Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987
José Antonio et le National-Syndicalisme, 50 ans après
par Frédéric Meyer
Le 29 octobre 1933, deux mois après la chute du gouvernement de centre-gauche de Ma-nuel Azaña, trois jeunes gens organisaient au Théatre de la Comédie de Madrid un meeting qualifié vaguement "d'affirmation nationale": un héros de l'aviation, Julio Ruiz de Alda, un professeur de droit civil, Alfonso Garcia Valdecasas, et un jeune aristocrate, espoir du Bar-reau madrilène, José Antonio Primo de Rivera. L'histoire devait retenir cette réunion, re-transmise par radio mais passée pratiquement inaperçue dans la presse, comme acte de fon-dation de la Phalange espagnole.
Justice et Patrie
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Lorsque les trois orateurs montent à la tribune, près de 2000 personnes se pressent dans la salle. Militaires, monarchistes, traditionnalistes, républicains-conservateurs, syndicalistes-révolutionnaires, étudiants et simples curieux composent un public aussi hétéroclite qu'en-thousiaste. Pour le dernier orateur, l'expectative est à son comble. Pâle, un peu crispé, ce-lui que l'Espagne entière appelera bientôt "José Antonio" s'avance vers l'estrade. Déjà, la chaude parole du jeune tribun pénètre incandescente dans les esprits et capte irrésistiblement l'émotion de l'auditoire. Le philosophe Unamuno se dira impressionné par la hauteur poé-tique et la radicale nouveauté du discours. En quelques mots, le futur leader de la Phalange présente son mouvement. Il s'agit -dit-il- d'un "anti-parti", "ni de droite ni de gauche", "au-dessus des intérêts de groupe et de classe", ses moyens et ses fins seront avant tout: le respect des valeurs éternelles de la personne humaine; l'irrévocable unité du destin de l'Espagne; la lutte contre le séparatisme; la participation du peuple au pouvoir -non plus au moyen des partis politiques, instruments de désunion de la communauté mais au travers des entités naturelles que sont la famille, la commune et le syndicat; la défense du travail de tous et pour tous; le respect de l'esprit religieux mais la distinction de l'Eglise et de l'Etat; la restitution à l'Espagne du sens universel de sa culture et de son histoire; la violence, s'il le faut, mais après avoir épuisé tous les autres moyens car "il n'y a pas d'autre dialectique ad-missible que celle des poings et des revolvers quand on porte atteinte à la Justice et à la Patrie. Enfin, une nouvelle manière d'être: "il faut adopter devant la vie entière l'esprit de service et de sacrifice, le sens ascétique et militaire de la vie". Il conclut sous les ovations "le drapeau est levé. Nous allons maintenant le défendre avec poésie et gaieté."
Rejetée par la droite pour sa conception avancée de la justice sociale et combattue par la gauche pour son respect de la tradition et sa vision chrétienne du monde, la Phalange de Jo-sé Antonio allait connaître une vie aussi courte qu'agitée. Son histoire se confond dans une large mesure avec celle de son fondateur, dont le destin tragique -il fut exécuté à l'âge de 33 ans- apparaît empreint d'une profonde solitude de son vivant comme après sa mort.
Une famille de militaires et de propriértaires ruraux
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José Antonio naît à Madrid le 24 avril 1903, dans une famille de militaires et de pro-priétaires ruraux. Fils du Général Primo de Rivera, Marquis d'Estella et Grand d'Espagne -qui sera investi de pouvoirs dictatoriaux par le Roi Alphonse XIII de 1923 à 1930- il est l'aîné de six enfants. Sa prime jeunesse se passe à Algeciras, ville andalouse dont était ori-ginaire son père. En 1923, à peine sorti de la faculté de droit, José Antonio s'inscrit au bar-reau de la capitale. Il se consacre entièrement à sa profession d'avocat qu'il exerce brilla-ment et pour laquelle il éprouve une véritable passion. La politique ne s'emparera d'abord de lui que pour des raisons familiales.
