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dimanche, 01 décembre 2019

La Droite buissonnière de François Bousquet

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La Droite buissonnière de François Bousquet

par Juan Asensio

Ex: http://www.juanasensio.com

 
Nous avouerons sans peine que l'essai que François Bousquet a consacré à Patrick Buisson, un auteur à réputation médiatiquement sulfureuse que j'avais évoqué dans cette note, se lit non seulement sans peine mais avec un assez vif plaisir : nous sommes là, tout de même, avec La Droite buissonnière, face à un commentateur qui possède ses lettres et sait, à l'occasion, en jouer, à l'inverse des arrivistes incultes que sont Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio pour n'en citer que deux parmi tant d'autres, que Jean-François Colosimo n'hésite pourtant pas à publier au Cerf, sans doute parce qu'il estime que leur surface médiatique est inversement proportionnelle à la qualité de leur prose insipide, et que dire de ce qui leur tient lieu de culture et de pensée. N'oublions pas que cette même Eugénie Bastié a pu être présentée, dans le numéro du mois de juin 2017 de la revue Éléments dont François Bousquet est le rédacteur en chef, comme une authentique insoumise, et que ce dernier a assuré la promotion, à l'occasion d'une conférence au cercle bruxellois Pol Vandromme, du dernier ouvrage d'Alexandre Devecchio, que j'ai surnommé Monsieur Euh... (un Euh... bien appuyé, vous suçant la semelle comme une plaque de gadoue) tant il est incapable d'aligner plus d'un mot sans prononcer celui de son fier patronyme, et qui, habitué du Figaro, n'a pas exactement besoin, euh..., de publicité. Autant de petites raisons, que les nobles âmes jugeront évidemment mesquines et même lamentables ce dont je me contrefous comme il se doit, qui pourraient me faire prendre en grippe une revue qui incarne à peu près tout ce que je déteste : le copinage idéologique à voilure plus ou moins ample, et qui n'épargne à l'évidence aucun organe de la Presse, y compris (surtout sans doute) tel ou tel qui se présente comme absolument pur de toute contamination consanguine.
 
Ajoutons, histoire d'enfoncer le clou ou d'aggraver mon cas ce sera selon, qu'Éléments n'a jamais cru devoir évoquer mon travail si ce n'est il y a fort longtemps, par le biais d'un Ludovic Maubreuil ou d'un Christopher Gérard. Cela ne m'empêche certes pas de dormir, pas plus que mon sommeil n'en a été troublé depuis que j'explore la Zone, mais enfin, quand je vois la place accordée à tant de nullités dont la moindre dégoulinade est tournée en bouche comme un nectar d'intelligence, quand je vois la haute considération entourant le ridicule Renaud Camus, je me dis que cette revue, puisque, à tout le moins, elle ne cesse de se dire indépendante de toute chapelle et de toute alcôve, s'honorerait d'évoquer le colossal travail d'anarque que j'abats depuis des années, et cela sans bénéficier des petites aides et renvois d'ascenseur si communs à droite, à gauche, au centre et aux bords (pour ne pas dire extrêmes). Ces plaisantes saillies, nous le verrons plus loin, ne traduisent pas que mon bannissement de ce type de revue, mais un mal plus profond, en lien direct avec le sujet du livre de François Bousquet : non seulement l'éparpillement des clans, à droite, pouvant peser sur une réflexion politique mais l'absence de véritable socle intellectuel sur lequel en bâtir une, ce qui est infiniment plus grave on me l'accordera.
 
Ce n'est en tous les cas que tardivement que j'ai lu le livre de François Bousquet, alors que je l'avais reçu au mois de mars 2017 en ma qualité de membre du jury de feu le Prix du livre incorrect, qu'André Bonet a récemment sabordé, sans doute pour laisser place nette aux batraciens de L'Incorrect, tout contents de pouvoir ainsi récupérer à moindres frais un intitulé qui leur permettra eux aussi de récompenser les productions de leurs petits copains et seulement elles, voire de les inviter à partager la flache dans laquelle ils barbotent et croassent lorsqu'ils voient passer une blonde à regard vide prénommée Marion, espérant qu'elle daignera leur accorder un chaste baiser qui les transformera aussitôt en Princes de la Chrétienté écrasant de sa superbe germanopratine et de son marteau dialectique le rusé donc fourbe Sarrazin.

FB-drbuiss.jpgMe relisant, je me dis que j'ai finalement du mérite à m'être en fin de compte plongé dans la lecture de l'ouvrage de François Bousquet dont on ne pourra guère m'accuser, du coup, de vanter louchement les mérites qui, sans être absolument admirables ni même originaux, n'en sont pas moins bien réels : mes préventions, toujours, tombent devant ma curiosité, ma faim ogresque de lectures, et ce n'est que fort normal.

