéficier des grandes bibliothèques de cette ville.

A son retour à Neyshâbour, il était déjà reconnu en tant que savant. Le roi Malek Shâh l’invita à ce titre à faire partie de l’équipe chargée de la réforme du calendrier solaire. Il accepta et participa lors de ce projet, à la construction d’un observatoire à Ispahan. Il travailla aussi pendant quelques temps comme astrologue à la cour, sans pour autant croire à l’astrologie. Il travailla plusieurs années sur son ouvrage mathématique Risâla fi sharh iskhâl mâ min Mosâdirât Kitâb Oqlidos (Traité sur quelques difficultés des définitions d’Euclide). Après les morts de Malek Shâh et de son vizir Nezâm-ol-Molk, Khayyâm perdit ses mécènes et l’Etat arrêta de subvenir aux frais de l’observatoire de Khayyâm, qui mourut quelques temps plus tard à Neyshâbour.

Son tombeau se trouve au sud-est de Neyshâbour, près des tombeaux d’Attâr et de Kamâl al-Molk. On ne connaît pas la date exacte de la construction de son premier tombeau, qui fut de nombreuses fois changé au cours des siècles. Son tombeau actuel a été construit en 1962.

Khayyâm, mathématicien et astronome

De son vivant, Khayyâm était surtout connu comme mathématicien, astronome et philosophe. Ses études sur les équations cubiques sont remarquables et représentaient une découverte importante dans le domaine de mathématiques. Il traite ce sujet dans son traité le plus connu Risâla fi Barâhin alâ Masâ’il al-Jabr wa al-Moghâbila (Traité des démonstrations de problèmes d’algèbre). Il fut le premier mathématicien à déclarer qu’il était impossible de tracer des équations cubiques par le seul moyen des mesures et des boussoles et il se servit lui-même des tracés de coniques pour les résoudre. Il découvrit d’ailleurs que les équations cubiques ont plus d’une racine réelle. Il étudia également et commenta les œuvres d’Euclide et écrivit un traité sur quelques-unes de ses définitions.

Auteur d’études sur les nombres, il définit les nombres comme une quantité continue et présenta alors pour la première fois une définition des nombres réels positifs. Il signala aussi que du point de vue mathématiques, on pouvait diviser toute quantité en parties infinies.

Dans son ouvrage intitulé L’Histoire des mathématiques, Carl B. Boyer considère Khayyâm comme l’un des plus grands précurseurs de l’algèbre dans la période qui suit les mathématiques grecques et indiennes. Selon lui, Khayyâm connaissait le triangle connu aujourd’hui sous le nom de Pascal, bien avant celui-ci. Ernest Renan considérait aussi Khayyâm comme un érudit de mathématiques.

Khayyâm composa également Zidj-e Mâlekshâhi (Les tables astronomiques) et participa à la réforme du calendrier persan, à la demande du roi seldjoukide Malek Shâh. Khayyâm introduisit l’année bissextile et mesura la longueur de l’année comme étant de 365,24219858156 jours. L’année djalâli, ainsi réformée, est plus exacte que l’année grégorienne qu’on créa cinq siècles plus tard. ہ la fin du XIXe siècle, on calcula la longueur de l’année comme étant de 365,242196 jours et ce n’est qu’aujourd’hui qu’on tient la longueur de l’an de 365,242190 jours. Le calendrier solaire dont on se sert actuellement en Iran doit donc son exactitude à ce grand savant.

Khayyâm poète

Khayyâm, considéré de son vivant comme savant, est aujourd’hui célèbre pour ses poèmes. Peu de ses contemporains connaissaient ses quatrains et rares sont les historiens de l’époque qui le citent dans les anthologies de poètes. Le premier à le faire fut Emâdeddin Kâteb Esfahâni, dans son anthologie Farid al-Ghasr en 1193, soit presque une cinquantaine d’années après la mort de Khayyâm.