En 1930, le Général Miguel Primo de Rivera meurt dans un modeste hôtel de Paris où il vi-vait en exil depuis la chute de son régime. Alors commence l'activité politique de José An-tonio, centrée presque exclusivement, en ce début, sur la défense de la mémoire de son pè-re. Il mène cette entreprise avec véhémence, ce qui ne l'empêche pas de reconnaître honnê-tement les erreurs de la dictature. Il adhère d'abord à l'Union monarchique dont il sera quelques mois le secrétaire général adjoint. Peu de temps après, il se présente comme can-didat au Parlement. Malgré ses 28.000 voix, il est battu. Les élections dégagent une majo-rité de centre-gauche. José Antonio ne tarde pas à perdre ses illusions sur la monarchie qu'il qualifie "d'institution glorieusement défunte". Parallèlement, il complète et appro-fondit sa culture politique. Jusque là, il avait surtout fréquenté les auteurs classiques et les traités de philosophie du droit. Il se plonge désormais dans la lecture de Lénine, Marx, Spengler, Sorel, Laski, et surout des Espagnols Unamuno et Ortega y Gasset.
1933 est une année clef dans la vie de José Antonio. Avec la fondation de la Phalange, il entre définitivement dans l'arène politique. A peine né, son mouvement se lance dans la ba-taille électorale. Le 19 novembre 1934, il compte deux élus: José Antonio et Moreno Her-rera. Aux Cortès, José Antonio exerce une véritable fascination. Ses discours, imprégnés d'un profond mysticisme et d'un souffle prophétique font chanter les imaginations. Il s'af-firme comme un poète de la politique. De la Phalange, il dit "ce n'est pas une manière de penser, c'est une manière d'être". Voici, d'après les souvenirs de l'Ambassadeur des Etats-Unis, Bowers, comment José Antonio apparaissait à ceux qui l'approchaient: "...il était jeune et extrêmement séduisant. Je revois sa chevelure noire comme le jais, son visage min-ce et olivâtre. Il était courtois, modeste, plein de prévenances...C'était un héros de roman de cape et d'épée. Je le reverrai toujours tel que je le vis pour la première fois, grand, jeu-ne, aimable et souriant, dans une villa de Saint Sébastien".
Phalange et J.O.N.S.
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En février 1934, la Phalange fusionne avec un autre groupe, créé en 1931 à l'initiative de deux jeunes intellectuels, Ramiro Ledesma Ramos et Onesimo Redondo: les J.O.N.S. Le mouvement prend son nom définitif de Falange Española de las Juntas de Ofensiva Nacionalsindicalista (FE de las JONS). Le nouveau parti adopte le drapeau anarchiste rouge et noir, frappé de cinq flèches croisées (blason d'Isabelle Ière de Castille) et d'un joug (blason de Ferdinand V d'Aragon). La fusion de ces deux emblèmes symbolise l'unité espagnole, née de l'union des couronnes d'Aragon et de Castille.
Le 5 octobre 1934, le premier Conseil National du mouvement élit José Antonio Chef Na-tional à une voix de majorité. A 31 ans, encore en pleine jeunesse, il ignore qu'au terme de deux années, parmi les plus fébriles de l'histoire d'Espagne, le sceau de la mort paraphera son message.
En 1935, ses préoccupations sociales s'affirment plus nettement. L'idéologie restera tou-jours à l'état d'esquisse. Mais on y trouve des lignes de force et des analyses à valeur d'o-rientation. L'une des idées majeures de José Antonio s'exprime en deux mots: unité natio-nale. Patriote, plus que nationaliste, il s'oppose à toute forme de séparatisme. Mais c'est la justice sociale qui seule peut faire cette unité nationale. Seule, elle peut constituer la "base" sur laquelle "les peuples retourneront à la suprématie du spirituel". La Patrie -déclare José Antonio- est une unité totale, où s'intègrent tous les individus et toutes les classes. Elle ne peut être le privilège de la classe la plus forte, ni du parti le mieux organisé. La Patrie est une unité transcendante, une synthèse indivisible, qui a des fins propres à accomplir." Par-tant de cette prémisse, son programme propose: la défense de la propriété individuelle mais après la nationalisation des banques et des services publics, l'attribution aux Syndicats de la plus-value du travail, la réforme agraire en profondeur et la formation de patrimoines com-munaux collectifs. Il faut -dit-il- "substituer au capitalisme la propriété familiale, com-munale et syndicale". Traité de "national-bolchévik", José Antonio riposte en dénonçant le "bolchévisme des privilégiés": "...est bolchevik celui qui aspire à obtenir des avantages matériels pour lui et pour les siens, quoi qu'il arrive; est antibolchevik, celui qui est prêt à se priver de jouissances matérielles pour défendre des valeurs d'ordre spirituel". La Pha-lange s'explique donc par la volonté de renvoyer dos à dos la gauche et la droite et de réa-liser une synthèse de la révolution et de la tradition.