J'affirmais que ce gros ouvrage de quelque 400 pages pour une fois à peu près correctement revu (1) se lisait très agréablement, peut-être parce qu'il se place sous les auspice du titre d'un des textes les plus connus de l'excellent critique que fut le regretté Pol Vandromme, sans doute encore parce qu'il évoque bellement des auteurs tels que Georges Bernanos (cf. p. 62) ou encore Pier Paolo Pasolini (cf. p. 36) et Léon Daudet, le gros Léon dont le verbe si extraordinairement pugilesque fut tout sauf rond et bonhomme (cf. p. 64), surtout enfin parce qu'il ne dédaigne pas appeler un chat un chat et une nullité journalistique une nullité journalistique (2) tout en filant, ici ou là, la métaphore, sans trop d'exagération pour que la pratique ne nous paraisse pas une coquetterie censée masquer de véritables lacunes ou faiblesses : «pour le Buisson ardent, le bûcher est toujours allumé» (p. 143) ou bien à propos de l'influent Alain Bauer, dont «l'entregent est transversal et transpartisan» et qui «graisse les gonds des portes du pouvoir ou les grippe au nom des solidarités d'appartenance», les siennes allant «préférentiellement à la franc-maçonnerie et à la police» (p. 348). D'autres font les frais, et c'est heureux, de l'alacrité de François Bousquet, excellent porte-flingue de Patrick Buisson puisque, au rebours des plus basiques règles de la défense rapprochée, il tire avant de désarmer l'adversaire ou plutôt, avec ces guignols malfaisants, l'ennemi. Enfin, un peu d'acidité distillée dans une écriture point aussi insipide que la camomille sirupeuse des sous-pigistes du Figaro et des maréchalistes à jabot transparent, incorrection germanopratine, petits poings roses fermés sous des gants de soie et langue effiloché et filandreuse !

On jugera ces traits de l'esprit des facilités, ce qu'elles ne manquent pas d'être bien sûr, même si elles restent, à une époque où l'essayiste le plus accompli écrit comme un notaire constipé, plus que jamais nécessaires à notre plaisir de lecteur, surtout aussi lorsqu'il s'agit de défendre et d'illustrer l'action d'un conseiller de l'ombre encore vivant sur lequel est tombé à bras raccourci et langue pendue «un syndic d'ambitions médiocres qui ne donnent leur mesure que coagulées contre l'homme seul, qu'il s'appelle le colonel Chabert, le cousin Pons, Vautrin ou Patrick Buisson» (p. 352). C'est sans doute en faire un peu trop dans la paternité d'un homme débarrassé des «affiliations partisanes» et appartenant selon notre commentateur aux irréguliers, aux anarques (tiens !) et aux mauvais esprits (p. 371) pour le coup même si, dans cette défense truculente, François Bousquet est infiniment plus convainquant qu'une Muriel de Rengervé endossant son armure de sainte Pucelle pour porter secours à Renaud Camus emprisonné dans la plus haute tour de son petit château.

Si la forme est agréable, le fond ne démérite pas, puisqu'il se propose d'examiner à l'air libre quelques-unes des racines intellectuelles ayant façonné la pensée politique de Patrick Buisson, que nous pourrions, en collant plusieurs citations de François Bousquet, résumer en peu de mot : une droite, buissonnière donc, autrement dit qui n'a pas eu peur de frôler les pires interdits structurant l'idéologie française et, plus largement, une politique qui «reposera sur l'imitation des pères, par l'émancipation des fils, et proclamera une loi entre toutes supérieure» consistant pour l'homme à s'acquitter, «noblesse oblige» (p. 65), de la charge qu'il a contractée dès sa naissance. Il s'agit donc de sortir, pourquoi pas par l'action du Prince ou plutôt du conseiller du Prince qui est aussi, selon Bousquet, le Prince des conseillers, de l'âge de la «moyennisation» tel qu'elle fut diagnostiquée par le sociologue Henri Mendras, à savoir un «effondrement de la qualité humaine» (p. 91) qui sera ainsi commodément rangée dans les petits tiroirs des pions déconstructeurs maîtres du nouveau monde dans lequel nous sommes d'ores et déjà entrés, où «toutes les identités subsidiaires, voire parodiques», sont recevables, «sauf l'identité nationale» selon les mots mêmes de Patrick Buisson que cite François Bousquet (p. 254).

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Quoi qu'il en soit, le rôle de Patrick Buisson n'est absolument pas à minimiser, malgré l'évidente nullité intellectuelle et la versatilité opportuniste du Président Nabot qu'il a conseillé car, selon François Bousquet, nous avons assisté à un véritable changement «dans l'ordre du discours» et même, n'hésite pas à affirmer l'essayiste, à «une révolution conservatrice», du moins à ses «premières lueurs», Sarkozy en ayant été «l'instrument», «inconscient, somnambulique ou contrarié, comme on voudra» et Buisson le «ventriloque» (p. 364). En fait, tout l'intérêt du livre de François Bousquet, outre celui consistant à reprendre, pour les contrer point par point, les allégations et fantasmes d'une Presse devenue totalement consensuelle et la gardienne du Camp du Bien, aura été de démontrer que «la ligne Buisson», moins que le politique on l'a vu si piètrement incarné par l'époux de Carla Bruni que moque allègrement François Bousquet, se sera efforcée d'agir sur l'ordre symbolique (cf. p. 366), osant de nouveau prononcer, après tant d'années d'une honte si intimement assimilée par les habitants de notre pays démoli qu'elle semble surgir immédiatement prête toutes les fois que naît un Français ne sachant quasiment plus rien de l'histoire grandiose de ce qu'il hésitera à reconnaître comme étant son propre pays, quelques mots chargés de dynamite (autorité, nation, etc.), même si nous avons pour le moins beaucoup de mal à imaginer de quelle façon nous pourrions faire revenir l'assise française, et cela dans ses composantes socio-intellectuelles, dans une «matrice chrétienne» (p. 370) qui ma foi, si elle n'est pas surnaturelle, aura au moins en toute logique théologienne force raison de disparaître, engloutie dans sa médiocrité et sa faiblesse.