Khayyâm a exprimé ses sentiments et ses idées philosophiques dans de beaux et courts poèmes épigrammatiques appelés Robâiyât ; au singulier robâi, qu’on pourrait traduire en français, faute de terme propre, par le mot « quatrain ». Le robâi est composé de quatre vers, construits sur un rythme unique, le premier, le second et le quatrième rimant ensemble, le troisième étant un vers blanc. Le premier poète iranien connu pour ses robâi est Roudaki, mais ceux de Khayyâm occupent une place à part.

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Le plus ancien exemplaire manuscrit des Robâiyât, actuellement conservé à Oxford, date de 1477. Il comprend cent cinquante-huit quatrains attribués à Khayyâm et rassemblés trois siècles après sa mort. Il existe tant d’exemplaires manuscrits de cette œuvre qu’il est aujourd’hui très difficile de savoir lesquels de ces quatrains sont vraiment de Khayyâm. D’ailleurs, le nombre des robâiyât varie d’un exemplaire à l’autre. Dans les manuscrits les plus anciens, les quatrains attribués à Khayyâm vont de 250 à 300. Mais plus on s’approche de l’époque actuelle, plus le nombre des quatrains attribué à Khayyâm tend à augmenter. La plupart des chercheurs attestent uniquement l’authenticité d’une centaine de ces quatrains. En 1934, Sâdegh Hedâyat prépara une édition comprenant les quatrains 56 et 78 à 143. Quelques années plus tard, les chercheurs littéraires Foroughi et Ghani publièrent une édition corrigée de 178 des quatrains. Parmi les autres recherches faites à ce propos, celle du danois Arthur Christensen est également remarquable. Celui-ci est l’auteur de deux ouvrages à ce propos : Les recherches sur les Ruba’iyat d’Omar Khayyâm, écrites en français et publiées en 1905 à Heydenberg, et Etudes critiques sur les Ruba’iyat d’Omar Khayyâm Khayyâm, en anglais, qui furent publiées à Copenhague en 1927.

Khayyâm au-delà des frontières de l’Iran

Khayyâm est aujourd’hui mondialement connu pour ses Robâiyât, traduits dans la plupart des langues du monde.

En Occident, le premier à l’avoir fait découvrir est l’Anglais Thomas Hide qui, dans son livre L’Histoire de la religion des Perses, des Parthes et des anciens Mèdes, traduisit en latin certains quatrains de Khayyâm et les publia à Oxford.

Au début du XVIIIe siècle, l’ambassadeur britannique à la cour de Fath Ali Shâh Qâdjâr publia une première traduction anglaise de certains quatrains de Khayyâm. En 1818, Joseph von Hammer Purgstall, l’orientaliste autrichien, dans son livre L’Histoire littéraire des Iraniens traduisit des passages de Khayyâm en allemand.

Cependant celui qui ouvrit le chemin de la célébrité de Khayyâm en Europe fut l’un des directeurs de l’école sanscrite de Calcutta qui fit connaître Khayyâm et ses idées à son élève Fitzgerald, à qui les Robâiyât doivent leur célébrité mondiale.

Ce fut la traduction anglaise d’Edward Fitzgerald qui fit connaître au grand public, en 1859, l’œuvre poétique de Khayyâm et qui servit de référence aux traductions dans beaucoup d’autres langues. Cette traduction, d’abord peu connue, obtint quelques années plus tard un grand succès. Cette traduction souleva cependant de nombreuses discussions : ce livre était-il une vraie traduction ou son auteur mystérieux voulait dissimuler sa vraie identité en se présentant comme un simple traducteur ? Les éditions suivantes rendirent les quatrains célèbres dans le monde entier, et les Robâiyât devinrent le livre le plus vendu après la Bible et les pièces de Shakespeare. Entre les années 1895 et 1929, quatre cent dix éditions de ce livre ont paru en anglais et plus de sept cents livres, articles, compositions théâtrales et musicales s’en sont inspirés. Les francophones ont également fait de nombreuses recherches sur Khayyâm et ses œuvres qui seront abordées dans un autre article de ce dossier. Durant la seconde moitié du XIXe et tout au long du XXe siècle, plusieurs traductions des Robâiyât furent publiées dans différentes langues. Il faut signaler que ce n’était pas seulement cet ouvrage qui attirait l’attention des étrangers, mais également le travail et les traités scientifiques de Khayyâm. Les œuvres de Khayyâm, en particulier ses Robâiyât, inspirèrent de nombreux écrivains, poètes et artistes dont Marguerite Yourcenar, Amin Maalouf, Granville Bantock, Jean Cras, Ernest Renan ou Jose Louis Lopez.