Prolégomènes de la guerre civile
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En décembre 1935, les Cortès sont dissoutes, à l'issue de la septième crise ministérielle de l'année. En vain, José Antonio tente de rompre l'isolement de son mouvement. Des en-voyés phalangistes discutent à plusieurs reprises avec le leader syndicaliste-révolutionnaire Angel Pestaña. D'autres entrent en contact avec Juan Negrin, un des principaux repré-sentants de la fraction non-marxiste du parti socialiste. Mais ces négociations répétées n'a-boutissent à aucun accord. A la veille des élections de février 1936, obsédé par l'éventualité d'une seconde révolution socialo-marxiste -après la tentative manquée d'octobre 1934- José Antonio suggère la création d'un large front national. Proposition sans lendemain! L'échec des pourparlers -cette fois avec des dirigeants de droite- laisse la Phalange en de-hors du "Bloc national", coalition comprenant les conservateurs-républicains, les démo-crates-chrétiens, les monarchistes, les traditionnalistes carlistes, les agrariens et les divers modérés de droite. Cinq mois plus tard, ce "Bloc national" constituera l'essentiel des forces civiles qui soutiendront le soulèvement militaire.
Aux élections, la gauche reprend l'avantage. Le Front populaire s'installe au pouvoir sous la direction de Manuel Azaña. Pour la Phalange, le scrutin a été un désastre. Paradoxale-ment, le mouvement enregistre un afflux extraordinaire d'adhésions. Il ne comptait que 15.000 adhérents début 1936, pour la plupart étudiants et employés, il en aura 500.000 à la fin de l'année. Jusqu'alors les militants de la Phalange se recrutaient à droite comme à gau-che. A l'inverse au lendemain de la victoire du Front populaire, les nouveaux venus pro-viennent presque exclusivemrnt des partis de droite.
Dès son arrivée au pouvoir, le Front populaire ordonne la clôture de tous les centres de la Phalange et l'interdiciton de ses publications. Le 14 mars, José Antonio est incarcéré en même temps que la quasi totalité des membres du Comité exécutif et près de 2.000 mili-tants. Il ne recouvrera plus jamais la liberté. Le jour même de sa détention, José Antonio déclare: "aujourd'hui, deux conceptions totales du monde s'affrontent. Celle qui vaincra in-terrompra définitivement l'alternance. Ou la conception spirituelle, occidentale, chrétienne, espagnole, avec ce qu'elle suppose de sacrifice, mais aussi de dignité individuelle et poli-tique, vaincra, ou vaincra la conception matérialiste, russe, de l'existence...".
Héritière de structures incompatibles avec la démocratie libérale, se heurtant à l'hostilité et à la frénésie révolutionnaire de la gauche, survenant enfin en pleine crise mondiale du libé-ralisme, la IIème République espagnole s'achemine irrémédiablement vers le désastre. Dans la phase finale, le désordre public, véritable plaie du régime, prend des proprotions alar-mantes. De février à juin 1936, on ne compte pas moins de 269 morts et 1287 blessés. At-téré, le leader socialiste Prieto commente: "Nous vivons déjà une intense guerre civile".
A droite, les complots se multiplient. Averti du soulèvement national qui se prépare, le chef de la Phalange donne son accord définitif aux militaires à la fin du mois de juin. Dans l'es-prit de José Antonio, le soulèvement -auquel il n'accepte de collaborer qu'à la dernière heure- est l'ultime recours pour stopper l'autodestruction de la société espagnole. A tort, il croit que la majeure partie de l'armée se soulèvera et que le reste suivra peu de temps après. Cette illusion explique son attitude ultérieure. Lorsque le putsch s'avèrera inefficace, son angoisse, sa préoccupation essentielle sera d'éviter la guerre civile. Pour cela, de sa prison, il essaiera désespérément de persuader les belligérants de négocier par tous les moyens: comme en ont témoigné les ministres du Front Populaire Prieto et Echevarria.
Le 12 juillet 1936, Calvo Sotelo, chef de l'opposition, est enlevé sur ordre du gouverne-ment puis assassiné. La découverte de son cadavre met le feu aux poudres. Le 18 juillet, l'armée du Maroc, commandée par le Général Franco, se soulève. La guerre civile com-mence. Elle ne s'achèvera que le 1er avril 1939.