Nous touchons-là le centre de l'essai de François Bousquet, que nous pourrions rapprocher des petites remarques ironiques mais pas moins vraies émises en début d'article, et qui n'étaient que faussement superficielles puisque, après tout, le livre de François Bousquet peut se lire, aussi, comme l'analyse spectrale de la droite française ou de ce qu'il en reste : aujourd'hui, le camp de la Réaction que nous opposerons au camp perclus du soi-disant progressisme qui ne fait que du surplace et du rabâchage depuis des lustres, est difficilement tenu par une poignée de petits cercles plus ou moins de droite ou d'extrême droite, mais qui en aucun cas n'accepteront de se fondre en une puissante force capable de porter vers la présidence de la République une personne censée porter et même mettre en pratique ses idées. Nous nous trouvons bien au contraire face à une multitude d'intérêts, parfois profondément contradictoires (la droite royaliste méprise la droite lepéniste qui le lui rend bien, la droite catholique se pince le nez et murmure des oraisons devant la droite païenne qui la trouve fossilisée, la droite anarchiste les regarde toutes de haut), mais qui pourtant ne se privent pas de s'entraider, ou, plus sordidement, de s'entrelécher à l'occasion et suivant les intérêts, petits ou grands. Patrick Buisson a cru ou semblé croire, un temps du moins, que Nicolas Sarkozy, en dépit de sa médiocrité politique et intellectuelle patente, pouvait traduire ces idées de droite, jamais vraiment appliquées, en actes, comme si un homme mille fois plus constant, courageux et intelligent qu'il ne l'aura jamais été pouvait, à lui tout seul, replanter l'arbre français catholique déraciné, conférer une nouvelle harmonie à un organisme privé de vertèbres, de cœur et même de cerveau, pour ne rien dire de l'âme !

BdC-île.jpgReste une autre solution, plus fictionnelle, donc métapolitique, que réellement, modestement politique, sur le papier en tout cas ne souffrant point l'endogamie propre à l'élite française, de droite comme de gauche, solution purement romanesque qu'explore Bruno de Cessole dans son dernier livre, L'Île du dernier homme, et que nous pourrions du reste je crois sans trop de mal rapprocher de la vision de l'Islam développée depuis quelques années par Marc-Édouard Nabe, consistant à trouver, dans la vitalité incontestable des nouveaux Barbares, le sang nécessaire pour irriguer la vieille pompe à bout de force d'un Occident en déclin, d'une France complètement vidée de sa substance, d'un arbre, si cher au Barrès des Déracinés, qui a perdu toutes ses feuilles et ne fait plus de bourgeons. Je doute que cette vision que l'on pourrait à bon droit qualifier de facilement esthétisante ou de dangereusement nihiliste et que je me bornerais pour ma part à prétendre strictement réaliste, ainsi qu'une voie géopolitique méritant, comme une autre, d'être explorée du moins intellectuellement, comme le montre par exemple le propos d'un Michel Houellebecq dans Soumission, je doute donc qu'une telle ligne, fictionnelle au mauvais sens du terme, fictive, puisse être facilement acceptée par Patrick Buisson ou même par son excellent interprète, François Bousquet. Pour ma part, la plus grande des fictions, la plus ridicule des fables serait assurément de croire que la France va être rebâtie autour du sabre et du goupillon : les épées sont de mousse et les curés michetonnent le surnaturel.

Notes

(1) François Bousquet, La Droite buissonnière (Éditions du Rocher, 2017). Je n'ai relevé qu'une seule coquille, outre un détail d'ordre typographique (cf. p. 229) à la page 228, revenue et non pas «revenu» puisque l'auteur évoque la gauche, couvertures de magazines plutôt que «magazine» (p. 356). Notons aussi quelques répétitions malencontreuses de termes à quelques lignes d'écart (comme «jamais» p. 270 ou «également» p. 323).
(2) Mention spéciale à Ariane Chemin, objet, avec sa collègue Vanessa Schneider du Monde du mépris viscéral de l'auteur, en raison de la pseudo-enquête qu'elles ont publiée sur Patrick Buisson en 2015, intitulé Le mauvais génie.

samedi, 04 février 2017

François Bousquet : Tout ce que Patrick Buisson n'avait pas encore dit

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François Bousquet : Tout ce que Patrick Buisson n'avait pas encore dit

François Bousquet est journaliste et écrivain. Il vient de publier un ouvrage qui fait déjà du bruit :”La droite Buissonière”. La démarche de l’auteur consiste à dépasser la caricature d’un Patrick Buisson, pygmalion ou gourou, affublé des habits de la réaction, sorte d’Edmond Dantes des droites qui viendrait venger les bannis de 1789, 1945 et 1962.

Dans un style alerte et brillant, François Bousquet décrit un homme authentiquement intelligent, porteur d’une vision du monde, qui a libéré la droite classique des interdits qu’elle avait intériorisés. L’auteur décrit les grandes dates qui ont marqué la jeunesse et la vie d’adulte de Buisson : l’Algérie, Minute, Sarkozy, la droite hors les murs. Il fait revivre avec talent les événements des 50 dernières années et démontre que le véritable combat du président de la chaîne Histoire, un combat mais aussi sa hantise, c’est la dislocation de la nation. Et pour exorciser cette crainte, il faut refaire France ! François Bousquet mène tambour battant l’histoire d’un homme qui a ses zones d’ombres, un homme clivant, forcément clivant, qui a changé le visage de la droite.