« Les » lectures de Khayyâm en France

Les célèbres Robâiyât de Khayyâm ont fait l’objet d’un très grand nombre de traductions en différentes langues occidentales. Si la première et la plus fameuse fut la traduction anglaise de Fitzgerald, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs traductions françaises des Quatrains ne tardèrent pas à être publiées. Les fameux poèmes suscitèrent de nombreux débats concernant la personnalité de leur auteur : Khayyâm était-il un hédoniste ou même un ivrogne aux penchants nihilistes avide de profiter des jouissances de l’instant présent ? Ou était-il plutôt un grand mystique ayant exprimé les mystères de l’existence au travers d’un langage très chargé symboliquement, mais n’en révélant pas moins une intense profondeur spirituelle ? Entre ces deux visions du personnage, des dizaines d’autres « Khayyâm » ont été évoqués et parfois argumentés au cours d’âpres échanges par articles interposés. Si l’ensemble de ces controverses ne nous apporte peut être pas beaucoup d’éclairage sur qui fut réellement Khayyâm, elle a néanmoins l’intérêt de nous révéler certains aspects de la mentalité et de la vision du monde de plusieurs grands écrivains du XIXe et du XXe siècles.

Le début d’une controverse

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Théophile Gautier

La première traduction anglaise des Robâiyât de Khayyâm, réalisée en 1859 par Fitzgerald, passa au départ presque inaperçue. Ce dernier y présentait Khayyâm comme un penseur et philosophe profond, mais n’en étant pas moins habité par de profondes souffrances métaphysiques qu’il ne pouvait consoler qu’en se réfugiant dans des plaisirs terrestres comme les femmes ou le vin. Selon Fitzgeral, loin d’être métaphorique, le langage de Khayyâm décrit donc ses souffrances et ses quelques refuges dans ce monde. Une première traduction française réalisée par Nicolas – de bien moins bonne qualité que celle de Fitzgerald – fut publiée quelques années après en 1867. Nicolas avait été consul plusieurs années dans la ville iranienne de Rasht et y avait appris le persan. Il avait également fréquenté plusieurs dervishes qui l’avaient orienté vers une interprétation gnostique des quatrains : loin de faire référence au vulgaire jus de raisin, le vin ou les femmes évoqués par Khayyâm ne pouvaient être compris que dans le cadre d’un riche symbolisme exprimant la quête mystique d’un Khayyâm en constante recherche d’élévation et de spiritualité. Va ici commencer une controverse entre les deux traducteurs et qui oppose une lecture littéralise et « terrestre » des quatrains à une lecture plus symbolique et spirituelle. Fitzgerald ne tarde donc pas à répondre à Nicolas que son interprétation du personnage est fausse : le vin ne fait aucunement référence à la divinité, et le pauvre Monsieur Nicolas n’est que la victime de « l’endoctrinement des soufis » qu’il a fréquentés en Iran. [1] De nombreux intellectuels suivirent avec passion le débat, dont la presse se fit également l’écho. La controverse favorisa néanmoins une première réédition de la traduction de Fitzgerald et aida grandement à sa diffusion. La controverse entre Fitzgerald et Nicolas fut à l’origine de l’émergence de deux visions totalement différentes de Khayyâm en Angleterre et en France : Khayyâm demeura un hédoniste fataliste chez les Anglais, tandis que la conception d’un Khayyâm aux aspirations mystiques ou du moins plus ambigües s’enracina dans l’Hexagone.