Dès le début du conflit, la Phalange paie le prix du sang. En l'espace de quelques mois, 60% de ses dirigreants sont tués: tombés dans des embuscades ou assassinés en prison. Condamné à mort par un "tribunal populaire", José Antonio est fusillé le 20 novembre, malgré l'intervention de plusieurs diplomates étrangers et du Foreign Office britannique. En pleine tourmente, la Phalange se retrouve décapitée. Trop peu nombreux, les quelques ca-dres rescapés s'avèrent incapables d'assimiler l'énorme avalanche de recues.
Franco met la Phalange au pas
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Cinq mois plus tard, le Conseil national, soucieux de bien marquer son indépendance à l'é-gard des militaires, décide d'élire Manuel Hedilla second chef national. Mais il est alors trop tard; l'Etat Major et Franco ne l'entendent pas ainsi! Le lendemain, 19 avril 1937, Franco annonce la fusion de tous les partis politiques insurgés contre le Front populaire et la création d'un nouveau mouvement: la "Phalange Traditionnaliste". Beaucoup de phalan-gistes accepteront le fait accompli, d'autres résisteront. Manuel hedilla, estimant que cette unification forcée revient à faire perdre toute autonomie à la Phalange et "neutralise" son idéal social et révolutionnaire, refuse de s'incliner. La réaction est immédiate. Accusé de ré-bellion, déféré devant un tribunal, le second chef de la Phalange sera condamné à mort, condamnation commuée par la suite en détention de 1937 à 1946.
Après l'éviction de Manuel Hedilla, une Phalange "proscrite", dissidente et plus ou moins clandestine s'organise en marge du régime. Elle ne cesse de dénoncer la "récupération" et la "trahison" de Franco mais son action politique demeure très limitée. La Phalange Tradition-naliste, appelée bientôt Movimiento, reprend les mots d'ordre du phalangisme originel en les dépouillant progressivement de leur contenu. Très vite, le Caudillo comprend le parti qu'il peut tirer de l'instauration d'un culte voué à José Antonio. Il exalte son exemple et son sacrifice, élimine de sa doctrine les sujets dangereux et mène l'Espagne par des chemins fort différents de ceux que José Antonio voulait emprunter. Encore tout récemment, le beau-frère du Caudillo, Ramón Serrano Suñer, Ministre de 1938 à 1942, déclarait sans dé-tours, "Franco et José Antonio n'avaient ni sympathie ni estime l'un pour l'autre... Ils se trouvaient dans des mondes très éloignés par leurs mentalités, leurs sensibilités et leurs idéologies... Il n'y eut jamais de dialogue politique, ni d'accord entre les deux!
La mort du Caudillo, en 1975, allait sonner le glas du Movimiento (non point de la Phalange car la référence à celle-ci avait déjà été supprimée par la loi organique de l'Etat du 14 décembre 1966), dont la plupart des représentants devaient se rallier rapidement au nouveau régime mis en place sous la conduite du Roi Juan Carlos et de son Premier Ministre, ex-secrétaire général du Movimiento, Adolfo Suarez.
Pendant près de 40 ans, les personnalités les plus diverses affirmèrent leur foi phalangiste ou rendirent hommage aux vertus du "Fondateur". Manuel Fraga Iribarne, leader de l'op-position conservatrice, écrivait: "La postérité verra en José Antonio...le premier homme po-litique de l'Espagne contemporaine" (1961). Joaquim Ruiz-Gimenez, principal responsable des catholiques de gauche, exaltait "l'élégance de son esprit" et "la noblesse de son âme" (1961). Eduardo Sotillos, porte-parole du gouvenement socialiste, citait abondamment José Antonio dans une apologie de la révolutioon nationale-syndicaliste ("Ariel", 1963) et ses propos élogieux n'auraient sans doute pas été démentis par le ministre socialiste de l'In-térieur, José Barrionuevo, alors haut responsable du Movimiento.
On comprend que l'historiographie post-franquiste hésite encore entre le silence, la polé-mique ou la condamnation d'ensemble lorsqu'elle aborde l'étude d'un passé aussi embar-rassant. Gageons cependant que les interprétatiosn-schématisations qui prédominent au-jourd'hui, ne tarderont pas à lasser. Jean Jaurès, dont le talentueux esprit jette parfois de soudaines clartés, déclarait en 1903 au Parlement, dans une formule suggestive que les historiens de la Phalange devraient méditer: "Pour juger le passé, il aurait fallu y vivre; pour le condamner, il faudrait ne rien lui devoir".
Frédéric MEYER.