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dimanche, 08 janvier 2017

Entretien de Charlotte d’Ornellas avec Patrick Buisson

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Entretien de Charlotte d’Ornellas avec Patrick Buisson

À l'occasion de la sortie de son livre La Cause du peuple, Patrick Buisson évoque Nicolas Sarkozy, Donald Trump, le hiatus entre les promesses de campagne et l'action politique, le combat entre "les enracinés du local" et "les agités du global", l'absence de culture de la classe politique, l'identité, l'amitié française, le lien social, les enjeux métapolitiques, la révolution conservatrice, le fait religieux, le sursaut identitaire, la possible guerre civile... mais aussi son espérance : nous sommes à la fin d'un cycle et au début d'un autre.

vendredi, 11 novembre 2016

Patrick Buisson: "Il est temps de refermer le cycle des Lumières"

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"Il est temps de refermer le cycle des Lumières"

Entretien exclusif avec Patrick Buisson

Propos recueillis par Philippe Maxence

Ex: http://www.hommenouveau.fr

Si nous n’avions écouté que les grands médias et ceux qui les répercutent, nous n’aurions pas lu le livre de Patrick Buisson, La Cause du peuple (Perrin). La critique des années Sarkozy et le portrait sur le vif de celui-ci ne nous intéressent pas plus que ceux concernant François Hollande, sinon à titre d’études des symptômes révélant la maladie. Mais, comme souvent, au lieu de regarder ce que désigne le doigt, les médias, dans un réflexe pavlovien se sont arrêtés au doigt lui-même.

En lisant La Cause du peuple, nous avons été au contraire surpris d’y voir d’abord une analyse fondée sur les grands principes de notre civilisation et non simplement sur les dernières transes d’une actualité en mal de sensation. Nous y avons découvert un auteur se décrivant comme un « objecteur de modernité », ce qui, au-delà du bonheur de la formule, semble pointer du doigt la racine même des maux profonds auxquels nous sommes confrontés.

À L’Homme Nouveau, nous essayons de nous imposer une ascèse, généralement mal comprise de nos propres amis. Nous tentons d’étudier les causes des faits plutôt que de réagir impulsivement à ces derniers et d’en dépendre sans cesse. Nous préférons la perspective du temps long au rétrécissement de l’immédiateté et de l’éphémère. Nous voulons souligner les permanences plutôt que le fugitif. En un mot, nous souhaitons tracer des itinéraires de civilisation plutôt que de nous laisser envahir par le culte de l’évanescent. Ce but est à la fois exigeant et implique une forme de pauvreté ascétique dans le travail. Elle vise pourtant à la vraie liberté de l’intelligence, même au regard des réflexes qui guident les personnes et les milieux dont nous sommes proches.

Nous remercions Patrick Buisson pour le temps qu’il nous a accordé, à la fois au moment de notre rencontre, où nous l’avons assailli de nos questions, et lors de la relecture et de la réécriture de cet entretien. Nous aurions souhaité aller encore plus loin, avec lui, notamment sur deux points : sur la nature profonde du système, qui ne se limite pas selon nous aux institutions de la Ve République, mais incarne les objectifs de la modernité et ensuite sur les moyens de refermer définitivement le cycle des Lumières sans être réduits au rôle d’éternels supplétifs de ceux qui finissent toujours par ramasser la mise à leur profit.

Cet entretien unique en son genre sera disponible gratuitement pendant une durée limitée sur notre site (sauf pour nos abonnés) avant d’être proposé à l’achat. Nous demandons à ceux qui le citent de respecter le droit de la presse en ne le reproduisant pas dans son intégralité et en citant clairement les sources, notamment en renvoyant vers le site de L’Homme Nouveau. Nous mettons cet entretien à disposition de tous dans le cadre de la bataille des idées. Mais cela n’enlève rien au fait qu’un vrai travail de presse implique un coût et que pour continuer cette bataille, plus que jamais nécessaire, il est important que tous ceux qui en profitent y participent financièrement. En attendant, bonne lecture !

Philippe Maxence

buisson-1_5707629.jpgN’y a-t-il pas maldonne sur ce qu’est votre livre, présenté généralement comme un livre de vengeance alors qu’il apparaît à sa lecture comme un livre d’idées ou du moins, d’analyse ?

Patrick Buisson : La télé-démocratie a besoin de scandales comme autant de combustibles. Elle fonctionne à l’émotion ou à l’indignation et dans une ingénierie des affects d’où la réflexion est proscrite. La règle d’or des médiagogues, c’est l’hégémonie des sentiments. À partir du moment où vous avez été acteur de la tragi-comédie du pouvoir même en coulisses – je dirai surtout en coulisses car l’ombre agite les fantasmes – cela fait de vous le dépositaire d’un certain nombre de choses plus ou moins secrètes qui suscitent l’intérêt et la curiosité, souvent malsaine d’ailleurs, des médias centraux. Mon livre ne les a intéressés qu’en tant que supposé règlement de comptes envers l’ancien président de la République. Ils l’ont donc investi d’une dimension polémique largement surfaite. Or je n’ai rien rapporté dans ce livre qui ne serve d’illustration à un propos politique, c’est-à-dire à une démarche d’analyse, de réflexion, autour de l’exercice du pouvoir en France et de la déliquescence de l’appareil d’État dans son fonctionnement comme dans son incarnation au plus haut sommet. Il ne me reste plus à espérer que les lecteurs qui auront acheté ce livre pour de mauvaises raisons finissent par le lire pour de bonnes.