La projection de désirs et espérances multiples

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Ernest Renan

Après la controverse entre Fitzgerald et Nicolas, Renan fut l’un des premiers à reprendre la plume sur le sujet : prenant davantage position pour la lecture littéraliste de Fitzgerald, il défendit la vision d’un Khayyâm dépravé et dissimulateur : « Mystique en apparence, débauché en réalité, hypocrite consommé, il mêlait le blasphème à l’hymne, le rire à l’incrédulité. » [2] Renan étudia également la personnalité de Khayyâm à travers la notion de « race » très en vogue à l’époque, pour faire de ce dernier l’archétype d’une endurance et d’un art de la dissimulation (taqiyya) qu’il qualifia de propre aux Aryens. Selon lui, c’est cette disposition qui a permis au cours de l’histoire aux Iraniens de conserver leur riche culture face à de nombreux envahisseurs. L’hypocrisie n’est donc pas ici blâmable, elle est au contraire le reflet d’une intelligence et d’une force de caractère.

Force est de constater que la plupart du temps, Khayyâm semble être un personnage où chacun projette ses propres espérances et craintes, et où se reflète les a priori ou les besoins de chaque auteur. Ainsi, Fitzgerald était lui-même un poète semble-t-il quelque peu désabusé et n’ayant pas réussi à trouver un sens réel à son existence. Il fait donc de Khayyâm son compagnon imaginaire, qui l’aide à sortir de son impasse en lui suggérant de jouir de l’instant présent et non de se noyer dans des tourments métaphysiques. La tendance mystique de Nicolas projetait au contraire sur le poète toutes ses aspirations à trouver un sens au monde au-delà du silence de la matière.

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Judith Gautier, env. 1880

Théophile Gautier s’est également intéressé à plusieurs auteurs persans dont Khayyâm, qu’il découvrit de façon fortuite non pas chez un libraire, mais lors d’une promenade en canot sur la Seine en compagnie de sa fille Judith : ils y firent alors la rencontre d’un prénommé Mohsen Khân, en train de déclamer à voix haute un quatrain de Khayyâm, et qui s’avèrera être un diplomate iranien en mission à Paris à l’époque. Des liens d’amitiés se tissèrent entre le diplomate et Judith, qui permirent à cette dernière d’apprendre de nombreux quatrains qu’elle récitait ensuite à son père. [3] Mohsen Khân proposa ensuite à Judith de se marier avec lui et de le suivre en Perse, ce dont son père la dissuada. Cette rencontre permit ainsi à Théophile Gautier d’avoir un contact « vivant » avec les quatrains de Khayyâm, qui l’amena également à se poser la question de la personnalité de leur auteur : un libertin, tel que semble l’entendre Mohsen Khân, ou un mystique, comme l’affirme Nicolas ? Dans un article publié dans le Moniteur Universel, Gautier va livrer sa propre vision du personnage : ni mystique ni débauché, Gautier fait de lui une sorte de poète qui appréciait fort le vin de Neyshâbour sans être non plus insensible aux plaisirs immatériels. Loin d’être contradictoire, le vin joue au contraire le rôle de « pont » entre ces deux aspirations, l’ivresse matérielle permettant soi d’atteindre une certaine extase mystique, soi d’oublier le tourment des angoisses de ce monde. Gautier adopte donc une position médiane : « Khayyâm cherchait dans le vin cette ivresse extatique qui sépare les choses de la terre et enlève l’âme au sentiment de la réalité… Certes, de toutes les manières d’anéantir le corps pour exalter l’esprit, le vin est encore la plus douce, la plus naturelle, et, pour ainsi dire, la plus raisonnable. » [4] Plus loin, Gautier penche néanmoins davantage pour un Khayyâm fataliste, qui cherche à noyer sa détresse nihiliste dans la douceur du vin : « Quel profond sentiment du néant des hommes et des choses, et comme Horace, avec son carpe diem de bourgeois antique et son épicurisme goguenard est loin de cette annihilation mystique qui recherche dans l’ivresse l’oubli de tout et l’anéantissement de sa personnalité ! Kèyam ne s’exagère pas son importance, et jamais le peu qu’est l’homme dans l’infini de l’espace et du temps n’a été exprimé d’une façon plus vivre. » [5] Lorsqu’il rencontra Khayyâm, Gautier avait cependant rédigé la majorité de ses grandes œuvres ; l’influence de l’auteur des Robâiyât est donc peu présente dans ses écrits. Cette figure de poète aux élans tantôt mystiques tantôt nostalgiques fut reprise par certaines figures littéraires françaises. Ce fut notamment le cas du dramaturge Maurice Bouchor, qui publia en 1892 une pièce intitulée Le songe de Khéyam et y repris dans ses grandes lignes l’interprétation de Gautier. Quelques années plus tard, Jean Lahor écrivit un ouvrage mettant en scène Khayyâm intitulé Illusion : le poète iranien se fait l’écho des pensées de l’auteur concernant l’omniprésence de la mort et son inquiétude face à la fragilité de l’existence. Il évoque également la problématique de l’existence du mal : selon lui, les Aryens ont cherché la réponse à cette question dans plusieurs écoles de pensées : d’abord le panthéisme, puis le pessimisme et le nihilisme. Ils glissèrent vers le stoïcisme et fondèrent finalement l’humanisme, que Lahor décrit comme étant la religion par excellence. Dans cette esquisse de l’évolution de la pensée perse, il situe Khayyâm dans la fin de la première partie, comme recherchant un remède ultime aux souffrances du monde dans la jouissance et l’ivresse de chaque instant, pour échapper à l’idée et à la fatalité de la mort. Dans son ouvrage parsemé de vers, il reprend des images clés de l’œuvre de Khayyâm en évoquant constamment de beaux corps devenus terre, et de dialogues entre les morts et les vivants qui seront bientôt appelés à les rejoindre :