Ce qui frappe d’abord dans la lecture de votre ouvrage, c’est votre réflexion sur le pouvoir et la crise des institutions de la Ve République. Est-on arrivé au terme d’un processus ?

La critique que je fais de la présidence de Sarkozy vaut pour celle de Hollande. Le principe fondateur de la Ve République a été de rompre avec cette volonté d’abstraction qui remonte à la révolution de 1789, et de renouer avec une tradition plus longue, plus ancienne et plus profondément enracinée, selon laquelle en France, pays latin de culture chrétienne, le pouvoir suprême s’exerce non par délégation, mais par incarnation. Ce que Marcel Gauchet résume excellemment quand il décrit ledit pouvoir comme un « concentré de religion à visage humain ». Or aussi bien Sarkozy que Hollande n’auront eu de cesse de s’inscrire par leurs actes dans une logique d’abaissement et de trivialisation de la fonction présidentielle. L’un au nom de la « modernité », l’autre au nom de la « normalité » ont conclu à l’impérieuse nécessité d’une sécularisation du pouvoir, au dépouillement de son armature symbolique, protocolaire et rituelle. Ils ont, pour reprendre la terminologie de la théologie politique venue du Moyen Âge, dépouillé le corps mystique du roi tout en profanant son corps physique. Nul plus que les deux derniers titulaires de la charge n’auront sapé les fondements de la fonction présidentielle en transposant au sommet de l’État le processus d’individuation et d’infantilisation qui affecte la société française. Avec eux c’est l’esprit de 68 qui a investi l’Élysée : désormais c’est l’individu qui l’emporte sur la fonction et qui à travers un jubilé permanent de sa propre personne, se montre moins préoccupé de l’intérêt général que de « jouir sans entraves ».

N’est-ce pas la légitimité du pouvoir qui se trouve dès lors remise en cause ?

Si et en profondeur. L’idée que l’autorité politique ne constitue pas un dominium, un droit de propriété rapporté à un individu mais un ministerium, c’est-à-dire un office exercé au nom de tous est au cœur de la pensée occidentale. Elle est au cœur de la doctrine de la chrétienté médiévale récapitulée par saint Thomas d’Aquin quand celui-ci stipule que « le bien commun est toujours plus divin que le bien de l’individu ». Et l’Aquinate d’ajouter : « Le pouvoir est un sacrifice, seul le service rendu fonde la légitimité ». À l’aune de ce critère, les présidences de Sarkozy et de Hollande livrées à la toute-jouissance du pouvoir, se trouvent frappées d’illégitimité et comme telles n’ont eu le droit ni au respect ni à l’obéissance des Français. L’erreur profonde de nos dirigeants est de croire que la proximité et non la grandeur est source de popularité. Aujourd’hui le souci du politique est de gommer tout ce qui le distingue du commun. En premier lieu l’altitudo qui, chez les anciens monarques, désignait à la fois l’élévation et la profondeur. Autrement dit, leur but est de s’offrir non plus en exemple ou en modèle comme le faisaient autrefois les hommes d’État mais en support.

La dégradation de la fonction présidentielle ne serait à vous lire que la transposition au sommet de l’État d’une évolution en profondeur, le passage, dites-vous, de la société gouvernée à la société gouvernante…

En effet : dans une société où ni la force de caractère ni la force d’âme ne sont plus portées au crédit de ceux qui en font montre, mais assimilées aux vertus les plus archaïques, le politique se croit tenu de s’abaisser pour s’humaniser et de s’étaler pour se signaler. Il se fait une obligation de montrer sa faiblesse pour tenter de remuer le cœur des foules sentimentales. Le pouvoir, faute d’une autorité qui le légitime, est devenu pour reprendre la formule d’Hannah Arendt, un « pouvoir qui ne vaut rien », un lieu vide, sans tête, de moins en moins incarné mais de plus en plus narcissique. En dernière analyse, c’est la postmodernité qui a eu raison de la fonction présidentielle comme elle a emporté tous les « grands signifiants despotiques » de l’autorité. Soit ce vaste processus qui vise à délégitimer, décrédibiliser et finalement destituer tout rapport à la transcendance et à l’immatériel. Le défi de l’homme postmoderne est de vouloir affronter le monde sans la protection du roi, du prêtre, du soldat et autres figures à l’ombre tutélaire desquelles les générations précédentes s’étaient, durant des siècles, abritées. De Giscard à Hollande en passant par Sarkozy, la crise de la fonction présidentielle n’aura eu en définitive qu’une seule origine : le refus des présidents successifs d’incarner la place du sacré dans la société.

Charles-de-Gaulle-president-de-la-Republique-francaise_large.jpgAu-delà des défaillances des personnes, le système partisan n’a-t-il pas également une part de responsabilité ?

En faisant ratifier par les Français le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel, De Gaulle a voulu parachever l’œuvre qui consistait à conjurer le spectre du régime des partis. Depuis, la partitocratie n’a eu de cesse que de chercher à récupérer à son profit le monopole du processus de sélection des candidats à la magistrature suprême. Elle y est si bien parvenue qu’elle a surtout apporté la preuve éclatante de son inaptitude profonde à sélectionner des hommes capables de se hisser à la hauteur de la charge. Les candidats à la primaire de la droite sont tous, à une exception près, des produits de l’endogamie partisane. De ce mode de reproduction des pseudo-élites ne peut sortir qu’un personnel estampillé d’un même brevet de conformité à l’idéologie dominante, gouverné par l’anthropologie dérisoire de l’économisme qui prétend réduire les hommes à la seule poursuite de leur intérêt, dépourvu de toute vision autre que l’horizon indépassable de la matière et des chiffres. Et pour finir aussi inaccessible à la dimension symbolique du pouvoir qu’imperméable au legs de la tradition et de l’histoire nationale. Pour reconstituer le corps politique du chef de l’État, lui redonner la faculté d’incarner la communauté et opérer à travers sa personne la symbiose entre la nation et la fonction, il faut mettre fin à ce que Jacques Julliard appelle la « mise en propriété privée des moyens de gouvernement » que le système des partis a réalisée à son profit.

Pour en revenir au contresens volontaire des médias au sujet de votre livre, n’est-ce pas révélateur aussi d’un rapport au temps qui nous place d’emblée dans l’accélération permanente, créant de facto cette dictature de l’éphémère qui exclut inévitablement la question des idées ?

Cette accélération permanente, cette tyrannie de l’immédiat et de l’éphémère, ce bougisme invertébré et décervelé que vous évoquez n’est pas seulement la maladie de Parkinson de la sphère médiatique où se recrutent en priorité les agités du global. Ces pathologies ont gagné la politique. C’est ainsi que Sarkozy aura été l’inventeur et le promoteur d’une téléprésidence instantanée. Il y a eu d’emblée quelque chose de circulaire entre la frénésie épiphanique d’un président cathodique et l’insatiable voyeurisme des chaînes d’information continue. La question que pose la politique aujourd’hui n’est plus « que faire ? » mais « que dire ? ». Pour l’actuelle classe dirigeante, l’urgence de dire dispense, en quelque sorte, de l’obligation de faire. L’administration des choses et le gouvernement des hommes ont cédé la place à un exercice de narratologie. Le laboratoire en aura été l’Amérique du début des années soixante où la construction du mythe Kennedy a donné naissance à ce qu’il convient d’appeler le storytelling. Soit l’élaboration d’un grand récit médiatique destiné à créer au bénéfice des dirigeants politiques une identité narrative qui recouvre leur identité réelle. Au terme de l’opération, le faux doit apparaître plus vrai que le vrai. L’importance ainsi accordée à la fabrication de cet artéfact rend compte du fait que la communication et ses techniques a peu à peu supplanté la politique.

En a-t-on mesuré toutes les conséquences ?

Les Français en ont, en tout cas, perçu quelques-uns des effets pervers à travers les deux derniers présidents qui en ont fait un usage inconsidéré. En fait, ce qui apparaît de plus en plus, c’est que bien communiquer et bien gouverner sont deux exercices totalement antinomiques. Communiquer c’est chercher à séduire, gouverner c’est privilégier le bien commun au risque de déplaire et d’être impopulaire. Communiquer c’est établir le primat des apparences, gouverner c’est prendre à bras-le-corps le réel. Communiquer c’est obéir au temps court de la tyrannie médiatique ; gouverner c’est s’inscrire dans la durée et le temps long de l’histoire. Communiquer c’est produire de l’émotion, gouverner c’est développer une réflexion qui embraye sur l’action.

Vous avez été conseiller politique d’un candidat puis d’un président de la République. Pensiez-vous alors que le système était réformable de l’intérieur et qu’il valait la peine de le tenter ?

Je n’ai jamais nourri l’idée chimérique de vouloir réformer le système de l’intérieur. Je pensai et je pense toujours que la politique, c’est d’abord l’art de gérer les symboles. En période de crise, ces rétributions symboliques sont d’autant plus importantes qu’un certain nombre d’engagements programmatiques deviennent difficiles voire impossibles à tenir. Face à l’offensive massive de dénigrement du passé national, il m’est apparu très vite que je pouvais contribuer à la nécessaire œuvre de réarmement en faisant en sorte que le président puisse proposer aux Français des sujets de fierté légitime, des pages et des figures héroïques tirés de ce qu’il est convenu d’appeler, depuis Michelet, le « roman national ». J’ai tenté de convaincre Nicolas Sarkozy de l’urgence qu’il y avait, pour reprendre la formule de Victor Hugo, à faire la « guerre aux démolisseurs », c’est-à-dire à nous défendre contre toutes les entreprises de dissolution de la sociabilité nationale. Et à préserver ce prodigieux capital immatériel que représentent une mémoire profonde, des mœurs communes, un imaginaire historique. Je n’ai pas toujours été suivi. On a préféré Guy Môquet à Honoré d’Estienne d’Orves, Camus à Péguy.