Cette poussière, cette ordure
Ces os épars étaient jadis
La forme lumineuse et pure
D’une femme aux blancheurs de lys,
Jetant des rayons de tendresse […]
Ce que vous êtes, nous l’étions ;
Vous serez ce que nous sommes.
Voici les sages près des fous ;
Plus de brunes ici, ni de blondes.
Vous qui passez, regardez-nous,
C’est le dénouement de ce monde. [6]

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Jean Lahor

Khayyâm fut également l’objet d’attention d’André Gide, qui avait lu avec attention la traduction de Fitzgerald. Certains passages de son ouvrage Les nourritures terrestres ne sont ainsi pas sans rappeler certains thèmes des fameux quatrains. Comme les autres, Gide construisit « son » Khayyâm, dans lequel ses idées pouvaient trouver l’écho qu’il recherchait. Au début du XXe siècle, Khayyâm était connu par la majorité des écrivains et intellectuels français. En Angleterre, la traduction de Fitzgerald avait alors conquis de nombreux foyers. Dès la fin du XIXe siècle, tout un ensemble de clubs réservés aux admirateurs de Khayyâm furent fondés dans plusieurs pays d’Europe : il s’agissait pour certains de simples groupes de lecture et de partage d’une passion commune, tandis que pour d’autres, il s’agissait d’appliquer dans sa vie quotidienne la pensée – ou plutôt ce que l’on en comprenait – d’Omar Khayyâm. L’un des premiers du genre fut fondé en 1892 en Angleterre : il mêlait l’hédonisme à la vénération de Khayyâm et de Fitzgerald, mort près d’une décennie plus tôt. Sa traduction étant parue en 1859, il fut décidé que le nombre des membres du club n’excèderait pas 59 personnes. En 1900, un club du même genre fut fondé aux Etats-Unis. Il semble cependant que la France ne connût pas un tel phénomène : Khayyâm continuait de captiver plutôt l’attention d’écrivains et d’artistes isolés. Parallèlement à ces influences littéraires, de nouvelles traductions et recherches dont certaines étaient basées sur des sources persanes furent engagées. L’un de ces nouveaux traducteurs de Khayyâm fut Charles Grolleau, qui publia une nouvelle traduction des quatrains en 1902. Il fut bientôt suivi de Fernand Henry, qui proposa à son tour sa traduction des poèmes de Khayyâm.