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Vous l’avez été au moins sur la reconnaissance publique par le candidat puis par le chef de l’État des racines chrétiennes de la France. Ce que son prédécesseur s’était obstinément refusé à faire…

C’est sans doute la raison pour laquelle, je n’éprouve pas avec le recul le sentiment d’un complet gâchis, d’une expérience humainement coûteuse et politiquement inutile. Jamais un président de la République française n’aura aussi pleinement assumé l’héritage chrétien de la France, un héritage de civilisation et de culture. Dans la basilique du Latran comme au Puy-en-Velay en passant par la Lorraine à Domrémy et Vaucouleurs pour le 600e anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc. Peu importe la part d’insincérité et de calcul électoral qui entra alors dans le propos présidentiel. L’essentiel est bien que ces paroles aient été prononcées et que même en partie à son insu le sixième président de la Ve République ait renoué avec la Gesta Dei per Francos, la geste de Dieu pour les Francs. Plus que la célébration du catholicisme comme composante majeure de l’identité nationale et en tant que culte « historial » de la France, le grand mérite, peut-être le seul, de Sarkozy, aura été de comprendre que l’étymologie du mot « religion » – religare et relegere, c’est-à-dire relier et rassembler – définissait l’essence même du politique. Ce fut le sens du discours du Latran sur la « laïcité positive » et de la redécouverte du fait que la religion n’était pas une affaire purement privée qui fondait le rapport de l’individu à l’au-delà mais ce qui reliait les individus entre eux, un élément important et même comme le pensait Tocqueville, le fondement du lien social. Bref, qu’il y avait là une ressource de socialité immédiatement disponible là où l’intégrisme laïque échouait à produire du sens et du partage faute d’être adossé à une espérance. Il est d’ailleurs paradoxal que certains aillent chercher dans les religions séculières un modèle de sociabilité alors que l’Église a été à travers l’histoire et singulièrement celle de la France la grande pourvoyeuse de lien social quand notre modernité technologique ne sait fabriquer qu’une socialité de synthèse, des relations humaines aussi virtuelles qu’artificielles dont facebook et twitter sont les paradigmes les plus en vogue.

À vous entendre, la déchristianisation de la France aurait eu des conséquences politiques ?

C’est l’évidence même. Le retrait du sacré n’est pas qu’une malédiction spirituelle. Il est aussi synonyme de déréliction sociale. On pense au mot d’Heidegger : « L’homme dépourvu de transcendance erre sans but sur la terre dévastée ». De techno-parade en rave-party, d’Halloween en marches blanches : autant d’ersatz rituels qui tous consacrent la perte de sens dans les deux acceptions du terme ; à la fois perte de signification et absence d’orientation. On pense aussi à ce mot de Nietzsche à propos de celui qu’il appelle « le dernier homme », l’homme qui a « inventé le bonheur » : « Malheur ! Viendra le temps où aucun homme ne saura plus enfanter une étoile ! C’est le temps du plus méprisable qui ne sait plus se mépriser lui-même ».

Vous appelez de vos vœux ce que vous nommez une « politique de civilisation ». Quelle place le christianisme peut-il tenir dans celle-ci ?

Le phénomène de déchristianisation propre à notre modernité et au développement du mythe du progrès n’a été rien d’autre, à bien l’examiner, qu’un christianisme inversé. Il a correspondu à ce moment de l’histoire – la sécularisation – où les grands thèmes théologiques ont été non pas abandonnés mais retranscrits sous une forme profane. De ce point de vue, il est parfaitement exact de dire que capitalisme et communisme qui se disputent le monopole de l’idéologie du progrès depuis le XIXe siècle, relèvent d’idées chrétiennes ramenées sur terre, de ces « idées chrétiennes devenues folles » dont parlait Chesterton. D’un côté, la prédestination protestante. De l’autre, le déterminisme marxiste. D’une part, l’obéissance à la volonté divine jusqu’à la négation de la liberté humaine. D’autre part, l’amour de l’homme jusqu’à la mort de Dieu. La ruine de ces deux idéologies à la fois rivales et jumelles laisse le champ libre à une politique de l’espérance. Le grand mystère chrétien laïcisé, désormais libéré de ces derniers avatars, se trouve disponible pour une autre incarnation, une autre aventure. Régis Debray notait que le fait majeur de la fin du XXe siècle aura été « la fin de la politique comme religion et le retour de la religion comme politique ». C’est vrai pour l’islam et nous ne le savons que trop. En France comme dans les pays qui formaient jadis la chrétienté, un État théologico-politique n’est nullement souhaitable. Mais nous disposons en revanche d’un patrimoine historique et spirituel dont peuvent renaître les déterminants directs de l’établissement. En d’autres termes, une politique de civilisation répondant à la volonté, de plus en plus manifeste, du peuple français, de retrouver en partage un monde commun de valeurs, de signes et de symboles qui ne demande qu’à resurgir à la faveur des épreuves présentes et des épreuves à venir.

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Vous citez dans l’épilogue de votre ouvrage cette phrase de Péguy : « Il faut que France, il faut que chrétienté continue ». Est-ce pour vous un programme politique ?

Métapolitique plutôt que politique. Par chrétienté Péguy entendait non pas tant une adhésion confessionnelle que cette amitié supérieure, cet assemblage unique au monde qui lie les Français entre eux, une fraternité authentique qui a façonné notre sociabilité nationale. L’invocation incantatoire et répétitive par la classe dirigeante des « valeurs républicaines » depuis que la vague terroriste s’est abattue sur la France, a eu au moins pour vertu de réveiller des pans entiers de la mémoire nationale. Lorsque François Hollande s’écrie « tuer un prêtre, c’est profaner la République » au lendemain de la décapitation du Père Hamel dans l’église de Saint-Étienne du Rouvray, au-delà d’une tentative dérisoire pour sacraliser la République – on ne peut profaner que ce qui est sacré – il profère un mensonge historique puisqu’aussi bien chacun sait que la République s’est fondée sur la persécution, la déportation et le massacre des prêtres. Plus que d’être restaurée, la République a besoin d’être réorientée et de retrouver son cours plus originel que l’absolu commencement qu’elle prétend être. Car ses « valeurs », qu’on le veuille ou non, procèdent d’une inspiration chrétienne, dénaturée et dévoyée certes, mais essentiellement chrétienne. On oublie trop aisément la dernière partie de sa devise initiale : « Liberté, égalité, fraternité ou la mort ». L’Évangile, par opposition, inaugure une fraternité vraie parce que gratuite, ni une fraternité d’extermination (« Sois mon frère où je te tue »), ni une fraternité d’inversion (« Sois mon frère et que je t’utilise »). On n’y est pas frère contre, on y est frère avec. C’est ce trésor inestimable que nous avons reçu en dépôt et qu’il nous faut maintenant défendre contre des mystiques venues d’ailleurs. Des mystiques qui sont la négation de notre esprit, de notre manière d’être et de vivre.

Vous dites que la réponse ne viendra pas de la politique ordinaire, mais d’une réforme intellectuelle et morale qui finira par surgir. En voyez-vous les prémisses ?

L’économiste américain Hirschman oppose les périodes où prédominent les intérêts à celles où excellent les valeurs. Au lendemain la présidence Sarkozy qui est apparue aux yeux de beaucoup comme la consécration d’une droite strictement identifiée à l’argent, d’une droite qui, au fil de l’histoire, avait subi une reductio ad pecuniam, une inflexion singulière s’est produite avec « La Manif pour tous ». Au-delà d’une protestation contre une réforme sociétale, ce mouvement s’est distingué par une profonde remise en cause de notre société exclusivement marchande et matérialiste. Ce qui était visé à travers la dénonciation du « mariage » homosexuel, c’était la complémentarité dialectique du capitalisme consumériste et du progressisme hédoniste. Ce fut d’abord et contre toute attente une insurrection contre le nouveau Mammon libéral-libertaire dont la loi Taubira n’aura été que l’un des multiples produits dérivés. Le fait politique majeur est là : pour la première fois depuis des lustres, une droite a défilé pour affirmer le primat du sacré sur le marché en se réappropriant la garde de l’être contre la société de l’avoir.

Ce n’est pas le cas de la droite de gouvernement qui, à en croire le débat des primaires, est sur une tout autre ligne que celle-là. Vous êtes très sévère avec cette droite que vous qualifiez de « droite situationnelle ».

La méprise dure depuis plus de deux siècles. Il ne suffit pas d’être classé à droite pour être de droite. C’est ce qui est arrivé au libéralisme qui n’était pourtant que l’une des déclinaisons de la philosophie des Lumières. On assiste, aujourd’hui, à un repositionnement des idéologies sur le spectre politique. Un temps fixé à droite, le libéralisme retourne à sa source originelle au terme de la trajectoire inverse de celle qu’il avait empruntée entre le XVIIIe et le XXe siècle. Longtemps, on a voulu distinguer comme pour le cholestérol entre un bon libéralisme (le libéralisme économique) et un mauvais (le libéralisme culturel ou sociétal). Ce distinguo n’a plus été possible dès lors que la financiarisation de l’économie a mis en évidence l’unité philosophique du libéralisme à travers ces deux faces complémentaires qui conduisent, dans une totalité dialectique, à étendre la logique de la marchandise à la sphère non marchande des activités humaines.

lequilibre-et-lharmonie-gustave-thibon.jpgGustave Thibon auquel vous avez consacré un film, met en évidence dans Diagnostics l’artificialité des notions de droite et de gauche dont il dit qu’elles « mutilent l’homme ». Quelle analyse portez-vous à la fois sur les propos de Thibon et sur la permanence malgré tout d’un système reposant sur le couple droite-gauche ?

Le diagnostic de Thibon porte sur la droite attachée à l’argent-chiffre, à l’argent-signe. Celle qui n’a jamais été, à travers l’histoire, autre chose qu’une force de conservation des privilèges des classes dominantes. Cette droite-là est, par définition, incapable de comprendre qu’avec l’avènement de l’économisme comme réenchantement du monde, quelque chose d’humain a pris fin selon le beau mot de Pasolini. Le fait marquant de ces dernières années réside dans l’apparition, au sein de ce qu’il est convenu d’appeler la droite, d’un mouvement antimoderne récusant le présupposé du libéralisme qui fait de la société une collection d’individus n’obéissant qu’aux lois mécaniques de la rationalité et de la poursuite de leur seul intérêt. Ce mouvement est en train de renouer, dans une fidélité inventive aux racines d’une droite plus originelle, avec l’idée qu’une société ne peut reposer exclusivement sur le contrat c’est-à-dire sur le calcul, mais sur l’adhésion à un projet qui fait d’elle une communauté. Le cycle ouvert par les Lumières est en train de se refermer. Nous ne sommes qu’à l’aurore d’une nouvelle ère et nous voudrions déjà cueillir les fruits de la maturité. En fait, nous ne supportons pas l’idée que ces grandes questions de civilisation ne reçoivent pas de réponse dans la temporalité qui est celle de nos vies humaines. Toutes les raisons d’espérer sont pourtant réunies. À commencer par celle qu’exposait le vers fameux d’Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ».

Patrick Buisson, La cause du peuple, Perrin, 464 p., 21,90 €.