La question de l’authenticité des quatrains

Parallèlement à ces nouvelles traductions, une controverse concernant l’originalité de la pensée de Khayyâm éclata aux Etats-Unis à la même époque : tout commença lorsqu’un membre du club des omaristes américains prénommé Amin al-Rayhâni traduisit le recueil d’un poète syrien aveugle appelée Abou al-Alâ al-Ma’arri ayant vécu près d’un siècle avant Khayyâm, et dont les idées ressemblaient à s’y méprendre à celles exprimées dans les Robâiyât. De nombreuses discussions furent alors engagées sur l’authenticité de la pensée de Khayyâm : Al-Ma’arri avait-il influencé ce dernier ? Au même moment, une autre controverse concernant l’authenticité de la majorité des quatrains de Khayyâm fut lancée par des chercheurs comme l’iranologue Arthur Christensen, qui affirma que seulement une douzaine de quatrains pouvaient être attribués avec certitude à Khayyâm. Face à ce double affront, un ouvrage de Georges Salmon intitulé Un précurseur d’Omar Khayyam ou le poète aveugle dans lequel il compare les œuvres des deux poètes et en conclut que tout séparait en réalité ces deux auteurs : le contenu de leur œuvre, la distance géographique, et les dates. Toute influence était donc impossible.

La « projection » des inquiétudes sociales ou personnelles de différents écrivains français n’en continua pas moins par la suite : ainsi, en 1905, le poète et essayiste anarchiste Laurent Tailhade publia Omar Khayyam ou les poisons de l’intelligence où il louait les idées libertaires de Khayyâm tout en lui reprochant d’avoir abusé de ce qu’il appelait les « poisons de l’intelligence », c’est-à-dire le vin et tout ce qui altère la raison de l’individu – choses dont l’auteur avait semble-t-il lui-même abusé dans sa jeunesse. Le monologue permet donc de passer à une sorte de dialogue fictif mettant en scène Khayyâm comme le reflet de ses propres erreurs.

Durant la première décennie du XXe siècle, d’autres poètes tels que Jean-Marc Bernard ou Georges Salmon s’inspirèrent également de Khayyâm dans leurs œuvres.

Après la Première Guerre mondiale, le mouvement conjoint de traductions et d’influences se poursuivit. En 1920, Claude Anet, journaliste qui avait passé plusieurs années en Iran, publia une traduction des Robâiyât et fut suivi par une nouvelle traduction de Franz Toussaint agrémentée de nombreuses gravures. Pour la première fois, ce travail était le fruit d’une collaboration d’un Français avec un Iranien, Ali Nowrouz. Cet ouvrage illustré connut un grand succès et contribua à une diffusion encore plus importante de l’œuvre de Khayyâm.

Durant cette période, la question de l’authenticité des quatrains fut de nouveau discutée et reprise par le même Arthur Christensen, qui revit ses critères et affirma que près de 125 quatrains pouvaient être attribués avec certitude à Omar Khayyâm. La controverse resta cependant ouverte jusqu’à la découverte d’un manuscrit datant de 1259 par Arthur Arberry en Angleterre qui contenait 172 quatrains, qui n’étaient selon l’auteur du manuscrit qu’une « sélection ». D’autres découvertes de manuscrits à Téhéran et aux Etats-Unis suivirent et permirent d’invalider les thèses selon lesquelles les quatrains originaux de Khayyâm ne se limiteraient qu’à une dizaine.

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Arthur Christensen

L’influence sur les écrivains resta constante, notamment chez des écrivains comme Marguerite Yourcenar. En 1943, l’écrivain Alexandre Arnoux publia une œuvre où l’influence de Khayyâm est omniprésente intitulée CVII quatrains. Cette œuvre était parsemée de vers où étaient abordés les grands thèmes khayyâmiens de la mort, de la place de l’homme dans l’univers, et de la fragilité de l’existence. Il faisait ainsi de Khayyâm une sorte de philosophe naturaliste, loin du mystique présenté un siècle plus tôt pas Nicolas. Quelques années après, le poète belge Jean Kobs publia les Roses de la nuit, dont les poèmes reprenaient également les mêmes grandes thématiques des quatrains, et faisaient dialoguer morts et vivants. D’autres traductions furent réalisées, dont celles de Maurice Chapelain en 1969, qui reste considérée comme l’une des plus belles. Suivirent ensuite les traductions plus récentes, telles que celles de Gilbert Lazard ou encore de Vincent-Mansour Monteil.

Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les Robâiyât de Khayyâm ont donc fait l’objet de l’attention de nombreux auteurs, poètes et dramaturges français. Si certains se sont juste contentés de les traduire, de nombreux auteurs se sont emparés du style et de certains motifs des quatrains pour y refléter leur propre pensée, engager un dialogue avec eux-mêmes et leur conception du monde, ou encore exprimer leurs inquiétudes existentielles et dénoncer certains maux de leur temps.

Notes

[1] Fitzgerald, Edward, Works, p. 13. Op cit : Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.

[2Journal Asiatique, juillet-août 1868, pp. 56-57. Op cit : Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.

[3] Judith Gautier évoque cette rencontre dans son ouvrage intitulé Le second rang du collier.

[4] Gautier, Théophile, L’Orient, II, 82. Op cit : Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.

[5] Ibid.

[6] Lahor, Jean, Illusion, p. 27. Op cit : Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.


Quelques œuvres de Khayyâm
- Zidj-e Mâlekshâhi (Les tables astronomiques)
- Resâleh dar sehat-e toroq-e hendesi barâye estekhrâj djazr va ka’b (Méthode pour l’extraction des racines carrées et cubiques)
- Risâla fi Barâhin alâ Masâ’il al-Jabr wa al-Moghâbila (Traité des démonstrations de problèmes d’algèbre)Risâla fi sharh iskhâl mâ min Mosâdirât Kitâb Oqlidos (Traité sur quelques difficultés des définitions d’Euclide)Robâiyât
- Poèmes arabes
- La traduction persane du sermon d’Avicenne sur le monothéisme


 

Bibliographie :
- Mostafâ Badkoubeyi Hezâveyi, Nâbegheh-ye Neyshâbour (Le génie de Neyshâbour), éd. Farâyen, 1995.
- Djavâd Barkhordâr, “Khayyâm-e Dâneshmand” (Khayyâm le savant), in revue Dâneshmand, n° 588, 2010.
- Djahânguir Hedâyat, Khayyâm-e Sâdegh (Le Khayyâm de Sâdegh)(Ensemble des œuvres de Sâdegh Hedâyat sur Khayyâm), Téhéran, éd. Tcheshmeh, 2005.
- Seyyed Akbar Mir Ja’fari, “Hakim Omar Khayyâm”, in revue Moa’llem, n°16, mai 2007
- Abolfazl Mohâdjer, « Pir-e Pegâh khiz » (Le Maître matinal), in Hamshahri, le 18 mai 2005.
- Ruba’iyat, trilingue (anglais, français, persan), avec l’introduction de Saïd Nafissi, Téhéran, éd. Namak, 2004.
- http://www.khayyam.info/persian/khayyam_persian09.htm

- Hadidi, Javâd, De Sa’di à Aragon, l’accueil fait en France à la littérature persane (1600-1982), Al-Hodâ, Téhéran, 1999.
- Fitzgerald, Edward, Rubaiyat of Omar Khayyam, edited by Daniel Karlin, Oxford University Press, 2009.

la Revue de Téhéran